[We miss Cannes] Côté Courts #1 : Amours possibles et impossibles

Posté par MpM, le 16 mai 2020


Ce qui nous manque du Festival de Cannes, c'est l'effervescence des séances qui s'enchaînent ; les montagnes russes émotionnelles ; les flots d'images qui reviennent nous hanter pendant les nuits trop courtes ; les retrouvailles, avec les cinéastes qu'on aime comme avec de vieux copains que l'on ne croise qu'une fois par an sur la Croisette, ou encore  l'impression d'être exactement à sa place, au coeur de la petite planète cinéphile, celle qui est capable de passer moins de temps à dormir qu'à faire la queue pour une projection d'un film d'Apichatpong Weerasethakul. Mais ce qui est chaque année le plus marquant, ce sont bien sûr les découvertes et les rencontres, ces moments où l'on croise un film, une mise en scène, un geste de cinéma que l'on n'oubliera pas de sitôt.

Pour célébrer ces découvertes qui ne sont que partie remise, nous avons eu envie de revenir sur des découvertes très récentes, faites à Cannes ces dix dernières années. Et parce que le court métrage est le format privilégié pour ces premières fois, ce sont ainsi une douzaine de courts métrages que nous vous proposons de (re)découvrir, en quatre programmes (on ne se refait pas !) thématiques et évidemment subjectifs.

Pour ce premier rendez-vous, on est d'humeur romantique, avec un voyage en trois films dans le courant foisonnant des Amours possibles et impossibles, motifs évidemment récurrents du cinéma en général, et du format court en particulier.

Première étape, une rencontre incertaine dans l'ambiance nocturne et moite d'une station service grecque. Deux hommes qui se frôlent, leurs visages cadrés en gros plan envahissent l'écran. Deux inconnus qui se découvrent en quelques phrases à l'ironie décalée. Deux corps qui s'accrochent l'un à l'autre dans un plan final à la beauté magnétique et persistante. La distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos, amorce ténue et intimiste de romance pop à la sensibilité à fleur de peau, a reçu la Palme d'Or du meilleur court métrage lors de l'édition 2019 du Festival de Cannes.

On passe ensuite à un mélange de passion et de folie, grâce au très électrisant Tesla, Lumière mondiale de Matthew Rankin, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2017. Ce quasi biopic du scientifique Nicolas Tesla est traité avec une audace folle, entre hommage au cinéma d'avant garde et expérimentation pyrotechnique. On y découvre le fameux scientifique en proie à des crises presque mystiques (sa vision d'un monde réunifié par son invention à venir, l'électricité) en même temps qu'aux doutes les plus affreux (son mécène ne veut plus financer ses recherches), sans oublier une transe amoureuse irrésistible causée par... une pigeonne. C'est en apparence déconcertant, voire complètement délirant, et pourtant tout est parfaitement maîtrisé, visuellement passionnant, et surtout en exacte résonance avec certains épisodes de l'existence de Tesla.

Pour finir, notre voyage nous amène dans un univers dont toute ressemblance avec le nôtre n'est pas du tout fortuite, lors d'une Nuit des sacs plastiques signée Gabriel Harel (Quinzaine des Réalisateurs 2018). Pendant une soirée en apparence comme les autres, les emballages plastiques abandonnés dans la nature se rebellent contre l'être humain. On assiste alors à un véritable jeu de massacre, tandis que le personnage principal, Agathe, n'a qu'une obsession : tenter de reconquérir son ex, et surtout le convaincre de lui faire un enfant. Le contraste entre les motifs traditionnels du film de genre horrifique et l'interminable logorrhée de la jeune femme est une savoureuse démonstration d'humour noir qui propose en parallèle un sous-texte écologique plutôt flippant, l'Humanité se retrouvant plus ou moins condamnée à périr par le plastique, ou à fusionner avec lui.

Pour découvrir notre mini-programme en ligne :

La Distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos
Tesla, Lumière mondiale de Matthew Rankin
La Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel

Et pour prolonger le plaisir du court cannois, nous vous invitons à aller faire un tour sur le site Format Court, qui propose d'ici le 23 Mai 25 courts sélectionnés dans les différentes sections du Festival entre 1965 et 2017.

[We miss Cannes] Des Palmes d’or à succès

Posté par vincy, le 15 mai 2020

Depuis notre dernier pointage pour les 70 ans de Cannes, le box office français des Palmes d'or n'a pas beaucoup évolu.

Les plus grands succès restent anciens : Le troisième homme, Le salaire de la peur, Quand passent les cigognes sont les seuls films à avoir séduit plus de 5 millions de spectateurs.

Si on met la barre à 3 millions, on peut ajouter Le monde du silence, La loi du seigneur, Orfeu negro, Le Guépard, Un homme et une femme, M.A.S.H., et Apocalypse Now. Le nombre de gros succès a diminué depuis les années 1980.

Depuis La Leçon de Piano et Pulp Fiction (1993 et 1994 respectivement), seul un film (américain) a passé la barre des 2 millions d'entrées, le documentaire de Michael Moore, Fahrenheit 9/11.

