Cannes 2018 : Cannes en orbite avec « La planète sauvage »

Posté par MpM, le 17 mai 2018

Puisque cette 71e édition nous emmène dans les étoiles avec l’avant-première mondiale de Solo: A Star Wars Story, nouvel épisode de l'univers étendu de la saga Star Wars, présenté hors compétition, et la projection de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick dans une nouvelle copie 70 mm restaurée (sans modification numérique de l'oeuvre de 1968) à Cannes Classics, profitons-en pour un petit tour d’horizon des « Space opéras » qui ont eu les honneurs de la sélection officielle.

Cannes ce n'est à priori pas le lieu où on s'imagine voir un film de vaisseau spatial et de bataille intergalactique, et pourtant certains gros films de science-fiction ont bel et bien décollé depuis la croisette. Retour sur un long métrage d'animation interstellaire présenté en compétition officielle (eh oui...) en 1973

La planète sauvage, premier long métrage de René Laloux, est l'adaptation (libre) du roman Oms en série de Stefan Wul, et l'un des tout premiers films d'animation destiné à un public adulte. Telle une bonne fée penchée sur le berceau de ce projet délicat, l'écrivain et dessinateur Roland Topor, avec lequel Laloux a collaboré sur plusieurs courts métrages, s'implique largement dans la conception du film. Les deux hommes co-écrivent ainsi le scénario tandis que des dessins de Roland Topor servent de base aux images. La fabrication se déroule à Prague, dans les studios d'animation Jirí Trnka de Krátký Film, en utilisant la technique du papier découpé et une animation dite "en phase", ce qui signifie que les personnages sont dessinés dans chacune des positions nécessaires (et non pas articulés), puis animés. Le procédé, qui permet un rendu plus fluide et donc beaucoup plus esthétique, est aussi beaucoup plus long, ce qui explique qu'il fallut 5 ans pour finir La planète sauvage.

L'histoire se situe sur la planète Ygam où vit une espèce d'humanoïdes bleus aux yeux rouges mesurant douze mètres de haut, les Draags, qui ont atteint le paroxysme de la connaissance et consacrent toute leur existence à la méditation. Cette espèce sur-évoluée raffole des Oms, de minuscules animaux familiers ramenés d'une planète disparue, Terra. Les Draags traitent les Oms sauvages comme des créatures nuisibles et les pourchassent sans relâche. Pourtant, un concours de circonstance et la débrouillardise d'un enfant Om vont permettre au rapport de force de se rééquilibrer.

On se délecte de l'univers surréaliste, tantôt onirique, tantôt cauchemardesque, de cette planète pleine de surprises qui nous tend un miroir souvent dérangeant. Ces Draags prétendument éduqués et sensibles, qui n'ont pas la moindre empathie pour les petites créatures qu'ils réduisent en esclavage, voire exterminent selon leur bon plaisir, nous rappellent par exemple nos sociétés modernes et leur désir d'asservir tous ceux qui sont différents. Mais passé ce constat pessimiste, La planète sauvage fait l'apologie du savoir comme arme principale d'émancipation, et propose un message d'espoir sur la cohabitation possible entre les deux espèces, doublé d'une démonstration efficace de tout ce qui les rapproche.

Impossible de ne pas voir dans cet objet étrange et déconcertant une fable écologique presque avant l'heure (ce n'est pas aller trop loin que d'établir un parallèle entre les Oms et les animaux que nous exploitons aujourd'hui pour notre plaisir, sans égard pour leur propre sensibilité), servie par l'extraordinaire richesse visuelle du monde imaginé par Topor, arbres géants, plantes carnivores et fabuleuses créatures en tête. Le film fait également preuve d'une imagination débordante pour ce qui est des terribles machines destinées à pourchasser et tuer les Oms. Là encore, l'utilisation de l'animation permet de montrer frontalement ces scènes cruelles de "déshommisation", des meurtres de masse inventifs et presque insoutenables par leur banale violence.

Le film, malicieux et sans fard, envoûtant et curieux, fit grande impression à Cannes, et repartit auréolé d'un prix spécial du jury présidé par Ingrid Bergman. Une reconnaissance rare pour un film qui mêle deux genres souvent considérés comme manquant de noblesse et / ou de sérieux : la science fiction et l'animation. Autre temps, autre ouverture d'esprit ?

Cannes 2018: le palmarès de la Cinéfondation

Posté par vincy, le 17 mai 2018

Le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages présidé par Bertrand Bonello et composé de Khalil Joreige, Valeska Grisebach, Alanté Kavaïté et Ariane Labed, a révélé son palmarès lors d’une cérémonie salle Buñuel.

La Sélection comprenait 17 films d’étudiants en cinéma choisis parmi 2 426 candidats en provenance de 512 écoles de cinéma dans le monde.

Premier Prix : El Verano del Leon Electrico (The Summer of the Electric Lion) de Diego Céspedes (Universidad de Chile).

Deuxième Prix ex-aequo: Kalendar (Calendar) de Igor Poplauhin (Moscow School of New Cinema) et Dong Wu Xiong Meng (The Storms in Our Blood) de Shen Di (Shanghai Theater Academy).

Troisième Prix : Inanimate de Lucia Bulgheroni (NFTS)

La Cinéfondation alloue une dotation de 15000 € pour le premier prix, 11250 € pour le deuxième et 7500 € pour le troisième. Le lauréat du premier prix a également l’assurance que son premier long métrage sera présenté au Festival de Cannes.

Les films primés seront projetés au Cinéma du Panthéon le 22 mai à 18h00. La Cinémathèque française projettera également une partie de la Sélection le 11 juin à 21h00.

Quinzaine 50 : un florilège de 49 années de cinéma en liberté – partie 1, les années Deleau

Posté par redaction, le 17 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Plus d'un millier de longs-métrages ont été programmés en quarante-neuf éditions de la Quinzaine. Nous avons invité divers rédacteurs, critiques et autres amoureux du cinéma à évoquer en quelques lignes des films qui ont marqué l’Histoire de la Quinzaine ou qui les touchent, qui sont devenus de grands classiques du cinéma ou simplement de leur histoire personnelle. Des œuvres qui ont su émouvoir, faire frémir et réfléchir, nous ont poussé à nous interroger sur le sens de la vie et du monde, sur notre rapport aux autres et à nous-mêmes en apportant leur pierre à un renouveau de la grammaire cinématographique ou avec des ambitions formelles plus modestes. Multiplicité de formes et d’expressions, de styles et de propos, pour un voyage purement subjectif dans les 49 premières sélections de la Quinzaine.

