Après l’océan… ou le rêve avorté

Posté par Morgane, le 6 juillet 2009

apreslocean.jpg« - Toi, tu penses qu’on peut être Marilyn Monroe et Carl Lewis en bas et que ça passe »

L’Histoire : Shad et Otho, deux amis venus d’Abidjan, sont en Espagne où ils « se cherchent ». Ils rêvent de revenir en bienfaiteurs, en héros chez eux. Mais une descente de police musclée les sépare. Otho, reconduit à la frontière, rentre dans son pays sans rien. Pour son entourage déçu, c’est un maudit. Shad échappe à la police. Il poursuit son aventure « en cascadeur » à travers l’Europe.

Ce qu’on en pense : Silhouettes noires sur désert orangé, le film s’ouvre sur une scène à l’image d’un film animé de Michel Ocelot. Les deux silhouettes sont celles d’Otho et Shad, ivoiriens venus en Espagne chercher la fortune et se chercher eux-mêmes. Mais la police les sépare. L’un retourne à Abidjan tandis que l’autre continue son périple à travers l’Europe.

Les deux destins s’éloignent mais se ressemblent. Otho, de retour au pays, est considéré comme un maudit auquel l’Europe n’a pas ouvert les bras. Shad, lui, continue sa conquête du vieux continent mais celle-ci n’est pas aussi rose que dans les contes et son imaginaire ne lui traçait pas le chemin qu’il sera forcé d’emprunter.

Dans Après l’océan, ce sont deux visions du monde qui s’affrontent, deux cultures qui essaient de (co)exister. Le film soulève de nombreuses questions intéressantes (immigration, homosexualité, mariage blanc etc.) s’attardant principalement sur la notion d’Eldorado que représente l’Europe. Le discours d’Otho donne alors à réfléchir. De retour en Côte d’Ivoire, il souhaite vivement que les habitants de son village créent et arrêtent d’importer et d’imiter ce qui vient d’ailleurs. Il désire éviter les pièges de la grande machinerie du Nord et a toujours, comme il le dit, « une petite anticipation sur la globalité des choses ». Même si le film ne donne pas véritablement de réponse, et finalement tant mieux, la question est posée et le débat lancé.

La caméra fait de nombreux allers-retours, passant d’un continent à l’autre. S’en ressent alors quelques longueurs. Néanmoins, la musique (Tiken Jah Fakoly, la chorale Ste Catherine, les Go de Koteba etc.) qui berce le film séduit le spectateur. Ce dernier se laisse porter ne sachant pas toujours quoi penser de ce film qui, mélangeant clichés et réalité(s), bute sur une fin des plus paradoxales.

Poitiers : des nouvelles d’Afrique

Posté par MpM, le 12 décembre 2008

Où sont-ilsDepuis quelques années déjà, l’Afrique semble le continent oublié (négligé ?) des grandes compétitions internationales. Alors que l’Asie et l’Amérique latine sont tour à tour les chouchous des comités de sélection, l’Afrique, elle, passe systématiquement son tour. Kini et Adams d'Idrissa Ouedraogo, le dernier film africain à avoir été présenté en compétition à Cannes, remonte déjà à 1997 ! Une des excuses souvent avancée pour justifier cette absence est le fait que le continent tourne peu. Or, rien qu’à Nollywood, l’équivalent nigérian d’Hollywood, il se produit chaque année quelque 1200 films. Et les écoles fleurissent sur le continent, du Maroc à la Tunisie, du Ghana au Burkina Faso, du Bénin à l’Afrique du Sud.

D’où ce focus sur l’Ecole africaine organisé par les Rencontres Henri Langlois, avec preuve par l’image que le cinéma africain existe et mérite d’être montré. En 6 longs métrages et 14 courts, les festivaliers ont ainsi la possibilité de se faire une idée plus précise du dynamisme et de la créativité de ses cinéastes, ainsi que de ce qui les préoccupe. Sur l’échantillon des films d’école présentés à Poitiers, on compte notamment une large part de documentaires et de fictions réalistes, inspirées de faits réels, qui confirment le pouvoir de témoignage, voire de dénonciation, conféré au cinéma par les jeunes générations. Au Maroc, Alaa Eddine Aljem critique les rituels ancestraux liés au mariage. Au Sénégal, Fabacary Assymby Coly et Angèle Diabang Brener interrogent la "douleur de l’exil" en rencontrant deux opposants politiques haïtiens exilés depuis quarante ans. Au Ghana, Afeafa Nfojoh dénonce l’esclavage moderne de la pratique Trokosi qui consiste à donner ses filles au prêtre du village pour expier les pêchés de la famille.