Et depuis le début du millénaire, en plus de Fahrenheit 9/11, on compte désormais 5 millionnaires, "seulement": Dancer in the Dark, trois productions françaises (La vie d'Adèle, Entre les murs, Le Pianiste), et la Palme de l'an dernier, Parasite (1,88M d'entrées).

Il est indéniable que l'impact d'une Palme est moindre aujourd'hui, si on prend les données brutes. En moyenne, un film palmé attire deux fois moins de spectateurs qu'il y a 40 ans. Mais on peut aussi relativiser. Sans Palme, quel film suédois, japonais,  turc, chinois, serbe, danois, roumain ou thaïlandais aurait atteint les scores de The Square, Une affaire de famille, Winter Sleep, Adieu ma concubine, Papa est en voyage d'affaires, Pelle le Conquérant, 4 mois 3 semaines et 2 jours ou Oncle Boonmee ?

Grâce à une Palme d'or, des cinéastes comme Haneke, Loach, Moretti, Leigh ou Cantet ont élargi grandement leurs publics. Bien sûr il y a des contre-performances : Dheepan, qui fut le pire échec de Jacques Audiard, par exemple.

[We miss Cannes] 13 Palmes d’honneur

Posté par vincy, le 14 mai 2020

Depuis la Palme des palmes en 1997 pour Ingmar Bergman, le Festival de Cannes a couronné 12 autres artistes par une Palme d'honneur, dont 6 Français. Passage en revue avec un extrait de leur premier film présenté à Cannes (le deuxième pour Belmondo puisque son premier film cannois fut le même que celui de Jeanne Moreau). Certains sont très connus, d'autres beaucoup moins.

1997: Ingmar Bergman

2002: Woody Allen

2003 : Jeanne Moreau

2005 : Catherine Deneuve

2007 : Jane Fonda

2008 : Manoel de Oliveira

2009 : Clint Eastwood

2011 : Jean-Paul Belmondo

2011 : Bernardo Bertolucci

2015 : Agnès Varda

2016 : Jean-Pierre Léaud

2017 : Jeffrey Katzenberg

2019 : Alain Delon

Et si on regardait… La grande illusion

Posté par vincy, le 13 mai 2020

C'est au tour de France 3 de proposer du cinéma l'après-midi. La case sera réservée aux films de patrimoine. Ce mercredi 13 mai à 13h45, la chaîne proposera La grande illusion (1937), chef d'œuvre de Jean Renoir avec Jean Gabin, Pierre Fresnay et Erich von Stroheim.

Renoir a écrit le scénario avec Charles Spaak, l'un des plus grands scénaristes français, à qui l'on doit aussi La Kermesse héroïque, Thérèse Raquin et Cartouche. A deux ans de la seconde guerre mondiale, alors qu'Hitler commence à terroriser l'Europe, les deux auteurs livrent ici une œuvre profondément humaniste, un vibrant appel à la paix, à une possible amitié franco-allemande et à la fraternisation des peuples, transcendée par cette "Marseillaise" devenue hymne collectif à la libération des peuples.

Le film se déroule durant la première guerre mondiale, vingt ans plus tôt. L'avion du lieutenant Maréchal et du capitaine de Boëldieu est abattu par le commandant von Rauffenstein, un aristocrate connaissant par hasard la famille du capitaine de Boëldieu. Les deux officiers sont envoyés dans un camp en Allemagne. Les prisonniers de toutes nationalités et de toutes classes sociales cohabitent dans un quotidien peu optimiste. Les multiples tentatives d'évasion échouent. Les mois passent. Maréchal et Boëldieu sont transférés dans un camp en montagne, dirigé par von Rauffenstein, blessé et infirme depuis leur dernier rencontre. Une amitié ambivalente se noue entre les ennemis. Maréchal va tenter une ultime évasion vers la Suisse.

Aussi surprenant soit-il, ce film, considéré comme une référence par tous les grands cinéastes dans le monde (notamment Scorsese qui en a fait un de ses films de chevets), et cité parmi les meilleurs films du siècle, a pu être financé grâce au soutien de Jean Gabin, plus grande star française de l'époque. Imposé par la production, Erich von Stroheim, réalisateur réputé et acteur notoire, a contraint Renoir à étoffer son rôle.

Il faudra attendre 1958 pour voir La grande Illusion dans son intégralité. A sa sortie, on en avait coupé 18 minutes. Enorme succès au box office avec 6 millions d'entrées et autant lors de ses ressorties ultérieures. Mais pour Joseph Goebbels, le film était "l'ennemi cinématographique numéro un" et le dirigeant nazi a voulu en détruire toutes les copies. Le film fut d'ailleurs interdit durant toute l'Occupation de la France durant la seconde guerre mondiale. Il faut dire que les antisémites haïssaient la dernière partie du scénario où Maréchal se lie d'amitié avec un Juif, Rosenthal.

Cela rend le film d'autant plus intéressant, et légitime dans son propos. Mais c'est bien la mise en scène de Renoir, et ses magnifiques travellings, qui en fait un film majeur.

