Arras 2013 : retour sur les découvertes européennes

Posté par MpM, le 13 novembre 2013

2 automnesL'édition 2013 du Arras Film Festival proposait une sélection de films européens formant un instantané passionnant de la jeune création contemporaine, avec curieusement une prédominance pour la comédie et une tendance palpable à vouloir réinventer le cinéma.

Le chef de file de ce courant est évidemment Sébastien Betbeder qui, avec 2 automnes, 3 hivers, signe un film formellement audacieux dressant le portrait saisissant d'une génération de trentenaires à la fois nourris par l'art et la culture et en même temps assez indécis par rapport à leur propre vie.

La liberté de ton surprenante du réalisateur lui permet de se démarquer de la pure comédie (représentée assez platement par le très caricatural Brasserie romantique de Joël Vanhoebrouck) sans tomber dans le travers du film expérimental qui laisse tout le monde perplexe.

Un créneau d'ailleurs admirablement occupé joypar l'énigmatique Joy du Grec Elias Giannakakis, qui est sans doute l'ovni de ce 14e festival arrageois.

Dans un noir et blanc ultra-soigné, on suit une femme quasi mutique dans sa fuite en avant à la radicalité  presque poétique. Les lents fondus au noir qui séparent chaque séquence, le magnétisme de l'actrice et l'âpreté de la narration donnent à ce portrait en creux la beauté envoûtante d'une œuvre brute et désespérée.

Les autres films s'ancrent dans une veine plus classique, quoi que particulièrement efficace en ce qui concerne le biopic suédois Valse pour Monica de Per Fly, d'excellente tenue et servi à merveille par la chanteuse Edda Magnason.

Même chose pour la comédie politique Viva la liberta de Roberto Ando, avec un Toni Servillo plus savoureux que jamais dans le double rôle d'un homme politique dépressif et de son frère jumeau à peine sorti de l'hôpital psychiatrique.

D'une vie à l'autre Mais le grand choc de cette section reste probablement le thriller politique allemand D'une vie à l'autre réalisé par Georg Maas, qui mêle habilement l'ambiance anxiogène du film d'espionnage traditionnel avec le récit d'événements réels survenus pendant la deuxième guerre mondiale, la séparation d'enfants nés de pères allemands de leurs mères norvégiennes.

Un film intelligent et vertigineux qui prouve au passage la grande vitalité d'un cinéma allemand tentant d'explorer autrement les traumatismes de son passé.

Mais on n'a probablement pas fini d'être séduit par le cinéma européen puisque les découvertes se poursuivent à Arras jusqu'au 17 novembre, avec dès jeudi 14 le début de la compétition européenne. Ce sont en tout neuf longs métrages inédits venus de Slovaquie, de Croatie, de Finlande ou encore d'Estonie qui concourent pour l'Atlas d'or et espèrent trouver rapidement un distributeur français.

Arras 2013 : rencontre avec Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz pour Les grandes ondes

Posté par MpM, le 12 novembre 2013

Valérie Donzelli et Michel VuillermozLionel Baier signe avec Les grandes ondes une comédie réjouissante et fantaisiste sur deux journalistes envoyés en reportage au Portugal en avril 1974. Bien sûr, tout les oppose : elle se veut libérée et féministe militante, lui est un baroudeur impénitent, vieux-jeu et un peu macho. Accompagnés d'un technicien et d'un jeune interprète portugais, ils vont pourtant sillonner ensemble le pays à la recherche d'une bonne histoire à raconter.

Avec énormément de précision et de justesse, Lionel Baier joue sur les situations décalées (voire improbables, comme cela est très joliment dit dans le film, après une incroyable séquence de danse dans la pure veine de West side story) et les répliques choc, sans grand souci de réalisme, mais avec beaucoup d'inventivité.

En attendant sa sortie en salles le 12 février prochain, rencontre avec Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz, brillants interprètes du film, qu'ils sont venus présenter en avant-première à Arras.

Ecran Noir : Comment s'est faite la rencontre avec Lionel Baier ?

Valérie Donzelli : La rencontre s'est faite de façon très simple. Je l'ai connu par Pauline Gaillard, ma monteuse, qui est aussi la monteuse de Lionel. J'ai découvert Lionel à travers ses films. Et puis un jour il m'a dit j'ai écrit un film, j'aimerais que tu joues ce rôle-là. J'ai lu le scénario, j'ai trouvé ça hyper drôle. J'ai adoré le personnage et comme c'était Lionel et qu'il allait réaliser ce film,je ne pouvais pas refuser. Parce que je sais que c'est un grand metteur en scène.

