Venise 2020: Le Lion d’or pour Nomadland de Chloé Zhao

Posté par vincy, le 12 septembre 2020

Cette édition si spéciale du festival de Venise, la 77e, n'aura pas brillé d'un point de vue médiatique. Les Américains étaient relativement absents. Le tapis rouge était cloîtré. Les spectateurs masqués. Ambiance de confinement. Pourtant, de l'avis général, tout s'est bien passé. Si le festival manquait sans doute d'un film dont le good buzz fasse le tour de la planète, il a réussi à exister malgré la covid. Mieux, avec le court métrage de Pedro Almodovar, La voix humaine, unanimement apprécié, il s'est offert un petit gâteau surprise en guise de cadeau.

Côté palmarès, aucun film ne se détache non plus même si Quo Vadis, Aida? de Jasmila Zbanic, Nomadland de Chloé Zhao, Notturno de Gianfranco Rosi et Miss Marx de Susanna Nicchiarell glanent quelques prix mineurs en marge du festival. Nomadland a été couronné par le Lion d'or, qui récompense une réalisatrice singulière dans l'Hollywood d'aujourd'hui, Chloé Zhao. Adulée pour ses films d'auteurs (The Rider, Les Chansons que mes frères m'ont apprises), cette américaine née en Chine a été choisie pour une superproduction Marvel (Eternals, 2021). Avec Nomadland, elle reste dans son territoire. Le film interprété par Frances McDormand et David Strathairn nous renvoie dans le passé et dans les horizons immenses: Après avoir tout perdu pendant la Grande Récession, une sexagénaire se lance dans un voyage à travers l'Ouest américain, vivant comme un nomade des temps modernes. Ironiquement, alors que les Américains sont absent de Venise, c'est une production Fox Searchlight distribuée par Disney qui est sacrée par le deuxième plus grand festival du monde.

Le prix FIPRESCI de la critique a été décerné à The Disciple de l'indien Chaitanya Tamhane pour la compétition (par ailleurs distingué par le jury de Cate Blanchett pour son scénario) et à Dashte Khamoush (The Wasteland) de l'iranien Ahmad Bahrami (Orizzonti) pour les autres sélections. Le film a d'ailleurs été couronné par le jury d'Orizzonti. Le cinéma iranien a aussi été distingué avec le prix Marcello Mastroianni pour le jeune Rouhollah Zamani.

Du côté des Giornate degli autori (Venice Days), le palmarès a couronné The Whaler Boy du russe Philipp Yuryev (meilleur réalisateur), 200 Meters du palestinien Ameen Nayfeh (prix du public), et Oasis du serbe Ivan Ikic (prix Label Europa). Le Grand prix de la Semaine internationale de la Critique a distingué Hayaletler (Ghosts) d'Azra Deniz Okyay (Turquie). Enfin, The World to come de l'américaine Mona Fastvold a remporté le Queer Lion Award.

Côté hommages, deux Lions d'or d'honneur ont été remis à l'actrice écossaise Tilda Swinton et la cinéaste de Hong Kong Ann Hui. Abel Ferrara a reçu le prix Jaeger-LeCoultre Glory to the Filmmaker.

Il restait aux deux jurys principaux de révéler leurs choix: celui de la compétition (Cate Blanchett, présidente, Matt Dillon, Veronika Franz, Joanna Hogg, Nicola Lagioia : écrivain Drapeau de l'Italie Italie, Christian Petzold et Ludivine Sagnier) et celui de la section Orizzonti (Claire Denis, présidente, Oscar Alegria, Francesca Comencini, Katriel Schory et Christine Vachon).

Globalement, l'Europe et l'Asie se sont partagés la pièce montée.