Les jeunes cinéastes compensent le manque de moyens techniques et d’expérience par une vitalité d’esprit et une audace qui forcent le respect. D’accord, les jeunes actrices d’Ezanetor, le court métrage d’Afeafa Nfojoh, ont un jeu outré, mais en dépit de ses innombrables maladresses, le film sensibilise le public au problème du Trokosi et n’hésite pas à dénoncer la complicité passive de la société. Entre les mains de tels cinéastes, le cinéma redevient mode d’expression, vecteur de prise de conscience et moteur d’action collective.

Son pouvoir de divertissement n’en est d’ailleurs pas pour autant nié, comme le prouve le très réussi Où sont-ils de Kossa Lelly Anité, ou la quête impossible de Lelly, jeune cinéaste du Burkina Faso, désireuse de rencontrer le "Belge typique". A la fois réflexion sur l’identité (construite, innée, revendiquée, héritée, acquise…) et déambulation pleine d’humour dans le Bruxelles contemporain, ce documentaire réconcilie un cinéma africain qui serait irrémédiablement lié aux traumatismes du passé avec un cinéma occidental forcément détenteur de la modernité et du savoir-faire. Logique, puisque le film est le résultat d’une collaboration entre Belgique et Burkina Faso, donnant un aperçu très prometteur de ce que pourrait être une telle collaboration à grande échelle.

Faro la reine des eaux : le poids des traditions

Posté par geoffroy, le 27 octobre 2008

faro.jpgSynopsis: Zan, enfant adultérin, retourne dans son village, plusieurs années après en avoir été chassé, afin de découvrir qui est son père. Son arrivée coïncide avec les brusques mouvements de Faro, l'esprit du fleuve, manifestations interprétées comme un signe de colère liée à l'arrivée du bâtard.

Notre avis: Le premier long métrage du malien Salif Traoré a les qualités de ses défauts. Film contemplatif qui prend le temps de filmer une nature imposant sa loi, cette plongée dans un village où rien ne semble changer demeure néanmoins sincère dans son approche. Coécrit avec Olivier Lorelle (scénariste d’Indigènes 2006), le scénario vise à confronter dans la constance des traditions un autre africain, venu de la ville, représentant la modernité et le monde extérieur. Malgré la rudesse des hommes du village, Zan, fils illégitime chassé jadis pour ce qu’il représente ne revient pas pour bouleverser une hiérarchie ancestrale mais plutôt pour amener une prise de conscience. Il veut influencer par son pragmatisme un village réfractaire à tout changement. Le réalisme du premier se verra opposer la dimension spirituelle d’une communauté phallocratique arc-boutée sur des rapports sociaux archaïques. Si deux Afrique se rencontrent, elles ne feront que s’observer. L’électrochoc d’une telle confrontation tombe à l’eau, le réalisateur n’arrivant pas suffisamment à bousculer une narration pourtant très thématique.

L’entrelacement entre modernité et tradition se fait dans la langueur d’un fleuve aux remous bien trop imaginaires. Filmé avec sobriété et sens du cadrage – les plans visages sont remarquables d’intensité – nous nous laissons embarquer dans un rythme peu prégnant dont le classicisme d’école n’arrive jamais à se départir d’un décor pesant, étouffant, réducteur. Rudes et serrés les silences s’accordent à la nature et se laissent guider par des lois divines qu’il ne faut pas contredire. Parfois proche du documentaire, la fiction imaginée par Traoré tarde à prendre son envol. Classique, son cinéma en deviendrait presque obsolète à trop vouloir se laisser bercer par la rive d’un fleuve capricieux. Si par moment le cinéaste esquisse une révolte (les femmes prennent un temps le pouvoir), élabore une critique sur les méfaits d’une société trop rigide instigatrice d’exclusion et de frustration, l’aspect fabuliste du réalisateur ruine les velléités politiques symbolisées par le fils Zan. Cette dichotomie entre Zan et le village dans sa constituante masculine affaiblit un film volontaire aux images parfois évocatrices.

Au final, saluons la démarche d’un metteur en scène conscient du rôle politique et social du cinéma qui, malgré son souci de vérité dans la confrontation, manque un peu d’âme et d’engagement de mise en scène.

La famille Suricate : au pays des géants…

Posté par vincy, le 12 octobre 2008

suricate.jpg Synopsis : Ce documentaire animalier suit la première année d'existence de Kolo, petit Suricate à peine né, en plein désert du Kalahari, dans le sud de l'Afrique. Il ouvre les yeux en pleine période de sécherese. tous les animaux sont à l'affût de la moindre nourriture. Véritable loi de la jungle, avec ses menaces, Kolo va-t-il survivre à la famine, aux rapaces, aux serpents? Va-t-il pouvoir avoir le temps d'apprendre comment chasser et manger un scorpion? Aventurier, audacieux, un jour, en combattant une bande rivale, il se perd et s'éloigne de son territoire. Seul, il n'a, a priori, aucune chance de s'en sortir et encore moins de revenir...

