"Tout fonctionne avec des crédits dont les usagers sont les garants."
L'histoire : Leslie Franke et Herdolor Lorenz, qui s'étaient penchés sur la privatisation de l'eau en Grande-Bretagne et en Allemagne dans Eau publique à vendre, se sont intéressés à la situation française où domine le modèle "partenariat public-privé" et où Veolia et Suez se partagent 80% de l'approvisionnement en eau courante. Pour ce faire, ils ont rencontré de nombreux élus et membres d'association qui décortiquent les rouages des marchés d'attribution : "droits d'entrée" exorbitants supportés par les seuls usagers, corruption massive, manque d'entretien des infrastructures... Une analyse captivante et édifiante.
Notre avis : Il ne faut surtout pas se laisser décourager par le début de Water makes money qui tente de démonter les manoeuvres financières abusives et les montages financiers complexes qui ont souvent accompagné la création des fameux "partenariats public-privé" chargés de l'approvisionnement de l'eau. C'est de loin la partie la plus ardue du documentaire, mais si elle peut sembler rebutante, elle s'avère indispensable pour comprendre les mécanismes lucratifs qui se cachent derrière le marché de l'eau courante. Les réalisateurs Leslie Franke et Herdolor Lorenz donnent en effet la parole à des élus, des associations et des spécialistes qui expliquent, chiffres et faits à l'appui, comment un astucieux système de pots de vin a permis aux deux grands leaders du marché de l'eau privatisée, Veolia et Suez, de s'imposer dans de nombreuses grandes villes de France.
Toujours sur le même mode (témoignages et commentaires en voix-off), le film s'intéresse ensuite aux conséquences pratiques d'une gestion privée de l'eau. D'un point de vue économique, d'abord, avec l'augmentation exponentielle (et planifiée) des factures, puis d'un point de vue plus large qui englobe réflexions sanitaires, écologiques et humanistes. On apprend ainsi qu'en France, un litre d'eau potable sur quatre n'arrive jamais au consommateur, du fait de nombreuses fuites présentes sur le circuit d'acheminement. Soit des millions de litres gaspillés par négligence, et qui sont bien évidemment facturés aux usagers finaux. Dans le même esprit, le film démontre qu'il est plus rentable de mettre au point des techniques de filtrage toujours plus pointues (et de noyer l'eau dans le chlore) que de veiller au bon entretien des canalisations, ou à la protection des zones de captage...
Exemples d'actions concrètes
Heureusement, Water makes money ne se contente pas d'aligner les constats pessimistes. Les interventions de la directrice du développement durable de Suez apportent une bonne touche d'humour, tant elles sont creuses et vides. La malheureuse est incapable de défendre les agissements de sa société, et cela se voit. Plus sérieusement, le documentaire met un point d'honneur à présenter des exemples concrets d'initiatives permettant justement de lutter contre le gaspillage et la pollution. S'il est possible de boire de l'eau sans chlore ni additifs chimiques dans la ville de Munich, cela doit être possible de la même manière dans de nombreuses communes de France ! Le film montre d'ailleurs que la tendance générale est plutôt à la "recommunalisation" du marché de l'eau, ce qui permet des prises de décision sur le long terme, libérées de la nécessité d'un profit immédiat. Un "retour en arrière" qui pourrait se généraliser dans la mesure où de nombreux "partenariats public-privé" arrivent à échéance en 2012.
Toutefois, le problème est loin d'être typiquement français ou même européen. Partout, des mouvements citoyens se sont mobilisés pour protester contre les hausses exorbitantes du prix de l'eau opérées par des compagnies privées. Comme le montre Même la pluie d'Iciar Bollain, des heurts violents ont éclaté en Bolivie. Le Kenya, le Guatemala ou encore l'Uruguay ont été confrontés au même problème. Water makes money touche ainsi à une question de société actuelle qui va au-delà de la simple tentation militante. Ce sont d'ailleurs des municipalités et des citoyens sensibilisés aux enjeux de la gestion de l'eau qui ont financé le tournage à hauteur de 120 000 euros. C'est pourquoi il serait vraiment dommage de passer à côté. Dommage et inexcusable, dans la mesure où le film est disponible sur plusieurs supports : il est diffusé ce mardi soir sur Arte puis disponible dès le lendemain en DVD. Par ailleurs, le cinéma La Clef en propose en exclusivité à Paris une version longue accompagnée chaque jour d'un débat différent.
_______________________
Water makes money de Leslie Franke et Herdolor Lorenz
Avec : Jean-Luc Touly, Marc Laimé...
Sur Arte le 22 mars à 20h40.
En DVD et en exclusivité au cinéma La Clef à Paris dès le 23 mars.
Horaires et détail des débats sur le site du Cinéma La Clef