Michel Vuillermoz : Je pense qu'il a rencontré différents acteurs et puis voilà son choix final s'est porté sur moi. J'ai lu le scénario, j'étais emballé. On s'est rencontré, j'ai été séduit par Lionel. Il m'a passé ses précédents films que je n'avais pas vus. Je les ai vus et je les ai adorés. Je me suis senti bien dans son univers. Je savais que c'était Valérie qui jouait le rôle féminin. Ca a marché parce que j'avais très envie de le faire.

EN : Qu'est-ce qui vous a séduit particulièrement dans le personnage ?

MV : Mais tout ! Vous savez, on accepte un film pour plein de raisons. C'est un ensemble : le scénario que je trouvais très original, en même temps drôle, émouvant. Le fait que ce soit Lionel qui le réalise avec lequel je me sentais bien. Je sentais un réalisateur, une intelligence, un regard. Voir ses films avant : je me suis dit "ce gars a vraiment un truc à raconter, a à voir avec le cinéma". Le fait que ce soit Valérie aussi. Voilà, tout ça fait que j'ai eu envie de le faire. C'est rarement juste sur un scénario. Ce n'est pas suffisant pour prendre une décision. Il peut y avoir des scénarios formidables, mais c'est aussi avec qui, qui va le réaliser. En tout cas, pour moi.

EN : Valérie, de votre côté, vous construisez un personnage de féministe survoltée auquel vous semblez prendre beaucoup de plaisir...

VD : Mais oui, quand j'ai lu le scénario de Lionel, j'ai su qu'il n'y avait personne d'autre que moi qui pouvait jouer ce rôle. J'ai énormément de plaisir à faire ce rôle. Mais je dois dire que je suis quelqu'un d'assez spontané. Ca peut partir dans le décor. Mais je me suis vraiment beaucoup amusée. Observer Lionel travailler c'est passionnant, surtout quand on fait soi-même des films. Il communique avec ses acteurs, il les rassure mais sans être pesant, il est tout le temps en train de nous expliquer ce qui se passe, il donne des directions d'acteur qui sont ultra justes, toujours des petites choses, il a à chaque fois des tas d'idées... c'est un grand metteur en scène. Et puis après j'ai le même goût du cinéma que lui. Pour tout vous dire, j'avais l'impression que j'aurais pu écrire un personnage comme celui de Julie dans le film. C'était hyper plaisant pour moi parce que je n'avais pas la charge de le mettre en scène. Quand on joue dans ses films, moi j'adore ça, mais la chose qui est dure c'est qu'on n'a pas le metteur en scène pour nous porter justement. Et là c'était hyper confortable. Et puis faire un film c'est tellement de responsabilité. Quand on est acteur, c'est agréable d'avoir juste le plaisir de jouer, de ne pas se préoccuper de la responsabilité du film. C'était réjouissant, c'était vraiment chouette.

EN : Le film est une comédie très rythmée, très précise. Est-ce que vous aviez des références particulières en tête pour obtenir ce résultat en tant qu'acteurs ?

VD : Moi ma référence, pour la comédie française, c'est Rappeneau. Donc j'ai vu tous les films de Rappeneau. Quand j'étais petite, je les connaissais par cœur, je refaisais Catherine Deneuve, Adjani... Et d'ailleurs, dans le film de Lionel, je trouve que cela n'a pas rien à voir. Il y a un truc un peu équivalent : comédie intelligente, grand public, et en même temps hyper bien réglée comme du papier à musique. Et c'est vrai que Le sauvage, l'espèce de chieuse jouée par Catherine Deneuve, qui parle très vite et tout ça, inconsciemment, c'est mon référent... même si je ne suis pas du tout Catherine Deneuve, bien entendu. Ce sont des personnages qui m'ont marqué enfant. Et puis dans le côté pas réaliste. Quand je joue je ne cherche pas à être dans un ultra-réalisme. En plus le film de Lionel ne s'y prêtait pas du tout. On est dans un langage qui est propre à Lionel et au film.

