Michel Piccoli (1925-2020), son dernier saut dans le vide

Posté par vincy, le 18 mai 2020

Michel Piccoli est mort le 12 mai a-t-on appris ce lundi 18 mai à l'âge de 94 ans. Né le 27 décembre 1925, l'un des plus grands comédiens français s'est éteint des suites d'un accident cérébral.

Prix d'interprétation à Cannes en 1980 pour Le Saut dans le vide, Ours d'argent du meilleur acteur à la Berlinale en 1982 pour Une étrange affaire, Léopard de la meilleure interprétation masculine à Locarno en 2007 pour Les Toits de Paris et prix David di Donatello du meilleur acteur en 2012 pour Habemus papam, il a derrière lui une carrière vertigineuse au cinéma comme au théâtre. Avec aucun César dans son escarcelle, scandale perpétuel.

Il a tourné avec les plus grands: Jean Renoir, René Clair, Luis Bunuel, Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Jacques Demy, Costa-Gavras, Michel Deville, Heanri-Georges Clouzot, Alfred Hitchcock, Marco Ferreri, Claude Sautet, Claude Chabrol, Louis Malle, Marco Bellocchio, Ettore Scola, Leos Carax, Jacques Rivette, Youssef Chahine, Manoel de Oliveira, Bertrand Blier, Elia Suleiman, Raoul Ruiz, Claude Miller, Theo Angelopoulos, Nanni Moretti, Alain Resnais...

De 1945 à 2015, il a traversé tout le cinéma, avec des rôles variés, où sa justesse en faisait un artiste de la précision. Un parcours éclectique mû par la curiosité et l'amour de son art. Il était un géant du cinéma européen.

Lire notre portrait: Piccoli, Alors voilà.


C’est finalement Gilles Jacob qui en parle le mieux. L’ancien président du Festival de Cannes avait écrit un livre d’entretiens avec le comédien il y a cinq ans : «Michel, c'était l'art du comédien : la classe, l'élégance et la pudeur, la tendresse et l'extravagance, la fraîcheur de ceux qui ont gardé leur âme d'enfant. Il représentait aussi la cocasserie. L'envie de surprendre et de laisser germer ce grain de folie qui font les très très grands. C'est pour cela que les plus grands cinéastes comme Marco Ferreri, Claude Sautet et Jean-Luc Godard l'ont utilisé magnifiquement. On ne dirigeait pas Piccoli. On le filmait. C'était inutile de lui donner des explications. Le personnage qu'il interprétait le guidait, et l'imprégnation du personnage. Il accueillait l'évidence des... choses de la vie. La France est orpheline d'un fils. Il nous laisse son œuvre et notre chagrin.»


C'est entendu, Michel Piccoli est un monstre sacré. Qu’il admire le corps de Bardot, qu’il séduise Deneuve, qu’il tombe amoureux de Schneider, qu’il se gave avec Ferreol ou qu’il cabotine avec Miou-Miou, Piccoli a toujours su trouver le ton juste, précis, modulant parfaitement sa voix, maîtrisant à merveille son regard.

Le sortilège du destin

Michel Piccoli naît à Paris le 27 décembre 1925 dans une famille musicienne : une mère pianiste, issue d'une famille bourgeoise, et un père violoniste venant d'un milieu modeste. Son enfance se partage entre la capitale et la Corrèze. A 20 ans, il s'affranchit de la bourgeoisie familiale et fait ses débuts au cinéma avec une figuration dans le film de Christian Jaque, Sortilèges. Après quelques rôles de cinéma et quelques pièces de théâtre, il fait la rencontre de Luis Buñuel. "J'ai écrit, moi acteur obscur, à ce metteur en scène connu pour qu'il vienne me voir dans un spectacle. Il est venu. Nous sommes devenus amis. C'est un culot de jeune homme formidable, non ?". C'est le début d'une longue complicité : Michel Piccoli jouera dans six de ses films dont les fameux Journal d'une femme de chambre, Belle de jour et Le charme discret de la bourgeoisie.
Amoureux des livres, des idées, de cette effervescence intellectuelle de l’après guerre, Piccoli croise le tout Saint-Germain-des-Prés et connaît Boris Vian (il reprendra son Déserteur dans un disque hommage à Reggiani), Jean-Paul Sartre et Juliette Gréco qui sera sa compagne pendant onze ans.

Séducteur ou gouailleur, grossier ou élégant, mystérieux ou rêveur, Piccoli a traversé l’histoire du cinéma. Il tourne beaucoup, dès les années 1950. On le croise ainsi dans French cancan, Les grandes manœuvres, Marie-Antoinette… Des seconds-rôles qui aboutiront à celui qui déclenchera tout, dans Le doulos, avec Belmondo, de Jean-Pierre Melville en 1962. Le chapeau lui va bien. Il ne le quittera pas l’année suivante dans Le Mépris, de Godard, où il s’impose comme un grand de sa génération. Dès lors, il trouve sa place dans des univers variés. La jeune génération française avec Jacques Rozier, Paul Vecchiali, Agnès Varda, Alain Cavalier, Michel Deville, Alain Resnais, Nadine Trintignant, les cinéastes de l’exil, comme Bunuel et Costa-Gavras, les grands noms du 7e art français (René Clément, Henri-Georges Clouzot) ou le cinéma italien, puisqu’il parle couramment la langue.

De cette époque on retient alors Compartiments, La Guerre est finie, Les Demoiselles de Rochefort, Benjamin ou les mémoires d'un puceau, La chamade, et bien sur son passage chez Hitchcock dans L’étau. S’il n’a pas le statut de star d’un Belmondo ou d’un Delon, il est, à l’instar de Noiret, un de ces acteurs qui compte rapidement dans le cinéma européen.

Le grand saut

Fidèle avec ses cinéastes fétiches - Bunuel, Ferreri, Sautet -, c’est justement avec ce dernier que sa stature va évoluer. En 1970, il est à l’affiche des Choses de la vie (enchaînant ensuite un grand écart avec Philippe de Broca, les très belles Noces rouges de Claude Chabrol et Yves Boisset). Un drame intime et existentialiste bouleversant, qui amorce un tournant dans la carrière du réalisateur et relance celle de Romy Schneider. C’est aussi le plus grand succès au box office du comédien. Il a alors ce charme discret de la bourgeoisie, qu’il se délectera à transformer en décadence totale dans La grande bouffe de Marco Ferreri, grand pamphlet d’une civilisation sur-consommatrice et autodestructrice.

