Le Festival de San Sebastian vient de s'achever. Les prix décernés à des films espagnols sont malheureusement l'arbre qui cache une forêt dévastée. Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy continue de couper sauvagement dans un secteur culturel qu'il considère comme hostile à son parti.
Le secteur cinématographique n'est pas épargné alors que la fréquentation des salles de cinéma est en forte baisse. A la même époque, on comptait 4 films au dessus des 20 millions de $ au box office, 5 en 2010, 3 en 2011. Ils ne sont que 2 en 2012 : Intouchables (voir actualité du 10 septembre) et The Avengers. Pire, le plus gros succès espagnol est Tengo ganas de ti avec seulement 15,4 millions de $ (1,5 millions de spectateurs), deux fois moins que Torrente 4 (2,6 millions d'entrées) l'an dernier ou Agora en 2009 (3,5 millions d'entrées).
L’ICAA (Instituto de la Cinematografia y las Artes Audiovisuales) va perdre 30 % de sa dotation en 2013. Elle s’élevait en 2012 à 68,86 millions d'€. Le Fonds National de la Cinématographie, de son côté, passera de 49 M€ à 30 l’an prochain. L'Etat se désengage aussi des musées et des centres culturels espagnols à l'étranger.
Le secteur culturel contribue pourtant à 4% du PIB espagnol et fait vivre 600 000 personnes.
Ce carnage budgétaire annonce de mauvais jours pour l'une des productions cinématographiques européennes les plus vivantes. Et ce n'est pas la hausse de la TVA le 1er septembre dernier qui va l'aider. Malgré les groupes de pression et la mobilisation des artistes (La crise espagnole va faire mal au cinéma, qui se rebelle), la culture a perdu la bataille.
La TVA sur les produits culturels est passée de 7 à 21%, soit la taxe la plus élevée d'Europe pour le secteur. Autant dire que les salles se vident (-32% depuis 2004!) et le piratage explose. On s'attend à une chute de la fréquentation de plus de 28% d'ici la fin de l'année : une apocalypse. Une salle sur cinq pourrait fermer. 2 000 emplois sont en péril selon une étude du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC). Ainsi le propriétaire de la chaîne de cinémas Renoir, Enrique Gonzalez Macho, également président de l'Académie du cinéma espagnol, vient de baisser le rideau dans plusieurs villes comme Bilbao, Saragosse ou Barcelone. Il possédait 250 salles. Il ne lui en reste plus que 60.
Le gouvernement ne veut rien savoir et fait la sourde oreille. Pour lui, le cinéma n'est pas un produit culturel mais un divertissement. Ainsi les spectacles (théâtre, cinéma, concerts, opéra) voient leur TVA bondir tandis que les musées, bibliothèques et galeries d'art ont réussit à contenir la hausse de la TVA (de 8 à 10%). Le secrétaire d'Etat à la culture paraît fataliste et semble impuissant. Le gouvernement a bien prévu de favoriser le mécénat et les exonérations fiscales en guise de compensation mais aucune de ces aides n'a été votée.
Revanche politique sur la défaite en 2004 du parti actuellement au pouvoir comme l'estime la profession? Il y a 8 ans, les professionnels avaient en effet mis tout leur poids médiatique dans la balance pour s'opposer à l'engagement du pays dans la guerre en Irak. La gauche était passée.
Les conséquences de cette politique de la terre brûlée sont simples : moins de films espagnols produits (environ 200 par an), moins de salles de cinémas, moins de spectateurs. La part de marché des films étrangers va exploser. Les cinéastes espagnols les plus connus iront tourner à l'étranger. L'Espagne tire un trait sur l'exportation de sa culture, instrument diplomatique et économique essentiel pour le monde hispanophone dans un contexte où le Japon, la Corée du sud, la Chine ont décidé d'en faire leur vitrine.
En pleine incertitude sur ses futurs moyens, l'industrie cinématographique a déjà anticipé l'onde de choc. La production de films a baissé de 40% au premier semestre 2012! C'est la pire crise depuis l'arrivée de la démocratie dans le pays dans les années 70.
A cela il faut ajouter la faillite des studios de la Ciudad de la Luz à Valence. Créés il y a 5 ans (avec le tournage d'Astérix aux Jeux Olympiques), ils n'ont pas pu rivaliser avec les innombrables studios qui sortent de terre chaque année et les coûts de productions en Europe centrale ou au Maroc. Valence n'a même plus de festival de cinéma (voir également La crise touche les festivals de cinéma en Espagne, excepté San Sebastian).
Un gâchis global et gigantesque pour l'un des cinémas les plus passionnants et les plus diversifiés dans le monde. En 2011, déjà, pour la première fois depuis 1995, le cap des 100 millions d'entrées n'avait pas été franchis. L'âge d'or serait-il à son crépuscule?