Hong Kong, Chine, Taïwan: secousses sismiques dans le 7e art

Posté par vincy, le 7 octobre 2019

Le cinéma subit à son tour les effets de la situation politique de Hong Kong, dont les citoyens revendiquent a minimia le maintien d'un pays-deux systèmes distinguant Hong Kong du continent chinois, statut obtenu lors de la rétrocession par les britanniques en 1997. Depuis la fin mars, la métropole de près de 8 millions d'habitants vit aux rythmes de manifestations monstres où la violence policière et étatique est de plus en plus brutale.

Pour ne pas froisser la Chine, deuxième marché mondial en nombre de spectateurs en salles, certaines personnalités du cinéma ont déjà refusé de soutenir les hong kongais, à commencer par l'actrice du film Mulan, Liu Yifei. D'ores et déjà des appels aux boycotts ont répliqué. Mais la Chine sait se faire pression. Dès qu'une personnalité du spectacle ou du sport apporte son soutien au "mouvement des parapluies", le régime de Pékin ordonne la rétractation, ou c'est l'interdiction de travailler en Chine. Aussi, aucun des cinéastes hongkongais ne s’est exprimé à titre personnel sur cette crise pour continuer à bénéficier de l'accès aux puissantes industries culturelles chinoises. Dans La Croix, Arnaud Lanuque justifiait ce silence il y a un mois: "Le cinéma de Hong Kong est devenu limité, et ces réalisateurs ne veulent pas faire de petits films. Pour faire des films ambitieux, il faut nécessairement passer par le marché chinois. Hong Kong n’a plus que des films à petits budgets, des drames sociaux, des comédies, et des films fantastiques (genre interdit en Chine)."

Migration en Corée du sud

Mais depuis deux semaines, le cinéma hong kongais est quand même sur les dents. Les Asian Film Awards ont décidé de quitter leur lieu d'accueil historique, remis chaque année depuis 2007 au Festival international du film de Hong Kong en mars. Ils migreront à Busan, en Corée du sud, la ville où se déroule le plus grand festival de cinéma en Asie. Si bien que les prochains AFA auront lieu en octobre 2020. A un mois des Asia Pacific Screen Awards (qui se déroulent à Brisbane en Australie).

Fondé par la HKIFF Society, les AFA ont ensuite noué des partenariats avec les festivals de Busan et Tokyo, tout en restant juridiquement basés à Hong Kong. Depuis longtemps, les organisateurs réfléchissent à une rotation entre les trois festivals (Tokyo a lieu fin octobre). Mais les difficultés de Busan à l'époque avaient mis ce projet à l'écart. Cette rotation serait de nouveau en discussion.

Le Festival du film de Hong Kong devrait quand même avoir lieu, et accueillerait malgré tout un prix honorifique des AFA, afin de conserver son emprise sur la marque. Mais il faudra bien attendre encore un an pour connaître le successeur d'Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda. Et on ignore encore si le cinéma chinois (5 statuettes du meilleur film en tant que producteur ou co-producteur) y sera le bienvenu.

Exclusion du cinéma chinois

Car, l'effet de choc n'est pas terminé. Les Golden Horse Awards se mêlent aussi de real-politik. Les récompenses de cinéma taïwanaises sont décernées depuis 1962 distinguant les films d’expression chinoise, qu’ils viennent de Taïwan, des territoires sinophones (Hong Kong, Singapour, ...) et depuis 1996 de Chine continentale.

Or, l'île de Taïwan, à la fois état souverain non indépendant et province chinoise avec son propre système politique et économique, est en pleine campagne électorale. Et elle est partagée entre ceux qui souhaitent le rattachement à la Chine, sur la base de Hong Kong (un pays, deux systèmes), et ceux qui revendiquent l'indépendance (qui sont de plus en plus renforcés dans leur conviction en voyant les événements de Hong Kong).

Les récentes nominations aux Golden Horse Awards montrent que les professionnels ont choisi leur camp: les films chinois sont complètement absents et seuls quelques films de Hong Kong ont reçu des citations (Suk Suk, My Prince Edward, Bamboo Theatre). Deux films de Singapour et un de Malaisie complètent les nominations hors-Taïwan. C'est d'autant plus une claque que les films de Chine et de Hong Kong ont largement dominé le palmarès des GHA depuis leur création. Seules 8 productions ou coproductions taïwanaises ont remporté le prix du meilleur film depuis 1996.