Voici donc notre florilège de plusieurs dizaines de titres découverts à la Quinzaine par Pierre-Henri Deleau et ses successeurs Marie-Pierre Macia, François Da Silva, Olivier Père, Frédéric Boyer puis Edouard Waintrop qui quitte ses fonctions cette année. Il est évidemment trop tôt pour dire ce que nous réserve Paolo Moretti l'an prochain mais nous restons curieux de découvrir ce qui nous sera proposé en mai 2019. Nous sommes déjà impatients…

1969

Adam II de Jan Lenica

Le premier long métrage d’animation du réalisateur polonais Jan Lenica est aussi celui qui lui a apporté une reconnaissance définitive après ses débuts aux côtés de Walerian Borowczyk. On y retrouve les thèmes propres à Lenica comme la lutte pour la liberté individuelle et une forme d'absurdité qui construit un univers angoissé et burlesque. (Marie-Pauline Mollaret, Ecran Noir)

Mai 68, la belle ouvrage de Jean-Luc Magneron

Il advient qu’un faisceau d’événements concordants tient à souligner qu’un cycle ou une révolution vient de s’achever. Il nous aura ainsi fallu un demi-siècle pour revenir au sens originel de « ripostes »  entre les événements de Mai 68 et les actuels affrontements estudiantins avec les forces de l’ordre, ou il y a encore peu le mouvement Nuit debout régulièrement réprimé par la police. 50 ans nous séparent, et nous n’avons toujours rien appris, et ce, malgré le stupéfiant documentaire de Jean-Luc Magneron sur les dérives et les violences policières. En 2 versions de  117 et 52mn, Magneron propose sous forme documentaire de revenir peu de temps après les échauffourées ayant agité le mois de Mai 68. Le montage fait le choix économe d’artifices avec un défilé de séquences prises à vif lors des manifestations, ainsi que de témoignages laissant les raconteurs dérouler leurs souvenirs, encore brulants de douleurs ou d’effroi. Le spectateur s’immerge ainsi dans l’ingéniosité et la science de chaque partie à s’attaquer et à se défendre, des batailles aux armes inégales mais toutes astucieuses dans le désir d’efficacité : gaz au chlore, gaz lacrymogènes, fusil à grenades, matraques, cocktails Molotov, pompe à eau, arbres, cagettes, pavés, etc… Le film est d’autant plus remarquable pour la qualité et la diversité des témoins, que par la précision et l’élocution de leurs interventions. C’est alors que la plongée se fait insoupçonnée dans l’horreur : la description minutieuse des exactions commises par les CRS avec des matraquages répétés dans les « paniers à salade », les comités d’accueil féroces en commissariat, les agressions aveugles sur tout badaud traversant le quartier Latin, l’acharnement sur des victimes à terre,  les viols de femmes, les étrangers attaqués… En bref, une systématisation de la violence et une légitimation à son déferlement pour assouvir une frustration savamment entretenue par l’exécutif, que l’on n’arrive encore pas à endiguer de nos jours lors de nouvelles rixes. (Celia, twitter.com/artpasnet)

The Trip de Roger Corman

Roger Corman à la réalisation, Jack Nicholson au scénario, Peter Fonda, Susan Strasberg, Bruce Dern et Dennis Hopper à l’interprétation. Ajoutez un soupçon de sujet dans l’air du temps et un fond d’Electric Flag, vous obtenez un cocktail psychédélique. Roger Corman, dans sa volonté de bien faire, a trop bien fait. Trip en group, avertissement sur les méfaits de la drogue, qui essaye-t-il de convaincre ? Ni les adolescents et les hippies ni les figures d’autorité. Les bien-pensants frémissent, les accoutumés s’offusquent d’une intrusion abusive dans leur monde et d’une falsification de la réelle expérience qu’est le trip. L’histoire, résolument simple et secondaire, tourne autour d’un publicitaire en instance de divorce qui, poussé par un ami, prend la décision de s’évader au travers de la drogue. S’en suit une heure et vingt minutes de scènes colorées, kaléidoscopiques et acidulées entre-coupées de quelques retours à la réalité pour resituer l’action. Une curiosité néanmoins, grâce à quelques plans surprenants, étouffée par le self-control envahissant de Corman qui atténue l’intérêt majeur de l’œuvre : vivre l’expérience du LSD sans contrainte ni limite. (Clara Sebastiao, The Jelly Brain)

1970

Macunaima de Joaquim Pedro de Andrade

Ce film de Joaquim Pedro de Andrade, œuvre majeure, est un conte noir et un surprenant mélange de grotesque et de cruauté placé sous le signe du paradoxe et d’une perpétuelle opposition bonheur/souffrance. De la naissance du héros, séquence d'anthologie où il est quasi déféqué par une mégère interprétée par un homme, jusqu’à sa disparition finale tout n'est que succession de joyeuses peines et de pénibles joies. Macunaïma est un mal aimé, souvent châtié qui se transformera en un grand beau blanc trop admiré. Durant son parcours picaresque, il rencontrera une magicienne, un géant, un gnome, une source magique, une guerrière hors pair… mais tout est déformé, exagéré, libéré des contraintes. En ceci, paré de ses atours réalistes-magiques, Macunaïma est un héros de notre époque : une parodie d’humain ; mais aussi une critique du Brésil contemporain : violent, inégalitaire et consumériste. (Nicolas Thys, Revue 24 Images)

Othon de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet

La tragédie de Corneille filmée in extenso, dans des décors naturels (les collines de Rome, avec la ville moderne visible en contrebas), et jouée par des comédiens en toge parlant souvent avec un accent étranger fortement marqué. De ce dispositif radical et distancié, marque de fabrique des « Straub », nait un grand film politique qui paradoxalement redonne vie et puissance à un texte finalement peu connu. (Laurent Aknin, critique et historien de cinéma)

