Cannes 2017: le directeur de la photographie Christopher Doyle (« In the Mood for love ») honoré pour sa carrière

Posté par redaction, le 12 mai 2017

Le "Pierre Angénieux ExcelLens in Cinematography" sera décerné au chef opérateur hong-kongais Christopher Doyle (aka Du Ke Feng en chinois). l'hommage aura lieu de 26 mai au Festival de Cannes.

Le prix récompense la carrière d'un directeur de la photographie ayant marqué l’histoire du Cinéma: Doyle succède à Philippe Rousselot (2013), feu Vilmos Zsigmond (2014), Roger A. Deakins (2015) et Peter Suschitzky (2016).

D'origine australienne, francophone et parlant aussi mandarin, Christopher Doyle, 65 ans, a collaboré avec divers cinéastes du monde entier depuis ses débuts dans les années 1980: Edward Yang (That Day, on the Beach), Claire Devers (Noir et blanc), Stanley Kwan ( Red Rose White Rose), Chen Kaige (Temptress Moon), Gus Van Sant (Psycho, Paranoid Park), Barry Levinson (Liberty Heights), Jon Favreau (Made), Phillip Noyce (Le chemin de la liberté, Un Américain bien tranquille), Zhang Yimou (Hero), Andrew Lau (Internal Affairs), Pen-ek Ratanaruang (Last Life in the Universe, Vagues invisibles), James Ivory (The White Countess), M. Night Shyamalan (La Jeune Fille de l'eau), Jim Jarmusch (The Limits of Control), Neil Jordan (Ondine), Sebastián Silva (Magic Magic) ou encore Alejandro Jodorowsky (Poesia Sin Fin).

Mais c'est évidemment et avant tout pour son travail avec Wong Kar-wai qu'il a assis sa réputation d'esthète et apposé sa signature visuelle dans le regard des spectateurs. Avec le cinéaste aux lunettes noires, il a su créer une atmosphère unique et colorée, maîtrisant aussi bien l'énergie que la contemplation, dans Nos années sauvages (1991), Chungking Express, Les Cendres du temps, Les Anges déchus, Happy Together (prix de la mise en scène à Cannes), le culte In the Mood for Love (pour lequel il avait reçu le grand prix de la CST à Cannes) et 2046 (2004), sans compter trois courts métrages.

Pour expliquer son approche, Christopher Doyle pense que la musique et le mouvement, comme la danse, ainsi que la littérature enrichissent son travail: "Je pense qu'un film est un danse, entre l'acteur, la caméra et moi."

Créée par Thales Angénieux et Orbis Media, la 5e soirée « Pierre Angénieux ExcelLens in cinematography », est soutenue par Weying (plateforme de billetterie en ligne sur WeChat) et Movie View (magazine chinois sur le cinema et entreprise de relations publiques), et réalisée par Orbis Media.

Cannes 70 : la vérité sur les soirées cannoises

Posté par cannes70, le 11 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-7. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


L'un des grands mythes cannois est sa vie nocturne supposée riche et sulfureuse. Le champagne qui coule à flots, les beautiful people en tenue de lumière, les villas avec piscine, les saladiers de coke, les yachts luxueux au large de la Croisette... Entre fantasmes et réalités, on a eu envie d'en savoir plus sur ces fameuses soirées. Florilège d'anecdotes souvent anonymes, mais toutes véridiques.

Entrée VIP

On attend devant l'une des innombrables plages dont je ne retiens jamais les noms. Une soirée bat son plein, nous sommes un petit groupe et bien sûr nous n'avons pas d'invitations. On attend, malgré tout. Un ami d'ami a réussi à se faufiler, il connaît l'invité d'honneur de la soirée. Le revoilà qui réapparaît, radieux, et lance aux vigiles, comme un sésame : "Gaspar Noé a demandé que vous laissiez entrer mes amis". En un clin d’œil nous sommes à l'intérieur, sous le regard jaloux et curieux des autres festivaliers. J'ai oublié le reste de la soirée (des remerciements chaleureux à Gaspar Noé, sans doute...), mais pas cette entrée inattendue et spectaculaire.

Lieux insolites

L'étrange hangar de la Bocca pour Pola X de Leos Carax avec son ambiance post apocalyptique et le parking de la gare pour Holy motors du même Leos Carax, avec Kylie Minogue et une série de bagnoles de collection.

Sur la misogynie ordinaire...

"En 1984, j'avais vu le Jim Jarmusch, Stranger than paradise, et je me retrouve à une fête où je danse à côté de Robby Müller, le chef-op de Paris, Texas [NDLR la Palme d'or cette année-là]. Au petit matin, à 6h, Jean-Henri Roger qui nous a quitté le 31 décembre 2012 [NDLR réalisateur, avec Juliet Berto, de Neige et Cap Canaille], Robby Müller, une copine et moi, on se retrouve au petit-déjeuner à discuter de La Pirate de Jacques Doillon. Moi, j'avais pas tant aimé que ça, ma copine non plus, mais on avait des arguments.

Or, Robby Müller n'écoutait que Jean-Henri Roger. Comme souvent, on a l'habitude, les filles, on ne nous écoute pas. Ça vous paraît peut-être bizarre à vous, les garçons, mais je vous assure que c'est comme ça quand même. Les filles, on se fait toujours couper la parole. Nous ne sommes pas intéressantes, quoi, et en gros, on a cette impression que Robby Müller et Jean-Henri Roger se font la cour mutuellement. Au bout d'un moment, les arguments commençaient à être un peu manquants chez Jean-Henri et il avoue : «Écoute, j'en parle, mais je ne l'ai pas vu».

Robby Müller, vexé, fâché, reprend la conversation avec nous mais – ça ferait une scène de film géniale – petit à petit, recommence à parler avec Jean-Henri, à reprendre son avis, à être entièrement avec lui en nous excluant. Alors qu'il venait d'apprendre qu'il n'avait pas vu le film ! Mon amie – c'était Sophie Durand, qui était mon assistante au montage à ce moment-là - et moi, on se regarde et on se dit «mais c'est pas vrai, c'est surréaliste ! Ça recommence !». On nous dit qu'on est obsédé, mais ça arrive tout le temps ce genre de choses !"

Marielle Issartel, monteuse et réalisatrice

Romantisme

Un souvenir  très cinématographique : la soirée des 1001 nuits où Miguel Gomes, avec le concours des serveurs et organisateurs, demande en mariage sa compagne Maureen Fazendeiro, devant toute l'assemblée.

Vous n'auriez pas un carton en plus ?

Une amie voulait faire la soirée de clôture de la Quinzaine des réalisateurs après avoir vu un film à 22h. On est arrivé là-bas à minuit. Moi je voulais bien essayer, mais j'étais persuadé qu'on n'y arriverait pas sans invitation. Et on est resté là à attendre et voir si des gens n'avaient pas une invitation en trop pendant environ 45 minutes.

A un moment, un vigile vient nous voir et nous dit : "Je vous vois tous les deux ici depuis trois quart d'heures et contrairement aux autres, vous n'êtes pas en train de vous plaindre, d'essayer de passer ou de négocier dur, tenez j'ai deux places !" Et ainsi on a pu miraculeusement entrer et profiter de la dernière heure sur la plage de la Quinzaine.

Jusqu'au bout de la nuit... et au-delà

Il y a 10 ans, les fêtes de Cannes, c'était différent. Certains gros distributeurs organisaient durant la quinzaine leur soirée qui était plutôt la promesse d'une grosse nouba avec autant à manger qu'à boire jusqu'à l'aube, et avec parfois un petit concert : la soirée Canal, la soirée Wild Bunch, la soirée Europa Corp... Ce temps-là semble révolu en raison des restrictions budgétaires, désormais c'est plus souvent sur une petite plage avec un DJ et un bar, et à 2h du matin, c'est terminé, ou du moins les grosses soirées dans une villa se font moins fréquentes.