On a déjà parlé du Lion d'or, mais le palmarès est aussi cosmopolite que divers. Le jury de Cate Blanchett n'a pas manqué de donner enfin un prix d'interprétation masculine à Pierfrancesco Favino pour Padrenostro, lui qui l'avait manqué l'an dernier à Cannes pour Le traître (qui lui a valu son premier Donatello du meilleur acteur cette année). De même côté actrice, Vanessa Kirby (The Crown) pouvait difficilement être snobée avec deux films en compétition : The World to Come et celui pour lequel elle a ce prestigieux prix, Pieces of a Woman, premier film anglophone du hongrois Kornél Mundruczó. Kiyoshi Kurosawa reçoit avec le prix du meilleur réalisateur sa plus importante récompense dans sa carrière, faiblement honorée (hormis à Cannes avec un prix en 2015). Initialement choisi par Cannes, le nouveau film du mexicain Michel Franco repart de son côté avec le Grand prix du jury (cinq ans après son prix du scénario à Cannes).

Listen d'Anna Rocha de Sousa est parmi les vainqueurs de la soirée avec un prix spécial du jury Orizzonti et le prix du meilleur premier film toutes sélections confondues. On notera dans la sélection Orizzonti les deux prix d'interprétation pour un acteur tunisien et une actrice marocaine, confirmant année après année la pleine forme du cinéma maghrébin sur le Lido. Quant à Lav Diaz, Lion d'or en 2016, son cinéma si singulier est une nouvelle fois récompensé avec le prix du meilleur réalisateur.

LE PALMARÈS

Compétitition
Lion d'or: Nomadland de Chloé Zhao
Grand prix du jury: Nuevo Orden (New Ordre) de Michel Franco
Lion d'argent du meilleur réalisateur: Kiyoshi Kurosawa pour Les amants sacrifiés
Coupe Volpi de la meilleure actrice: Vanessa Kirby (Pieces of a Woman de Kornél Mundruczó).
Coupe Volpi du meilleur acteur: Pierfrancesco Favino (Padrenostro de Claudio Noce)
Meilleur scénario: The Disciple de Chaitanya Tamhane
Prix spécial du jury: Dear Comrades d'Andreï Konchalovsky

Sélection Orizzonti
Meilleur film: Dashte Khamoush (The Wasteland) d'Ahmad Bahrami
Meilleur réalisateur: Lav Diaz (Genus Pan (Lahi, Hayop))
Prix spécial du jury: Listen d'Anna Rocha de Sousa (Orizzonti)
Meilleure actrice: Khansa Batma (Zanka Contact de Ismaël El Iraki)
Meilleur acteur: Yahya Mahayni (L'Homme qui avait vendu sa peau de Kaouther Ben Hania)
Meilleur scénario: I predatori de Pietro Castellitto
Meilleur court métrage: Entre tu y milagros de Mariana Saffon

Prix Luigi de Laurentiis (premier film): Listen d'Anna Rocha de Sousa (Orizzonti)
Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir: Rouhollah Zamani (Sun Children de Majid Majidi, compétitition)

Cannes 2017: le palmarès de la sélection Un certain regard

Posté par vincy, le 27 mai 2017

Etrangement, le favori de la critique dans Un Certain Regard (le film russe Une vie étroite) a été oublié du palmarès du jury d'Uma Thurman et de son jury.

Le film iranien Lerd (Un homme intègre) de Mohammad Rasoulof a remporté le Prix Un Certain Regard. Le film sera distribué par ARP. Il s'agit de l'histoire de Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils. Il mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce. Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?

Le Prix de la mise en scène a été décerné à l'Américain Taylor Sheridan pour son premier film en tant que réalisateur, Wind River, à la fois enquête policière et état des lieux de la situation des Amérindiens. Le film sort le 30 août en France.

Le Prix du jury est revenu au mexicain Michel Franco pour Les filles d'Avril, prévu en salles le 26 juillet. Un autre Prix du jury a distingué une "performance", celle de l'actrice italienne Jasmine Trinca dans Fortunata (qui en effet porte le film avec son rôle de mère seule et combative dans un environnement pas forcément bienveillant).