Présidés par Ang Lee, les GHA sont considérés comme les Oscars du cinéma en langue chinoise. Mais l'an dernier, Fu Yue, prix du meilleur documentaire, avait choqué le régime chinois en réclamant l'indépendance de Taïwan lors de son discours d'acceptation. En guise de rétorsion, les autorités chinoises, en août dernier, ont alors décidé de boycotter tous les films nommés aux Golden Horse Awards, interdits de sortie en Chine continentale.

De peur de ne plus pouvoir travailler en Chine, plusieurs personnalités de cinéma de Hong Kong ont déjà fait savoir qu'ils ne soumettaient par leurs films aux GHA, ce qui explique l'absence de films chinois (il n'y a eu que 148 candidats contre 228 l'an dernier). Dernier en date, et pas des moindres, le cinéaste Johnnie To, qui s'est retiré de la présidence du jury, qui choisit les gagnants, au nom d'obligations contractuelles.

Mais surtout, la Chine a décidé de lancer ses propres récompenses, les Golden Rooster Awards, qui auront lieu à Xiamen, le même soir (23 novembre) que les Golden Horse Awards. A cette politique de menaces, le régime chinois ajoute d'autres formes de pressions sur les festivals internationaux en interdisant à certains films et talents de s'y rendre, à l'instar de One Second de Zhang Yimou, retiré au dernier moment de la compétition de Berlin, ou de Liberation de Li Shaohong, film d'ouverture du festival de Pingyao (créé par Jia Zhangke), remplacé trois jours avant sa projection par un autre film.

Cannes 2019: Qui est Midi Z ?

Posté par kristofy, le 20 mai 2019

Taïwan représente un vivier de jeunes cinéastes à suivre, même s'ils sont encore méconnus: le réalisateur Midi Z pourrait être l’un d’eux mais, à 37 ans, il est déjà un cinéaste reconnu. Son 3ème film en 2014 Ice Poison attire plus particulièrement l’attention à l'international, représentant Taïwan pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Son film suivant en 2016 The Road to Mandalay est alors sélectionné au Festival de Venise, et son dernier Nina Wu est donc présenté à Un Certain Regard cette année à Cannes. Une ascension dont seuls Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming-lang peuvent se prévaloir d'une telle aura internationale, si on excepte le "mo,dialisé" Ang Lee.

Les trois premiers films de Midi Z Return to Burma (en 2011), Ooor Folk (en 2012) et donc Ice Poison évoquent de manière particulièrement sensible des déracinements pour former une « trilogie de l’Origine » : des personnages reviennent là où ils ont grandis, d’autres souhaitent émigrer ailleurs, des difficultés financières incite à l’illégalité… Cette double culture, qui l'habite lui-même, est l'un des thèmes majeurs de ses films.

Au début, il espérait devenir photographe de mariage en Birmanie, une activité lucrative. Le dilemme de rester à Taïwan ou de retourner en Birmanie le déprime et sera pourtant le moteur de ses premiers films. Il se lance finalement dans le cinéma à Taïwan, admirateur de ses compatriotes comme d'Ingmar Bergman, et s'inscrit à l’Académie du film du Festival du Cheval d’or d'Hou Hsiao-hsien qui forme de jeunes réalisateurs, scénaristes et photographes. Il tourne alors son premier court métrage L’Incident de Hua-Xing. Hou Hsiao-Hsien le forme dans la direction d'acteurs amateurs pour réaliser des films authentiques et réalistes, tandis que Ang Lee lui apprend à faire face à ses propres sentiments à travers la mise en scène.

En parallèle à ses films de fiction Midi Z réalise aussi plusieurs documentaires. D’un format à un autre il raconte moins des histoires que des témoignages: partir travailler loin de sa famille, devenir un clandestin, le trafic de drogue... L’humain est sa matière première pour ses recherches qu'il restitue avec sa caméra. Les émotions humaines en sont l'énergie narrative. Adieu Mandalay est une approche documentée de la précarité sociale, de la nécessité de migrer et de l'aspiration à une vie meilleure de deux travailleurs birmans œuvrant dans l'illégalité. Le film est primé à Venise, le cinéaste sacré aux Asian Pacific Awards.