Car pour lui, le cinéma doit refléter le chaos et la folie du monde, quitte à se confiner et s’isoler dans Themroc de Claude Garaldo, 47 ans avant notre confinement actuel. Il peut jouer aussi bien un homme de loi qu’un escroc, un ministre qu’un médecin, un ami qu’un roi. Après Vincent, François, Paul et les autres, de Sautet, il doit cependant patienter jusqu’en 1979 pour retrouver un grand personnage, celui du juge Mauro dans Le saut dans le vide de Marco Bellocchio, sublime mélo noir, qui lui fait décrocher un prix d’interprétation à Cannes. Deux ans avant son prix d’interprétation à Berlin, dans Une étrange affaire, en patron prédateur.

Insatiable curiosité

Dès les années 1980, il oscille entre fidélité (Boisset, Ferreri, Demy, Bellocchio, Godard) et découvertes, entre quelques succès comme la Passante du Sans-Souci, toujours avec Schneider, ou Que les gros salaires lèvent le doigt ! de Denys Granier-Deferre. Il passe ainsi du Prix du danger à La nuit de Varennes, d’Ettore Scola, de La Diagonale du fou, en champion d’échecs, à des films de Jacques Doillon ou de Claude Lelouch.  Dans ces années-là, il croise Youssef Chahine (Adieu Bonaparte), Leos Carax (Mauvais sang), Maroun Bagdadi (L’homme voilé), autant de films audacieux et sélectionnés dans les festivals. Mais il tourne aussi Le paltoquet et Milou en mai, beau succès public de Louis Malle.

Piccoli est insaisissable. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de Piccoli transpercent l’image.

Habemus Maestro

Piccoli est insaisissable, atemporel et sans étiquette. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de son jeu transpercent l’image. « L’acteur n’existe que dans le regard des autres » selon lui. Là on redécouvrait aussi bien Piccoli qu’on s’émerveillait de la jeunesse d’Oliveira.

« Je ne veux pas être élitiste, mais je sais que je serais incapable de réaliser quelque chose qui plairait au plus grand nombre » explique-t-il alors qu’il vient « d'entrer sur le marché du travail dans les rôles de grands-pères. Les carottes sont cuites ». Sans agent, sans César, narrateur permanent de documentaires, fictions (Intervention divine d’Elia Suleiman) ou films d’animation (La prophétie des grenouilles de Jacques-Rémy Girerd), il poursuit ses rêves sans trop d’efforts. Que ce soit au théâtre jusqu’à la fin des années 2000 avec un rôle-sacre, le Roi Lear, ou au cinéma. Il continue à tourner pour les cinéastes d’avant mais s’aventure aussi chez Bertrand Bonello, Theo Angelopoulos, ou même Bertrand Mandico. C’est évidemment en pape dans Habemus Papam de Nanni Moretti en 2011 qu’il semble signer sa performance crépusculaire, loin de toute noirceur, et proche  d’un hédonisme lumineux. « Le bonheur est toujours une quête à renouveler » disait-il. Durant 70 ans de métier, il a su appliquer cet idéal.

La tombe de Romy Schneider profanée

Posté par redaction, le 1 mai 2017

La tombe de l'actrice Romy Schneider a été ouverte, "vraisemblablement au cours du week-end", au cimetière de Boissy-sans-Avoir, près de Montfort-L'Amaury dans les Yvelines, selon le journal Le Parisien. Elle y repose en toute discrétion depuis son suicide en 1982. On commémorera les 35 ans de sa disparition le 29 mai prochain.

"Un ou des individus ont descellé la pierre tombale et l'ont déplacée, occasionnant l'ouverture du caveau mais à ce stade des constatations, il n'y a a priori pas eu de dégradation", expliquent les enquêteurs au quotidien régional. Romy Schneider est enterrée avec son fils David, décédé dans un accident en 1981 à l'âge de 14 ans.

L'actrice allemande naturalisée française s'est suicidée en mai 1982 à l'âge de 43 ans. Révélée par le personnage de Sissi, elle a tourné avec Orson Welles, Alain Cavalier, Joseph Losey, Lucchino Visconti, Bertrand Tavernier, Costa Gavras, Claude Miller, Andrzej Zulawski et Claude Sautet. Elle a gagné deux César.

Andrzej Zulawski (1940-2016): l’important fut de filmer

Posté par vincy, le 17 février 2016

Andrezj Zulawski a succombé à son cancer à l’âge de 75 ans. Né le 22 novembre 1940 à Lviv, à l’époque ville soviétique, aujourd’hui cité ukrainienne, le cinéaste a fait ses études en France avant de rejoindre la Pologne où il a fait ses premiers pas de réalisateurs. Ce fils de diplomate, auteur de drames passionnels, poussant ses actrices jusqu’à l’hystérie émotionnelle, est revenu en France pour fuir la censure. Il donne quelques uns des plus beaux rôles à Romy Schneider, Isabelle Adjani et Sophie Marceau, jeune star qui a 26 ans de moins et qui devient son épouse et le père de son fils Vincent. Ils vivent ensemble durant 17 ans et tournent quatre fois ensemble.

Après deux courts métrages dans les années 1960, Zulawski réalise son premier long, La troisième partie de la nuit en 1971, tragédie psychologique qui se déroule durant la seconde guerre mondiale. Il enchaîne avec Le Diable, drame où le chaos d’une guerre pousse un jeune noble à la démence et au crime. En 1975, il arrive en France et signe L’important c’est d’aimer, sans aucun doute son film le plus intense. Il transcende Romy Schneider en lui offrant son rôle le plus marquant. La star semble habitée par ce personnage, mise en abime du double je / double jeu. Elle récolte le César de la meilleure comédienne. Et le cinéphile retient à jamais ses yeux en larmes, suppliant qu'on arrête de la voir...

Six ans plus tard, c’est Isabelle Adjani qui élève son jeu, déjà brillant, dans Possession. Là encore, le réalisateur signe un film où l’amour n’est pas heureux. Drame de la jalousie pas ordinaire – une constante de toute sa filmographie – Possession vaut un prix d’interprétation à Cannes et un César de la meilleure actrice à Adjani. Comme souvent, le cinéaste a puisé dans sa vie pour écrire le scénario. Un divorce douloureux et l’interruption brutale du tournage du film Sur le globe d’argent (qui sortira finalement en 1988 , inaccompli) l’ont poussé vers une dépression. De ce film d’anticipation, il reste une étrange créature tentaculaire, créée par Carlo Rambaldi, le père des extra-terrestres de Spielberg. Traumatisée par le tournage, Adjani, qui ne voulait pas faire ce film aux limites du fantastiques, et qui a été convaincue par son compagnon d’alors le chef opérateur Bruno Nuytten, a toujours regretté ce film si important dans sa carrière.

Avec La Femme publique (Valérie Kaprisky), en 1984, le réalisateur continue de filmer des femmes volages, pas très loin de la prostitution, toujours apte au dédoublement de personnalité. Comme le personnage de Romy dans L’important c’est d’aimer, celui de Kaprisky est une comédienne médiocre. On reproche alors à Zulawski une certaine volonté d’humilier les femmes, une misogynie, et sur les plateaux, un comportement tyrannique.