Enfin, saluons le drôle de prix récompensant Barbara de Mathieu Amalric, film d'ouverture la section, qui reçoit le Prix spécial de la poésie du cinéma.

Cannes 2015: un palmarès très socio-politique et un peu romanesque

Posté par redaction, le 24 mai 2015

Pas de Cate Blanchett (incompréhensible) aux côtés de Rooney Mara. Pas de Sorrentino ni de Moretti (favori de la critique française). Pas de Jia Zhang-ke. Bref, comme toujours, il y a de gros oublis, des choix étranges dans le classement, et même des injustices. On se félicitera de quelques récompenses pour The Lobster, Vincent Lindon (enfin!), Hou Hsiao-hsien, le premier film de Laszlo Nemes... Le cinéma français est arrivé en force ce soir. Le jury des frères Coen a surtout donné une tonalité socio-politique à son palmarès: l'immigration et les cités chez Audiard, les camps de concentration chez Nemes, la diplomatie plutôt que la guerre chez HHH, les chômeurs et précaires chez Brizé, la fin de vie chez Franco.

Trois parcours romanesques ont pu quand même séduire les jurés: dans un monde dicté par des normes tyrannique, on cherche le grand amour chez Lantimos, l'amour est transgressif et pudique chez Haynes, passionnel et douloureux chez Maïwenn.

Mais ce qu'on retiendra de cette 68e édition, c'est l'absence d'un très grand film et la multiplication de bons films aux regards acérés et esthétiques assumés. Quitte à prendre de forts risques qui ont souvent divisé les festivaliers.

Palme d'or: Dheepan de Jacques Audiard

Grand prix du jury: Le fils de Saul de Laszlo Nemes

Prix de la mise en scène: Hou Hsiao-hsien pour The Assassin

Prix d'interprétation masculine: Vincent Lindon pour La loi du marché. "C'est la première fois que je reçois un prix dans ma vie."

Prix du jury: The Lobster de Yorgos Lanthimos

Prix d'interprétation féminine: Emmanuelle Bercot pour Mon Roi et Rooney Mara pour Carol

Prix du scénario: Michel Franco pour Chronic (Mexique)

Palme d'honneur: Agnès Varda, "Palme de résistance et d'endurance". "Cette palme dorée sera placée dans un placard à côté de celle de Jacques [Demy]".

Caméra d'or du meilleur premier long métrage: La tierra y la sombra de César Augusto Acevedo (Colombie)

Palme d'or du court métrage: Waves'98 de Ely Dagher (Liban)

Cannes 2015: Carte postale du Mexique

Posté par vincy, le 22 mai 2015

C'est la révolution! A l'instar du cinéma roumain et sud-coréen, le Mexique s'est placé sur la carte du cinéma mondial en quelques années. Pourtant, il ne date pas d'hier. Le premier film mexicain date de 1896. La première fiction est tournée deux ans après. Mais le vénérable cinéma mexicain s'est offert une cure de jeunesse.

Avec un voisin hollywoodien encombrant, ce n'était pas forcément gagné d'avance. Le Mexique a bénéficié, avant tout, d'une immigration de talents qui fuyaient l'URSS, l'Argentine fasciste ou l'Espagne franquiste. Ainsi Eisenstein est passé par là et Bunuel s'y est installé. Dans un pays où les spectateurs appréciaient avant tout les grands mélos et les farces, l'âge d'or qui allait naître au sortir de la gueule n'était pas forcément prévisible. Pourtant, le Mexique devint le plus gros producteur de films en langue espagnole durant les années 40.

Le Festival de Cannes a ainsi sélectionné dès 1946 un cinéaste mexicain, Emilio Fernández, avec son film, María Candelaria (incarnée par la star mondiale Dolores Del Rio). La qualité technique du film impressionne déjà: ce sera l'une des marques de fabrique de ce cinéma. Evidemment, le symbole international de ce 7e art s'appelle Luis Bunuel, prix de la mise en scène à Cannes en 1951 avec Los Olvidados. D'autres grands cinéastes apparaîtront dans les décennies suivantes tels Arturo Ripstein, Alejandro Jodorowski, Ismael Rodríguez...