Notre avis : Il y a une frustration dans ce documentaire animalier. Car tout y est : une espèce animale curieuse et attachante, un décor digne du cinémascope, des plans esthétiquement somptueux, des ennemis randeur nature nommés lion, cobra, aigle, scorpion... Cela justifierait assez bien la motivation cinématographique de ce documentaire, genre plutôt adapté à la télévision. La famille Suricate doit malgré tout surmonter deux défauts. Une mise en place assez longue qui attend la fin des trois premiers quart d'heure pour partager les palpitations de ce carnivore pas plus grand qu'un double décimètre. Et la voix de Guillaume Canet. L'acteur semble en mode éteint, terne, appliqué, prononçant chaque syllabe, telle une lecture trop sage. Cela contraste évidemment avec l'ampleur et la vivacité du film.

Car "ces petits animaux sont bien plus coriaces qu'il n'y paraît." Ils ont du chat, du rat, du renard, de l'humain, du singe... Véritablement touchants, ces nano-mammifères, cousins de la mangouste, ont de l'enfant le goût du jeu et la peur de l'inconnu. On vit ainsi tous les traumas de l'initiation à la vie (ou plutôt la survie) de Kolo. Dans sa construction, le film n'a rien de novateur : il alterne les moments intenses et dramatiques avec des scènes plus légères, la musique passant alors du symphonique au chorale, du tragique au festif. Mais reocnnaissons un sacré travail de montage. Car lorsque le cobra se faufile à l'intérieur du terrier, l'image passe au noir et blanc, et nous vivons des minutes terrifiantes dans les couloirs souterrains, dignes d'un film à suspens. Une bête de deux mètres de long, dotée d'un venin pouvant tuer dix hommes.

De ce moment, et parce que Kolo va progressivement être livré à lui même, on se sent, grâce à la caméra subjective, à hauteur de Surricate.  Si la voix off en rajoute sur la fatlité, le destin scellé, l'inéluctable fin, la tension atteint son paroxysme avec une séquence finale hollywoodienne : notre petit héros pourchassé par l'aigle qui a tué son frère et le cobra. Telle est proie qui croyait prendre... Impressionnant.

Les 50 ans du cinéma marocain : Marrakech (1)

Posté par vincy, le 21 septembre 2008

marrakech.jpgLe cinéma marocain est né en 1958. Nous reviendrons sur les grands noms de son histoire, mais aussi sur l'affirmation de plus en plus nette d'un cinéma qui est devenu l'une des trois cinématographies les plus importantes en Afrique.

Mais le Maroc c'est aussi, et depuis longtemps, une terre d'accueil pour les tournages hollywoodiens et même français. Nous y reviendrons lors de l'étape à Ouarzazate.

Même si Casablanca a donné son nom à l'un des films les plus emblématiques de l'histoire du 7e Art, ce sont Tanger et Marrakech qui ont servi le plus souvent de décors aux réalisateurs occidentaux fascinés par ce monde arabe riche en couleurs.

Marrakech a ainsi été rendue célèbre par Alfred Hitchcock en 1955. Sur la place Jemaâ El Fna, Daniel Gélin se fait planter un couteau dans le dos et meurt dans les bras de James Stewart dans L'homme qui en savait trop.

Mais Marrakech a aussi été à l'image de nombreux films lorsque le Maroc était sous protectorat français. Notamment en 1934, Jacques Feyder, sur un scénario de Marcel Carné, y réalise Le grand jeu, avec Charles Vanel, Françoise Rosay et Marie Bell.

C'est aussi à Marrakech qu'une partie des plans de Shéhérazade (avec Anna Karina), du Grand Escroc (de Jean-Luc Godard, avec Jean Seberg), de 100 000 dollars au Soleil (de Henri Verneuil, avec Jean-Paul Belmondo et Lino Ventura), de L'homme qui voulait être roi (de John Huston, avec Sean Connery et Michael Caine) furent tournés, ou détournés. Dans les années 90, on notera juste le film "flower power" Hideous Kinky (Marrakech express), avec Kate Winslet.

C'est enfin à Marrakech que se tient le seul grand festival international de films du Maroc. Outil marketing pour attirer stars, touristes, investisseurs et donner une image glamour et jet-set à une ville globalement pauvre.