Justement il y a 10 ans (en 2007), Go Go Tales de Abel Ferrara est programmé en séance de minuit, distribué par Wild Bunch. Avoir une invitation pour la party, c'était pouvoir monter dans un bus qui emmenait les gens de la croisette vers une villa éloignée. L'endroit est immense, l'extérieur est organisé en plusieurs jardins et plusieurs buffets. Il y a bien sûr un endroit pour danser, et qui est prévu derrière les platines pour mixer ? L'actrice Asia Argento !

Un autre endroit est décoré d'après le thème du film qui se déroule dans un club de strip-tease, il y a un stand comme dans une fête foraine avec l'inscription "fishing the bimbo", soit une petite piscine et des cannes à pêche et il s'agit donc de pécher (avec le fantasme de pécho) la bimbo en maillot de bain qui s'y trouve : si c'est gagné, c'est un bon pour une petite séance de lap-dance derrière un rideau (personne n'a dit que ces fêtes étaient toujours de très bon goût) !

L'aube arrive et les noctambules sont reconduits en bus vers la croisette, en fait sur une plage réservée pour un petit déjeuner (alcoolisé). Certains ont le courage d’enchaîner avec une séance de film à 8h30, les autres profitent car il fait déjà étonnamment chaud. Et si on se faisait un bain de minuit à 9h du matin ? Gaspar Noé enlève sa chemise et y va, Emma De Caunes y va aussi avec sa robe de soirée. Vers 10h, la plage doit se préparer pour son activité de la journée, les fêtards trempés vont devoir rentrer chez eux. C'est alors que quelqu'un lance un "venez, on continue la fête chez nous" alors direction un appart rue d'Antibes (à priori les bureaux de Wild Bunch), pour le vrai petit déjeuner (à base de café). Cette fête Go Go Tales aura duré officieusement 12 heures (de minuit à midi), et dans 3 endroits différents. Le film est presque oublié, mais sa fête est indélébile.

Les pieds dans l'eau

Cette année-là, Shu Qi était dans le grand jury, ce qui ne l'avait pas empêchée d'honorer de sa présence la célèbre Taïwan night organisée sur la plage du Carlton. Après avoir répondu aux sollicitations diverses pendant toute la soirée, elle s'était autorisé une pause aux alentours de minuit, les pieds dans l'eau et un sourire enfantin sur le visage, laissant deviner l'espace d'un instant la petite fille cachée derrière la star.

Jet Set côté pile

Les souvenirs de soirées côté jet set, ce sont des souvenirs peu reluisants, c'est-à-dire que tout d'un coup on réalise que pendant que nous nous affairons autour du cinéma, d'autres le font autour du paraître, de l'argent qui coule à flot. Des penthouses sont loués aux derniers étages des grands hôtels et occupés par des hommes plus que louches, mafieux plus ou moins, riches plus que certainement. On y trouve drogues, magnums de champagnes et femmes (plutôt jeunes) qui sont utilisées à des fins purement sexuelles. Ces hommes riches, on les retrouve aux soirées du Vip Room ou du Gotha, demandant la venue d'un certain nombre de bouteilles de champagne, non pour les boire, mais pour le plaisir de les voir arriver avec des feux d'artifices fixés au goulot, traversant la salle jusqu'à leurs tables où se retrouvent des femmes souvent jeunes et des hommes tous aussi pressés d'être considérés par des hommes aussi puissants.

Jet set côté face

D'autres souvenirs de Jet Set, mais plutôt dans le Cinéma Hollywoodien, à l'Eden rock, où  je me retrouve infiltrée en compagnie d'un Américain dans une soirée qui commence par un défilé de mode dans le jardin et qui se termine par un orchestre qui joue devant la mer en surplomb. Des dames très fortunées, apparemment des Américaines du cercle hollywoodien, sont là et il fait un peu frais, alors on leur distribue des couvertures de survie afin qu'elles ne prennent pas froid. Suit le dîner à l'intérieur de la salle qui domine la mer, piscine et bar à l'étage du dessous. A une table notamment on retrouve Leonardo Dicaprio et sa maman, Harvey Wenstein accompagnés d'autres personnalités dont j'ai oublié le visage. Les tables sont nominatives, tout le monde a sa table de prévue. Aux toilettes, je croise Paris Hilton. En fait, ça ressemble à une soirée de Gatsby.

Aux platines

Lors d'une fête de la clôture de la Semaine, nous avions préparé une playlist avec d'autres membres du comité de sélection "courts métrages". J'ai mixé avec le vieux DJ de la soirée : je lui indiquais les titres, il les lançait. J'ai amorcé le truc avec Ivo Meirelles, reprenant James Brown, puis on a passé Arcade Fire... En tout cas, après, le vieux DJ était en pleine forme et a balancé du rock toute la soirée !

Sésame

Un peu comme à Paris, l’un des endroits les plus huppés et inutiles de Cannes reste le club Silencio qui se situe au dernier étage d’un immeuble dans le centre cannois. N’y étant jamais entré et désireux de grappiller quelques canapés et boissons pour rien, je m’y suis rendu accompagné d’une demoiselle qui connait plutôt bien Charles Gillibert, lequel y a ses quartier. Quelques jours plus tôt, il lui avait d'ailleurs dit d’y aller de sa part. Nous arrivons donc au niveau des vigiles. Et la voilà qui tente de faire comprendre qu’elle vient de la part de Monsieur Gillibert… que le garde ne connait pas. Il va se renseigner, et ressort finalement quelques minutes plus tard : « Ah mais vous venez de la part de Charles ! C’est ça qu’il fallait dire, je ne me souvenais même plus de son nom ». Résultat : peu de place, cocktails à 15 euros et la gratuité, en arrivant, qui fait rameuter tout Cannes : on est reparti au bout d’à peine 30 minutes.

Dans le plus simple appareil

A la fête Hotel Woodstock en 2009, nous avons choqué la sécurité en faisant une photo... très Woodstock.

Prendre le large

Je me balade sur La Croisette, et je tombe par hasard sur Jean-Christophe Berjon, à l'époque délégué général de la Semaine de la Critique. Il est là, accompagné de quelques stagiaires et intervenants extérieurs de la Semaine.
- Que fais-tu ?
- Rien de particulier...
Ou un échange de ce genre !
Mystérieux, il me dit qu'il emmène tout le monde quelque part et me propose de les suivre. Je me joins donc à eux.
Jean-Christophe s'approche d'un vigile. Plage du Carlton ou du Majestic, je ne sais plus. Petit échange que je suis de loin et nous rentrons, toute la petite bande, sur la plage, où se tient un cocktail privé de haute volée. Une scène. Sur la scène, Maggie Cheung, Gilles Jacob. Des discours. Me croyant arrivé à destination, je m'arrête, écoute un peu les speechs. Quand même impressionné de me retrouver là - à l'époque, je n'ai pas encore eu droit au Jury de la Caméra d'Or...
J'ai un peu perdu les autres de vue... Et soudain, on vient me chercher ; on me fait comprendre que nous ne sommes pas encore arrivés. Et direction l'embarcadère, où une petite embarcation à moteur nous attend. Nous y prenons place et partons vers le large, la baie de Cannes. Un soleil magnifique, une mer d'huile. Je me demande où nous allons ; Jean-Christophe reste mystérieux ; mais, là aussi, dans mon souvenir, il a un large sourire sur son visage, content de sa petite escapade.
Et l'embarcation s'arrête contre un magnifique voilier. Abasourdis, médusés, nous montons à bord, enlevons nos chaussures pour ne pas abîmer le magnifique pont en bois. Et voilà, loin de la foule, loin du bruit, nous nous retrouvons avec une petite cinquantaine de personnes, pour un cocktail organisé par nos partenaires du Festival de Morelia. Une heure et demie de rêve, digne d'une époque où l'argent était encore une élégance, pas une arrogance !
La petite embarcation à moteur viendra plus tard nous rechercher, nous déposera du côté du Palm Beach et nous reviendrons sur la Croisette, le pas léger, le visage radieux d'avoir pu profiter de ce moment.
Un moment inattendu, comme Cannes en réserve parfois, loin de la course effrénée du Festival !