Film de guerre, film de prison, film d'hommes aussi. Film d'hiver et point de vue optimiste, film d'action captivant et aventure humaine (même captivée), La Grande illusion est surtout une galerie de portraits et une déclaration politique. Tout est clair, cadré, solide. Il y a une maîtrise du récit comme des enjeux qui en font une leçon de cinéma. Renoir ne laisse pas place à l'interprétation, jouant à la fois sur une théâtralité atemporelle et sur un réalisme universel. Le film n'a pas vieilli. Même son noir et blanc reste sublime et confère une forme de poésie visuelle.

Loin d'être classique, la mise en scène atteint un formalisme pur, où tout conduit de la guerre à l'amour, du conflit à la fraternité. Ce qui séduit le plus d'ailleurs est cette composition de visages, de tempéraments, de caractères formée par les prisonnier. C'est toute la beauté de cette Grande illusion: nous faire comprendre le message sans le souligner. Ici les murs sont multiples: culturels, patriotiques, sociaux. Cette "internationale" n'est plus liée à une fusion des nations mais bien à l'union des peuples. "C’est l’idée de frontière qu’il faut abolir pour détruire l’esprit de Babel et réconcilier les hommes que séparera toujours cependant leur naissance" écrivait François Truffaut.

Car on ne retient finalement que l'humanité qui se dégage de tout le récit.

[We miss Cannes] 1968, la dernière fois que Cannes n’a pas eu lieu (ou presque)

Posté par vincy, le 13 mai 2020

Cannes a tout évité sauf la seconde guerre mondiale, l'après guerre et mai 68. 1968: Nixon est élu président des Etats-Unis, papa Trudeau est devenu Premier Ministre du Canada, le printemps est sanglant à Prague, Bobby Kennedy est assassiné, la France de De Gaulle gronde et cherche la plage sous les pavés. Les facs sont occupées. L'essence se raréfie.

Le Festival de Cannes va en faire les frais. Cette année-là, il débute le 10 mai. Après cinq jours de bronca estudiantine, de séances malmenées, de cinéastes accrochés aux rideaux, de réalisateurs devenus tribuns politiques dans des meetings improvisés, il s'interrompt le 19 mai. 8 films de la compétition - seulement - ont été projetés. En 68, on projetait Autant en emporte le vent (en 70mm stereo). Ce fut autant en emporte les films. Une vraie guerre de sécession.

Tous se révoltent contre la décision de Malraux, ministre de la culture, de démettre Henri Langlois de son poste de directeur de la Cinémathèque. En plein tournage de Baisers volés, François Truffaut débarque le 18 mai. Redoutable, Godard est déjà vent debout. Louis Malle, Monica Vitti et Roman Polanski démissionnent du jury, Resnais, Saura, Forman retirent leurs films. Pendant ce temps, le public local conspue le cirque de ces artistes d'ailleurs. On en vient aux mains. Enervement général. Fin de party. Cannes se vide cinq jours avant son palmarès.

Lire le récit de Cannes 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Le 21e festival international du film était un champ de bataille où les films ont été les premières victimes. De là naitra la Quinzaine des réalisateurs, l'année suivante. On redécouvrira au fil des années, à Cannes Classics, certains des films en version restaurée dont Peppermint frappé de Carlos Saura et Un jour parmi tant d'autres de Peter Collinson.

De cette sélection, peu de films ont traversé les décennies. Comme s'ils avaient été oubliés. Il y avait une réalisation du comédien Albert Finney, Charlie Bubbles, un Fellini, Il ne faut jamais parier sa tête avec de Diable, un Resnais, Je t'aime je t'aime, un Malle, William Wilson... C'est finalement celui au titre prémonitoire, Au feu les pompiers, de Milos Forman, qui reste le plus connu encore aujourd'hui.

Mais sinon, les grands films de cette année là - 2001 L’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick), Rosemary’s baby (Roman Polanski), Butch Cassidy et le kid (George Roy Hill), Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone), The Party (Blake Edwards), La mariée était en noir (François Truffaut) - étaient absents de la sélection.

Une compétition dans l'air du temps

Cependant, Cannes était une belle vitrine du cinéma de l'époque. Parmi les cinéastes marquants étaient sélectionnés Valerio Zurlini, Lion d'or six ans plus tôt, Carlo Lizzani, à qui l'on doit Riz amer, Miklos Jancso, doublement sélectionné et prix de la mise en scène quatre ans plus tard, Jiri Menzel, oscarisé en 66 et futur Ours d'or en 1990, Menahem Golan, toujours réalisateur israélien à l'époque avant de devenir producteur de blockbusters hollywoodiens, Jack Cardiff, immense chef opérateur, Kaneto Shinto, scénariste de Kenji Mizoguchi entre autres.

Cannes avait aussi sélectionné des films populaires comme Anna Karenine d'Alexandre Zarkhi, Trois petits tours et puis s'en vont de Clive Donner, Petulia de Richard Lester, Grand prix cannois (pas encore nommé Palme d'or), trois ans auparavant.