MV : Moi pas particulièrement un film... Plutôt des univers. Des personnages des frères Coen, des Jeff Bridges, des mecs un peu fatigués, enfin, qui se la racontent un peu, qui ne sont pas loin d'une certaine mythomanie, on ne sait jamais si ce qu'ils racontent est vrai. Qui se la jouent un peu macho. Des personnages qui sont en fuite d'eux-mêmes. Ou des personnages de western. Mon personnage aimerait bien monter à cheval, avoir un colt, il pourrait faire croire qu'il a fait ça. C'est un peu le côté "lonesome cowboy". C'est plus cette imagerie-là. Et puis après, une biographie de Kapuscinski, un grand journaliste polonais, que m'a passée Lionel, et qui était vachement intéressante.

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Crédit photo Jovani Vasseur pour le blog du Arras Film festival

Arras 2013 : rencontre avec Luc Jacquet pour Il était une forêt

Posté par MpM, le 11 novembre 2013

luc jacquetLuc Jacquet (La marche de l'empereur, Le renard et l'enfant) revient avec Il était une forêt (en salles ce mercredi 13 novembre), un projet en apparence encore plus fou que ses précédents : filmer la naissance et la vie d'une forêt tropicale.

Le résultat est à la hauteur de l'ambition, avec un film d'une grande beauté visuelle qui livre de fascinants secrets sur ces merveilleux microcosmes tout en militant ouvertement pour leur sauvegarde.

Ecran Noir : Pouvez-vous nous parler de Francis Hallé, que l'on voit dans le film, et qui est à l'origine d'Il était une forêt ?

Luc Jacquet : Francis Hallé est effectivement venu me trouver un jour en disant : "voilà, ça fait 20 ans que j'aimerais faire un film sur les forêts tropicales. J'ai passé ma vie à les étudier et aujourd'hui je les vois disparaître. Je sais que dans dix ans il n'y aura plus de forêts primaires tropicales sur terre. Je voudrais que tu m'aides à faire un grand film, un peu comme Louis Malle l'avait fait avec Cousteau". A l'époque, c'était le monde sous-marin, et là en l'occurrence c'est ce monde des forêts qu'on croit connaître mais qu'on ne connait pas du tout.

EN : Pourtant les sollicitations n'ont pas dû manquer...

LJ : J'ai effectivement été très sollicité après La marche de l'empereur par de nombreux scientifique et sur des sujets très vastes. Je crois que Francis Hallé est arrivé à un moment où j'étais prêt pour ça. J'avais fondé mon association Wild touch [association qui a pour but de rapprocher l’homme de la nature par le langage sensible des images, des mots et des sons], j'étais vraiment dans ce désir de faire quelque chose. Je crois qu'aujourd'hui notre responsabilité est de faire en sorte que ce monde reste vivable et c'est toute l'ambition de ce film et de l'association Wild touch en général, c'est-à-dire faire le pari que l'émotion et l'image peuvent être facteur de changement aujourd'hui sur la planète.

EN : Pour vous, le cinéma va donc de pair avec un engagement ?

LJ : Je crois que traditionnellement, le cinéma est par nature politique et par nature une forme d'engagement. Ca a été aussi des formes de propagande très fortes. Le cinéma, avant d'être un outil commercial, a d'abord été un média, une forme d'expression pour des gens qui avaient quelque chose à dire. Je crois qu'aujourd'hui, le cinéma est parfaitement adapté parce qu'il est grand médiateur d'émotions et d'impressions. Le cinéma est vraiment adapté pour parler de la conservation de la nature aujourd'hui. Je crois qu'en cela, on est tout à fait dans la droite ligne de l'histoire du cinéma tout simplement.

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Arras 2013 : 3 questions à Sébastien Betbeder pour 2 automnes, 3 hivers

Posté par MpM, le 10 novembre 2013

2 automnes 3 hiversAvant sa sortie en salles le 25 décembre prochain, 2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder poursuit sa tournée des festivals. Le film, qui est passé notamment par Cannes, Paris et Londres, est présenté cette semaine à Arras dans la sélection "découvertes européennes".

Jolie découverte en effet que ce film extrêmement singulier qui mêle, souvent dans une même séquence, voix-off, monologues face caméra et commentaires a posteriori sur l'action. Une liberté de ton surprenante et ultra-vitaminée qui fonctionne à plein régime, entre auto-dérision et mélancolie douce amère.