1971

Les Anges Violés de Koji Wakamatsu

Quelles sont les motivations de ce jeune homme pour commettre le massacre d'infirmières dans leur dortoir ? Au final, le mystère reste entier, malgré quelques pistes plus symboliques que concrètes. Une succession d'images de violence ou de nudité illustrent la pensée confuse du meurtrier alors qu'il s'entraîne à tirer sur une plage. Le questionnement sur ses motivations par l'infirmière en chef ancre cette histoire terrifiante dans un réalisme bouleversant. Elle prend la parole dans l'espoir vain de survivre et de sauver ses camarades. Chacune des tentatives des jeunes femmes est vouée à l'échec : la fuite, les lamentations pour amadouer l'assassin par des paroles calmes et sensées, feindre la peur ou l'absence de peur, rien ne semble susciter la moindre réaction d'empathie. Koji Wakamatsu détourne les codes du pinku eiga (roman porno), en filmant les scènes de sexe ou de violence attendues du genre mais dénuées du moindre attrait, pour un geste éminemment politique : dénoncer la violence des hommes contre les femmes, boucs-émissaires faciles de leurs impuissances et de leur incapacité à agir. Le titre désigne le surnom des infirmières, ces Anges Blancs dont l'appellation ne touche pas le meurtrier. La mise en scène, le sens du montage très personnel de cet admirateur de Godard, le travail sur les effets sonores (surtout ce que seul le tueur entend) nous font pénétrer dans un cerveau torturé mais terriblement humain. Ce qui est peut-être la part la plus terrifiante de ce film. (Pascal Le Duff, critique-film)

La Salamandre d'Alain Tanner

Une constantes du cinéma d'Alain Tanner est le voyage immobile. Ses personnages (féminins souvent, masculins aussi) marchent beaucoup et ne vont au final pas très loin, au moins physiquement. Intérieurement pourtant, elles ou ils changent, vivent, aiment, souffrent et vont mieux, ou pas. Un sondeur de l'âme humaine résumé par ce film qui a longtemps hanté le Saint-André-des-Arts grâce à la persévérance de son «père» Roger Diamantis et lancé les carrières d'un auteur et de trois grands comédiens : Bulle Ogier, Jean-Luc Bideau et le regretté Jacques Denis. (Pascal Le Duff)

THX 1138 de George Lucas

Impossible de ne pas penser à George Orwell et à 1984 à la vision de cette dystopie cruelle où les êtres humains ne sont plus que les rouages abêtis d’une société où les machines (et donc la technique) ont pris le dessus. Pour son premier long métrage, George Lucas fait le choix du minimalisme, de l’épure et d’une narration quasi inexistante.  Le cinéaste y flirte avec le cinéma expérimental tout en proposant une version déformée et terrifiante de notre propre société accro aux programmes télé et aux psychotropes. (Marie-Pauline Mollaret, Ecran Noir)

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14 projets hollywoodiens annoncés à Cannes

Posté par vincy, le 17 mai 2018

11 ans après Nil by Mouth, son premier film, en compétition à Cannes à l'époque, Gary Oldman, récemment oscarisé, revient derrière la caméra avec Flying Horse, d'après l'histoire vraie du photographe Eadweard Muybridge.

Gary Oldman sera aussi la star, avec Meryl Streep et Antonio Banderas, de The Laundromat. Steven Soderbergh se penchera sur les Panama Papers, à partir d'un essai de Scott Z. Burns.

Ezra Miller incarnera Salvador Dali jeune, aux cotés de Ben Kingsley, Lesley Manville, Tim Roth et Frank Dillane, dans Dali Land de Mary Haron.

Autre biopic, celui sur Leonard Bernstein, le compositeur de West Side Story. Bradley Cooper interprétera le musicien et réalisera le film. La société de Steven Spielberg est parmi les producteurs.

Andrea Riseborough et Christopher Abbott seront les prochaines têtes d'affiche de Possessor, le deuxième film de Brandon Cronenberg, révélé il y a six ans avec Antiviral.

La coscénariste de La Forme de l'eau Vanessa Taylor écrira Bad Blood, un film sur un scandale sanitaire, où Jennifer Lawrence partagera le générique Elizabeth Holmes. Adam McKay réalisera cette adaptation.

Ewan McGregor se lance dans le projet assez audacieux d'un remake de La vache et le prisonnier, le classique français. Réintitulé The Cow, le film sera réalisé par Marc Forster.

Autre adaptation, The Secret Garden, livre jeunesse culte de Frances Hodgson Burnett. Colin Firth et Julie Walters seront les stars de ce film réalisé par Marc Munden.

Chris Evans sera la star du thriller catastrophe Greenland, que réalisera Neill Blomkamp. Le tournage commencera au dernier trimestre.

Guy Ritchie a trouvé son partenaire financier, Miramax, pour son prochain film, Toff Guys, où il sera question de majiruana et de fric. Le studio a garantit 30M$.

C'est un peu plus que les 25M$ que Universal a payé pour assurer la distribution de 355, le thriller d'espionnage avec Jessica Chastain, Marion Cotillard, Penelope Cruz et Lupita Nyong'o.

Puisqu'on parle de Lupita: sachez que le réalisateur de Get Out, Jordan Peele, a révélé le titre son prochain film, Us. Il a enrôlé Lupita Nyong'o et négocie actuellement avec Elisabeth Moss et Winston Duke pour les deux autres rôles principaux.

Rodrigo Teixeira et Martin Scorsese produiront ensemble les deux premiers films de Danielle Lessovitz, Port Authority, et Antoneta Alamat Kusijanovic, Murina.

Finissons avec un documentaire sur la championne de tennis Martina Navratilova, à la fois icône LGBTQI et légende de son sport. Le film sera produit par Reese Witherspoon.

Cannes 2018: Qui est Yann Gonzalez ?

Posté par vincy, le 17 mai 2018

C'est le film qui risque de buzzer à Cannes. Présenté en fin de festival, Un couteau dans le cœur, le deuxième long métrage de Yann Gonzalez est aussi bien une surprise à ce niveau de la sélection qu'une attente insupportable pour les festivaliers, vu son sujet, et le style du cinéaste.