Son nouveau film Nina Wu va faire parler de lui beaucoup pour ses qualités mais aussi pour son écho avec une récente actualité : le sujet est en rapport avec le scandale Weinstein et le mouvement #MeToo. Le scénario a été écrit par Midi Z en collaboration avec son égérie Wu Ke-Xi.

The Assassin écrase la concurrence aux Asian Film Awards

Posté par vincy, le 19 mars 2016

Les Asian Film Awards, sorte d'Oscars pan-asiatiques, ont récompensé un peu tous les cinémas: Inde, Japon, Corée du Sud, Hong Kong, Chine... mais c'est un cinéaste taïwanais qui a tout raflé. Hou Hsiao-hsien, prix de la mise en scène à Cannes avec The Assassin, a passé la soirée à voir son film triompher : 8 trophées dont le meilleur film, le meilleur réalisateur et la meilleure actrice piur la sublime Shu Qi.

Il n'a resté que des miettes pour les autres: la star Lee Byung-hun (acteur), enfin récompensé, Jia Zhang Ke (scénario pour Au-delà des montagnes), 9 ans après son prix du meilleur réalisateur pour Still Life, Port of Call de Philip Yung (seul film à recevoir deux prix), Tadanobu Asano (connu aussi à Hollywood avec Thor et le prochain Scorsese)... C'est le film chinois Monster Hunt de Raman Hui, avec ses 380M$ de recettes en Chine, qui a récolté le titre de champion du box office asiatique.

Pour la première fois depuis leur création en 2007, les AFA, remis lors du Festival international du film de Hong Kong, ont donc récompensé Hou Hsiao-hsien. The Assassin rejoint au palmarès The Host, Secret Sunshine, Tokyo Sonata, Mother, Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures, Une séparation, Mistery, The Grandmaster et Blind Massage. Le film avait déjà reçu le prix de la meilleure image aux Asia Pacific Screen Awards et les prix du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure image, meilleurs costimes et meilleurs effets sonores aux Golden Horse Awards, les Oscars de Taïwan.

Le palmarès complet

Film: The Assassin
Réalisateur: HOU Hsiao-Hsien - The Assassin
Acteur: LEE Byung-Hun - Inside Men
Actrice: SHU Qi - The Assassin
Second rôle masculin: Tadanobu ASANO - Vers l'autre rive
Second rôle féminin: ZHOU Yun - The Assassin
Espoir: Jessie LI - Port Of Call
Scénario: JIA Zhang-Ke - Mountains May Depart
Montage: William CHANG Suk Ping, CHU Ka Yat, LIAO Ching-sung, WONG Hoi, Philip YUNG - Port Of Call
Image: Mark LEE Ping-Bing - The Assassin
Musique: LIM Giong - The Assassin
Costumes: LEE Ji-yeon, SHIM Hyun-seob - The Throne
Décors: HWARNG Wern-ying - The Assassin
Effets visuels: Prasad SUTAR - Bajirao Mastani
Son: CHU Shih-Yi, TU Duu-Chih, WU Shu-Yao - The Assassin
Prix honorifique pour l'ensemble de leur carrière: Kirin KIKI (Japon), YUEN Wo-ping (Hong Kong)
Champion du box office asiatique: Monster Hunt

La nouvelle génération des cinéastes taïwanais pendant 3 jours à Paris

Posté par vincy, le 8 février 2016

Les rencontres du cinéma taïwanais organisent du 9 au 11 février un cycle Nouveaux auteurs au cinéma Les 3 Luxembourg à Paris. Cette 2e édition propose 11 courts métrages et 2 longs métrages, quasiment tous inédits en France et souvent primés dans les festivals. L'entré est libre. Design 7 Love de Hung-I Chen et Together de Chao-Jen Hsu sont les deux longs présentés respectivement le 9 février à 21h45 et le 10 février à la même heure.