L'intrigue suit plusieurs personnages d'une trentaine d'années au cours de trois années qui bouleversent un peu leurs existences. Il y est question d'amour et d'amitié, mais aussi de musique, de cinéma et d'art en général. Rencontre avec le réalisateur et scénariste, Sébastien Betbeder (photo de gauche, en compagnie de son acteur Bastien Bouillon).

Ecran Noir : Le film est extrêmement référencé. On y parle de Bresson et de Munch, d'Eugene Green et de Judd Appatow...

Sébastien Betbeder : Je tenais à montrer des gens de ma génération, qui ont fait des choix de vie très particuliers, et pour qui la culture est très importante, déterminante, et fait partie prenante de la vie au quotidien. C'est quelque chose que l'on voit très très peu en tout cas dans le cinéma français. Je dis tout le temps cette phrase mais c'est vrai car dans le cinéma américain c'est beaucoup plus assumé. Je trouve ça dommage et triste. A partir du moment où j'avais décidé de monter des gens qui m'étaient proches et qui me ressemblaient, comme mes amis qui vont beaucoup au cinéma et au théâtre, j'aurais trouvé ridicule que cela ne soit pas dans mon film. J'aurais trouvé ça insincère. Et je trouve que souvent dans le cinéma français il y a cette habitude de mettre les références sous le tapis comme si tout venait par le saint esprit, de manière automatique.

EN : Justement, au grand jeu des références, ce sont les vôtres que l'on voit dans le film ?

SB : Je voulais rendre hommage à des auteurs, à des films qui m'ont marqué. Après, ce ne sont pas forcément les films qui m'ont marqué le plus. Judd Appatow, c'est un auteur que j'aime beaucoup, mais ce n'est pas une référence. J'avais besoin qu'il ait sa place dans le film. Durant l'époque dont traite 2 automnes, 3 hivers, Judd Appatow a été un auteur important. Eugene Green aussi, différemment. C'est quelqu'un que je connais personnellement, avec qui j'ai eu des discussions sur le cinéma assez inédites et précieuses, qui ont été très importantes dans la prise de risque que représente le monologue face caméra dans mon film. Après, Alain Tanner, la Salamandre, je l'ai vu très très jeune, j'en avais gardé un souvenir assez diffus. Je l'ai revu quand j'écrivais 2 automnes, 3 hivers, et c'était assez fou comme ça rentrait en écho avec des questions que je me posais par rapport au monde réel, à l'autobiographie même si je n'aime pas beaucoup ce terme, à un film personnel et à ce qu'est l'idée de la fiction. Toutes ces références, c'est plus de la nourriture en fait. Il y a aussi quelque chose que j'aime bien dans le film, c'est quand Benjamin parle de la Salamandre, qui est dans son top 10 et qu'il a découvert grâce à Katia. Et qu'il dise ça, pour moi, ça dit beaucoup plus sur sa personnalité que s'il avait développé des arguments beaucoup plus psychologiques. Rien que de dire ça, pour moi, ça dit énormément. C'est comme dans mes relations amicales. C'est très important pour moi ce qu'écoutent les gens, ce qu'ils aiment.

EN : Dans votre film précédent, Les nuits avec Théodore, il y avait déjà beaucoup de voix-off. Or c'est toujours un peu particulier, l'utilisation de la voix-off dans un film. Pour vous, qu'est-ce que cela apporte, qu'est-ce que cela ajoute ?

SB : C'est marrant parce que de plus en plus je me pose la question à l'envers. C'est-à-dire que j'écris beaucoup et de manière très littéraire, et je trouve que la méthode est intéressante, d'utiliser ce mode de récit qui utilise ce registre de la voix-off, et après, de creuser pour faire advenir des scènes de jeu. J'ai de plus en plus besoin de ce support. Tout à l'heure on parlait de références et de gens qui osaient, eh bien je vais citer un auteur français qui ose beaucoup, en tout cas dans ce travail sur la forme et de l'utilisation de la voix-off en particulier, c'est Alain Resnais. Il a dit dans une interview qu'il dressait des portraits de ses personnages de leur naissance au moment de leur apparition dans le film, même s'il n'écrit jamais ses scénarios. Je comprends totalement ça. Moi j'ai besoin d'écrire beaucoup, pour en dire moins, mais pour que cela soit présent malgré tout. Je pense que c'est présent dans la façon dont je vais filmer mes personnages. Pour moi, la voix-off, c'est une espèce de fondement qui existe de manière multipliée par rapport à ce qui existera dans le film et Les nuits avec Théodore avait été écrit un peu comme ça aussi. En fait, c'est la question de creuser, de garder l'essentiel.