L'ancien critique de ciné a débuté avec des courts métrages, au rythme d'un par an à partir de 2006. By the Kiss (2006), Entracte (2007) et Je vous hais petites filles (2008) sont tous sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs. Les Astres Noirs (2009), avec Julien Doré, est retenu par la Semaine internationale de la critique. Il conserve sa troupe de comédiens - Kate Moran, Salvatore Viviano, Pierre-Vincent Chapus - et collabore toujours avec M83 (Anthony Gonzalez, son frère) pour la musique.

Mais il faut attendre 2013 pour qu'il passe à la version longue, avec Les Rencontres d'après minuit. Le niçois a 36 ans. On retrouve Moran et Chapus, mais le casting s'offre aussi Niels Schneider, Eric Cantona, Fabienne Babe, Béatrice Dalle et Nicolas Maury, en gouvernante travestie d'une partouze aussi déjantée que poétique, flamboyante que stylisée. Cette orgie stylisée qui transgresse les genres affirme un regard qui le singularise dans le cinéma français et est porté aux nues par la critique parisienne.

Il y a un an, Yann Gonzalez présente à la Semaine de la critique un court métrage, Les Îles, qui remporte la Queer Palm du court. Là encore une série de personnages errant dans un dédale érotique et amoureux. Cette fois-ci, il s'aventure dans un autre genre, tout en restant dans le même univers. Un couteau dans le cœur se déroule à la fin des années 1970. Une productrice de pornos gays au rabais veut reconquérir sa compagne (et monteuse de ses films) en tournant un film plus ambitieux avec son complice de toujours, le flamboyant Archibald. Un de leurs acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une enquête étrange qui va bouleverser sa vie... Outre Kate Moran et Nicolas Maury, c'est Vanessa Paradis qui tient le rôle principal.

La mise en danger

Yann Gonzalez refuse le naturalisme et le réalisme. Son cinéma est romantique et lyrique. A l'instar d'un Bertrand Mandico, il n'est pas effarouché par l'érotisme. "J'ai grandi avec le cinéma fantastique et d'horreur. Jusqu'à l'âge de 15 ans, je ne m'intéressais qu'à ce seul continent de cinéma" expliquait-il y a quelques années. Ce mélange des genres n'est pourtant pas bien vu dans le système français. "Les professionnels, frileux, se focalisent sur le scénario, comme si le plus crucial était le message du film, alors que le scénario doit rester un outil éphémère. Pourquoi ne s'intéressent-ils pas à ce qu'on a fait avant, à nos choix de mise en scène ? Ils n'y font pas assez attention. Pour moi, dont les scénarios sont un peu bizzaroïdes et très écrits, c'est un problème. Quand on me dit qu'ils sont trop littéraires, je ne comprends pas : quoi de plus stimulant que la tentative de faire fusionner la littérature, le cinéma, le théâtre ?" s'interrogeait-il dans un entretien à Télérama.

Libre et queer, Yann Gonzalez veut "avoir l’impression de danser sur un fil" quand il réalise un film. "Après, c’est vrai que j’aime aussi l’idée que la marge s’invite de manière invasive et pernicieuse au cœur du mainstream…" C'est la promesse de ce couteau qu'il veut planter dans nos cœurs.

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 7, la salle de la Quinzaine

Posté par redaction, le 17 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

La quinzaine a mis du temps à trouver son lieu de prédilection

La première année, on a retenu 65 films, présentés chacun une seule fois dans l'un des deux cinémas aujourd'hui disparus?: le Rex (une salle de quartier dégueulasse) et l'Olympia. L'année d'après j'ai choisi la meilleure salle de la rue d'Antibes possible. Au fil des ans, on a changé plusieurs fois. Il y a eu le Français, le Star puis l'ancien palais dont j'ai hérité lorsque la sélection officielle s'est installée dans le bunker actuel. Cette salle était magnifique. J'avais supplié Jack Lang [alors ministre de la Culture] de le classer mais il m'a dit qu'Anne Marie Dupuy [alors maire de Cannes] était couverte de dettes avec la construction du nouveau palais et donc devait vendre le bâtiment. Ça a été un bonheur, pendant cinq ou six ans. Une salle de 1200 places, pas une seule mauvaise, même au balcon ou sur les côtés. Et vous sortiez sur la mer tout d'un coup ! Quand l'ancien palais a été détruit pour faire un hôtel, j'ai exigé du festival qu'ils m'hébergent dans la salle Debussy. Je ne vous dis pas les tractations. Je n'avais plus de salle pour la Quinzaine. Je ne pouvais pas retourner dans une des salles de la rue d'Antibes après, les salles avaient changé et ce n'était plus la même configuration. C'est pour ça que j'ai exigé d'avoir la salle Debussy et nous avons eu quelques entrevues pour l'obtenir. Les réunions se passaient en présence d'un représentant de la SRF, Serge Leroy, membre du conseil d'administration du festival, de Pierre Viot, le président du festival, de Gilles Jacob et de moi. Serge Leroy était présent pour arbitrer car la SRF ne voulait pas rompre les ponts avec le festival et Francis Girod, alors président de la SRF l'avait missionné. Mais il n'avait pas le droit d'intervenir car je lui ai dit que le patron de la quinzaine, c'est moi. Donc moi, je discutais, lui, rapportait nos paroles.

Il y a eu trois réunions qui ont duré deux heures. Alors au début on nous proposait deux séances par jour pour la Quinzaine, puis trois et je refusais car avec deux films par jour, un ne passerait qu'une fois et l'autre deux ! Finalement, j'en ai obtenu quatre, ce qui a fait diminuer Un Certain Regard. Mais ça a été à l'arrachée. Lors de notre troisième séance de discussions, j'ai prévenu Francis Girod en lui disant, «vire-moi Serge Leroy, et viens car tu es le président en exercice. Et j'ai l'intention de claquer la porte ! Et on arrête la quinzaine ! ». Francis me dit qu'on ne peut pas faire ça mais évidemment, c'était un coup de bluff. Quand Pierre Viot a vu Francis Girod arriver, il a cru qu'on était d'accord pour trois séances pour Un Certain Regard et trois pour la Quinzaine, à égalité. Et je leur ai dit : «j'ai fait venir Francis pour vous prévenir que voilà, trois ça le faisait pas. On a décidé qu'il ne pouvait plus y avoir de Quinzaine et que je vous en rendrai responsable. Nous allons faire une tribune dans Le Monde, c'est tout ce que j'ai à vous dire. Au revoir, monsieur le président». Je me lève, Girod me suit et on a marché dans le couloir, lentement. Il s'est écoulé une minute - on marchait vraiment très lentement - et d'un seul coup la porte s'est rouverte et Viot a dit « quatre, quatre, ça va, ça va ? ». La peur du scandale ! Sans la complicité de Girod, je n'aurais pas pu le faire.


