Tribu : violence à Manille

Posté par geoffroy, le 7 juillet 2008

tribu.jpgSynopsis: Un soir dans les rues mal famées de Tondo, bidonville de Manille, Ebet, jeune garçon de dix ans, est témoin du meurtre d'un des membres de la tribu des Sacred Brown. La nuit ne fait que commencer, mais déjà la tension monte...

Notre avis : Unique long-métrage philippin de la compétition officielle du pays à l’honneur de cette 6ème édition du festival Paris Cinéma, Tribu est aussi le premier film de fiction de son auteur, Jim Libiran, journaliste reporter spécialisé dans le documentaire. C’est au cœur de Tongo, le plus grand bidonville de la capitale, Manille, que le cinéaste nous invite à découvrir un quotidien fait de résistance, de routine, d’errance et de violence. Dans l’immersion d’un univers entre réalité et allégorie, l’échappatoire ressemble à un doux rêve inaccessible. Les gangs rythment la dure vérité d’une pauvreté « stockée » en périphérie du centre ville où la jeunesse erre sans but, ni perspective d’avenir. Les codes, les initiations et les rivalités sont l’expression d’un mal être vécu non plus comme une fatalité, mais comme un style de vie, celui du ghetto, de cette jungle urbaine qui fait de l’enfant un être à part, coincé dans sa propre déshumanisation.

Echo évident au chef-d’œuvre La Cité de Dieu du cinéaste Fernando Meirelles, Tribu est une entreprise forte et louable de docu-fiction à même de reconstituer au plus près cette existence de bidonville par l’intermédiaire d’interprètes non professionnels (les membres des bandes rivales jouent leur propre rôle), dans une mise en scène à l’épaule près des corps et une narration serrée autour d’un règlement de compte qui semble inéluctable. Si les scènes de gangs sont parfois caricaturales (initiation, machisme et violence peu crédibles), manquent terriblement d’immersion (va et vient trop nombreux scindant la narration dans un tempo arythmique), la vie du quartier est, quant à elle, toujours juste. Qu’il s’agisse de la femme poursuivant son mari infidèle avec un couteau, du préposé aux relevés des compteurs d’électricité pris à parti par des femmes ne supportant plus de devoir payer des notes astronomiques ou des scènes de vie en famille, le réalisateur réussi à retranscrire la réalité à fleur de peau de gens délaissés voir abusés par le système. Pourtant, Jim Libiran ne s’enfonce pas dans le mauvais misérabilisme et cherche plutôt à nous donner sa vision de la violence. Celle des gangs bien sûr, mais surtout d’un moyen d’expression qui devient le leitmotiv des scènes de violence, sombre écho au marasme dans lequel ces jeunes sont enfermés depuis toujours.

Mais ce qui pêche le plus dans Tribu vient sans doute de son côté fauché. La mise en scène brouillonne et peu interprétative relance par à coups un montage limite et une ambiance qui manque de force et d’ampleur. La sincérité sauve le film, la scène finale aussi. Pour son deuxième long-métrage, qui parlera de foot toujours dans le bidonville Tongo, Le réalisateur ne doit pas avoir peur d’utiliser la grammaire cinématographique pour mener à bien cet aspect allégorique d’une réalité sociale tout juste effleurée dans Tribu.

Paris fait son cinéma

Posté par MpM, le 30 juin 2008

Paris cinéma

Pour la 6e année consécutive, la capitale s’apprête à vivre dix jours durant au rythme de 24 images par seconde. Le Festival Paris cinéma, qui a attiré l’an dernier plus de 66 000 spectateurs uniques, est en effet de retour avec toujours plus de films, de séances en plein air, d’hommages, de rétrospectives, de débats et de rencontres. Parisien ou de passage, petit ou grand, cinéphile ou néophyte, à chacun sa manière de vivre le festival.

Ainsi les festivaliers les plus exigeants et les plus curieux se régaleront avec la compétition internationale, véritable panorama de la production cinématographique actuelle. Pour compléter, ils ne manqueront sous aucun prétexte la rétrospective du cinéma philippin (méconnu et pourtant extrêmement dynamique) qui propose en tout une quarantaine d’œuvres pour la plupart inédites en France.