Sur la piste avec Kirsten

Je me souviens d'avoir dansé à quelques mètres de Kirsten Dunst, dans une soirée de la Semaine de la Critique où elle avait présenté un court métrage. Elle était au milieu de la foule, bien entourée malgré tout par ses gardes du corps. On voyait qu'elle avait envie, l'espace d'une soirée, de tout oublier de la célébrité et de ses contraintes, pour juste s'amuser comme n'importe quelle jeune femme de son âge.

Une soirée parfaite

En 2004, nous avions sélectionné à la Semaine de la Critique un moyen métrage autrichien, Girls and cars de Thomas Woschitz, entre Kaurismaki et Neil Young, et les prods ont organisé une fête... C'était derrière la gare, dans un petit resto marocain, on a mangé un couscous, les musiciens du film mixaient, on a dansé sur les tables, au son de la musique du film, de Rachid Taha, de Franz Ferdinand... et là, les flics sont venus. Une soirée parfaite.

Ma soirée de clôture De-Lovely

2004. Fahrenheit 9/11 de Michael Moore remporte la Palme à la surprise générale devant Old Boy. De-Lovely, une comédie musicale sur la carrière et la vie du compositeur Cole Porter clôt le Festival.

Réalisé par Irwin Winkler, ce biopic musical n’a rien d’inoubliable. En revanche, il réunit derrière Kevin Kline et Ashley Judd dans les rôles de Cole et Linda Porter, une portée de talents musicaux venus pousser la chansonnette comme eux seuls savent le faire : Robbie Williams, Elvis Costello, Alanis Morissette, Sheryl Crow ou Lara Fabian (pour mémoire, on est en 2004, la plupart sont encore des poids lourds).

Peu coutumière des soirées cannoises – celles auxquelles j’ai participé jusque-là se résument plus à faire la queue à l’entrée pour retrouver, à l’intérieur, les mêmes personnes qui attendaient avec moi à l’extérieur.
Peu coutumière des soirées cannoises, donc, me voilà conviée à la fête De-Lovely qui combine soirée de clôture et 80 ans de la Metro Goldwyn Mayer.

Bizarrement, pas de file d’attente en mode troupeau à l’entrée, cette fois-ci. Sous le chapiteau, sur la plage derrière le Palais, champagne et barbe à papa (pourquoi est-ce que je me souviens de ça ?) sont à portée de main.

Au bord de l’eau, un guéridon et 3 chaises semblent n’attendre que nous. Ceux qui sont déjà allés dans une soirée cannoise – ou en boite – savent ce que la chaise a de commun à la licorne : on nous dit que ça existe, mais on en n’a jamais vu...

A 30 mètres de la plage, au beau milieu de l’eau : une scène. Et lorsqu’elle s’éclaire, c’est pour accueillir Sheryl, Alanis et... Lara, venues interpréter les chansons du film et quelques autres classiques. Sur la plage, les invités, robe de gala et stiletto plantés dans le sable, sont déchaînés. Et tandis que 3 gouttes de pluie se mettent à tomber et qu’on redoute le pire, un fantastique feu d’artifice illumine la baie de Cannes. Bon anniversaire Metro-Goldwyn-Mayer. Au revoir Festival de Cannes. Des happy end comme ça, on en veut chaque année.

Merci à tous les contributeurs ! Rendez-vous sur le dance-floor cannois pour de nouvelles histoires à partager.

Edito: les images du réel

Posté par redaction, le 11 mai 2017

Parfois le réel dépasse la fiction. L'écrivain Philippe Besson, qui prépare un livre sur Emmanuel Macron, nouveau Président français, a avoué que la victoire de son "ami" n'était pas crédible dans le cadre d'une fiction lorsqu'il a commencé à suivre le candidat. Mais le réel s'en est mêlé... Et il depuis quelques mois, les rebondissements de l'actualité prouve que la réalité a davantage d'imagination, de twists improbables et de frictions dignes des plus grands suspens, que la plupart des histoires inventées par les artistes.

A Cannes, le réel ne sera pas ignoré d'ailleurs. Il y a de nombreux documentaires, quelques films inspirés de vies ou faits ayant "déjà existé". Ainsi à l'ACID, on replongera dans l'aventure de Nuit debout avec L'Assemblée, on rencontrera une mamie, Claudette, qui rêve d'un autre monde avec ses voisins paysans dans Sans adieu, on fera le tour de France avec un iranien dans Avant la fin de l'été. A la Quinzaine des réalisateurs, Amos Gitai revient en Cisjordanie et nous montre une série d’actes de résistances fragiles qui rassemblent des activistes israéliens et palestiniens. Et en sélection officielle, c'est un feu d'artifice engagé ou intime avec les films de Raymond Depardon, Claude Lanzmann, Vanessa Redgrave et Eric Caravaca, qui nous feront voyager pour mieux nous émouvoir.

Le documentaire est parfois maltraité lors de ses sorties en salles. Au moins, on peut se rassurer de leurs bonnes audiences sur le petit écran. Ainsi la sortie événement cette semaine de I Am Not Your Negro de Raoul Peck a cartonné sur Arte avant de trouver le chemin des cinémas. Le documentaire sait se réinventer formellement, et n'a pas besoin d'aller très loin pour chercher des sujets riches et passionnants. C'est un format formidable trop ignoré, peut-être.

Cannes n'a palmé que deux docus dans son existence, un sur Cousteau et un autre sur George W. Bush. L'environnement et la politique. C'est d'ailleurs le double sujet de la suite d'Une vérité qui dérange, Une suite qui dérange: le temps de l'action, qui sera aussi présenté sur la Croisette. Loin de nous l'idée de retirer à la fiction sa part de réalité. Mais force est de constater que le cinéma peut aussi montrer le monde frontalement, poétiquement, lucidement en filmant des faits. A l'heure des "fake news" et autres propagations complotistes, c'est une respiration indispensable pour que ces images et ces opinions ouvrent et enrichissent notre réflexion, nos perception et nos débats. Loin de toute influence parasitaire.

Cannes 70 : le patrimoine sur la Croisette, entretien avec Gérald Duchaussoy de Cannes Classics

Posté par cannes70, le 10 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-8. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Depuis 2014, Gérald Duchaussoy épaule Thierry Frémaux (ci-dessus avec Bertrand Tavernier lors de la présentation de Voyage dans le cinéma français) au sein de Cannes Classics. Après avoir travaillé au service de presse du Festival de Cannes de 2002 à 2013, il a participé à la création du Marché du film classique du Festival Lumière à Lyon. À Cannes Classics, son travail consiste notamment à gérer la préparation de la section, à coordonner les questions administratives, relationnelles et techniques. Il s'occupe de la rédaction du programme, de la grille des projections, de l'accueil des équipes de films et d'accompagner au mieux les projections de cette section officielle qui réjouit de plus en plus les cinéphiles de la Croisette.

Pouvez nous présenter Cannes Classics ?