Vous pensez que la Quinzaine a permis de faire évoluer le festival de Cannes ?

Ah oui, s'il n'y avait pas eu la Quinzaine, elle n'aurait pas évolué comme ça. Aucune raison puisque personne ne la remettait en cause ! Elle a d'abord été contestée par les réalisateurs, en 68, pas uniquement parce que la France était en grève, mais aussi parce qu'ils trouvaient les sélections académiques. Mais c'est sur que la Quinzaine, ça a été comme une pierre dans la chaussure du festival qu'il a fait évoluer en disant "on est ridicule si on continue comme ça". Finalement la Quinzaine a été une bonne chose pour le festival. Et on a profité et de l'un et de l'autre. Moi j'ai évidemment profité énormément du festival. Si j'avais fait la Quinzaine ailleurs dans une autre ville, même avec cette programmation là, il aurai fallu que j'ai un budget triple pour inviter les journalistes du monde entier. Là, je les détournais d'une manifestation existante. Il y avait des papiers dans le New York Times par exemple et dans de journaux du monde entier.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Cannes 2018: le palmarès de la Semaine de la Critique

Posté par vincy, le 16 mai 2018


Premier palmarès à être décerné à cannes ce mercredi 16 mai dans la soirée, celui de la Semaine de la Critique.

Diamantino de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt a remporté le Grand Prix Nespresso. Cette "comédie", qui sera distribuée par UFO, raconte l'histoire d'une icône absolue du football, capable à lui seul de déjouer les défenses les plus redoutables. Mais lors du match le plus important de sa vie, son génie n’opère plus. Sa carrière est stoppée net, et la star déchue cherche un sens à sa vie. Commence alors une folle odyssée, où se confronteront néo-fascisme, crise des migrants, trafics génétiques délirants et quête effrénée de la perfection.

Le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation, dont c'est la première édition, a été remis à Félix Maritaud pour Sauvage de Camille Vidal-Naquet (le 22 août chez Pyramide distribution). Un an après son  entrée dans le monde du cinéma avec 120 battements par minute, le jeune acteur brille dans ce film qui navigue dans le milieu de la prostitution gay.

Monsieur de Rohena Gera, distribué par Diaphana, a été récompensé par le Prix Fondation Gan à la Diffusion. La sortie est prévue pour la fin de l'année pour ce film indien.

Le Prix SACD a distingué Woman at War de Benedikt Erlingsson & Olafur Egill Egilsson. Jour2fête sortira le film le 4 juillet. On découvre ici Halla, la cinquantaine, qui déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande… Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…

Enfin deux excellents courts métrages ont été primés: Ektoras Malo: I Teleftea Mera Tis Chronias de Jacqueline Lentzou avec le Prix Découverte Leica Cine du court métrage et Un jour de mariage d'Elias Belkeddar par le Prix Canal + du court métrage.

Cannes 2018 : la révolution irlandaise avec Le vent se lève

Posté par MpM, le 16 mai 2018

Puisqu'on célèbre cette année les 50 ans de mai 68, et l'anniversaire de ce festival qui n'eut pas lieu, c'est l'occasion d'explorer les rapports de Cannes avec la Révolution. Sur la croisette, où les spectateurs défilent en smoking et robes de soirées, où un simple selfie est jugé "irrespectueux", et où toute la société festivalière est organisée en castes strictes, les mouvements de révolte et de contestation eurent souvent les honneurs d'une sélection. C'est là tout le paradoxe d'une manifestation très attachée à ses traditions, et qui n'a pourtant cessé de montrer, défendre et encourager ces moments de l'Histoire où des hommes et des femmes ont pris leur destin en mains.


En 2006, Ken Loach est de retour à Cannes avec Le vent se lève, une fresque sensible et engagée qui raconte la guerre d'indépendance irlandaise entre 1919 et 1921 ainsi que la guerre civile qui suivit. S'il y suit deux frères engagés dans l'Armée républicaine irlandaise, le film est surtout une plongée immersive dans la réalité de l'Irlande d'alors, entre injustices, persécutions et révoltes.

La première partie est ainsi une ode à l'action collective et à l'espoir d'un monde doublement meilleur : parce que débarrassé de l'oppresseur, mais aussi parce que plus équitable et juste. La deuxième voit s'effriter l'union des combattants révoltés, jusqu'à une guerre fratricide dont l'Irlande porte encore les stigmates. Ken Loach décortique les différents mécanismes présidant à la révolte de même qu'il observe au microscope le processus qui conduit les alliés d'hier à s'entretuer. A la fois sur le plan idéologique (les oppositions et les divergences naissantes au sein du groupe) et aussi plus concrètement.

Ainsi, le réalisateur s'attache à ne pas montrer que les exactions des Anglais. Les Irlandais se sont battus les armes à la main, et pas toujours de la manière le plus honorable, rappelle-t-il. On voit par exemple des guets-apens contre l'ennemi transformés en véritable tir aux pigeons ne ménageant aux victimes aucune possibilité de s'enfuir ou de se rendre. L'armée irlandaise tombe elle-même dans un engrenage de violence sans fin lorsqu'elle doit châtier ses propres hommes "pour l'exemple". Comme pour annoncer la noirceur des temps à venir.

Il y a quelque chose d'inhérent à la révolution elle-même dans ce coup de balancier qui après l'euphorie mène à la désillusion, une forme d'inéluctable que la caméra bienveillante de Loach filme avec acuité, ne cachant pas le camp qui a sa préférence, et ne dissimulant pas plus les sacrifices parfois insupportables que nécessitent toutes les luttes de libération.

