De manière générale, tout le monde est d'accord pour reconnaître la bonne tenue de la sélection 2010, presque plus captivante que celle de Cannes ou de Berlin. En effet, les réalisateurs attendus au tournant ont peu déçus tandis que les autres ont réussi à créer de belles surprises. On se retrouve donc en fin de festival avec des pronostics très ouverts sur l'identité des lauréats.
Dans le détail, il est frappant de constater que plusieurs thématiques très fortes se dégagent de ces 24 films venus pourtant de tous les horizons.
Le poids de l'Histoire
Tout d'abord, l'Histoire avait cette année une importance toute particulière, qu'elle soit au centre des intrigues comme dans Noi credevamo de Mario Martone, fresque épique sur la révolution italienne, ou plus en toile de fond comme dans les deux actioners asiatiques Detective Dee and the mystery of phantom flame de Tsui Hark et 13 assassins de Takashi Miike. Julian Schnabel, lui, aborde dans Miral les différentes étapes du conflit israélo-palestinien à travers la vie de plusieurs personnages qui se croisent. Dans Ballade triste de trompeta d'Alex de la Iglesia, la grande Histoire sert elle-aussi de prétexte à la petite, puisque son personnage principal est traumatisé par les horreurs de la guerre civile.
Enfin, trois films mêlent intimement témoignage historique et destins particuliers, puisant dans les faits réels qu'ils exposent une force dramatique supplémentaire : Venus noire d'Abdellatif Kechiche retrace les dernières années de la vie de Sarah Baartman, dite la "Venus Hottentote", Post mortem de Pablo Larrain se déroule au moment du coup d'état contre Salvador Allende au Chili, période troublée de massacres et de peur, et The ditch de Wang Bing raconte le quotidien miséreux de prisonniers politiques chinois croupissant dans un camp de travail insalubre pendant les années 60. Les journalistes chinois ont d'ores et déjà été prévenus, il est interdit de parler du film. Et si c'est lui qui gagne, il faudra tout simplement prétendre qu'aucun lion d'or n'a été décerné cette année. Preuve que le passé n'a pas fini d'être sensible, en plus d'être une excellente source d'inspiration.
Identité sexuelle 2.0
Dans un genre très différent, de nombreux films se sont intéressés aux questions d'identité sexuelle. Dans Potiche de François Ozon, les enjeux de la fin des années 70 font clairement écho à notre époque : émancipation, indépendance financière, libération sexuelle... Le film interroge ce qu'est être une femme et se moque des dernières barrières sexistes. Dans Black Swan de Darren Aronofky et La solitude des nombres premiers de Saverio Costanzo, les deux héroïnes fantasment sur une autre femme, et vont jusqu'au passage à l'acte plus ou moins fantasmé.
De plus, à travers la question de l'identité sexuelle, c'est la notion même de couple qui vole en éclats pour mieux donner naissance à quelque chose de meilleur. Happy few d'Antony Cordier explore différentes combinaisons échangistes entre deux couples qui se rendent compte qu'ils fonctionnent mieux à 4 qu'à 2. Drei de Tom Tykwer réinvente le trio classique de la femme, le mari et l'amant, en jetant les deux hommes dans les bras l'un de l'autre, et en appelant à abandonner les "idées préconçues de détermination biologique". A bas les étiquettes, en somme.
Vous avez dit abstraction ?
Enfin, il y a presque de quoi relancer le vieux débat sur l'abstraction au cinéma, tant certains films essayent de s'affranchir de toute narration, voire de toute intrigue. Cela donne des oeuvres arides et épurées, parfois radicales, qui ne cherchent pas à séduire a priori. C'est le cas d'Essential killing de Jerzy Skolimowski, où Vincent Gallo est seul dans la neige pendant plus de la moitié du film. Ou encore de Promises written in winter, de et avec Vincent Gallo, sorte d'essai destructuré où l'acte de création a lieu en direct, encore et encore, jusqu'à trouver le ton juste.
Somewhere de Sofia Coppola tend lui-aussi vers cette sorte d'abstraction en se contentant de capter la vie dans ce qu'elle a de plus quotidien. Au début et à la fin du film, on voit ainsi le personnage dormir, manger, marcher, en un mot vivre. Le reste est une succession de saynètes et de petits moments privilégiés. Silent Souls d'Aleksei Fedorchenko est un road-movie poétique et contemplatif sur les rites funéraires d'une éthnie russe imaginaire. Les gestes et les rituels y comptent bien plus que l'histoire-prétexte. Enfin, Meek's cutoff de Kelly Richardt se déroule dans les vastes plaines désertiques et désolées de l'Ouest américain. On y suit une poignée de pionniers à la recherche d'un point d'eau. L'intrigue et les dialogues tiennent sur un timbre poste, et là aussi tout est dans les gestes accomplis et l'écoulement du temps.
S'il est possible de considérer cette sélection comme un instantané de la production cinématographique à un instant "t", alors les réalisateurs contemporains semblent avant tout obnubilés par la question du temps qui passe. A la fois dans la nécessité d'interroger le passé pour mieux comprendre le présent, que dans celle de capter le flot de la vie et son irrésistible bouillonnement. Dans tous les cas, ils se projettent dans un avenir proche ou lointain qu'ils espèrent tous plus harmonieux, car ayant tiré les leçons de l'Histoire, et plus satisfaisant, car ayant redéfini les différents rapports sociaux entre les êtres. Le cinéma comme synthèse et utopie politiques, en quelque sorte.