Cannes Classics a été crée en 2004 par Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, qui, fort de son expérience à l'Institut Lumière, a souhaité faire évoluer quelque chose qui existait déjà auparavant : une section dédiée aux rétrospectives, imaginée par Gilles Jacob et dont les projections avaient lieu à la Licorne. C'est devenu une sélection dédiée aux copies restaurées de classiques du cinéma, accompagnée d'hommages à des artistes et à des cinémathèques, avec une ou plusieurs leçon(s) de cinéma. Grâce à la croissance du nombre de restaurations aujourd'hui, les propositions de pièces rares, de découvertes ou redécouvertes d'œuvres majeures à une certaine époque et plus ou moins perdues de vue ensuite, augmentent nettement.

Vous constatez une émulation entre les festivals de cinéma autour du cinéma de patrimoine ? Vous communiquez entre vous ?

Aujourd'hui, les grands festivals ont tous une section rétrospective, souvent assez conséquente. Venise a créé Venise Classics et Berlin présent aussi quelques films restaurés, même si leur projet est un peu différent. Nous n'avons pas d'échanges particuliers, chacun travaille à sa propre programmation. Alberto Barbera (directeur de la Biennale de Venise) a dirigé le Museo del Cinema de Turin pendant très longtemps et à Berlin, le festival est partenaire de la Deutsche Cinemathek qui travaille à l'établissement de cette programmation. C'est toujours une section un peu à part au sein des sélections officielles, car la priorité, pour la majorité des spectateurs de ces grands festivals, reste la découverte des nouveaux films. Pourtant, il y a un besoin fort de voir ces films de patrimoine en salles. C'est notre rôle aussi de permettre d'en voir dans de bonnes conditions, car les festivals de cinéma autorisent une visibilité différente. La première destination d'un film de cinéma reste la salle obscure. Et cela concerne aussi les documentaires de cinéma dont certains trouvent difficilement une fenêtre de diffusion. L'envie de découvertes s'accentue pendant un festival et découvrir ces documentaires qui traitent de cinéma permet de prendre le temps de souffler et de réfléchir à l'Histoire du cinéma, alors qu'elle se poursuit avec les films inédits. À Cannes Classics ces dernières années, on a programmé beaucoup de documentaires, il y en a un moins cette année.

Le cinéma de patrimoine dans les festivals est accompagné comme s'il s'agissait de films d'aujourd'hui, ce qui est accentué par le choix d'aller vers de l'actualité (restaurations et documentaires inédits) et de ne plus faire de rétrospectives sur des personnalités. L'idée est de cultiver cette idée qu'il s'agit de films qui peuvent sortir en salles de façon indépendante (au contraire de films issus d'une rétrospective, sans distributeur) et/ou qui vont être édités en DVD, passer à nouveau à la télévision... Ils redeviennent des films de l'actualité. C'est une démarche nouvelle ?

Ce n'est pas un phénomène récent. Ce développement croissant des restaurations, ça existe depuis longtemps. Kevin Brownlow avait restauré le Napoléon d'Abel Gance puis fait tirer des copies neuves. Ce n'est pas nouveau de ce point de vue-là, ce qui l'est, c'est l'exploitation à plus grande échelle que la copie diffusée dans un festival comme un événement unique. Aujourd'hui, les films circulent d'un festival à l'autre et il y a de plus en plus d'exploitations en salle, au moins dans certains pays plus privilégiés, comme la France, grâce au combat des professionnels, des distributeurs, des exploitants ou des aides du CNC, par le fait que voir des films de patrimoine en salles est pris en compte par l’État qui considère ça comme un art à part entière. On en revient à cette considération que la France a pour le cinéma, qui est la patrie du cinéma. C'est notre grande chance, mais il y a d'autres pays où c'est le cas et où il est possible aussi de voir ces films en salles. Dans certaines régions, c'est plus difficile. À Londres il y a une superbe salle dédiée au cinéma de patrimoine où ils ne projettent quasiment que du 35mm, le Regent Street Cinema ; aux Etats-Unis, il y a une forte présence des centres culturels, des cinémathèques et le circuit des universités est très actif. Ils ont une offre audiovisuelle forte. En Amérique du sud, c'est plus compliqué de voir des films de patrimoine. En revanche il y a tous ces canaux de diffusion, comme la VOD, la télévision, le streaming...

Quand vous disiez qu'on soutient les films de patrimoine comme les films récents, je suis d'accord pour pas mal de sorties. Des budgets sont consacrés à cela, et dans ce cas- là, on peut faire de la publicité, on peut mettre en avant certains films. Il y a une dynamique de marché comme pour un film actuel, pour dépoussiérer l'image du film de patrimoine qu'on allait voir dans une copie un peu abîmée. On pouvait certes voir le film en salles et ça reste magique mais aujourd'hui on peut voir les films dans des conditions plus optimales et du coup ils sont mieux exploités.

Vous prenez soin de respecter un équilibre entre les films de patrimoine très connus, restaurés et les vraies découvertes comme Tiempo de morir ou Ikarie XB1, présentés l'an dernier et exploités en salles depuis. J'imagine quand on participe à la sélection de Cannes Classics qu'il est satisfaisant de voir que ces films moins réputés parviennent à sortir en salles ?

Cela dépend pour beaucoup du travail et du courage des distributeurs et de l'intelligence de certains ayants-droit. Ça dépasse le cadre de la projection, unique, au sein de Cannes Classics. Au-delà du travail fait pour la programmation en festival, il y a une envie que la vie des films se prolonge. Et dans ce cas-là, ça devient assez magique.

Parmi les films programmés récemment, vous avez eu de gros coups de coeur dans les découvertes ou redécouvertes ?

C'est dur, il y a beaucoup de films qui sont vraiment intéressants, Ikarie XB1 c'était vraiment un film qui nous avait beaucoup plu l'année dernière ; il y avait aussi le film thaïlandais Santi-Vina de Thavi Na Bangchang ; dans les documentaires il y avait aussi de nombreuses choses qui nous ont beaucoup plu. À titre personnel le fait de voir Le jour se lève à nouveau en salle m'avait complètement enthousiasmé. C'est un film qui n'a pas eu en salles la carrière qu'il aurait dû avoir. C'est un chef-d’œuvre du cinéma français, très fort et qui a beaucoup inspiré le film noir. La question se pose avec le film de patrimoine : va-t-il rencontrer ou non son public alors que c'est un film qui résonne avec notre temps ? Il faut savoir le replacer dans le contexte de l'époque, historique, sociologique et cinématographique. Un film comme Panique mérite beaucoup plus de retentissement. Nul n'est prophète en son pays et on voit que les films français marchent un peu moins, alors qu'on replonge dans Hitchcock, dans Welles. C'est très bien mais on a aussi des grandes œuvres en France qui méritent un peu plus de résonance, ce que souligne le travail accompli par Bertrand Tavernier avec son documentaire sur le cinéma français. On ne redécouvre pas assez non plus de films allemands, anglais non plus. Tout ça est assez compliqué car il faut du temps pour se replonger dedans, on en revient toujours à cette donnée importante, le temps...

Dans la sélection il y a une volonté de mêler les périodes, les origines géographiques, un peu comme dans une sélection de films d'aujourd'hui ?

Ce sont des questions qu'on se pose beaucoup, respecter un équilibre avec des films qui viennent de tous les horizons. Après, comme toute sélection, ça repose sur ce qu'on vous propose à un moment donné. Certains films nous tentent mais ne sont pas prêts et on ne pourra donc pas montrer alors qu'ils nous plaisent énormément. On essaie de respecter cette variété des propositions, dans la mesure de ce que nous recevons.