Mais c'est au tournant des années 2000 que le cinéma mexicain s'impose sur la Croisette. Pour ne pas parler d'invasion. Trois prix de la mise en scène (Alejandro González Iñárritu pour Babel en 2006, Carlos Reygadas pour Post Tenebras Lux en 2012, Amat Escalante pour Heli en 2013), un prix du jury pour Lumière silencieuse, toujours de Carlos Reygadas, une Caméra d'or en 2010 pour Michael Rowe et son Année bissextile (et une mention pour Reygadas en 2002 pour Japon), un Prix Un certain regard en 2012 pour Michel Franco (Después de Lucía), qui est en compétition cette année. Sans oublier le duo Gael Garcia Bernal/Diego Luna et Salma Hayek, régulièrement présents à Cannes comme réalisateur, producteur, acteur ou président/membre de jury.

Le Mexique a aussi conquis Hollywood avec Guillermo del Toro (membre du jury cette année, déjà sélectionné), et les deux oscarisés Inarritu et Alfonso Cuaron. Pourtant, le pays ne produit désormais que 70-80 films par an, et les spectateurs mexicains préfèrent largement les films venus du nord de la frontière.

Cannes 2015 : Qui est Michel Franco ?

Posté par MpM, le 22 mai 2015

michel franco

Quatre films, trois sélections cannoises. Belle moyenne pour le réalisateur Michel Franco, à peine âgé de 36 ans, et désormais présenté partout comme "la relève du cinéma mexicain", qui accède pour la première fois cette année à la compétition officielle.

Cet autodidacte revendiqué s’est fait remarquer dès son premier long métrage, Daniel y Ana, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009, qui racontait comment la relation entre une jeune femme et son frère adolescent était irrémédiablement altérée suite à leur enlèvement. Le cinéaste y imposait sa marque de fabrique, à savoir un cinéma dérangeant, extrêmement maîtrisé, mais refusant toute explication psychologique. Probablement sous l’influence de Bresson et Bergman dont il admire les "études de la condition humaine" et les "formes" trouvées pour les mener à bien.

Logiquement, son film suivant est de retour sur la Croisette trois ans plus tard, direction la section Un certain Regard. Despues de Lucia divise violemment la critique en montrant le calvaire d’une jeune fille harcelée et maltraitée par ses camarades de classe. Tandis que ses détracteurs le trouvent "pervers" et "complaisant", ses défenseurs vantent la précision et la densité de sa mise en scène, ainsi que la force de son propos. Le jury présidé par Tim Roth tranche et lui décerne son Prix. C’est la consécration pour Michel Franco, qui devient immédiatement le "jeune cinéaste sud-américain" à suivre.

Certains auraient eu du mal à supporter la pression, lui décide de réagir par le travail. Il se lance à corps perdu dans son troisième long métrage, A los ojos (inédit en France), réalisé avec sa sœur documentariste, Victoria Franco. Le film, qui sera notamment présenté au festival de Moralia, suit le quotidien d’une travailleuse sociale dont le dévouement est plus ambigu qu’il n’y paraît. Il aura peu de retentissement au niveau international, mais qu'importe, le cinéaste continue de creuser son sillon (et de poursuivre ses fantômes ?).

Son nouvel opus, Chronic, place ainsi à nouveau le thème de la famille au cœur de l’intrigue en mettant en scène un infirmier (incarné par Tim Roth rencontré à Cannes quand l'acteur était président du jury Un certain regard) qui assiste des patients en phase terminale et tente de renouer des liens avec la famille qu'il a abandonnée. Un sujet qui devrait a minima permettre à Michel Franco de renouer avec son sport favori : diviser la critique.