Arras 2013 : trois questions à Solveig Anspach pour Lulu femme nue

Posté par MpM, le 9 novembre 2013

lulu femme nue - Arras 2013Le nouveau film de Solveig Anspach, Lulu femme nue, est l'adaptation d'une bande dessinée d'Etienne Davodeau qui raconte comment, après avoir raté un entretien d'embauche, une femme décide de ne pas rentrer chez elle.

Présenté en avant-première au Arras Film Festival avant sa sortie le 22 janvier prochain, le film met en scène avec bonheur une poignée de comédiens en état de grâce : Karin Viard en femme étouffée qui retrouve le goût de vivre, Bouli Lanners en amoureux transi, Claude Gensac en vieille dame ultra féministe, Corinne Masiero en tenancière de bar irascible...

Rencontre avec la réalisatrice et coscénariste de ce portrait émouvant et bourré de charme d'une femme qui retrouve peu à peu sa place dans le monde.

Ecran Noir : D'où est venue l'idée d'adapter la bande dessinée d'Etienne Davodeau ?

Solveig Anspach : L'idée est venue d'une productrice qui s'appelle Caroline Roussel qui adorait cette bande dessinée et qui me l'a envoyé en disant : mon rêve, ce serait que tu l'adaptes, que Lulu soit jouée par Karin Viard et Charles par Bouli Lanners. J'ai lu et je l'ai fait lire à Jean-Luc Gaget qui est mon complice et on s'est dit qu'on pouvait faire quelque chose avec ça. C'est une belle histoire mais il y avait pas mal de travail car une bande dessinée, ce n'est pas un film. Et après, le truc rigolo, c'est qu'il y a eu une sorte de rendez-vous chez Gallimard, car c'est Gallimard qui édite le livre. J'y suis allée avec Jean-Luc Gaget et Caroline Roussel ( la productrice) et on ne savait pas trop à quoi allait ressembler ce rendez-vous.

On arrive dans une grande pièce avec une grande table ovale avec pas mal de monde autour, et tout au bout en face de moi, il y avait Etienne Davodeau et son éditeur. En gros, c'était : "allez-y, on vous écoute". J'avais un peu l'impression de passer un grand oral, il fallait que je défende le morceau. J'ai dit ce que j'aimais, ce que j'aimais moins, ce que je changerais. Et au cours de la conversation, j'ai appris qu'il y avait un ou d'autres réalisateurs qui allaient faire le même exercice que moi, et qu'ils allaient en choisir un. Je me suis dit : "il faut absolument que j'ai une idée de génie, que je retienne leur attention". Et donc j'ai dit "je ne sais pas qui sont les autres, mais moi j'ai un atout énorme sur eux. Moi, je sais tricoter, et pas eux, j'en suis sûre." Ils ne voyaient pas bien le rapport avec le schmilblick... Donc j'ai enchaîné : "vous allez aller au festival d'Angoulême et il fait froid là-bas. Moi je viens d'Islande et on tricote avec de la bonne laine. SI vous me choisissez, je vous promets de vous tricoter des écharpes de la longueur de l'écriture du scénario". Ca a détendu l'atmosphère ! Après je leur ai donné le DVD de Back Soon, il y a eu des mails et des échanges, et finalement Etienne a dit : "si vous nous tricotez aussi des moufles et des bonnets, c'est bon". Mais bon, là, j'ai dit "il ne faut pas exagérer quand même"...

EN : Ce qui est étonnant, c'est qu'on retrouve dans le film des thématiques de votre précédent, Queen of Montreuil, notamment l'idée des familles qu'on se construit et la figure d'une femme qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie. C'était déjà présent dans la BD, ou est-ce venu au moment de l'adaptation ?

SA : Je crois que c'était là, même si au bout d'un moment on s'est dit qu'on allait essayer d'oublier la bande dessinée. Mais je trouve que les familles qu'on se construit, c'est une chance énorme dans la vie. On peut aimer nos vraies familles, mais les gens qu'on choisit pour faire la route ensemble, c'est peut-être ça l'important dans la vie.

EN :  La bande dessinée semble le lieu de tous les possibles. Donc adapter une bande dessinée au cinéma, qu'est-ce que cela permet de différent ?