Gilles Jacob expliquait sur cette édition si particulière : "La France s'arrêtait, c'était normal que le Festival s'arrête. J'étais jeune journaliste et sur le moment on voulait que le Festival se termine parce que ça faisait bizarre d'arrêter tout. Des films étaient projetés, d'autres pas, pas de palmarès... c'était une année boiteuse. Mais il s'était passé tellement de choses cette année-là, historiquement, que l'on pardonne."

Quatre mois plus tard, Venise frappait quand même très fort avec Faces de John Cassavetes, L'enfance nue de Maurice Pialat, Partner de Bernardo Bertolucci, Sept jours ailleurs de Marin Karmitz, Théorème de Pier Paolo Pasolini et un autre film de Carlos Saura, Stress es tres, tres.

[We miss Cannes] Le Festival de Cannes 2020 sera hors-les-murs

Posté par kristofy, le 12 mai 2020

Le Festival de Cannes 2020 devait commencer aujourd'hui. Ensoleillé, avec quelques nuages, et une température plutôt fraîche pour la saison. Pas de badge à retirer. Pas de projos à caler. Cette année, Cannes sera effacé du calendrier, ou presque. Pas facile de respecter la distanciation sociale dans un festival où on est 600, 1000, 2000 dans une salles. Entassés dans les soirées sur la plage (et comment boire un cocktail avec un masque?). Croisant des milliers de gens du monde entier sur la Croisette. Cannes c'est un rendez-vous où la socialisation est essentielle.

Plus fort que la menace terroriste, le Sars en 2003 ou un volcan islandais en 2010, le coronavirus du moment empêche ce rendez-vous annuel : « Quand la crise sanitaire, dont la résolution reste la priorité de tous, sera passée, il faudra redire et démontrer l’importance et la place que le cinéma, ses œuvres, ses artistes, ses professionnels et ses salles et leurs publics occupent dans nos vies. C’est à cela que le Festival de Cannes entend contribuer...» a rappelé Thierry Frémaux.

Calendrier bousculé

Pas de crise d'égo. Certes Cannes manquera aux journalistes et critiques (pas forcément pour les mêmes raisons). Mais on a surtout un pincement au cœur pour les primo-cinéastes, pour les auteurs dont le festival est la seule garantie de se distinguer au marché et dans les médias, pour ces artistes et producteurs d'un film fragile venu d'un pays où le 7e art est rare. Pas de montée des marches donc pour les équipes de films en compétition, certains titres qui sont évidemment les plus attendus de l'année ont déjà décalé leur sortie en salles de plusieurs mois (pour cet automne, voire pour le prochain festival de Cannes en 2021). L'édition de 2021 devra aussi évoluer si le virus, ou un autre, traîne toujours. Du gel hydroalcoolique, de l'espace entre les fauteuils, des masques, sans compter de nombreux étrangers qui ne se déplaceront pas (outre la crise sanitaire, la crise économique risque de fragiliser l'industrie comme les médias).

Il n'y aura pas de Palme d'or, de palmarès cette année, aucun engouement pour un film inattendu, aucune bousculade pour voir des stars, pas de Top Cruise ni de Soul de Pixar. Mais en cette période de mai , profitons en pour revoir des films qui ont brillé à Cannes les précédentes années, en dvd ou vod où à la télévision (Arte a prévu une programmation spéciale pour les trois prochaines semaines).

Cependant le festival de Cannes 2020 n'est pas abandonné pour autant :  l'événement va prendra la forme de plusieurs rendez-vous durant les mois à venir.

Cannes 2020 - hors les murs :

- Fin mai: "We are One : A global film festival", initié par le Festival de Tribeca, lui-même annulé, et qui propose aux internautes de la planète de se retrouver du 29 mai au 7 juin prochains sur la plateforme Youtube, partenaire du rendez-vous. Cannes rejoint ainsi les festivals d'Annecy, Berlin, Londres, Cannes, Guadalajara, Locarno, Macao, Jérusalem, Mumbai, Karlovy Vary, Marrakech, New York, San Sebastian, Sarajevo, Sundance, Sydney, Tokyo, Toronto, Tribeca et Venise.

- Début juin : Cannes va annoncer une liste de films qui aurait été sélectionnés dans une section ou une autre. Ceux-ci pourront bénéficier d'un label 'Cannes 2020' pour leur promotion. On sait déjà que The French Dispatch de Wes Anderson, Tre Pianni de Nanni Moretti et Benedetta de Paul Verhoeven en font partie, comme l'a dévoilé Thierry Frémaux dans L'Obs ce week-end. On se doute que les blockbusters américains n'en auront pas besoin. On peut regretter que le nouveau Spike Lee (président du jury cette année), diffusé en juin sur Netflix et programmé hors compétition, s'en passera. Mais on sait aussi que tous les films qui sont prêts à aller à Venise ou qui préfèrent attendre un an pour une projection cannoise en mai 2021 n'y seront pas. Ce sera donc une sélection de sélection.

- 22-26 juin: Le marché du film a lieu en mode virtuel, avec des stands et des pavillons virtuels, des réunions vidéo grâce à l’application Match&Meet, des projections sur Cinando, et des conférences transposées dans l’espace numérique.