Sur un plan plus purement cinématographique, Le vent se lève est un film si finement écrit (par Paul Laverty) que chaque scène a une fonction précise dans l'intrigue et que rien, malgré les deux heures du film, ne semble gratuit ou superflu. On est emporté par le vent de l'histoire sans jamais perdre de vue de n'y être que des fétus de paille. Ces épis d'orge que le vent secoue, comme dans le titre original inspiré d'une chanson folklorique du XIXe siècle (The wind that shakes the barley). Le jury présidé par Wong Kar-Wai ne s'y trompa pas, qui décerna à Loach sa première Palme d'or.

Quinzaine 50 : montrez ces films qu’on ne saurait voir !

Posté par redaction, le 16 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

La Quinzaine des réalisateurs, grande prêtresse du cinéma indépendant, du cinéma contestataire, du cinéma underground, moderne, ouvert, libre. La Quinzaine faite par le monde, pour le monde. Une révolte contre l’élitisme cannois, contre la censure systématisée, et contre toute forme d’institutionnalisation. C’est en cessant de cacher ces films qu’on ne saurait voir que nos agitateurs vont ouvrir la porte, jusque-là verrouillée, d’un cinéma nu et sincère. Le 10 mai 1968 s’ouvre le 21e Festival de Cannes. Et c’est en 69, année érotique, qu’on assiste à la naissance d’un immense Fes[se]tival. La première édition de la Quinzaine a le [cul]ot de projeter Le Joujou chéri de Gabriel Axel.

Film documentaire et long-métrage de fiction s’entremêlent dans cette audacieuse production danoise. Le Joujou chéri traite de la production de magazines et de films érotiques et dénonce une censure bien trop présente (surtout en France !). On découvre en une heure et demie la diversité de l’érotisme sur grand écran, du cinéma moderne au cinéma muet. Gabriel Axel réalise ce premier documentaire sans salaire, et sans réel financement. Fort d’une envie de transgression et de liberté, Axel nous interroge sur la présence de l’érotisme dans l’art. Pourquoi un artiste peintre, proposant un nu, offre de l’Art au spectateur, tandis qu’un photographe (ou un cinéaste) représentant un même nu est classé immédiatement comme pornographe ? Ce message passe directement par l’affiche du film : une gravure libertine. Art, ou pornographie ?

Par son interdiction, la pornographie se fait sombre, glauque, étouffante. Gabriel Axel, lui, veut présenter un univers lumineux, léger, joyeux, et bon enfant. A force d’interdire et de censurer, l’impression que le sexe est un danger pour l’homme se fait de plus en plus forte. Mais où est le danger ?

C’est grâce à un Danemark bien plus libéral que la France que Le Joujou chéri passe la frontière. Rappelons d’ailleurs que cette œuvre aidera à supprimer la censure adulte en 1969 dans son pays. Malgré cette hardiesse, le film sera interdit en France et ne sera distribué en province qu’en 1974 via un circuit allemand, sous le nom de Das Geliekte Spielzub. Le Joujou chéri passera ici d’une heure et demie, à une heure et quart.

Tandis que la demande de suppression de la censure de la part des Etats Généraux du Cinéma suit son cours, deux nouvelles œuvres culottées s’emparent de la Quinzaine : Le Hurlement de Tinto Brass en 1970, et Mais ne nous Délivrez pas du mal de Joël Séria en 1971.

Le Hurlement est un cri de joie et de colère, une folie douce parfaitement représentative de l’air du temps. Film psychédélique soixantehuitard, L’Urlo explore une société changeante. Les repères sont flous, la jeunesse ne sait plus à quoi se raccrocher, et erre au travers d’un milieu hostile et incompréhensible tout comme Anita (Tina Aumont) et son amant Coso (Gigi Proietti) principaux protagonistes. Anita, activiste de gauche, fuit son fiancé et rencontre un parfait inconnu avec qui elle va voyager dans une Italie étrange et grotesque, rencontrant tour à tour une famille de cannibales et des fanatiques explorant différentes facettes de leur sexualité. Le message est clair : c’est en quittant les conventions que l’individu explore et nourrit son être intérieur.

Tinto Brass, auteur, scénariste et monteur, abandonne ici les traditions narratives et invite le spectateur à vivre son œuvre comme une expérience sensorielle. Il ne raconte pas mais dénonce la condition tragique de l’homme moderne seul face à la misère, à la mort, et à l’esclavagisme de la société, en continuant ainsi son travail amorcé en 1964 avec Who Works ?. Contrairement à Who Works ?, L’Urlo sera interdit par la censure en Italie pendant pas moins de sept ans.
Bizarre, surréaliste, et radicalement ancré dans la contre-culture, Le Hurlement reste tout de même proche de réalisations dans la même veine, aussi bien au niveau du scénario, qu’au niveau de la réalisation. On y retrouve des couleurs similaires, des scènes en extérieur peu surprenantes, et une révolte politique qu’on croise de partout.

Tandis qu’en 1971, Mais ne nous Délivrez pas du mal fera l’effet d’une bombe parmi les festivaliers cannois. « Une œuvres des plus malsaine […] en raison de la perversion, du sadisme et des ferments de destruction morale et mentale … » ainsi parlait la Commission de contrôle du premier long-métrage de Joël Séria.
Elevé dans un foyer à l’éducation religieuse stricte, et éduqué en pensionnat chez les curés pendant une dizaine d’années notre réalisateur est frappé par l’image idyllique d’une jeune fille qui inspirera l’aspect de ses deux héroïnes. Cette image est celle croisée au hasard d’un article de journal, celle d’une petite nymphette aux joues pleines et aux boucles rondes. Une petite fille modèle ayant décidé de jouer à la poupée avec sa meilleure amie. La poupée sera sa mère, le jeu : la lapidation. Fait divers néo-zélandais, cette histoire nourrira celle de Mais ne nous Délivrez pas du mal dans une certaine mesure. C’est d’ailleurs de ce film et de cet article que Peter Jackson tirera Créatures Célestes en  1994.