L’année suivante, il fait tourner son épouse. Sophie Marceau est en pleine ascension, la petite française préférée de l’Hexagone, déjà. Mais après Pialat et Police, elle persévère à vouloir aller vers des cinémas plus périlleux que des comédies populaires. L’amour braque est encore une histoire de pute. Le film est interdit aux moins de 12 ans. Et le public rejette Marceau, qu’il ne veut pas voir en lolita manipulée par un « vieux pervers ». Leur couple tiendra bon malgré le quand-dira-t-on. Marceau et lui tournent ensuite Mes nuits sont plus belles que vos jours, autodestruction programmée de deux êtres à la dérive.

Toujours féru de littérature russe, il adapte Boris Godounov en 1989 puis réalise un biopic sur Frédéric Chopin et George Sand en 1991, La note bleue, avec Marie-France Pisier et Sophie Marceau. Films mineurs, tout comme Chamanka en 1996, qui marquent le déclin artistique d’un cinéaste qui tourne un peu en rond. Il essaie de rebondir avec La fidélité en 2000. Il y retrouve ses principaux thèmes : la photographie, la jalousie, la maladie, l’infidélité, les métiers immoraux. Ultime déclaration d’amour à sa femme, le film scellera aussi le divorce avec Sophie Marceau, qui, pourtant, n’a jamais été aussi désirable que sous l’œil averti de son mari. Le film se fait en symbiose : elle donne l’idée de transposer La Princesse de Clèves, trouve les producteurs et lui écrit, réalise… Ultime enfant né de leur alchimie incomprise.

Comme un baroud d’honneur, après avoir sombré dans l’ennui, se désespérant d’un cinéma européen sans intérêt ou de ces grands festivals meurtriers, il revient quinze ans plus tard avec le surréaliste Cosmos, sorti en décembre dernier. Locarno lui a décerné un prix (presque honorifique) du meilleur réalisateur). Le cinéaste a rarement été récompensé (La femme publique est son film qui a été le plus primé) et a souvent divisé la critique. Ses œuvres controversées, violentes, exigeantes artistiquement ont avant tout sublimé des comédiennes magnifiques. « Je fais des films sur des sujets qui me torturent et les femmes me servent de moyen pour les exprimer » disait-il.

Le plus bel éloge revient quand même à son ex : « Dans les films d'Andrzej par exemple, il y a à la fois un côté techniquement parfait, très moderne visuellement et très bien fabriqué, et en même temps un élan, quelque chose qui n'appartient qu'à lui, comme un coeur qui s'ouvre » expliquait Sophie Marceau en 2000.

Pourquoi le César d’honneur 2016 est une offense au cinéma et aux cinéphiles ?

Posté par kristofy, le 30 janvier 2016

Cette semaine, l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma vient de faire connaître la liste des nominations des César, dont les gagnants seront connus le 26 février prochain, et d'annoncer un César d’honneur pour Michael Douglas alors qu’il en a déjà reçu un en 1998

Depuis quelques années un César d’honneur est remis à une star (surtout américaine) de passage à Paris : Dustin Hoffman, Harrison Ford, Quentin Tarantino, Kate Winslet, Kevin Costner, Scarlett Johansson, Sean Penn… Mais on ne sait pas vraiment pourquoi Michael Douglas, qui a déjà eu le droit à cet honneur en 1998, est de nouveau distingué.

Le cas des doublés

Le cas d’un César d’honneur doublé s’était déjà produit pour Jean-Luc Godard et pour Jeanne Moreau. En fait, Jeanne Moreau avait préféré le transmettre à Céline Sciamma (alors remarquée pour son premier film Naissance des Pieuvres). On croyait alors que ce doublé incompréhensible n’allait plus se reproduire. Le choix du récipiendaire d’un César d’honneur ne correspond à aucun vote, il s’agit d’une décision de la présidence de L’Académie des Arts et Techniques du Cinéma. Depuis 2003 c'est le producteur Alain Terzian. Seule explication, le créateur des César Georges Cravenne était un ami de Diana Douglas, la mère de Michael Douglas, décédée durant cet été 2015.

Pendant plusieurs années il y avait un César d’honneur pour une personnalité internationale ET une personnalité française : en 2005 Will Smith et Jacques Dutronc, en 2006 Hugh Grant et Pierre Richard, en 2007 Jude Law et Marlène Jobert… Dernièrement, début janvier, en réaction à la mort de Michel Galabru à 93 ans et acteur dans plus de 200 films, Bertrand Blier avait déploré que l’Académie des César ne lui ai pas remis un César d’honneur plutôt que d’en donner un à une jeune actrice de 19 ans (une allusion à Scarlett Johansson)...

Pierre Etaix et Hayao Miyazaki ont reçu un Oscar d'honneur

Il serait bon de revenir à plusieurs César d’honneur, surtout avant qu’il ne soit trop tard. Il y a du monde à récompenser. Pas seulement des comédiens d'une génération antérieure aux César (qui n'ont que 40 ans), mais aussi des talents français connus dans le monde entier, des cinéastes étrangers qui doivent une grande partie de leur carrière aux financement hexagonaux ou même des artistes étrangers qui ont une place à part dans le coeur des cinéphiles français. C'est aussi un acte de résistance face à l'hégémonie hollywoodienne, une manière de montrer que le cinéma en France n'est pas considéré comme un simple business glamour. Ainsi, Rohmer, Rivette, Chabrol n'ont jamais été honoré malgré leur place dans le panthéon mondial du 7e art. On est proche du scandale quand les Oscars n'hésitent pas à récompenser Peter O'Toole, Ennio Morricone, Robert Altman, Pierre Etaix (sic, on n'y a jamais pensé en France!), Hayao Miyazaki (logique imparable), Jean-Claude Carrière, Spike Lee, Gena Rowlands, Lauren Bacall ou Maureen O'Hara (pour ne citer que quelques un des Oscars d'honneur depuis 15 ans).

Un César pré ou post mortem?

Et rien n'empêche aux Césars d'en remettre à titre posthume. 9a a été le cas en 2008 pour Romy Schneider. On peut ainsi imaginer Lino Ventura ou Jean Renoir, Marcel Pagnol ou Yves Montand, Françoise Dorléac ou Arletty, Jacques Demy ou Louis Jouvet. Alors que le cinéma de patrimoine est en vogue, ça aurait du sens.