Plutôt désireux de faire le plein de films avant l’été et de découvrir avant tout le monde les sensations des semaines à venir ? Les nombreuses avant-premières (qui comptent énormément de films sélectionnés à Berlin ou Cannes) sont prévues pour vous ! Au programme, la palme d’or 2008, Entre les murs de Laurent Cantet, la caméra d’or, Hunger de Steve McQueen, Les bureaux de Dieu de Claire Simon, prix de la SACD ou encore Be Happy (Happy-go-lucky), le pétillant dernier opus de Mike Leigh, qui a valu à son actrice Sally Hawkins un ours d’argent bien mérité.

Et ce n’est pas tout ! Ceux qui aiment faire le tour d’un artiste seront comblés par les intégrales Brillante Mendoza (réalisateur philippin dont le dernier film, Serbis, était en sélection officielle à Cannes) et Aki Kaurismäki ainsi que par les rétrospectives consacrées à Nathalie Baye (en 23 films), Ronit Elkabetz (ses 9 rôles les plus marquants), Jean-Claude Carrière (15 films et une leçon de cinéma) et Joseph Kuo (2 soirées exceptionnelles; dont une leçon de cinéma). Sans oublier l’un des temps forts principaux,  la soirée hommage rendue à David Cronenberg à l’occasion de la création mondiale de l’opéra The fly au théâtre du Châtelet.

Et les enfants dans tout ça ? Paris cinémômes leur propose "un été au vert", un programme de quinze films leur permettant de se sensibiliser de manière ludique aux questions écologiques d’aujourd’hui ainsi que des ateliers autour du film U, du conte ou encore de la bande-son de cinéma. Mais il n’est pas non plus interdit de les emmener à l’un des différents ciné-concert organisés autour d’Ernst Lubitsch (quatre films rares du cinéaste accompagnés par une musique interprétée live).

Et enfin, pour les plus studieux, Paris cinécampus, l’université d’été du festival, propose chaque jour des tables rondes, des rencontres ou encore des ateliers sur des thèmes aussi différents que les coproductions en Europe, la restauration de Lola Montès, le cinéma sur internet, les seconds rôles... Pour tous les goûts, on vous dit !

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Du 1er au 12 juillet
Tarifs, horaires et programmation sur www.pariscinema.org

Palmarès

Posté par MpM, le 6 février 2008

Les lauréats

  • Cyclo d'or : Le vieux barbier de Hasi Chaolu (Chine)

"pour son scénario authentique, plein de dignité et de loyauté, pour la ville de Pékin face à la globalisation, pour son sujet né de la chimie subtile et délicate entre les membres d’une équipe de non professionnels"

  • Grand Prix du Jury International : Philippine science de Auraeus Solito (Philippines)

"pour son énergie positive et le jeu remarquable des jeunes acteurs, preuve d’un cinéma philippin authentique"

  • Mention spéciale : Those three de Naghi Nemati (Iran)

"pour son approche esthétique minimaliste et sa vision des valeurs humaines face à une situation critique de militarisation"

  • Prix du Jury NETPAC (Network for the Promotion of Asian Cinema) : Le vieux barbier de Hasi Chaolu (Chine)

"pour son histoire émouvante d’êtres humains en particulier ceux marginalisés, et pour la relation entre l’homme et son environnement traitée avec beaucoup de sensibilité"

  • Mention spéciale : Les moissons pourpres de Cai Shangjun (Chine)

"pour sa peinture d’une Chine en transformation face à la globalisation et les liens subtils d’amour et de confusion entre deux êtres"

  • Prix Emile Guimet : Boz salkyn de Ernest Abdyjaparov (Kirghiztan)

"d’authentiques personnages dans un décor sublime, musique originale du réalisateur lui-même…un film dénonçant avec subtilité une coutume ancienne sexiste qui a survécu au cours des siècles"

  • Coup de coeur Guimet : Frozen de Shivajee Chandrabhushan (Inde)

"un premier film subjuguant pour la qualité de sa photographie, un choix audacieux du noir et blanc, un film sychologique et philosophique au Ladakh, un tournant dans le cinéma indien"

  • Prix Langues' O : Les moissons pourpres de Cai Shangjun (Chine)

"pour avoir abordé la crise du monde rural dans la Chine contemporaine, ce qui a rarement été montré, et les bouleversantes relations père-fils"

  • Coup de coeur Langues 'O : Le vieux barbier de Hasi Chaolu (Chine)

"pour la qualité de son scénario et de ses images et le personnage principal témoin de la disparition de son quartier"

  • Prix du public longs métrages de fiction : Philippine science de Auraeus Solito (Philippines)
  • Prix du public du film documentaire : Le cri du coeur de Shinji Takahashi (Japon)
  • Prix Jury Jeunes : Les enfants bananes de Cheng Xiao-xing (France-Chine)
  • Prix du Jury Lycéen : Le vieux barbier de Hasi Chaolu (Chine)

Pour les spectateur parisiens, reprise d'une partie du palmarès au Musée Guimet les 5 et 7 mars 2008.