- Août/septembre/octobre : Si les diverses conditions sont réunies (sanitaires, gouvernementales, et économiques...), Cannes marquera le coup à travers des séances autour de ses films "labellisés" dans différents festivals : le festival du film francophone d'Angoulême, le festival du cinéma américain de Deauville, le festival Lumière de Lyon, Toronto au Canada, San Sebastian en Espagne, Busan en Corée du sud, New York aux USA.

Et puis il y a le cas de Venise: "La question de repousser Cannes en septembre se posait mais nous n’allions pas nous installer aux dates de la Mostra. Du coup, on parle de se retrouver tous ensemble au Lido, au nom du cinéma mondial, faire des événements, défendre les mêmes films. A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle" explique Thierry Frémaux à l'Obs, précisant: "Il serait normal qu’un film « cannois » préfère se concentrer sur la compétition de Venise, si la Mostra a lieu. S’il est possible de leur attribuer un double soutien de Cannes et de Venise, on procédera ainsi."

Les films labellisé "Cannes 2020" pourraient ainsi être présentés selon un calendrier cohérent. C'était déjà entendu que Angoulême montrerait The French Dispatch de Wes Anderson, où le film s'est tourné, et que Lyon célébrerait le 20ème anniversaire de In the Mood for Love de Wong Kar-wai, prévu parmi les événements de Cannes 2020.

-Automne/hiver/printemps 2021 : Certains des films avec un label 'Cannes 2020' préparent leur sortie (reportée) dans les salles de cinéma. mais aussi, plus tard dans l'année, Buenos Aires, Bucarest et Hong Kong où le festival est déjà présent à travers une manifestation cannoise hors-les-murs. Sans oublier des événements possibles en avant-premières dans les salles.

- Mai 2021 : le Festival de Cannes tel qu'on le connaît aura lieu comme presque avant. Le président du jury pourrait être Spike Lee. Un film en compétition est déjà connu (après une annonce de son producteur d'une sortie reportée d'un an pour Cannes 21) : Benedetta de Paul Verhoeven avec en vedette Virginie Efira (aussi Lambert Wilson, Charlotte Rampling). D'ici là le réalisateur néerlandais s'attaquera à une adaptation en série de Bel-ami de Maupassant.

Il y aura sans doute moins de films puisque les tournages ne reprennent que très lentement un peu partout dans le monde et que le problème des assurances liées aux Covid-19 n'est pas réglé pour les productions.

"Une grande partie de la production 2020 a décidé d’attendre 2021 pour la sortie ou même pour la sélection cannoise. Donc, entre ceux qui étaient presque prêts, ceux qui vont se tourner si tout va bien […] entre septembre et mois d’avril, plus évidemment ceux qui venaient de 2020, oui on aura la matière" a confirmé Thierry Frémaux ce matin sur RTL.

Et si on binge-watchait… Hollywood

Posté par vincy, le 11 mai 2020

En attendant le retour des films en salles, la rédaction d’Ecran Noir vous recommande régulièrement un programme à visionner en streaming. Aujourd’hui, on vous emmène à Hollywood, dans les années 1950, à l'âge d'or des studios, avec la nouvelle série de Ryan Murphy diffusée sur Netflix.

Le pitch: À Los Angeles, quelque temps après la Seconde Guerre mondiale, des aspirants acteurs, scénariste et réalisateur sont prêts à tout pour démarrer une carrière dans l'industrie cinématographique. En plein âge d'or hollywoodien, ils vont découvrir les coulisses d'une industrie remplie d'inégalités notamment envers les personnes de couleur, les femmes ou les homosexuels… Ils vont donc devoir se battre pour réaliser leurs rêves.

Ryan Murphy, prince de Bel-Air. Il est sans aucun doute l'un des showrunners les plus en vogue de ces vingt dernoires années avec les séries Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, Pose et, l'an dernier The Politician. Hollywood est de loin la plus classieuse de tous. Et une fois de plus ses thèmes de prédilection - la tolérance, l'antiracisme, l'homosexualité - se retrouvent dans cette série de 8 épisodes d'un peu moins d'une heure. Critique de la norme et ode à la diversité, Hollywood met en lumière des femmes, afro-américains, asiatiques, seniors, gays (refoulés ou assumés), gigolos, métis, face à un patriarcat assez réac et peu reluisant. Nus ou en slip, imitant Isadora Duncan ou s'envoyant en l'air avec une ex-vedette des twenties, les autres mâles exposent pourtant davantage leurs failles que leur corps. Murphy continue d'explorer la vulnérabilité des victimes de la norme et en fait un défilé de carnaval où il donne le beau rôle à ceux qu'on conspue ou qu'on juge, surtout à l'époque.