En 2006 en recevant le sien Pierre Richard avait déclaré « quand j’ai appris que j’allais avoir le César d’honneur, j’ai foncé voir mon docteur pour lui demander ‘c’est si grave que ça, je n’en ai plus pour longtemps ?’ Je vais très bien. Ce César je le prends avec joie. J’ai envie de le partager avec tout ceux qui ne l’auront jamais… »

10 propositions pour le César d'honneur

Alors voici dix noms qui depuis longtemps sont fixés autant sur les génériques de quantités de films que dans les mémoires des spectateurs, comme autant de suggestions pour un futur César d’honneur mérité. La liste pourrait être beaucoup plus longue. D'Etaix à Miyazaki, de Loach à Moretti, de Leigh à Von Trier, de Wenders à Panahi, de Ocelot à Depardon, de Delon à Belmondo, les noms à honorer ne manquent pas. Et on pourrait ajouter Gilles Jacob dans la liste.

Anna Karina : 75 ans, actrice dans plus de 80 films depuis 1960 (Le petit soldat et Une femme est une femme, tous deux de Jean-luc Godard). Muse de JLG (Vivre sa vie, Pierrot le fou, Bande à part, Made in USA, Alphaville, Le plus vieux métier du monde), elle a tourné avec les plus grands auteurs de son époque: Agnès Varda (Cléo de 5 à 7), Michel Deville (Ce soir ou jamais), Chris Marker (Le joli mai), Luchino Visconti (L'étranger), Roger Vadim (La ronde), mais aussi George Cukor (Justine), Volker Schlöndorff (Michael Kohlhaas), Rainer Werner Fassbinder (Roulette chinoise), Raoul Ruiz (L'île au trésor). Plus récemment elle était chez Jacques Rivette (Haut bas fragile). Prix d'interprétation féminine à Berlin pour Une femme est une femme, nommée au César du meilleur second-rôle féminin pour Cayenne Palace en 1988, réalisatrice, romancière, chanteuse (divine), comédienne de théâtre, elle est la plus française des danoises.

Claudia Cardinale : 77 ans, actrice dans environ 100 films depuis 1955 (La Fille à la valise de Valerio Zurlini, Rocco et ses frères de Luchino Visconti, Austerlitz d'Abel Gance, Cartouche de Philippe de Broca, Huit et demi de Federico Fellini, Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone, Les Pétroleuses de Christian-Jaque, Fitzcarraldo de Werner Herzog, Un balcon sur la mer de Nicole Garcia, Gebo et l'ombre de Manoel de Oliveira, L'Artiste et son modèle de Fernando Trueba…), plusieurs David di Donatello (le César italien) de meilleure actrice, 2 Golden Globe, Lion d’or d’honneur à Venise et Ours d’or d’honneur à Berlin pour l’ensemble de sa carrière, depuis 2008 en France dans l’Ordre national de la Légion d'honneur…

Jean-Claude Carrière : 84 ans, scénariste de plus de 60 films depuis 1963 (films réalisés par Pierre Étaix, Luis Buñuel, Louis Malle, Jacques Deray, Milos Forman, Alain Corneau, Volker Schlöndorff, Jean-Luc Godard, Nagisa Oshima, Jean-Paul Rappeneau, Jonathan Glazer, Fernando Trueba, Atiq Rahimi…), 4 nominations aux Césars (Cet obscur objet du désir, Danton, Cyrano de Bergerac) dont statuette obtenue en 1983 pour Le Retour de Martin Guerre, nomination à l'Oscar de la meilleure adaptation pour L'Insoutenable Légèreté de l'être, et même Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2014…

Jacques Doillon : 71 ans, 27 longs-métrages depuis 1973, 2 films à cannes, 3 films à Venise, 4 films à Berlin, La Drôlesse avec 2 nominations aux Césars (meilleur réalisateur, scénario), Le Petit Criminel avec 3 nominations aux Césars (meilleur film, réalisateur, scénario) et Prix Louis-Delluc… Il est l'un des derniers cinéastes de sa génération en activité, et a toujours été en marge du système.

Michael Lonsdale : 84 ans, acteur dans plus de 130 films depuis 1956 (Le Procès d’Orson Welles,  La Mariée était en noir de François Truffaut, Le Souffle au cœur de Louis Malle, India Song de Marguerite Duras, Section spéciale de Costa-Gavras, Monsieur Klein de Joseph Losey, James Bond 007:Moonraker de Lewis Gilbert, Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud, Les Vestiges du jour de James Ivory, Ronin de John Frankenheimer, Munich de Steven Spielberg, Maestro de Lea Fazer…), 3 nominations aux Césars en catégorie meilleur acteur dans un second rôle (Nelly et Monsieur Arnaud, La Question humaine) dont statuette obtenue en 2011 pour Des hommes et des dieux

Michel Piccoli : 90 ans, acteur dans plus de 220 films depuis 1945 (Le Journal d'une femme de chambre de Luis Buñuel, Le Mépris de Jean-Luc Godard, Paris brûle-t-il ? de René Clément, Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, L'Étau d'Alfred Hitchcock, Les Choses de la vie de Claude Sautet, La Grande Bouffe de Marco Ferreri, Partir, revenir de Claude Lelouch, Mauvais Sang de Leos Carax, Milou en mai de Louis Malle, Je rentre à la maison de Manoel de Oliveira…), réalisateur de 3 films, 4 nominations aux Césars (Une étrange affaire, La Diagonale du fou, Milou en mai, La Belle Noiseuse), palme du meilleur acteur au Festival de Cannes 1980 (Le Saut dans le vide), ours du meilleur acteur au Festival de Berlin 1982 (Une étrange affaire), meilleur acteur au Festival de Locarno 2007 (Les Toits de Paris), et même David di Donatello (le César italien) du meilleur acteur en 2012 (Habemus papam)…

Vanessa Redgrave : 78 ans, actrice dans plus de 80 films depuis 1958 (Blow-Up de Michelangelo Antonioni , Le Crime de l'Orient-Express de Sidney Lumet, Prick Up Your Ears de Stephen Frears, Retour à Howards End de James Ivory, Little Odessa de James Gray, Mission impossible de Brian De Palma, The Pledge de Sean Penn, Reviens-moi de Joe Wright, Le Majordome de Lee Daniels, Foxcatcher de Bennett Miller…), 6 nominations aux Oscars (1 statuette remportée pour Julia), 2 fois Palme de la meilleure actrice à Cannes (pour Morgan, Isadora)…

Gena Rowlands : 85 ans, actrice dans plus de 40 films depuis 1958 (7 films avec son mari John Cassavetes, Light of Day de Paul Schrader, Une autre femme de Woody Allen, Ce cher intrus de Lasse Hallström, Night on Earth de Jim Jarmusch, N'oublie jamais de Nick Cassavetes…), 2 nominations aux Oscars, à Berlin Ours d'argent de la meilleure actrice…