SA : Au départ je me suis dit : "ouah, ça va être simple". Il y a des images, il y a des lieux. En plus Etienne Davodeau fait beaucoup de photos, il dessine des lieux réels. Il y avait donc une énorme matière. Mais après ce n'est pas du tout la même chose. Raconter un récit avec du cinéma ça ne ressemble pas au récit d'une BD. Quand les comédiens incarnent les personnages, il y a plein plein de choses qu'on a écrites dont on n'a plus besoin. Alors du coup au moment du montage, quand on réécrit vachement le film, il y a eu un moment où je me suis dit "j'ai envie d'enlever les scènes que j'aime un tout petit peu moins et de voir ce qui se passe". On l'a fait et on s'est rendu compte que ça crée des ellipses où le spectateur peut, lui,  imaginer et inventer des choses, imaginer le hors champ en fait. Et c'est là que le film a commencé à vraiment prendre. Et ça, c'est très différent d'une bande dessinée.

EN : Dans quelle mesure êtes-vous restée fidèle à l'histoire originale ?

SA : Il y a beaucoup de choses qu'on a inventées. Par exemple, toute la partie avec Claude Gensac, on a beaucoup inventé. Dans la BD, Lulu retourne auprès de son mari. J'avais dit à Etienne que c'était assez difficile pour moi d'envisager ça. Et puis il y a aussi beaucoup de gens qui parlent de Lulu off et ça je n'en avais pas envie. Je souhaitais qu'on soit avec elle. Plein d'autres choses. Lulu n'arrivait pas à convaincre Virginie de quitter le bar. Et au bout d'un moment, on s'est dit avec Jean-Luc Gaget qu'il fallait que Lulu parte avec une victoire. Il y a beaucoup de choses qui ont changé, mais l'esprit des personnages est là.

Arras 2013 : des avants-premières, une compétition européenne inédite et Patrice Leconte, Philippe Lioret et Yolande Moreau en invités d’honneur

Posté par MpM, le 9 octobre 2013

arras 2013On ne présente plus l'Arras Film Festival qui met à l'honneur chaque année en novembre le meilleur du cinéma contemporain tout en proposant des rétrospectives thématiques originales et passionnantes.

Pour cette 14e édition, trois invités d'honneur se succéderont devant le public arrageois pour des leçons de cinéma ouvertes à tous : le réalisateur Philippe Lioret (qui avait ouvert le festival en 2011 avec Toutes mes envies), l'actrice Yolande Moreau (qui présentera son deuxième film en tant que réalisatrice, Henri, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes) et le cinéaste Patrice Leconte (qui accompagnera son nouveau long métrage, Une promesse).

Une sélection des films de chacun sera également proposée au public, ainsi qu'une carte blanche offerte à Yolande Moreau et composée de La strada de Federico Fellini, La fille aux allumettes d'Aki Kaurismaki et Raining stones de Ken Loach.

Les avants-premières constitueront également l'un des temps fort de la manifestation, avec des oeuvres attendues comme Cartel de Ridley Scott, The immigrant de James Gray, La Vénus à la fourrure de Roman Polanski, Mandela : long walk to freedom de Justin Chadwick ou encore le formidable Suzanne de Katell Quillévéré.

Le "jeune cinéma européen" ne sera pas en reste avec la présentation de quelques films qui ont déjà fait parler d'eux dans d'autres festivals, à l'image du Géant égoïste de Clio Barnard (acclamé à Dinard), de 2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder (remarqué à l'ACID) et de Joy d'Elias Yannakakis (présenté à Karlovy Vary), sans oublier la désormais incontournable compétition européenne qui met neuf films en lice pour l'Atlas d'or. Cette année, c'est Philippe Faucon qui présidera le jury chargé de distinguer les lauréats.

La section Visions de l'Est présente par ailleurs, et comme son nom l'indique, un autre panorama du cinéma est-européen (dont l'Ours d'or 2013, Child's pose - Mère et fils - de Calin Peter Netzer) tandis que la section Cinémas du monde invite quelques œuvres internationales remarquées principalement à Cannes et à Berlin comme Gloria de Sebastian Lelio, Tel père, tel fils de Kore-eda Hirokazu et A touch of sin de Jia Zhang-Ke.