Une utopie antihistorique. Car l'intérêt d'Hollywood est ailleurs. Si Murphy cible explicitement le public LGBT et féminin, il universalise son propos avec une histoire de pouvoir dans l'industrie cinématographique. Certes, dans ces fifties, ce n'est pas Dreamland pour ces personnages marginaux et ces lieux interlopes pour invertis (c'est une forme d'histoire du Los Angeles gay qu'il esquisse ici). Même si tout finit bien (trop bien, mais c'est le propre d'Hollywood: on change les tragédies en love story, les échecs en succès, les illusions en mirages). Il y a du coup un double utopie: la première, sous couvert de ses bonnes intentions, est de faire croire que des minorités méprisées durant un siècle et des poussières peuvent rétroactivement et par cette fiction retrouver une part de gloire, redevenir visible, prendre leur revanche sur la réalité historique en transformant cette même réalité. C'est le principe d'Inglourious Basterds et de Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino: on refait le match.

Voyage dans l'âge d'or des studios. La deuxième utopie est plus cynique. Dans une belle esthétique à la fois art-déco et baroque des années 1950, la série montre comment fonctionnait Hollywood à l'époque, avec ses acteurs et techniciens sous contrats, le racisme ordinaire, la misogynie, l'homophobie, mais aussi le formatage et le contrôle des comédiens. Ryan Murphy s'en prend pourtant davantage au système hollywoodien contemporain. Ironique de la part d'un "talent" qui doit tout à Hollywood (enfin à Netflix surtout). Il ne critique pas le processus de création d'Hollywood, d'ailleurs. Il assume même parfaitement le "soft power" de l'industrie, l'impérialisme des patrons de studios, la puissance des agents, le nombre de produits de divertissements balancés pour faire du cash. Tout juste dégomme-t-il l'ingérence des avocats.

Au total, ces deux utopies forgent l'intérêt d'Hollywood. "Et si...?" Et si on avait produit un film avec une actrice noire, une actrice d'origine asiatique, un scénariste noir et gay, un réalisateur métis, une actrice un peu ridée... Et si les studios avaient fait ce qu'ils font depuis quelques années, c'est-à-dire, lancer des films écrits, réalisés, interprétés par tous les visages de l'Amérique et pas seulement des blancs. Selon la théorie de Murphy, Hollywood en aurait été changé. Et la société américaine, de facto, aussi. Mais, l'Histoire n'est pas vraiment celle-là.

Inexactitudes mais inégalités réelles. Certes, il y a eu un précédent:  l'Oscar pour Hattie McDaniel (la mama dans Autant en emporte le vent, qu'on voit ici raconter la cérémonie de 1940), qui fut la première interprète noire à être nommée (et à avoir gagné). Sinon il faudra attendre 1958 pour avoir un acteur noir en tête d'affiche et nommé à l'Oscar (Sidney Poitier) et 1954 pour une actrice nommée à l'Oscar d'interprétation féminine (Dorothy Dandridge), avant un grand vide jusqu'aux années 1970. Et pour les autres catégories, il n'y aura aucun noir avant les années 1960. L'immense star Yul Brynner, en 1956, fut le premier interprète d'origine asiatique oscarisé. Côté LGBT, même si certains se cachaient, les interprètes, scénaristes ou cinéastes furent plus chanceux, et ce dans toutes les catégories, y compris Rock Hudson, George Cukor et Noel Coward, tous présents dans la série.

Aussi, ce qu'Hollywood raconte est un peu exagéré historiquement. Le système avait déjà intégré les minorités dans ses productions. En fait, Ryan Murphy a imaginé avant tout un plaidoyer où celles-ci, victimes de la haine comme du harcèlement sexuel, prendraient le pouvoir: des femmes d'un certain âge aux homos. En cela c'est bien queer. La série est un combat contre la haine, ses injustices et ses inégalités, avec une élégance séduisante et un scénario de sitcom/soap opéra jubilatoire.

Un casting entre fiction et personnages réels. On peut toujours hurler aux stéréotypes, il n'empêche: on a découvert en voyant la série des acteurs formidables, beaux et attachants (par l'écriture de leur rôle). David Corenswet en acteur qui monte, Darren Criss en réalisateur déterminé, Laura Harrier en comédienne ambitieuse, Jeremy Pope en scénariste doué, Samara Weaving en héritière qui cherche sa place sont de belles révélations. A leurs côtés, il y a des vétérans, excellents, comme Joe Mantello en sublime directeur de production incorruptible et malheureux, Holland Taylor en fabuleuse directrice d'acteurs et d'actrices, Dylan McDermott en génial maquereau au grand cœur, Mira Sorvino, ex-oscarisée dans les années 1990, et ici en actrice vieillissante sur le retour, Maude Apatow (fille de Judd), en épouse pas comblée, le réalisateur Rob Reiner en patron de studio, et son épouse dans la fiction, Patti LuPone, star de Broadway et volant toutes les scènes où elle passe.

Mais le plus drôle est évidemment de ressortir des cadavres exquis, des personnages ayant vraiment existé: Vivien Leigh (Katie McGuinness), Anna May Wong (Michelle Krusiec), Tallulah Bankhead (Paget Brewster), George Cukor (Daniel London), Noel Coward (Billy Boyd), Hattie McDaniel (Queen Latifah) et Eleanor Roosevelt (Harriet Sansom Harris). Ceux qui fontt le lien entre la fiction - la troupe de jeunes talents en devenir - et le réel, c'est Rock Hudson, incarné par Jake Picking et Jim Parsons, en Harry Willson, son agent manipulateur et réel agent artistique de Hudson. Once upon a Time in Queer Hollywood.