Liv Ullmann : 77 ans, actrice dans plus de 40 films depuis 1957 (ceux avec son mari Ingmar Bergman, Léonor de Luis Buñuel, Un pont trop loin de Richard Attenborough…) mais aussi réalisatrice et scénariste (Infidèle, Mademoiselle Julie…), 2 nominations aux Oscars, en 2001 elle était présidente du jury du Festival de Cannes, en 2004 elle reçoit un European Award d'honneur pour sa contribution au cinéma mondial…

Max von Sydow : 86 ans, acteur dans plus de 80 films depuis 1949 (L'Exorciste de William Friedkin, Les Trois Jours du Condor de Sydney Pollack, La Mort en direct de Bertrand Tavernier, Conan le Barbare, James Bond 007:Jamais plus jamais, Hannah et ses sœurs de Woody Allen, Minority Report de Steven Spielberg, Shutter Island de Martin Scorsese, en ce moment au cinéma dans Star Wars, épisode VII : Le Réveil de la Force et Les Premiers, les Derniers de Bouli Lanners), 2 fois nominé pour un Oscar (Pelle le conquérant, Extrêmement fort et incroyablement près), d’origine suédoise il est devenu citoyen français en 2002 et dix plus tard honoré du titre Chevalier de la Légion d'honneur…

Festival du film de La Rochelle: Les corps et décors de Luchino Visconti

Posté par Martin, le 6 juillet 2015

En une quinzaine de films, Luchino Visconti (1906-1976) aura été le cinéaste italien de l’histoire et du temps. De ses premiers films qualifiés de néoréalistes (le mot a été inventé pour son premier film, Les Amants diaboliques, en 1943) jusqu’aux films tableaux mortifères de la fin (L’Innocent sera son dernier film, en 1976), le cinéaste aura raconté l’Italie de sa constitution (Senso, 1953, ou Le Guépard, 1962) jusqu’aux ambigüités d’un passé récent (l’après mai 1968 dans Violence et passion, 1974). Mais les corps qui se déplacent dans l’espace donne à l’histoire une puissance érotique et morbide. Visite guidée en quelques images fortes à l'occasion de la rétrospective intégrale de ses films au Festival du film de La Rochelle, qui s'est achevé hier.

les amants diaboliques ossessioneLe premier regard des Amants diaboliques

La sueur sur son front. Elle nettoie la cuisine. Giovanna est en noir, décoiffée, un rictus triste sur les lèvres. Son mari, bonhomme, passe, plaisante : c’est sa station service et elle tient le café attenant. Un vagabond s’approche. La route. La station. Le restaurant. Quand il passe la porte, il suffira d’un regard, un long regard. Giovanni s’arrête pour contempler Gino. Il est beau. Dans le cadre de cet espace auquel il n’appartiendra jamais, Gino, en débardeur blanc, jure : sa peau dévore toute la lumière. Objet érotique né dans la crasse (l’essence, les odeurs de cuisine), il est la beauté noire, baudelairienne, qui expulsera Giovanna de son enfer domestique mais signera  aussi son entrée dans la mort – ensemble, ils ne tardent pas à tuer le mari. Tout est joué dès ce premier regard, dès l’apparition du corps désirable et désiré dans l’embrasure de la porte. Gino, apparu sur la route, y projettera l’histoire – deux accidents de voiture encadrent le récit, comme pour mieux révéler l’impossibilité de vivre dans cette Italie en crise.

bellissimaLe cinéma et le désir de Bellissima

Dans Bellissima (1951), Visconti veut filmer Anna Magnani. Elle y joue une mère qui, suite à une annonce de casting, fera tout pour que sa fille de six ans décroche un rôle. Il y a deux espaces, celui de la pauvreté néoréaliste (l’immeuble de Maddalena) et celui du cinéma (Cinecitta). L’entrée de la mère et de sa fille dans ce nouvel espace, celui du rêve, pose d’emblée problème – la petite se perd et il faut la retrouver. Après bien des tractations où la petite doit changer du tout au tout (elle se fait couper les cheveux, porte un tutu, prend des cours de diction avec une actrice ratée), Maddalena entre dans une salle de montage et découvre l’envers du décor : la jeune monteuse est une ex starlette qui se prenait une gifle dans un film comique à succès. Maddalena / Magnani découvre, non pas dans les images, dans les rushes qu’elle est venue voir, mais dans le réel, le visage et le travail de cette monteuse, un corps abandonné, mis au rebut du cinéma, destin plus que probable de sa propre fille. Entre ces deux espaces, le réel et le cinéma, qui se rejoignent ici de façon cruelle, il y aura pourtant eu une lisière : au bord de l’eau, Maddalena s’allonge auprès d’un homme qui profite de son obsession pour lui soutirer de l’argent et peut-être un peu de désir… Alanguie dans  l’herbe, Maddalena s’offre dans une position qui rappelle la Partie de campagne de Jean Renoir (film sur lequel Visconti a été assistant). Le désir brûle soudain la pellicule. La main de l’homme s’approche. Les deux corps forment une ligne oblique entre le fleuve et le chemin terreux. Et puis Magnani reprend le dessus, coupe net au désir, qui né dans la terre et la poussière, aurait pu tout détruire  comme dans Les Amants diaboliques : en un regard désirant, en un geste esquissé, est saisie toute l’étendue d’une autre vie.

les nuits blanches marcello mastroianni

Corps figurés, corps figurants des Nuits blanches

Dans Les Nuits blanches (1957), Visconti adapte Dostoïevski en studio. Tout le décor crie son côté faux et c’est bien naturel : c’est un film sur le rêve amoureux. Un homme voit une femme dans la rue, la suit, lui parle : elle attend un autre homme. Plus elle se confie sur l’autre, plus il tombe amoureux. Le nouveau couple se retrouve toutes les nuits… Dans l’attente, que peut-il se passer ? Le décor porte en son sein cette triangulation du désir. A chaque scène, d’autres couples se rejoignent et disjoignent comme des danseurs au fond du cadre : tout petits au bout d’une ruelle ou sur un pont, ils sont sans visages, des figurines qui doublent le désir d’étreinte du héros. A la fin, c’est lui qui est la figurine abandonnée, puis il regarde enfin le fond du cadre, reflet tragique de son rêve. Le décor aura ainsi exprimé son désir, et plus encore son exil.