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Jean Dujardin et Mélanie Laurent dans « Le Retour du héros »

Posté par redaction, le 10 mai 2017

Cette semaine a débuté le tournage du Retour du héros annonce le Film français. Le septième film de Laurent Tirard (Mensonges et trahisons et plus si affinités..., Molière, Le Petit Nicolas, Astérix et Obélix : Au service de sa Majesté, Les Vacances du petit Nicolas, Un homme à la hauteur) réunira Jean Dujardin (sa vedette d'Un homme à la hauteur, semi-flop au box office avec 700000 entrées), Mélanie Laurent, Noémie Merlant (Les héritiers, Le ciel attendra), Christophe Montenez (pensionnaire de la Comédie-Française), Evelyne Buyle ("Louis la brocante") et Christian Bujeau (Alibi.com). Le casting est complété par Fabienne Galula, Laurent Bateau, Jean-Michel Lahmi et une participation de Féodor Atkine.

L'histoire se déroule en 1809, au temps des guerres napoléoniennes. Jean Dujardin y est le capitaine Neuville, séducteur qui demande sa main à la jeune Pauline (Noémie Merlant), sous le regard méfiant de la sœur de la jeune fille, Elisabeth (Mélanie Laurent). Las, Neuville est appelé sur le front de la campagne de Prusse et d'Autriche, et ne donne aucune nouvelles. Pour palier à la dépression de sa cadette, Elisabeth commence une correspondance avec Pauline, qu'elle signe du nom du prétendant disparu. Elle fait de Neuville un héros de guerre. Quand le capitaine finit par réapparaître, barbu et en guenilles, au grand dam de la jeune femme, la vérité risque de compliquer les relations...

Le tournage s'achèvera début juillet. Il se déroule actuellement dans l'Oise, près de Paris. La sortie est prévue le 14 février 2018.

Cannes 2017: Okja et The Meyerowitz Stories en compétition malgré tout

Posté par redaction, le 10 mai 2017

Cannes remet les pendules à l'heure. The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach et Okja de Bong Joon-ho seront bien projetés en compétition, malgré leur absence de sorties en salles.

Le communiqué du Festival met les point sur les "i". "Une rumeur a récemment couru sur une possible exclusion de la Sélection officielle des films réalisés par Noah Baumbach et Bong Joon Ho, films largement financés par la société Netflix. Le Festival de Cannes tient à redire que, comme il l’a annoncé le 13 avril dernier, ces deux films seront bien présentés en Sélection officielle et en compétition."

Conscient de l'inquiétude suscitée par l’absence de sortie en France de ces films en salles (lire aussi notre article du 15 avril), le Festival de Cannes rappelle avoir "demandé en vain à Netflix d’accepter que ces deux films puissent rencontrer les spectateurs des salles françaises et pas uniquement ses seuls abonnés. De fait, il déplore qu’aucun accord n’ait pu être trouvé."

Nouveaux venus, nouvelles règles

Mais, à juste titre, Cannes s'enorgueillit "d’accueillir un nouvel opérateur ayant décidé d’investir dans le cinéma mais veut redire tout son soutien au mode d’exploitation traditionnel du cinéma en France et dans le monde."

Cela induit quand même un changement profond pour les années à venir puisque, "après consultation de ses administrateurs, le Festival de Cannes a décidé d’adapter son règlement à cette situation jusque-là inédite : dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s’engager à être distribué dans les salles françaises. Cette disposition nouvelle s’appliquera dès l’édition 2018 du Festival International du Film de Cannes."

Cannes 70 : 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Posté par cannes70, le 9 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-9. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Le mois dernier, nous vous parlions de l'année 1939, départ manqué pour le Festival de Cannes pour cause de Guerre mondiale imminente (ce qui, vous l'avouerez, est une bonne excuse). Un Festival qui n'a pas eu lieu pour reprendre le titre d'un livre d'Olivier Loubes retraçant cette aventure. Un autre festival n'a pas eu lieu (si l'on ne compte pas les éditions 1948 et 1950, annulées faute de budget), ou plutôt a bien eu lieu, et s'est interrompu au bout de quelques jours : celui de mai 1968. Cette année, en sélection officielle, nous pourrons d'ailleurs voir une partie des événements, autour de la figure de Jean-Luc Godard, dans Le Redoutable, nouveau film de Michel Hazanavicius. Pour entrer dans le vif du sujet, commençons par un témoignage de François Truffaut - car il est toujours de bon aloi de commencer un article, ou une journée, avec l'appui de Truffaut.

« Il fallait mettre les gens devant le fait accompli. J'ai lu un texte de 5, 6 lignes expliquant que les états généraux du Cinéma demandaient la fermeture du Festival. Il y eu une certaine stupéfaction. Il y avait Berri, Godard, Lelouch, Male, Risch, des journalistes, tout le monde parlait ; les cinéastes étrangers arrivaient. Favre Le Bret [le président du festival] nous demandait d'évacuer les lieux. A 14 h 30 la grande salle était remplie. On était sur scène, dans la salle le public était composé de Cannois. On oublie toujours que toutes les salles, pendant le Festival, sont remplies de gens de la ville. Les gens du « métier », ont en général, déjà vu le film. Mais, il s'agissait d'un public qui était chez lui. Il nous insultait, trouvait notre cirque inadmissible. Le Bret énervé a ordonné que la projection du film de Saura commence à 15 h 00 et ça a été le chahut. On voyait Saura se battre pour que son film ne passe pas. Il y a eu une grande échauffourée, une bagarre, des Niçois, des Cannois sont montés sur scène. J'ai du recevoir un coup de poing, un ami a balancé le type qui m'avait frappé dans les pots de fleurs. C'était grotesque, on nous haïssait, on nous tendait le poing.» Source : Mémoires cannoises

Les prémices : l'affaire Langlois

Comment en est-on arrivé là ? Remontons en peu le fil de l'année 1968. En février, le ministre de la Culture André Malraux tente d'écarter Henri Langlois, fondateur et directeur de la Cinémathèque française, pour lui donner le poste moins important de directeur artistique. Le ministère de la Culture lui reproche en effet de mal gérer tout ce qui est administration et fonds, mais aussi la conservation des précieuses bobines - une gageure pour quelqu'un qui a sauvé d'innombrables pellicules.

Face à cette décision, un Comité de défense de la Cinémathèque française est fondé par Truffaut, Godard et Rivette, qui se sont d'ailleurs rencontrés sur place à la fin des années 40, pour protester contre cette éviction qu'ils jugent injuste. Des manifestations vont avoir lieu, et l'affaire prendre de plus en plus d'ampleur. Des réalisateurs internationaux soutiennent le comité de défense : Chaplin, Welles ou encore Kubrick sont de la partie. Tout le monde s'en mêle : inconnus alors (Daniel Cohn-Bendit) ou des politiciens importants, comme Mitterrand qui trouve choquante la mise à l'écart de Langlois. Malraux finira par réinstaller le père de la Cinémathèque à ses fonctions fin avril. Autant dire qu'à la veille de Cannes, le monde du cinéma n'est pas totalement en accord avec le gouvernement d'alors ...

"Vous me parlez travellings et gros plans"…

Considérations politiques mises à part, tout semblait pourtant bien parti. La sélection est variée, avec des films venant de cinq pays d'Europe de l'est, mais aussi des productions britanniques, israéliennes, japonaises, ou encore, bien entendu, françaises. Certes, lorsque le 21e festival international du film démarre, la France est bouleversée depuis une semaine par des révoltes estudiantines. Etudiants et lycéens, face à l'arrestation de 500 manifestants à la Sorbonne, s'affrontent de plus en plus violemment avec la police à Paris.