Et si on regardait… les films primés aux prix David di Donatello

Posté par vincy, le 10 mai 2020

Vendredi soir, l'Italie célébrait son cinéma avec ses César, les Donatello. Une manière de se réconforter alors que le pays a subit plus de 30000 décès liés a Covid-19. Le cinéma italien avait vécu l'une de ses plus belles années en 2019.

Le traitre. En vidéo à la demande. Injustement oublié au palmarès cannois l'an dernier, le drame de Marco Bellocchio a raflé les prix du meilleur film, réalisateur, scénario, acteur (Pierfrancisco Favino), second-rôle masculin, (Luigi Lo Cascio) et montage. Autant dire que le film est reparti grand vainqueur de la soirée.

Martin Eden. Récompensé à Venise avec le prix du meilleur acteur, le film a reçu le prix du meilleur scénario adapté, mérité tant le travail de transposition du roman de Jack London est impressionnant.

Il primo re. Prix de la meilleure production, de la meilleure image et du meilleur son, le film de Matteo Rovere, sur les origines de Rome et en latin, est disponible sur OCS depuis le 4 mai.

5 est le numéro parfait. Ce thriller / film noir d'Igort a valu à Valeria Golino son 3e Donatello (sur 22 nominations toutes catégories confondues). Elle était aussi nommée en tant que meilleure actrice pour Tutto il mio folle amore. Adapté de la BD du réalisateur, avec Toni Servillo dans le rôle d'un tueur à gage décidé à tout flinguer, le film est disponible en vidéo à la demande.

Pinocchio de Matteo Garrone est reparti avec les prix des meilleurs décors, costumes, effets spéciaux, coiffures et maquillages. Le film devait sortir en salles en France. On ne peut finalement le voir que sur Amazon Prime Video.

Quelques film lauréats ne sont pas encore visibles. Bangla de Phaim Bhuiyan, prix du meilleur nouveau réalisateur. Le film est sorti en janvier en France. Et La dea fortuna de Ferzan Ozpetek. Jasmine Trinca a remporté son 2e Donatello de la meilleure actrice. Le film a aussi été récompensé pour la chanson originale. Pas de sortie prévue en France pour l'instant. On ne peut pas non plus voir Inverno, de Giulio Mastromauro, prix du meilleur court métrage, Mio fratello rincorre i dinosauri, de Stefano Cipani, Prix de la jeunesse ou Il primo Natale, de Ficarra et Picone, Prix du public.

Enfin, Parasite, prix du Meilleur film étranger. Plus besoin de vous présenter la Palme d'or. Visible en vidéo à la demande évidemment. Le film aura décidément tout rafler cette année dans le monde entier.

Et si on regardait… Popeye

Posté par vincy, le 9 mai 2020

Pendant tout le confinement, MK2 a lancé MK2 Curiosity, de loin l'une des meilleures initiatives durant cette période. Chaque mercredi en partenariat avec Lobster et l'agence du Court-métrage, le groupe propose "des trésors, raretés et bizarreries indispensables de l’histoire du cinéma mondial". Entre Truffaut, Varda, Kiarostami et Salles, il y en a pour tous les curieux.

Cette semaine, jusqu'à mercredi donc, c'est Popeye qui à l'honneur. De quoi redonner goût aux épinards. A plus de 90 ans le marin bien musclé et assez renfrogné est la vedette de plusieurs courts métrages animés de Dave Fleischer, avec Aladdin, Sinbad, Ali Baba... Tout un monde de contes et légendes revisités au goût de l'animation des années 1930.

Popeye était un comic-strip de E. C. Segar, et est apparu pour la première fois en 1929. Véritable héros d'aventures, il est rapidement adapté par les studios Fleischer en dessin animé. Désormais dans le domaine public, Popeye a traversé les décennies aussi bien sous forme de strip (jusqu'en 1992), qu'en transpositions éditoriales (chez Futuropolis en France) et en courts métrages (de 1933 à 1957, 230 films). Robert Altman l'a même adapté au cinéma en 1980, avec un quasi inconnu dans le rôle: Robin Williams.

Et si on regardait… Nous nous sommes tant aimés

Posté par vincy, le 8 mai 2020

Le film d'Ettore Scola, Nous nous sommes tant aimés (1974), était le choix du cinéclub de La Cinetek cette semaine, avec Michel Hazanavicius et Cédric Klapisch en présentateurs. Et en ces temps de confinement, un petit détour à Rome ne peut faire que du bien.

César du meilleur film étranger en 1977, cette fresque qui s'étend de la fin de la seconde guerre mondiale au début des années 1970, suit trois amis unis dans la Résistance, Gianni (Vittorio Gassman), Nicola (Stefano Satta Flores) et Antonio (Nino Manfredi). Utopistes, activistes, révolutionnaires dans l'âme, ils rêvent d'une Italie juste et libre. Luciana (Stefania Sandrelli), comédienne en devenir, croise alors Nicola, brancardier, avant de tomber amoureuse de Gianni, avocat, qui la quitte pour un bon parti, puis de se consoler auprès d'Antonio, enseignant. Le destin va les séparer, parfois le hasard provoquera leurs retrouvailles. Mais au fil des décennies, leur amitié se délite jusqu'à s'apercevoir que "le futur est passé" et qu'ils n'ont pas changé le monde, alors que le monde les a changés.