Et ce n'est pas tout ! S'il reste un peu de temps dans le planning (surchargé) des festivaliers, ils pourront profiter des rétrospectives thématiques "Nord contre Sud" (avec notamment Autant en emporte le vent de Victor Flemming et Les cavaliers de John Ford) et "Drôles d'espions des sixties" (avec l'incontournable Monocle rit jaune de Georges Lautner, chef d’œuvre parodique à réhabiliter immédiatement) ; rajeunir avec le "festival des enfants" et même continuer de travailler avec les différentes journées professionnelles dont les Arras days (qui font la promotion des coproductions internationales) et les rencontres cinématographiques réservées aux exploitants.

Du 8 au 17 novembre prochains, tous les cinémas se donnent donc rendez-vous à Arras, carrefour désormais incontournable d'une cinéphilie à la fois populaire et de qualité, où se retrouvent durant dix jours les films les plus attendus des six mois à venir. Ecran Noir, partenaire du festival depuis 2008, ne pouvait bien entendu pas louper ça, et vous fera partager ici même et au jour le jour les temps forts de la manifestation  !

Arras 2012 : joli doublé pour Teddy bear de Mads Matthiesen

Posté par MpM, le 19 novembre 2012

C'est probablement le film le plus classique, mais peut-être aussi le plus abouti, qui a remporté l'Atlas d'or, récompense suprême de ce 13e Arras Film Festival.

Il faut dire que Teddy bear, le film du Danois Mads Matthiesen, a tous les atouts pour séduire un jury : non seulement c'est le portrait sensible d'un personnage attachant et cocasse, mais en plus il aborde avec humour et finesse plusieurs sujets de société comme le tourisme sexuel, la solitude sentimentale et les affres de la filiation.

Ce conte de fées moderne (avec ce que cela peut impliquer d'angélisme) s'offre ainsi un joli doublé en séduisant à la fois le jury professionnel présidé par Tonie Marshall et celui du Syndicat de la Critique.

Le jury professionnel a par ailleurs remis l'Atlas d'argent de la mise en scène à Little black spiders de la réalisatrice belge Patrice Toye (en photo avec son actrice Line Pillet). Le film se déroule dans un refuge où sont accueillies confidentiellement des jeunes filles enceintes. L'institution leur garantit anonymat, soutien et protection pour mener à bien leur grossesse dans les meilleures conditions.

Si le scénario s'avère rapidement prévisible et manquant de consistance, la manière dont la cinéaste mêle les formats d'image pour obtenir une ambiance hors du temps et inquiétante s'avère en effet assez intéressante.

De son côté, le jury lycéen a préféré distinguer Either way de l'Islandais Hafsteinn Gunnar Sigurðsson (en photo), un film réalisé avec très peu de moyens dans une région isolée du Nord-Ouest islandais. On y suit un homme d'une trentaine d'années et son beau-frère de 24 ans qui passent l'été à réhabiliter le marquage au sol d'une route peu empruntée. Comme un huis-clos cocasse et décalé, mais au milieu de paysages majestueusement désolés.

Enfin, le public s'est tourné vers le film allemand My beautiful country de Michaela Kezele (en photo avec son actrice Zrinka Cvitesic), l'histoire d'une jeune veuve d'origine serbe qui sauve la vie à un soldat albanais en pleine guerre du Kosovo. Une oeuvre bouleversante (parfois un peu appuyée) sur une période de folie inhumaine et destructrice.

A noter également que pour la première fois, un jury de professionnels a remis le prix "ArrasDays" à un projet de film en devenir. C'est l'Espagnole Paula Ortiz (en compétition avec Chrysalis) qui a remporté ce premier trophée (ainsi qu'une dotation de 5000€) avec The bride. Le réalisateur Hafsteinn Gunnar Sigurðsson, déjà primé pour Either way, s'est vu attribuer une mention spéciale pour son projet Kanari.

Un palmarès globalement bien accueilli, même s'il laisse de côté le réussi The exam (à cause de sa fin ratée ?) et le déjanté Jackpot (les jurys récompensent rarement les comédies et peu souvent les films de genre, probablement le Norvégien Magnus Martens partait-il avec un handicap de départ en mêlant les deux...) pour privilégier des oeuvres plus traditionnelles et aux sujets plus "sérieux".

Sans remettre en cause le grand triomphe de Teddy bear (mérité, puisque le film est efficace), on peut ainsi regretter que les jurés aient défendu le film le plus "solide" de la compétition, donc susceptible de trouver un distributeur par lui-même, au détriment d'œuvres plus fragiles, certes imparfaites, mais tout aussi attachantes.