Regard sur les cinémas d’Asie contemporains

Posté par MpM, le 5 février 2008

Quels sont cette année les visages des cinématographies venues du continent asiatique ? Si l'on se base sur la compétition fiction, d'un point de vue géographique, on constate la prédominance du cinéma chinois et iranien (qui représentent une proportion importante des films proposés aux organisateurs) ainsi que le renouveau de la Malaisie et des Philippines qui bénéficient de la révolution numérique. L'Asie centrale n'est pas oubliée, avec deux oeuvres venues du Kirghiztan et du Kazakhstan, non plus que l'Inde, incontournable, et Israël, à la production relativement dynamique.

Sur le plan thématique, il apparaît que pour nombre de réalisateurs présents, le cinéma reste avant tout un formidable outil de témoignage sur les réalités sociales et politiques de leurs pays respectifs. Les deux films chinois en compétition abordent ainsi tour à tour la désertification des campagnes au profit des villes, la perte des valeurs familiales, la situation des femmes prostituées ou vendues (Les moissons pourpres de Cai Shangjun) ainsi que l'obsession de modernisation du pays et les bouleversements de la société chinoise (Le vieux barbier de Hasi Chaolu). Dans un genre assez proche, mais cette fois en Asie centrale, Le martinet d'Abai Koulbai suit l'errance d'une jeune fille kazakhe livrée à elle-même dans la capitale Almaty. Trop occupés à survivre, ou à monter dans le train du progrès, les adultes s'avèrent incapables de l'aider, ou ne serait-ce que de remarquer la prévisible et choquante descente aux enfers dans laquelle elle s'engage. Là aussi, les valeurs traditionnelles en prennent un coup.

Autre tendance de cette sélection, la volonté d'apporter un témoignage culturel ou historique inédit. Palme du sujet sensible, Boyz Salkyn aborde la question du vol des fiancées. Dans les campagnes kirghizes, lorsqu'une famille souhaite marier son fils, elle enlève tout simplement la jeune fille choisie, et s'arrange ensuite avec ses parents. Ernest Abdyjaparov, le réalisateur du film, avoue avoir lui-même procédé ainsi pour se trouver une épouse... C'est sans doute pourquoi il traite le sujet avec un regard très bienveillant, réussissant l'exploit de réaliser un film léger et même par moments burlesque sur une coutume archaïque et machiste. Trois mères de l'israélienne Dina Zvi-Riklis relate quant à lui la vie de trois soeurs du début des années 40 à Alexandrie aux années 2000 en Israël. Sous forme de fresque romanesque et familiale, la réalisatrice évoque le don d'enfants, qui se pratiquait en Egypte, et le tiraillement des juifs d'Egypte exilés en Israël. Enfin, l'hommage du réalisateur philippin Auraeus Solito à la comédie de teenagers (Philippine science) parle aussi des années d'instabilité du pays, dans les années 80, avant le renversement du dictateur Marcos.

Et puis, bien sûr, il y a les oeuvres atypiques et personnelles dont le point commun est sans doute de porter un regard humaniste et presque sociologique sur une poignée d'individus particuliers : un père et sa fille adolescente au Ladakh (Frozen de Shivajee Chandrabhushan), une poignée de militaires à la recherche de leur liberté individuelle dans une région glacée d'Iran (Those three de Naghi Nemati), des couples confrontés au doute ou au désamour (Waiting for love de James Lee).

Enfin, en terme d'esthétique, on retient le noir et blanc sublime de Frozen et sa mise en scène suffisamment inventive pour lui avoir valu le qualificatif de film indien "le plus novateur de ces dix dernières années", les cadrages au plus près du Vieux barbier, le technicolor soyeux et élégant de Trois soeurs, les interminables plans quasi fixes de Waiting for love, et encore le cinéma vérité du Martinet, film urbain par excellence, ou les images trafiquées de Those three.