sandra claudia cardinaleLe visage étrusque de Claudia Cardinale dans Sandra

Après ses participations, petite dans Rocco et ses frères (1960), plus conséquente dans Le Guépard (1962), Claudia Cardinale est immortalisée par Visconti dans ce qui restera son plus beau rôle – Sandra, « Vaghe Stelle dell’Orsa » en italien, d’après un vers de Leopardi. Récemment mariée à un Américain,  Sandra revient à Volterra, sa ville natale. Sandra est donc un film sur l’origine : origine juive d’un père mort à Auschwitz et à qui on dresse une statue, origine de la tragédie historique et familiale puisque Sandra renoue avec sa mère folle et son frère incestueux. L’essentiel du récit se passe dans cette maison de l’enfance, au milieu des statuettes étrusques. Sandra a beau être partie, elle appartient pour toujours à ce lieu : les coiffures de Cardinale, les axes choisis pour filmer son visage, la lumière qui sculpte son nez, sa bouche, son cou, tout cela en fait une statue de la mythologie. Le moment où la pierre se brise, c’est celui du combat avec le frère amoureux, retour à l’origine dans une chambre sombre qui pourrait tout aussi bien être un ventre maternel. Les stries de lumière déchirent les vêtements et nous offrent le spectacle d’une nouvelle naissance : Sandra sortira de cette lutte en blanc immaculé. Grandie ?

tadzio mort à veniseLe vieil homme et la mort (1) : Mort à Venise

Aschenbach suit Tadzio dans les rues de Venise. Le décor croupissant est recouvert d’un produit blanchâtre. Le musicien, venu se reposer, aurait pu partir un peu plus tôt, fuir le choléra, la mort qui gagne le cadre peu à peu. Mais il a choisi de rester pour avoir aperçu la beauté absolue, celle qu’il n’avait pas voulu voir jusqu’à présent. Il ne se passe que très peu de choses dans Mort à Venise : les descriptions de la nouvelle de Thomas Mann sont fidèlement retranscrites dans des panoramiques et zooms aussi lents qu’envoutants. Le contempaltion de la beauté remplace l’action tandis qu’Aschenbach se souvient : son art n’aura été que rigueur et travail, un art apollinien selon la définition de Nietzche. Aschenbach découvre alors sous les traits du jeune Tadzio une beauté naturelle, violente, pulsionnelle : c’est la face dionysiaque qui a manqué à sa vie. De cette révélation, le personnage meurt – le titre n’en fait pas mystère. Pourtant, à la fin, Tadzio tend la main vers la mer : c’était ça, la vraie beauté que l’artiste n’aura pas réussi à voir. Terrible horizon d’une vie gâchée, tandis que coule le maquillage du personnage transformé en masque grotesque.

romy schneider ludwig

Pourriture de Ludwig

Helmut Berger est Ludwig dans cette fresque de près de quatre heures (1972). Mais plus encore c’est le film tout entier qui est Ludwig. Visconti nous enlise dans la folie de cet empereur esthète qui fait des opéras de Wagner la musique de sa vie, d’un écuyer un prince charmant, d’un acteur aperçu sur une scène un Roméo qu’il épuise à force de lui demander de réciter ses tirades préférées… Le réel dans le récit disparaît quasiment : seuls quelques plans face caméra de ceux qui ont travaillé pour lui nous sortent de l’esprit malade de Ludwig. Alors qu’il y organise une mise en scène, une grotte ou une taverne prennent soudain la forme de son cerveau. Une galerie de miroirs reflète les tréfonds de son âme, un escalier son esprit tortueux. Mais plus les espaces sont beaux, romantiques, foisonnants, plus Ludwig décrépit : l’extérieur, le décor, est le lieu de ses folles rêveries, son corps une peau de chagrin gagnée par la pourriture. Rage de dents, toussotements, yeux exorbités… La maladie ronge son corps tandis que le château apparaît de plus en plus comme un somptueux tombeau. Exilé de son antre sublime, Ludwig s’écroule dans l’hiver, se fige à jamais dans un tableau qu’il aurait pu peindre.

burt lancaster violence et passionLe vieil homme et la mort (2) : Violence et passion

Le titre original, Gruppo di famiglia in un interno (« groupe de famille dans un intérieur »), dévoile l’ambition de Visconti : faire un huis clos en forme de tableau figé où la vie extérieure, le hors-champ, le présent seraient donnés à voir en creux. Ils s’infiltrent en effet dans l’histoire d’un vieil homme qui vit au milieu d’œuvres d’art et de livres. L’inspiration douceâtre des tableaux de genre anglais contraste avec la famille à la vulgarité toute italienne qui viole son espace. La mère écrase sa cigarette à même le sol, la fille s’invite à dîner mais ne vient pas, le gendre fait des travaux bruyants et un gigolo finit par pénétrer littéralement dans la bibliothèque du vieil intellectuel, et à se présenter nu, offert et interdit à la fois, à ses yeux. Mais c’est bien le capitalisme conquérant d’un mari qui n’est pas jamais montré qui fait entrer la pourriture dans l’espace (la fuite au plafond) et fait de la révolte du gigolo soixante-huitard un coup d’épée dans l’eau individuel et finalement très égoïste. Les coups de téléphone, la musique pop et les cris de Silvana Mangano et de sa fille envahissent l’espace sonore du professeur avant que seul résonne un dernier son : les pas de la mort dans l’appartement du dessus. Violence et passion, c’est la destruction d’un espace qui représente toute une vie. Une famille monstrueuse s’y invite, sème le chaos, et paradoxe fait goûter au vieil homme le parfum d’une joie nouvelle.

Mais dans les films de Visconti cette remise en question détruit la construction de toute une vie. Les châteaux de Ludwig, la beauté du Tadzio, le rêve de Cinecitta ou le corps érotisé d’un vagabond dans Les Amants diaboliques sont des écrins révélant la même aspiration vers un ailleurs – un diamant noir qui envahit les espaces et les corps dans un retentissement funeste dont le tragique n’a d’égal que la beauté.

Les Français et le cinéma : plébiscite de Louis De Funès, Sophie Marceau et Romy Schneider, Luc Besson…

Posté par vincy, le 30 mars 2015

Selon le sondage BVA-Doméo-Presse régionale, Louis de Funès reste l’acteur préféré (24,8%), Sophie Marceau est l’actrice préférée (33.9%), Luc Besson est de très loin le réalisateur préféré (42.5%) des Français.

Les monstres sacrés ont la vie dure

De Funès reste donc l'acteur favori en 2015, plus de 30 ans après sa mort. Mais attention, les femmes préfèrent Fabrice Luchini et ne le citent même pas parmi leurs cinq acteurs favoris. Et paradoxalement, les plus de 65 ans ne le choisissent pas non plus dans le Top 5, préférant surtout Philippe Noiret.

Lino Ventura (22.7%), Jean Reno (20.4%), Philippe Noiret, Fabrice Luchini, Bourvil, Jean Gabin, Jean Dujardin, Omar Sy et Guillaume Canet sont dans l'ordre les 9 autres acteurs préférés. La moitié des comédiens a disparu. Parmi les dix suivants, dans l'ordre, on note Belmondo, Auteuil, Depardieu, Lindon, Rochefort, Boon, Cornillac, Duris, Mérad et Delon. Etonnant? Dujardin plait davantage aux hommes quand Canet et Sy sont plébiscités par les femmes. Chez les jeunes, Dujardin est derrière De Funès et devant Sy. Mais leurs préférences ne résistent pas aux goûts des plus âgés qui préfèrent Luchini et Ventura.