***

Le palmarès complet

Atlas d'or
Teddy bear de Mads Matthiesen (Danemark)

Atlas d'argent de la mise en scène
Little black spiders de Patrice Toye (Belgique)

Prix du public
My beautiful country de Michaela Kezele (Allemagne)

Prix Regards Jeunes
Either way de Hafsteinn Gunnar Sigurðsson (Islande)

Prix de la critique française
Teddy bear de Mads Matthiesen (Danemark)

Prix ArrasDays
Paula Ortiz pour The bride

Mention spéciale au Prix ArrasDays
Hafsteinn Gunnar Sigurðsson pour Kanari

Arras 2012 : retour en vidéo sur le jour 7 avec Laurent Cantet, l’équipe du film Ouf et Hafsteinn Gunnar Sigurðsson

Posté par MpM, le 18 novembre 2012

Invités : Laurent Cantet (invité d'honneur) pour Foxfire ; Yann Coridian, Laurence Briaud et Lucas Loubaresse pour Ouf ; Hafsteinn Gunnar Sigurðsson pour Either way...

L'équipe du quotidien vidéo du Arras Film Festival : Jessica Aveline, Nina Debail, Vincent Escriva, Pearl Hart, Olympe Le Touze et Alain Pétoux.
Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret et Jovani Vasseur.
Merci à David Lesage.

Arras 2012 : retour en vidéo sur le jour 6 avec les équipes d’Amitiés sincères et d’Une estonienne à Paris

Posté par MpM, le 17 novembre 2012

Invités : Ana Girardot, Wladimir Yordanoff, Stéphane Archinard, Marie-Pierre Huster et François Prévôt-Leygonie pour Amitiés sincères ; Ilmar Raag et Laine Magi pour Une estonienne à Paris...

L'équipe du quotidien vidéo du Arras Film Festival : Jessica Aveline, Nina Debail, Vincent Escriva, Pearl Hart, Olympe Le Touze et Alain Pétoux.
Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret et Jovani Vasseur.
Merci à David Lesage.

Arras 2012 : Jackpot, thriller norvégien déjanté en compétition

Posté par MpM, le 16 novembre 2012

Le Arras Film Festival propose jusqu'à dimanche sa compétition d'inédits européens. A la clef, pour les principaux lauréats, des aides à la distribution leur permettant de bénéficier d'une sortie en salles en France. Les neuf films en lice viennent d'horizons variés : Hongrie, Espagne, Islande...

Parmi eux, on retrouve notamment Jackpot du Norvégien Magnus Martens, un thriller aussi détonnant que cocasse, qui met en scène un travailleur social mêlé à une sanglante fusillade. Interrogé par un policier aux méthodes plus qu'originales, il raconte tous les événements (forcément déjantés) ayant conduit à la scène de crime.

Magnus Martens s'amuse avec les codes du genre et propose une galerie de personnages de type pieds-nickelés dignes de certains grands films des frères Coen. Plus bêtes que méchants, les protagonistes du film cumulent en effet mauvaises idées, plans foireux et coups de malchance. Ils s'entretuent joyeusement (et dans de grandes explosions de sang) puis réfléchissent aux moyens les plus inattendus pour faire disparaître les corps. Petite mention spéciale au recyclage de cadavres en sapins de Noël...

Au lieu d'imprimer un rythme trépidant artificiel au récit, le réalisateur prend le temps de poser ses scènes, découpées soigneusement en champs/contre-champs élégants, voire en plans larges assez fixes où s'épanouit l'action. Le travail sur les couleurs de l'image, ternes et légèrement surannées (verdâtres, jaunies...), donne à l'ensemble un aspect atemporel, mais permet surtout de jouer sur le contraste du sang qui éclabousse tout, ou de la peinture rouge qui camoufle les taches.

On est délibérément dans un cinéma de la surenchère, où tout doit être comme observé avec une loupe grossissante. Ainsi les personnages, stéréotypes délirants de petites frappes minables, et les situations, systématiquement détournées (un petit déjeuner entre pires ennemis chez la mère de l'un deux, une bagarre pour un lit bronzant...), viennent nourrir une intrigue par ailleurs très classique. De quoi confirmer la vitalité foisonnante du cinéma norvégien et surtout son regard acéré sur ce drôle d'animal qu'on appelle l'être humain.