Mais, hormis Hitchcock, personne ne fut tenté par l'idée d'utiliser le labyrinthe de la Médina comme prétexte à scénario. Des films d'auteur confidentiels s'y tourneront. Mais l'essentiel des productions migrera vers Ouarzazate, dotée de studios d'envergure internationale. Etonnant pour une ville si cinégénique. Pas un James Bond. Juste une mention dans les périples d'Indiana Jones. Et un passage furtif dans Mamma Mia !, où Stellan Skarsgard traverse, à moto, la place Jemaâ El Fna. Toujours la même (en photo).

crédit photo : Marrakech (c) vincy thomas

Une planète métisse qui se mêle aux hommes

Posté par Claire Fayau, le 14 avril 2008

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En pénétrant dans la galerie ouest du musée du quai Branly, le spectateur est accueilli par une citation de Montaigne : ''Un honnête homme, c'est un homme mêlé.''

Un auteur classique dans le musée des arts premiers ? D'emblée, l'exposition se veut éclectique ! Logique quand il s'agit de traiter du métissage...

La première section de l'exposition, ''Métis ?'' donne quelques définitions visuelles du métissage en opposant /rassemblant statues, tableaux, robes de diverses origines. Difficile, pour nos yeux occidentaux, de distinguer l'exotique du traditionnel.

La seconde partie "Chocs et rencontres des mondes" et la troisième "La fabrique des métissages" s’intéresse au fameux choc des cultures et mélanges qui en résultent, par un jeu d’influences variées.

Enfin la dernière partie, plus accessible, plaira au plus grand nombre et surtout aux cinéphiles :

Au centre d’un cercle, le spectateur peut visionner via trois "split screens" les représentations, aller-retour et mélanges entre les cinémas d’Asie et d' Hollywood. Extraits projetés : Les sept samouraï d’Akira Kurosawa, Les sept mercenaires de John Sturges, Cleopatra Jones de Jack Starrett, La rage du tigre de Chang Cheh, Happy Together de Wong Kar-Wai, Wedding Banquet, Garçon d’honneur et Brokeback Mountain d’Ang Lee ou encore Ghost in the shell 2 de Mamuro Oshi…

Intéressante réflexion sur la mondialisation, la globalisation, l’import-export- fusion des cultures, l’exposition souffre peut-être d’un traitement trop académique surtout au début… Cela manque un peu de folie, pourtant le titre et l’affiche présageaient d’une belle originalité. Pourquoi ne pas avoir été plus loin, et par exemple "mixer" les ambiances avec de la musique du monde, des photos, des vidéos, du "morphing" ? D’autant plus que dans ses expositions permanentes le Quai offre différentes présentations et supports innovants.

Cependant, Planète métisse reste un événement dépaysant, et les objets présentés sont magnifiques et curieux. Le cinéma y a sa part avec le cycle de rencontres mensuelles (le derneir samedi du mois à 16h) "villes métisses". Mexico et Amours chiennes, Rio et Orfeu Negro, Buenos Aires et Bolivia, ou encore Dakar et Kinshasa...

Plus d'informations sur le site de l'expo.

Festivaliers au bord de la crise de nerfs

Posté par MpM, le 14 février 2008

Ce n'est pas tout ça, Madonna qui captive les foules, Mike Leigh qui s'amuse, Hong Sang-Soo qui jubile... on est dans un festival de cinéma, quand même, et qui dit festival dit films sérieux, réalisateurs engagés et sujets graves, il ne faudrait pas l'oublier. Heureusement, le premier film en compétition de la journée remet les choses en place avec du lourd, et même du très très lourd, l'histoire d'une fillette érythréenne offerte par son père à l'une des armées de libération du pays. Inspiré du récit de Senait G. Mehari qui a vécu cette expérience, Heart of fire s'avère finalement plus subtil qu'on aurait pu le craindre et même d'une certaine sobriété. Cela tient sans doute au fait que tout est filmé à hauteur d'enfant, avec distance et recul, privilégiant le témoignage par rapport à l'émotion. Luigi Falorni montre ainsi avec justesse le cheminement terrible de ces enfants devenus soldats par force, mais aussi par idéal, parce qu'il faut bien se rattraper à quelque chose, et que l'armée est pour beaucoup une famille de substitution bien plus aimante que l'originale.

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Pourtant, à croire que les festivaliers sont cette année incapables de rester sérieux plus d'une heure, un étrange moment de flottement a troublé cette projection par ailleurs d'un calme olympien. Lors d'une scène dramatique où trois enfants se retrouvent au beau milieu du désert soudanais, à la recherche d'un campement ami, le chef de caravane qui les trouve leur lance avec perspicacité un "Vous vous êtes perdus ?" qui a déclenché une gigantesque vague d'hilarité dans la salle. Le temps de se reprendre, et le film était fini, laissant une curieuse impression de ratage de dernière minute. A moins qu'en cette avant-veille de clôture, la fatigue ne commence juste sérieusement à se faire sentir. Du coup, on craint un peu les réactions inattendues que pourrait déclencher Andrzej Wajda avec son film sur le massacre de Katyn...