La moitié des comédiennes ont débuté après Giscard

Sophie Marceau continue son histoire d'amour avec les Français. Avec 33.9% des citations, elle devance de justesse Romy Schneider (33.6%) et largement Catherine Frot (19.9%). Marceau et Schneider se retrouvent citées dans tous les Top 5, peu importe le sexe ou l'âge du répondant. Dans le Top 10, on retrouve sinon Marion Cotillard, Josiane Balasko, Annie Girardot, Simone Signoret, Catherine Deneuve, Karin Viard et Audrey Tautou. Deux actrices de ce classement sont disparues, ce qui distingue très clairement les actrices des acteurs. Suivent Adjani, Binoche, Kiberlain, Huppert, Bonnaire, Ardant, Gainsbourg, Laurent, Mimie Mathy, Bardot. Là encore la moyenne d'âge des comédiennes favorites est beaucoup plus jeune que celle des acteurs. Par segmentation, Marceau domine chez les hommes, les 18-34 ans et les 35-64 ans quand Schneider a la préférence des femmes et des plus de 65 ans. Les seniors se distinguent aussi en étant les seuls à ne pas citer Frot, Balasko et Cotillard dans leur Top 5 puisqu'ils choisissent Signoret, Girardot, et Deneuve.

Pas de place pour les jeunes cinéastes

Sans surprise, Luc Besson est de très loin le réalisateur préféré des Français (42.5%), devant Gérard Oury (19.6%) et François Truffaut (18.9%).
Derrière on trouve Claude Chabrol, Guillaume Canet, Bertrand Tavernier, Jacques Audiard, Jean-Jacques Annaud, Patrice Leconte et Dany Boon. Puis suivent Zidi, Blier, Veber, Klapisch, Lautner, Resnais, Sautet, Jeunet, Clouzot et Becker. Dans ce top 20 seuls deux cinéastes ont commencé leur carrière dans les années 2000 et seulement deux autres dans les années 90. C'est dire que le renouvellement n'est pas pour demain. Et si Besson domine chez les hommes, les femmes, les jeunes, les 35-64 ans, c'est Chabrol qui a les faveurs des seniors.

Si on compare avec la liste des 20 films préférés des Français, on n'est pas étonné de retrouver un tel classement. Tout juste sera-t-on surpris de ne pas voir mentionner François Cluzet (dans deux films favoris des Français), Christian Clavier (5 films), Thierry Lhermitte (3 films) et Jamel Debbouze (2 films).

Festival Lumière – Jour 4: Sautet et Cimino au service de monstres sacrés

Posté par Morgane, le 17 octobre 2014

Ce quatrième jour du Festival Lumière s'entame sous la pluie… rien de tel pour courir se réfugier dans les salles obscures qui sont toutes, ou presque, combles depuis le début de la semaine!

Pour se protéger de la pluie, rien ne vaut un bon Claude Sautet (Une histoire simple), présenté par le critique de cinéma N.T.Binh qui a signé le documentaire Claude Sautet ou la magie invisible.

Une histoire simple (1978) est la cinquième collaboration entre le réalisateur et Romy Schneider. On ressent le lien très fort qui les unit. C'est Sautet qui l'a sortie de son image juvénile à l'écran et qui en a fait une icône française d'adoption. On la retrouve ici après la trilogie Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs et César et Rosalie, dans un rôle de "la quarantaine" que Claude Sautet avait promis de lui écrire. Et puis après le film Vincent, François, Paul et les autres, Romy Schneider avait envie qu'ils fassent un film un peu moins masculin; ce qui est en bel et bien le cas dans Une histoire simple. Les hommes sont présents, certes, mais ils gravitent, comme des satellites, autour des personnages féminins, celui de Marie en tête. Femme forte et déterminée, elle prend son destin en main, avorte, quitte son homme et vit sa vie de femme. Une histoire simple est un film féministe avec en toile de fond une peinture sociale (mouvement féministe, licenciements, difficultés économiques…) dissimulée derrière ses personnages. C'est un véritable "film à message" qui "diffuse un climat prenant, d'une façon qui ne se voit pas" comme le dit N.T.Binh.

Pour ce rôle Romy Schneider recevra le César de la meilleure actrice et remerciera Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet de lui avoir écrit ce très beau rôle.

michael cimino"si jamais tu foires ça, je te vire du film et je prends le scénario."

Ce quatrième jour, c'est aussi celui de Michael Cimino. Pas très friand des festivals en général, il nous fait l'honneur de venir à Lyon pour la troisième fois consécutive. Lors des projections du festival, il est là, discret, au fond de la salle, refusant de commenter Side by Side lorsque Thierry Frémaux l'interpelle. Mais pour son film Le canardeur, devant une salle pleine à craquer, il prend le micro et ne manque pas, après un "Waouh!" impressionné de nous raconter quelques anecdotes sur ce tournage, son premier en tant que réalisateur (1974).

"Vous allez voir mon premier film et ma dernière bonne expérience en tant que réalisateur!". C'est un premier film au casting superbe: le grand Clint Eastwood et le fameux Jeff Bridges qui sont, selon ses propres mots, "ce qu'Hollywood a de meilleur!"

Michael Cimino revient sur les débuts de ce film, nous apprenant que Clint Eastwood, ayant lu le scénario, avait voulu l'acheter. Mais pour Cimino il n'en était pas question. Ce dernier est donc allé à la rencontre de Clint Eastwood et s'en est suivi à peu près ce dialogue:

"- Tu penses que tu peux me diriger?

- Oui.

- Alors il y a une chose à faire.

- Laquelle?

- On va passer un deal…

- Lequel?

- Je te donne trois jours pour filmer. Si ça me plait, ok. Mais si jamais tu foires ça, je te vire du film et je prends le scénario.

- Ok, we have a deal!"

Et c'est donc comme ça que le film a débuté, par cette simple conversation et "ce challenge que m'a lancé ce géant" explique Cimino.

Quant à Jeff Bridges, c'était également son premier choix pour le rôle de Lightfoot. Clint Eastwood et Jeff Bridges étant les seuls à qui il ait fait lire le scénario à Hollywood. Jeff Bridges avait alors une seule chose à faire sur le tournage, faire rire Clint Eastwood, chose qui ne s'était jamais vue à l'écran! Et ça a marché! En effet, Clint Eastwood qui joue habituellement mâchoires plutôt serrées sourit franchement, rarement certes mais franchement quand même, dans Le canardeur.