À Cannes cependant, le monde du cinéma est réuni dans le même calme que les années précédentes (ou tout du moins les critiques ne dressent pas de véritables barricades face à des opinions contraires). Mais dans la nuit du 10 au 11 mai, alors qu'on vient de visionner Autant en emporte le vent - un titre on ne peut plus approprié au contexte - sur la Croisette, à Paris les manifestations prennent une autre dimension. Cette nuit faite de barricades élevées et de pavés lancés a fait une centaine de blessés. L'opinion publique s'émeut des revendications des étudiants, qui sont rejoints par les syndicats le 13 mai. À Cannes, l'Association française de la Critique demande aux festivaliers de participer à une manifestation de soutien aux étudiants, ce qui n'est pas vraiment du goût des producteurs, qui sont là pour vendre leurs films, ni de celui de Robert Favre Le Bret, qui dirige la Festival.

Trois jours plus tard une assemblée de producteurs, réalisateurs et professionnels en tout genre du monde du cinéma demandent, sous l'égide de ce qu'ils nomment Les Etats généraux du Cinéma, l'arrêt du Festival. Claude Lelouch, qui vient de présenter son long-métrage Treize jours en France, est choisi par ses compères réalisateurs pour aller annoncer leur décision à Le Bret : clore le Festival. Il faut dire qu'en quelques jours le mouvement contestataire étudiant s'est transformé en grève générale, mobilisant sept millions de grévistes spontanés, ce qui paralyse le pays tout entier.

Le 18 mai, pendant une réunion organisée pour discuter de l'affaire Langlois, Truffaut qui vient d'arriver de la capitale rejoint l'avis de la plupart des réalisateurs présents : il faut arrêter le festival. Ils se rendent alors dans la grande salle du palais, où doit être projeté Peppermint frappé de Carlos Saura, pour en empêcher la projection et annoncer publiquement l'annulation du Festival. A moitié hué, à moitié applaudi, on annonce que le comité de soutien à Langlois s'occupera de la suite des événements du Festival. Tout le monde y va de son avis, ce qui donne l'occasion à Godard de formuler une de ces phrases chocs dont il a le secret :

"Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travellings et gros plans. Vous êtes des cons !"

Favre Le Bret, plus tard, annonce que le Festival s'arrête officiellement le 19 mai à midi, sur décision du conseil d'administration.

49 printemps plus tard


Aucun prix n'aura donc été remis cette année là, et seuls huit films sur vingt-sept auront été projetés. En mai 2008, Thierry Frémaux a choisi de diffuser quelques-uns de ces films, dont le Peppermint frappé de Carlos Saura - il faut dire qu'en 1968, le réalisateur, avec la complicité de Géraldine Chaplin et de Godard, s'était accroché aux rideaux du cinéma pour empêcher que son film soit projeté !

Une des conséquences directes de la suspension du Festival est la création, en 1969, de la Quinzaine des réalisateurs. Cette sélection parallèle et indépendante est créée par la Société des réalisateurs de films, née pendant l'affaire Langlois. La Quinzaine a pour but de promouvoir des réalisateurs inconnus, venant de tout horizons, qui n'auraient pas été forcément accepté en Sélection officielle, dont la SRF critique de nombreux points, comme le palmarès décidé par le jury et la tenue de soirée obligatoire. La Quinzaine est ainsi accessible à tout le monde, pas seulement aux critiques, et ne remet aucun prix. Créée dans la précipitation, la première édition n'avait d'ailleurs opéré aucune sélection, et présentait 62 longs-métrages ! Bref, un festival dans le Festival, née de l'envie de liberté cristallisée en mai 68 … Mais ceci est une autre histoire, racontée dans cet autre texte sur la Quinzaine...

Nicolas Santal pour Critique Film

Christoph Waltz passe derrière la caméra

Posté par redaction, le 9 mai 2017

C'est au tour de Christoph Waltz, acteur deux fois oscarisé et primé à Cannes de passer derrière la caméra avec Georgetown. Le tournage aura lieu cet été à Montréal, avec Vanessa Redgrave au générique (l'actrice présente par ailleurs un documentaire qu'elle a réalisé en sélection officielle à Cannes). L'actrice a été nommée six fois aux Oscars et a emporté celui du meilleur second-rôle féminin en 1978.

Waltz sera son époux dans le film. L'histoire est inspiré d'un fait réel: celle d'Albrecht Muth. Dans le film il est renommé Ulrich Mott, inculpé du meurtre de sa femme, Elsa Brecht, il y a six ans à Washington. Il s'agit d'un coupe iconoclaste: elle a trente de plus que lui. Riche veuve, elle s'est mariée avec cet homme excentrique et a organisé avec lui des soirées mémorables dans leur résidence de la capitale américaine. Retrouvée morte quelques heures après une de ces soirées et il est rapidement accusé du meurtre, soupçonné par l'entourage d'Elsa d'être un escroc.

Adapté d'un article du New York Times Magazine signé Franklin Foer ("The Worst Marriage in Georgetown"), le scénario a été écrit par David Auburn (Entre deux rives, Proof).

Christoph Waltz est attendu dans les salles avec Tulip Fever (cet automne), Downsizing (cet hiver) et Alita: Battle Angel (été 2018).

I am not your Negro : la fabrique de la discrimination raciale

Posté par vincy, le 9 mai 2017

Ce mercredi sort en salles I am not your Negro (Je ne suis pas votre nègre), documentaire maîtrisé et passionnant réalisé par Raoul Peck. En VO la voix est celle de Samuel L. Jackson, en VF, le spectateur aura celle de JoeyStarr. Sophie Dulcad distribution a prévu une sortie modeste sur moins de 20 copies, mais avec plusieurs séances événementielles (avec débats le plus souvent) dans des cinémas franciliens notamment à partir du 10 mai.

Une flopée de prix

Le documentaire vadrouille de festivals en festivals depuis sa première à Toronto en septembre dernier, ce qui lui a permis d'être nommé aux Oscars et aux Independent Spirit Awards en février dans la catégorie du meilleur documentaire. Depuis son prix du public dans la catégorie docu à Toronto, il a glané plusieurs prix. A la dernière Berlinale, il a remporté le prix du public dans la section Panorama et une mention spéciale du jury œcuménique. Le public l'a aussi récompensé au Festival de Chicago, au Festival des Hamptons, au festival de Portland et au Festival de Philadelphie (où le film a aussi reçu le prix du jury). Les critiques de Los Angeles, San Francisco et ceux de Dublin l'ont sacré meilleur documentaire. L'Association des documentaristes lui a décerné le prix du meilleur scénario. A Thessalonique, le film a été distingué par le prix Amnesty International. Aux USA, distribué par Amazon studios, il a récolté 7M$ de recettes, soit le 4e meilleur score pour un docu depuis début 2016.

Très bon score sur Arte

Arte a déjà diffusé le documentaire dans version française il y a deux semaines. La chaîne culturelle s'est ainsi offert la cinquième meilleure audience annuelle avec 650000 téléspectateurs, auxquels se sont ajoutés 380000 visionnages en rattrapage, soit le record mensuel pour Arte+7.

Pourquoi ce documentaire est-il si intéressant? Le pitch est assez sobre: "À travers les propos et les écrits de l’écrivain noir américain James Baldwin, Raoul Peck propose un film qui revisite les luttes sociales et politiques des Afro-Américains au cours de ces dernières décennies. Une réflexion intime sur la société américaine, en écho à la réalité française. Les mots de James Baldwin sont lus par JoeyStarr dans la version française et par Samuel L. Jackson dans la version américaine."

La suite d'un roman inachevé

En fait, Raoul Peck, maniant les archives comme un chef d'orchestre assemble les instruments pour rendre harmonieux une partition, décode la manière dont l'identité afro-américaine s'est construite, et comment elle s'est retrouvée marginalisée, discriminée, et attaquée dans une Amérique qui n'a pas su quoi faire de ses descendants d'esclaves. Pour cela il prend un témoin, James Baldwin, écrivain et intellectuel noir et homosexuel, et trois figures mythiques du combat des droits civiques: Medgar Evers, mort le 12 juin 1963, Malcolm X, mort le 21 février 1965 et Martin Luther King Jr., mort le 4 avril 1968. "Les trois ont été considérés comme dangereux parce qu’ils levaient le voile sur le brouillard de la confusion raciale" explique le réalisateur.