Ce long-métrage sera tourné sans l’accord du CNC, mais Joël Séria persiste. Ce scénario est ancré en lui, et il se doit de le coucher sur pellicule. Il réalise cet exercice avec brio et nous dévoile ses talents de poète. On retrouve dans ce film une mélancolie toute baudelairienne, mêlée à l’insouciance de la jeunesse et aux secrets de l’adolescence. Nos deux Lolitas, Anne et Laure, sont deux petites filles modèles en apparence mais, et ce dès les premières scènes, il se dégage d’elles une sainteté diabolique. Tout comme Joël Séria, elles se voient dès leur plus jeune âge cloîtrées chez les bonnes sœurs avec, pour seule distraction, leur imagination viciée et leurs loisirs sadiques. Anne et Laure se complaisent dans le mal comme d’autres se complaisent dans le bien ; elles œuvrent pour Satan en âme et conscience, en opposition à tout ce qui leur a été inculqué. Mais ne nous Délivrez pas du mal est un film fort, puissant, et étrangement doux. L’apparence bucolique de la campagne contraste avec la perversion des actes de nos héroïnes et nous rappelle curieusement nos propres étés. La torpeur estivale, les nuits fraiches, les balades à vélo donnent une sensualité prématurée à Anne et Laure qui se dénudent à toutes occasions.

Le scénario, puissamment anticléricale et légèrement éphèbiphile, fera interdire le film malgré sa présence à la Quinzaine. Ce n’est qu’après la coupe de quelques secondes d’une scène lesbienne entre religieuses que le film sera accessible au public. Joël Séria, sera alors l’un des derniers réalisateurs de long-métrage à avoir un film bloqué. Bien plus qu’une œuvre profane, Mais ne nous Délivrez pas du mal est une mise en garde contre le refoulement, la pression et l’oppression chez les adolescents. Autre sujet fort du début des années 70.

« 1973, on interdit. 1974, on libéralise. Avant de réprimer en 1975 puis de punir en 1976 »

(Entre deux censures, 1989, Tony Crawley et François Jouffa)

Le 28 avril 1974, Valérie Giscard d’Estaing, fraîchement élu président de la république, annonce la suppression de la censure en France et prône la liberté d’expression et de création. Cette décision révolutionnera le paysage cinématographique tout entier. A la capitale, en banlieue et en province, les cinémas affichent impudiquement des œuvres érotiques sur leurs façades et dans leurs halls. En une année, plus de 128 films voluptueux sortent en salle : Les Jouisseuses, Emmanuelle, et La Papesse (pour n’en citer que quelques-uns) embrasent les foules qui se précipitent pour voir le tabou en scope. Cette curiosité légère poussera 6 497 687 parisiens et banlieusards à se cloîtrer dans les pièces confinées, surchauffées et électrisées des exploitants de 74. Le secrétaire d’état, Michel Guy, dans un éclat de lucidité, ou dans un moment de faiblesse, autorisera même l’exploitation des films pornographiques !

Ce vent de liberté atteindra rapidement la croisette qui présentera à sa sélection officielle les sulfureuses Mille et une nuits de Pier Paolo Pasolini et les outrancière Neuf vies de Fritz le chat de Robert Taylor. La Quinzaine, quant à elle, ira chercher du côté de la Yougoslavie pour trouver LE réalisateur adéquat pour cette année toute en fesses : Dusan Makavejev, auteur et scénariste de Sweet Movie.

Carole Laure (Miss Canada) porte plainte contre Makavejev, Anna Prucnal (Anna Planeta) est exilée de Pologne pendant sept ans, le film est banni en Grande-Bretagne et, en France, il subit l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans. Tout ça pour quoi ? Pour un film-manifeste, une œuvre forte qui malgré elle a engendré un scandale plus grand que ce qu’elle envisageait. Pour un poème érotico-politique ou le socialisme et le capitalisme se contemplent d’un œil curieux et cherchent à s’apprivoiser. Contrairement aux autres films de Dusan Makavejev, Sweet Movie nous offre une confrontation sociale plus directe, sans soliloques gouvernementaux indigestes. Il cherche ici à établir une relation sensorielle écran-spectateur. La sensualité est la grande ligne directrice de la mise en scène et du scénario, toute la cohésion de l’équipe de tournage vise à prôner la joie de vivre, l’amour universel et la connaissance de soi par le biais du sexe. Makavejev fait tomber les masques de l’auto-censure, le spectateur est mis à nu, sa carapace se fend et fond face à l’humour chaleureux et à la moiteur sexuelle de Sweet Movie. On parle ici « d’effet thérapeutique » comme un « aphrodisiaque léger », une communication non-verbale poussant le public à s’observer, se sentir, se toucher, se goûter, et se découvrir à travers l’œuvre.

Soulignons le fait que Makavajev, culpabilisant de ce trop-plein de bonheur face à la misère du monde, inséra dans le film des séquences documentaires sur l’excavation de cadavres polonais par des officiers nazis. Triste monde cruel.

Nous finirons l’année, le 17 octobre 1974, par une suppression du fond de soutien pour les films pornos … Monsieur Giscard et Monsieur Guy seraient-ils en train de revenir sur leurs convictions ?

En 1976, les bonnes résolutions de nos deux compères sont mises au placard. Pornographie ? Erotisme dites-vous ? Du passé. La loi X s’impose insidieusement, feignant l’absence de censure et affichant une simple restriction. La TVA sur les films dit pornos passe de 17.6% à 33.33%, 161 films sont classés X et interdit d’exploitation … Les rares œuvres encore en circuit sont reléguées dans des salles spécialisées pénalisées fiscalement et financièrement. Si ça ce n’est pas de la censure …

Mais la Quinzaine résiste encore et toujours à la restriction, à l’enclavement, et au blâme, et elle le montre plus que jamais avec L’Empire des sens de Nagisa Oshima. Toute la France est ébranlée, le phénomène est sans précédent. De plus, L’Empire des sens n’est pas noyé dans la sélection, loin de là, il est le film d’ouverture de cette nouvelle programmation, l’œuvre mise en lumière, l’œuvre sous les projecteurs du public, de la critique, des journalistes, et de l’organisation.

Nous ne nous étendrons pas plus que nécessaire sur ce film qui a déjà fait couler beaucoup d’encre (et beaucoup d’autres liqueurs plus naturelles). Rappelons juste que celui-ci est un pied de nez aux tabous japonais. Nagisa Oshima c’est procurer une pellicule vierge française, l’a fécondé sur sa terre natale, et l’a renvoyé en France pour la mise à bas. L’Empire des sens est interdit au Japon, rn Allemagne, en Suède, aux Etats-Unis, en Belgique … Mais la Quinzaine relève le défi de présenter cette œuvre, et tente d’ouvrir le regard du public non pas sur un film érotique ou pornographique, mais sur un poème visuel digne des estampes japonaises. Tout ici est d’une minutie implacable, la mise en scène est épurée, les dialogues finement orchestrés, et les couleurs éclatantes renforcent le lyrisme de ce qui n’était à l’origine qu’un fait divers.