Un hommage au cinéma. Une archive avec Vittorio de Sica  (à qui le film est dédié) racontant une anecdote du Voleur de Bicyclette, une reconstitution du tournage de La dolce vita, avec Federico Fellini et Marcello Mastroianni en personne, une reprise du Cuirassé Potemkine et un clin d'oeil à des films comme Vacances romaines, Partie de campagne, La Porte du ciel, Mademoiselle Julie, L'Année dernière à Marienbad et L'Éclipse, avec l'incommunicabilité du couple de Gianni et Elide (Giovanna Ralli). Le cinéma est omniprésent dans le film. On se dispute entre réacs et progressistes sur le néo-réalisme, on étale sa cinéphilie dans un jeu télévisé ou on imite les soliloques intérieurs de Monica Vitti. Ettore Scola fait une véritable déclaration d'amour au 7e art.

Un film très politique. Amoureux du cinéma, Ettore Scola a d'abord écrit un magnifique scénario, très subtil, très riche, où se confrontent à la fois les contradictions et faiblesses humaines et l'histoire politique d'un pays, le regard aiguisé sur les classes sociales et l'observation des idéaux face à la réalité. Il y a les riches et les prolos de la classe moyenne, ceux qui doivent faire le pied de grue toute une nuit devant une école pour inscrire leur enfant. C'est une succession d'injustices et de souffrances intimes, allant de la solitude à l'humiliation. Si on devait faire écho à notre époque, on pourrait aussi dire que ces trois amis représentent trois gauches politiques: celui qui devient libéral, Gianni, celui qui reste insoumis, Antonio, et celui qui met de l'eau dans son idéal rouge tout en continuant de protester, Nicola. Cela donne une bataille de garçons après une soirée bien arrosée: trois hommes qui avaient les mêmes idées et qui se battent pour des détails, trois gauches qui, désunies, laissent les dominants au pouvoir.

Des audaces cinématographiques. Derrière ce récit à plusieurs lectures, soit le décryptage de l'Italie d'après guerre comme la déliquescence de l'amitié au fil du temps, Ettore Scola se fait plaisir avec plusieurs partis pris de mise en scène pour ce film proustien. D'abord cette première partie du film en noir et blanc, représentant le passé, l'époque pré-moderne de l'Italie, qui vire progressivement à la couleur avec une transition subtile autour d'une madone peinte sur le sol en bitume. Et puis il y a cette pièce de théâtre de O'Neil que Nicola et Luciana vont voir: un personnage qui évoque sa pensée intérieur est éclairé tandis que les autres sont plongés dans l'obscurité et Scola reprend le procédé pour son film. Tout comme lors d'une conversation téléphonique à distance, il reprend un procédé théâtral où il met en lumière le correspondant avant de le renvoyer dans les ténèbres. Ce jeu d'apparition et de disparition atteint son summum dans la plus belle scène du film où Eliade apparaît fantômatique et sublimée au volant de sa voiture pour parler à son mari.

Il utilise tous les artifices narratifs possibles: des personnages qui prennent le spectateur à témoin en parlant à la caméra, inspiré de la Nouvelle vague, la répétition de la scène du générique, les références aux Trois mousquetaires de Dumas, le burlesque à la tati (les fauteuils modernes et grotesques du future beau-père) ou encore de multiples ellipses. Parfois la mise en scène se fait voyante, mais elle est toujours surprenante, d'une exquise liberté qui nous emballe de bout en bout.

Un récit sur les désillusions du temps. Le film est évidemment teinté d'amertume et de nostalgie. Le titre Nous nous sommes tant aimés signifie tout. Nous nous sommes tant aimé ô cinéma italien, nous nous sommes tant aimés ô amis du maquis, nous nous sommes tant aimés ô femmes belles et folles, nous nous sommes tant aimés ô idéaux progressistes. De l'allégresse de la victoire contre le fascisme aux années 1970 en plein chaos (années de plomb, crise pétrolière), Ettore Scola raconte le désenchantement d'une génération, les regrets d'une révolution qui n'a jamais eu lieu, la mélancolie es amours et des amitiés qui se sont évaporés. Les liens se relâchés jusqu'à les séparer. Les choix se sont avérés mauvais ou regrettables jusqu'à ne plus pouvoir rien réparer. Les idéaux ont été sacrifiés par pragmatisme ou fatigue jusqu'à les égarer.

C'est toute la beauté de ce film : nous faire vivre les itinéraires de chacun sans qu'on ait à les juger. Du rire aux larmes, cette œuvre fascinante nous emporte dans un tourbillon de la vie. Avec cette dose de fatalité. A la recherche de ce temps perdus, Gianni, Nicola, Antonio et les autres nous rappellent que le vrai combat est bien celui d'aimer au présent.