James Baldwin voulait écrire sur ces trois hommes dans ce qui serait son dernier ouvrage, Remember This House, inachevé. Ecrivain prolifique et considéré comme un observateur précis et lucide de la société américaine, il avait anticipé la montée des communautarismes et des tensions sociales. Plus surprenant, il se désolait dans les années 1960 qu'il faille attendre au moins 40 ans pour avoir un Président noir à la Maison-Blanche (l'Histoire lui aura donné raison). Il pointait du doigts les gestes visibles et les non-dits de la société à l'encontre des minorités. Il parlait déjà d'identité.

L'image fantasmée des noirs d'Amérique

"J’avais honte d’où je venais. J’avais honte de la vie dans l’Eglise, honte de mon père, honte du blues, honte du jazz, et bien sûr honte de la pastèque. Tout ça, c’était les stéréotypes que ce pays inflige aux Noirs : que nous mangeons tous de la pastèque et que nous passons notre temps à ne rien faire et à chanter le blues, et tout le reste, j’étais vraiment parvenu à m’enfouir derrière une image totalement fantastique de moi qui n’était pas la mienne, mais l’image que les Blancs avaient de moi" expliquait-il au début des années 1960.

En mélangeant politique, histoire, psychologie et humanisme, sa réflexion, et on le constate tout au long du documentaire au fil de ses interviews ou en écoutant ses textes, n'est pas seulement visionnaire et ne résonne pas seulement avec justesse: elle décrypte minutieusement comment l'Amérique fabriquait une société discriminante, raciste, violente. Et ça n'a pas changé depuis 40 ans. Les incidents et accidents continuent. Les émeutes et les manifs sont toujours là. La fracture n'est pas résorbée. "Le plus consternant est que toutes ces choses ne seraient peut-être pas aussi terribles si, lorsque vous vous retrouvez devant des Blancs pleins de bonne volonté, vous ne vous rendiez pas compte qu’ils ne savent rien de tout cela, et n’en veulent rien savoir" résumait l'écrivain.

Un docu aussi visuel que politique

Raoul Peck démontre ainsi le chaos cyclique qui perturbe la bonne relation entre les communautés, revient sur les racines du mal et décortique l'aspect structurel toujours présent qui entraîne une défiance régulière entre l'Amérique WASP et les afro-américains. Le réalisateur expérimente ainsi un propos très politique avec un formalisme complexe. C'est un puzzle qu'il compose, explosant les codes narratifs classiques du documentaires pour en faire un film plus expérimental, très esthétique, qui met en valeur James Baldwin, ses opinions et leur liens avec l'Histoire américaine. Il s'autorise à insuffler une liberté de pensée, à inviter de la musique et de l'humour, à dramatiser en ne masquant rien de la brutalité, de l'exploitation, des assassinats et des injustices d'un peuple à la fois victime et combattant.

I am not your Negro est aussi visuel que philosophique, sonore que pédagogique. Il se réapproprie toute la culture "noire", des clichés aux malentendus, des icônes aux erreurs historiques. Il "monte" et "découpe" son récit emblématique tout en démontant et coupant les préjugés idéologiques. Il colorise des archives et passe en noir et blanc des images plus modernes. Il trouble notre vision chronologique pour mieux assumer l'unité de temps et de lieu d'un phénomène qui dure depuis plus de deux siècles. De la même manière, les archives sont diversifiées, de programmes télévisés populaires à des interviews et débats plus costauds en passant par des extraits de films hollywoodiens. Ce montage "kaléidoscopique, frénétique et poétique", comme un mix de DJ revisitant des airs connus, permet évidemment de ne pas rendre ce film ennuyeux. Loin de là. Une heure et demi, ça semble presque court.

Insécurité raciale

Outre l'intelligence de l'ensemble, le prosélytisme bienvenu, et la force de son propos, I am not your Negro fait indéniablement écho aux antagonismes sociaux actuels en Occident. "Ce n’est pas tout ce que vous avez pu me faire qui vous menace. C’est tout ce que vous avez fait à vous-même qui vous menace" écrivait-il. Il précisait même : "J’imagine qu’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent à leurs haines avec tellement d’obstination, est qu’ils sentent qu’une fois la haine partie, ils devront affronter leurs souffrances." En renvoyant les bourreaux à leur propre misère, il avait compris que le problème des exclus était moins le leur que celui des excluants. Critique insatiable des pouvoirs dominants et supérieurs (religions, blancs, politiques...), il interpellait notre insécurité culturelle dans Le jour où j'étais perdu : La vie de Malcolm X:
"Pourquoi ne demandez-vous pas aux Blancs, qui sont vraiment entraînés à la violence, ce qu’ils pensent de tous les Noirs innocents qu’ils tuent ? Quand un jeune blanc tue, c’est un problème « sociologique ». Mais quand un jeune Noir tue, vous êtes prêts à construire des chambres à gaz. Comment se fait-il que vous ne vous inquiétiez jamais quand les Noirs se tuaient entre eux ? Tant que l’on massacrait les Noirs de sang-froid, tant qu’on les lynchait, vous disiez : « les choses s’arrangeront »."

Cannes 70 : 1975, souvenirs de l’underground à Cannes

Posté par cannes70, le 8 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-10. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Lorsque le message de Pascal Le Duff me proposant d’écrire un texte sur l’underground à Cannes est tombé sur la messagerie de mon portable, j’étais au Centre Pompidou en train de suivre une rétrospective consacrée au vétéran du cinéma d’avant-garde Peter Kubelka, pionnier du cinéma expérimental, inventeur du « flicker-film » en 1960 avec Arnulf Rainer, court-métrage qui alterne photogrammes avec ou sans lumière, donnant un effet de clignotement. Mais Kubelka était également fêté, ce soir-là, en tant que programmateur et militant de la cause, car, il y a quarante ans, à l’ouverture du Centre Pompidou, il avait, à la demande du directeur de l’époque, Pontus Hultén, conçu une programmation de trois cents films expérimentaux de toutes les époques et qui a fait l’ouverture du Centre : Une histoire du cinéma. Ce programme historique a légitimé et institutionnalisé ce cinéma.

Par le fait d’un «hasard objectif» tels que les affectionnait André Breton, j’étais tombé sur un de mes comptes-rendus cannois de 1975 où je signalais que, dans la grande salle du Palais du festivals, on avait vu 31 films underground américains cette année-là.

C’était apparemment un événement, sans en être vraiment un, car, avec le recul, on s’aperçoit que ce cinéma, sans être mis sous les feux des projecteurs, a toujours eu une légère visibilité à Cannes (et ailleurs). Dans le numéro 11 de La revue du Cinéma (mars 1948, page 44), dans un article titré L’avant-garde d’hier et d’aujourd’hui, Henri Langlois, après avoir vilipendé la sélection du dernier film du vétéran Hans Richter, primé à Venise, Dreams that money can't buy, pour son « académisme », écrivait : « À Cannes, vers le même temps, un autre jury international primait les films de Maya Deren pour l’audace de leur conception. Il s’agissait, il est vrai, d’une compétition de cinéma d’amateurs». Pour comprendre la chose, il faut préciser que jusqu’en 1976, il y avait une case libre entre les deux films de la Compétition vers 17 heures. Un Certain Regard et son prédécesseur Les Yeux fertiles étaient encore dans les limbes. Et on donnait la possibilité à diverses personnalités de faire des programmations en toute liberté.