L’Empire des sens établi un seul et même discours : celui d’une scène d’amour en continu, le cadre change mais l’acte reste. Même si le sexe n’est pas simulé, même si la scène finale est d’une violence inouïe, le film reste immaculé grâce à sa perfection visuelle, et grâce à ce discours n’étant ni plus ni moins qu’une approbation de la vie jusque dans la mort, l’amour ultime et inconditionnel.
Les œuvres vue précédemment sont politiques, sociales, révoltées. Elle utilise la représentation du sexe pour faire passer des messages plus ou moins abstraits, mais elles négligent l’amour rencontré dans la relation sexuelle. Nagisa Oshima, lui, le sublime.

Mais si la politique vous manque rappelons que, en 1988, interviewé par Bernard Pivot, Jacques Chirac confessera : «  J’ai vu L’Empire des sens dans la salle d’un cinéma privé qui appartient au ministère de l’information. J’ai estimé que c’était un très beau film … »

Merci au ministère de l’information et merci à Jacques !

La Quinzaine nous réservera d’autres belles surprises telles que la coréalisation franco-japonaise des Fruits de la passion de Shuji Terayama en 1981, adaptation très libre de Retour à Roissy de Pauline Réage. L’adaptation encore plus libre en 1986 du Diable au corps de Marco Bellocchio et sa vraie fellation qui coûtera cher à la carrière de Maruschka. L’onirique, le lyrique, le diaphane Kissed, premier film de Lynne Stopkewich, fable nécrophile tirée d’une nouvelle de Barbara Gowdy. Et le très contemporain Année Bissextile de Michael Rowe explorant la mécanique d’un couple sadomasochiste.

Puis d'autres films oubliés : La Fille offerte d’ Helma Sanders-Brahms, Irezumi - Esprit de tatouage de Yoichi Takabayashi, L’Esquimaude a froid  de Janos Xantus, Annabelle Partagée de Francesca Comencini …

Tant de films autour d’un seul et même sujet, d’une problématique ancestrale qui semble régir le monde : le sexe. Le sexe politique, le sexe social, le sexe spirituel, les sexes, les sexualités. Parfois représenté avec pudeur, parfois avec exubérance, le sexe est mis à l’honneur dans ces œuvres qui ont su le magnifier avec respect.

La sexualité, même surreprésentée, reste encore tabou. Une petite partie de chacun d’entre nous dort dans une coquille de glace. Le rôle de ces films est, entre autre, de faire fondre cette armure pour que le spectateur découvre avec émotion une autre facette de sa personnalité, belle, pure, et lumineuse.

La Quinzaine est le réceptacle d’une sensualité venue du monde entier. Elle livre au sein de l’une des plus grandes institutions cinématographiques un havre de chaleur cotonneuse. Elle ne nie pas ce qui fait un pan tout entier de l’Homme, elle l’embrasse, elle se l’approprie, avec une programmation toujours précise et surprenante. La Quinzaine réinvente le sexe sur grand écran et le crédibilise.

Clara Sebastiao de critique-film

Cannes 2018: Qui est David Robert Mitchell ?

Posté par kristofy, le 16 mai 2018

C'est l'un des nouveau cinéaste américain qui a été révélé dès son tout premier film à Cannes, et le voila de nouveau cette année au festival mais cette fois il revient en compétition, en position privilégiée pour une Palme d'or : David Robert Mitchell signe un film noir vénéneux avec Under the Silver Lake.

A 44 ans, ce gosse du Michigan, diplômé en Floride, ne semble pas vieillir. Fan de cinéma européen, d'Hitchcock et d'American Graffiti, il a débuté en faisant le montage de bandes annonces. Sans doute de là que vient son art du montage. Mais au fil des films, on sent surtout qu'il veut détourner les genres - le teen-movie, l'horreur, le suspens.

C'est à la Semaine de la Critique que les cinéphile ont remarqué la singularité de ce nouveau talent en 2010 en présentant The myth of the american sleepover, puis quatre ans plus tard, toujours à la Semaine, en projetant son deuxième film It follows. Si la gestation du premier a été longue (7 ans, pour un budget inférieur à 100000$) et sa sortie en France inédite en salles (seulement en DVD en 2014), l'autre a connu un large écho favorable, rapportant même 15M$ aux Etats-Unis.

Aussi différent l'un de l'autre, ces deux premiers films de David Robert Mitchell représentent des explorations du coming-out of age, de ce moment particulier de l'adolescence au seuil de l'inconnu, avant d'être adulte. Grandir, tomber amoureux, envisager une faculté lointaine pour The myth of the american sleepover avec une approche sensible et naturaliste des sentiments pour se projeter vers un futur lumineux. Le film avait reçu le Prix spécial du jury à Deauville.

Presque à l'opposé, avec une orientation fantastique un peu horrifique, It follows parle de relations sexuelles et d'une transmission de la peur qui obscurcit l'avenir. Le film a été distingué notamment par un Prix de la critique à Deauville ainsi que le Grand prix et le Prix de la critique à Gérardmer.

Ses deux films partagent un sens du casting aiguisé avec la fraicheur de nouveaux visages, et surtout une originalité séduisante pour la mise en scène, avec des cadrages soignés et une musique toujours adéquate.

David Robert Mitchell est vite devenu visible sur les différents radars de nouveaux talents à suivre dont on guette la confirmation. Pour son troisième film, Under the Silver Lake, peut-être celui qui représente un pari plus risqué, il a fait jouer des acteurs confirmés comme Andrew Garfield, Riley Keough et Topher Grace. Un jeune homme, incapable de dépasser l'adolescence glandeuse et d'oublier un amour de jeunesse, se lance dans une quête surréaliste pour retrouver une femme, le sujet presque universel peut se prêter à toutes les audaces, en l'occurrence ici une multitude de références aux films noirs des années 50 et à la culture underground et pop. Le film, sort le 8 août en France.