Film à mi-chemin entre le western moderne et le buddy road movie, Le canardeur frappe fort, encore plus fort lorsqu'on sait que c'est un premier film. Les dialogues sont percutants et les personnages très bien construits et attachants: Lightfoot pour son humour à toute épreuve et pour la fraîcheur qu'il insuffle face au personnage un peu plus sombre de John Thunderbolt, qui cache ses blessures. Bridges recevra sa deuxième nomination à un Oscar pour son interprétation de Lightfoot.

Michael Cimino montre avec ce film que dès ses débuts il était déjà un jeune virtuose de la caméra...

Karlheinz Böhm (1928-2014), l’acteur de Sissi devenu humanitariste

Posté par vincy, le 30 mai 2014

karlheinz bohmL'acteur autrichien Karlheinz Böhm est décédé à Salzbourg des suites d'une longue maladie jeudi 29 mai à l'âge de 86 ans, selon son ONG "Menschen für Menschen".

Böhm est mondialement connu pour avoir été le partenaire de Romy Schneider dans la trilogie Sissi (1955-1957), où il incarnait l'Empereur François-Joseph d'Autriche. Schneider l'appelait Oncle Karl sur le tournage alors qu'il n'avait que dix ans d'écart.

Né en 1928 dans la ville allemande de Darmstadt d'une mère chanteuse d'opéra et d'un père chef d'orchestre mondialement connu, Karlheinz Böhm est d'abord un acteur réputé pour ses « Heimatfilme », films sirupeux et sentimentaux, où il joue les gendres parfaits, séduisants, élégants et courtois.

Tournant simultanément pour les télévisions allemandes et autrichiennes et dans des coproductions internationales, on le voit aussi aux côtés d'Anouk Aimée dans Nina (1956), Rififi à Tokyo de Jacques Deray (1963), Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse de Vincente Minelli, avec Glenn Ford (1962). Mais c'est avec Le voyeur (Peeping Tom), de Michael Powell (1960), qu'il change réellement de registre. Dans ce "snuff-movie", il y est un jeune homme énigmatique et solitaire, passionné d'image jusqu'à l'obsession.

Dans les années 70, il entre dans l'univers de Rainer Werner Fassbinder avec Effi Briest (1974). L'année suivante, il enchaîne avec Le droit du plus fort et Maman Küsters s'en va au ciel, qui sera son dernier long métrage de cinéma.

Suite à un voyage dans les années 1970 en Afrique qui l'a marqué, Karlheinz Böhm créé l'association "Menschen für Menschen" en 1981. Il avait lancé sa campagne dans une émission populaire du petit écran en interpellant le public : "Je parie qu'il n'y a pas un tiers des téléspectateurs qui feraient don d'un Schilling, d'un Deutsch Mark ou d'un Franc suisse pour venir en aide aux populations du Sahel". Il récolte 1,2 million de Deutsch Mark puis quitte le monde du cinéma et de la télévision, abandonnant son métier d'acteur, en 1983 pour se consacrer à son association, qu'il dirige jusqu'en 2011.

Il se définissait comme citoyen du monde, avait été fait citoyen d'honneur par l'Ethiopie. Grand chevalier de l'ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne en 2001, Prix Balzan pour l'humanité, paix et fraternité entre les peuples en 2007, Böhm a connu 4 mariages, dont il a eu 7 enfants, dont Sissi, l'aînée de la fratrie, née en 1955.

Adèle Exarchopoulos et Pierre Niney logiquement récompensés

Posté par vincy, le 8 avril 2014

pierre niney et adèle exarchopoulos prix patrick dewaere prix romy schneiderIl n'y avait pas vraiment de suspens.Les prix Romy Schneider et Patrick Dewaere ont logiquement récompensé les deux jeunes comédiens les plus remarqués de ces derniers mois, respectivement Adèle Exarchopoulos et Pierre Niney. Exarchopoulos avait face à elle sa propre partenaire dans La vie d'Adèle, Léa Seydoux, et Marine Vacth. Niney a triomphé sur Guillaume Gallienne et Reda Kateb.

Grâce à La vie d'Adèle, Adèle Exarchopoulos, qui succède à Céline Sallette, a reçu cette année le César du meilleur espoir féminin, le Globe de cristal de la meilleure actrice, deux Etoiles d'or (meilleure actrice, meilleure révélation), le Prix Lumières du meilleur espoir, et ce rien qu'en France. Elle avait partagé la Palme d'or de La Vie d'Adèle avec le réalisateur Abdellatif Kechiche et sa partenaire Léa Seydoux. Depuis Cannes 2013, la jeune actrice s'est engagée dans plusieurs films, dont M de Sara Forestier.

Succédant à Raphaël Personnaz, Pierre Niney a reçu son prix pour Yves Saint Laurent. Il était déjà nommé en 2012 pour Comme des frères et en 2013 pour 20 ans d'écart. La troisième fut la bonne.  C'est son premier grand prix en tant qu'interprète. Il a été deux fois nommés au César du meilleur espoir masculin. Sociétaire de la Comédie française, réalisateur, il est principalement occupé par la tournée promotionnelle internationale du film de Jalil Lespert. Mais un projet devrait être bientôt annoncé.

Les prix Romy Schneider et Patrick Dewaere 2012 récompensent Bérénice Béjo et Joey Starr

Posté par cynthia, le 14 juin 2012

C'est ce lundi, dans le prestigieux cadre du Shangri-la hôtel à Paris, que s'est tenue la cérémonie de remise des prix Romy Schneider et Patrick Dewaere qui récompensent chaque année deux acteurs prometteurs. Pour l'édition 2012, ce sont donc Bérénice Béjo et l'ex-rappeur Joey Starr qui ont logiquement été distingués.

Les deux lauréats, qui ont reçu leur prix des mains des deux parrains de la cérémonie 2012, Gérard Jugnot et Karol Rocher, ont été sélectionnés par un jury de journalistes de cinéma pour avoir autant marqué l'année cinématographique. L'une en ayant littéralement retourné l'Amérique aux côtés de Jean Dujardin dans The Artist, et l'autre en ayant ému la France entière dans Polisse.

Maîtresse de cérémonie à Cannes, nommée aux Oscars et récompensée par un César de la meilleure actrice pour son rôle de starlette du muet (puis du parlant), la belle brunette qui sait manier les claquettes n'est plus un simple "meilleur espoir féminin". Celle qui concourrait face à Leila Bekthi, emporte le prix haut la main, succédant ainsi à Anaïs Demoustier.

Pour Joey Starr, l'ex leader du groupe de rap NTM, c'est la consécration. Alors que toute la France et une partie de la profession ont été bouleversées par son rôle dans Polisse; pour lequel il a été nommé au César du meilleur second rôle masculin (deux ans après sa nomination pour le même César pour Le bal des actrices), l'acteur qui enchaîne les films reçoit le prix qui manquait à sa carrière si bien reconvertie.