Cette année-là, Gideon Bachmann, qui avait réalisé Ciao Federico sur le tournage du Satyricon du maestro italien, a eu la possibilité de faire une programmation de films underground, genre qu’il avait couvert en 1967 pour la télévision allemande, moyen-métrage qui était inclus dans la programmation : Underground New York.

J’ai retrouvé 25 des 31 films sélectionnés, cette rétrospective ne figurant pas sur le site du festival (voir détails sur les films dans l’encadré). Je ne vais pas faire une étude du genre, ce n’est pas ce qui m’a été demandé, mais je signalerai des faits apparemment contradictoires.

D’abord, il n’y a pas eu un Cannes mais au moins trois : le Cannes des stars et des paillettes (de 1946 à 1968), le Cannes des hippies et des cinéphages (1969 à 1978 ; Ah ! Paul McCartney sur le toit du Palais déposé en hélicoptère, la découverte de Pink Flamingo de John Waters au marché du film, la projection des films de John Lennon et Yoko Ono au Star rue d’Antibes, les premiers films porno qui vidaient la salle du Palais au profit des salles marginales) et, enfin, le Cannes des cinéphiles, renforcé par la multiplication des sections et l’apparition de services cinéma dans les quotidiens. Des croisements entre ces trois Cannes s’opèrent toujours.

Donc, en 1975, à 17 heures, on pénétrait dans la salle de l’ancien palais, presque vide : de 30 à 50 spectateurs pour voir des films underground. Dans ce grand festival, déjà « moins huppé » et non encore fliqué (quatre appariteurs gardaient la porte du palais et on y pénétrait avec un coupon, pas de cartes de couleurs discriminatoires, mais des cartes à souches avec trois tickets quotidiens : un pour chacun des deux films en sélection et le troisième pour les événements marginaux ou périphériques comme cet hommage à l’avant-garde américaine).

On voyait ces films sans a priori et en toute liberté. Après la rétrospective de Kubelka à l’ouverture du Centre Pompidou, cela allait changer. Le cinéma expérimental sera légitimé et des crispations apparaîtront entre partisans de ce cinéma (considéré comme noble et à forte potentialité culturelle) et détracteurs qui le rejetteront hors de la sphère du cinéma. Les institutions et les musées en prendront la relève en le programmant régulièrement. Des tentatives comme celles de Pascale Dauman créant en 1973 le Studio Christine (devenu un an après l’Action Christine), entièrement destiné au cinéma expérimental, n’auront plus, jusqu’à une période récente, la cote.

Ce qui était intéressant, c’est qu’on voyait ces films sans préjugés, on se laissait (ou non) séduire par des images flamboyantes, poétiques, qui cherchaient à toucher directement nos sens plutôt que notre intellect. Les scénarios n’étaient que prétextes ou même absents.

Le film de Gideon Bachmann, édité récemment par Re : Voir, est tout à fait en phase avec cet état d’esprit qui régnait alors (le premier livre sérieux théorique est publié en 1974, en anglais, Visionary Film: The American Avant-garde, de P. Adams Sitney, les livres de Dominique Noguez vont suivre et légitimer ce nouvel art). Chargé de réaliser une émission pour la télévision allemande sur ce cinéma underground dont on entendait parler mais qu’on ne connaissait pas, Bachmann s’entretient avec Shirley Clarke (la plus connue à l’époque avec The Connection, film narratif tiré d’une pièce de théâtre sur des musiciens camés), Jonas Mekas qui n’a pas encore monté son journal filmé et qui tourne des films de contestation comme The Brig, brûlot antimilitariste, mais également les frères Kuchar et Bruce Conner, eux déjà totalement expérimentaux. Sans oublier Andy Warhol qui était déjà une icône ! Il n’y a pas de théorie sur le cinéma underground qui émerge de ce documentaire, mais une vision sociétale d’un groupe de jeunes cinéastes, proches de Dylan, qui veulent bouleverser le cinéma américain. C’était le film séduisant d’un jeune amateur qui cherche ses repères. À voir donc pour se rendre compte de l’état d’esprit des amateurs de l’époque, en 1975, cela avait encore peu changé. Ce documentaire tranche évidemment sur la conférence qu’à donnée en avril 2017 Peter Kubelka au Centre Pompidou dans laquelle il soutient toujours que ce cinéma EST le cinéma par excellence.

Dans la liste des films que j’ai retrouvés, il y a des grands noms : James Whitney (pionnier de l’animation par ordinateur analogique) ; Stan Lawder, un des pratiquants du cinéma structurel ; Larry Jordan, un animateur de papiers découpés proche de Borowczyk ; Chick Strand programmée beaucoup à l’époque ; Jordan Belson, cinéaste abstrait et pionnier du cinéma assisté par ordinateur ; Gunvor Nelson, créatrice d’un cinéma impressionniste ; Robert Breer, animateur d’éléments découpés qui a fait presque toute sa carrière en France ; Robert Nelson qui demeure fidèle à un certain esprit « Beat », tel qu’illustré dans le film de Bachmann ; le pionnier James Broughton contemporain dans les années 1940 de Maya Deren ; l’artiste minimaliste Richard Serra

Mais, dans ma liste cannoise, je ne vois pas les noms de ceux qui sont devenus, aujourd’hui, des artistes cardinaux qui dépassent la simple sphère du cinéma expérimental : Jonas Mekas, Stan Brakhage, Michael Snow, Hollis Frampton ou Ken Jacobs. Mais je n’ai pas la liste complète, peut-être ont-ils été programmés et que je devais voir un film à la Quinzaine des réalisateurs par exemple, et que j’ai sauté cette séance. La Quinzaine qui, sous la houlette de Pierre-Henri Deleau (1969-1999), a passé beaucoup de films expérimentaux en courts et longs métrages, dont certains comme Luminous Procuress de Steven Arnold (1972) ont été récemment reprogrammés par Nicole Brenez à la Cinémathèque française dans ses séances de « Contre-culture générale » Ce texte reflète de simples souvenirs et ne se veut pas exhaustif.

Raphaël Bassan de Bref, le magazine du court métrage

Pour aller plus loin...

1. Lapis (1963–1966), James Whitney, 10 min, 16mm, distribué par Lightcone
2. Necrology, Stan Lawder, 1970, 12’
3. Once upon a Time, Larry Jordan, 1974, 12’
4. Putting the Babies back, Neil White, 1969
5. Anselmo, Chick Strand, 1967, 4
6. Earth Spirit House, Ron Finne, 1970
7. Chakra, Jordan Belson, 1972, 5’ 30
Extrait
Distribué par re : Voir
8. Llanito, Danny Lyon, 1971, 54 ‘
Extrait
9. Traces, Barbara Linkevitch, 6 mm, couleur, 12 mn, 1973
10. Cristal vision, John Grunberg, 1972
11. My name is Oona, 1969, Gunvor Nelson, 10’, édité par Re : Voir
12. Gull and Buoys, Robert Breer, 1972, 6’
13. Watersmith, Will Hindle, 1969
14. Third eye Butterfly, Storm de Hirsch, 1968, 10’,
15. Anxious animation, Richard Serra, 1971, 5’
16. I Change I am the Same, Ann Severson, 1969
17. Bleu Shut, Robert Nelson, 1971, 30’
18. Easy out, Pat O’Neill, 1972, 9’ DVD sorti par Cinédoc
19. Corridor, Stan Lawder, 1970, 23’
20. Medina, Scott Bartlett, 1972, 15’
21. T. hybrid.V I, Keith Sonnier, 1971, 12’,
Extrait
22. Horseopera (A Western) Charles I levine, 16mm, black and white, 24 min
23. Golden Positions, James Broughton, 1971, 30’, édité en DVD
24. Choice chance woman danse, Ed Emshwiller, 1971, 44’
25. Underground New York, Gideon Bachmann, 1968, 51’