Les courts métrages présentés durant ces trois jours sont: Chicharon de Rina Tsou, Fan Fan de Chia-Hsin Liu, Nia's Door de Ket-Huat Lau, Some Conjonctures on existence d'Albert Zoe, The Death of a Security Guard de Wei-Hao Cheng, The Great Buddha de Hsin-Yao Huang, Summer Trifles de Dan-Chi Huang, The Palace on the Sea de Midi Z, Running de Yung-Chi Chen, The Great Escape from Café City de John Hsu et Coop of Blemishes de Ming-Yen Su.

La plupart de ces films a en commun la jeunesse, avec des personnages lycéens ou étudiants. L'autre thème qui traverse une partie de ces 13 fictions est lié à la disparition et au mystère.

Cinéma méconnu (une cinquantaine de films par an) même dans un pays aussi cinéphile que la France, hormis quelques grands noms comme Ang Lee (passé à Hollywood), Hou Hsiao-Hsien et Tsai Ming Liang. Bon an, mal an, un à trois films sortent sur les écrans français chaque année. Même les films très populaires de Wei Te-Sheng n'arrivent pas jusqu'ici.

Les rencontres du cinéma taïwanais sont l'occasion d'explorer cet autre grand cinéma asiatique.

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Lire aussi notre carte postale de Taïwan

Cannes 2015: un palmarès très socio-politique et un peu romanesque

Posté par redaction, le 24 mai 2015

Pas de Cate Blanchett (incompréhensible) aux côtés de Rooney Mara. Pas de Sorrentino ni de Moretti (favori de la critique française). Pas de Jia Zhang-ke. Bref, comme toujours, il y a de gros oublis, des choix étranges dans le classement, et même des injustices. On se félicitera de quelques récompenses pour The Lobster, Vincent Lindon (enfin!), Hou Hsiao-hsien, le premier film de Laszlo Nemes... Le cinéma français est arrivé en force ce soir. Le jury des frères Coen a surtout donné une tonalité socio-politique à son palmarès: l'immigration et les cités chez Audiard, les camps de concentration chez Nemes, la diplomatie plutôt que la guerre chez HHH, les chômeurs et précaires chez Brizé, la fin de vie chez Franco.

Trois parcours romanesques ont pu quand même séduire les jurés: dans un monde dicté par des normes tyrannique, on cherche le grand amour chez Lantimos, l'amour est transgressif et pudique chez Haynes, passionnel et douloureux chez Maïwenn.

Mais ce qu'on retiendra de cette 68e édition, c'est l'absence d'un très grand film et la multiplication de bons films aux regards acérés et esthétiques assumés. Quitte à prendre de forts risques qui ont souvent divisé les festivaliers.

Palme d'or: Dheepan de Jacques Audiard

Grand prix du jury: Le fils de Saul de Laszlo Nemes

Prix de la mise en scène: Hou Hsiao-hsien pour The Assassin

Prix d'interprétation masculine: Vincent Lindon pour La loi du marché. "C'est la première fois que je reçois un prix dans ma vie."

Prix du jury: The Lobster de Yorgos Lanthimos

Prix d'interprétation féminine: Emmanuelle Bercot pour Mon Roi et Rooney Mara pour Carol

Prix du scénario: Michel Franco pour Chronic (Mexique)

Palme d'honneur: Agnès Varda, "Palme de résistance et d'endurance". "Cette palme dorée sera placée dans un placard à côté de celle de Jacques [Demy]".

Caméra d'or du meilleur premier long métrage: La tierra y la sombra de César Augusto Acevedo (Colombie)

Palme d'or du court métrage: Waves'98 de Ely Dagher (Liban)

Cannes 2015: Carte postale de Taïwan

Posté par vincy, le 21 mai 2015

C'est une drôle d'histoire que celle de Taïwan et de Cannes. Une histoire de grand amour qui n'a jamais conduit à la récompense suprême, la Palme d'or. Ce n'est pas faute de grands films ou d'immenses cinéastes. Cette petite île aux confins de l'Orient, toujours revendiquée par la Chine depuis qu'elle a pris son indépendance, n'a jamais manqué à l'appel des grands festivals: quatre Lions d'or à Venise et un Ours d'or à Berlin, notamment grâce à Ang Lee (trois de ces cinq prix). Les deux autres réalisateurs sacrés à Venise sont Tsai Ming-liang et Hou Hsiao-hsien (8 sélections officielles), deux habitués de Cannes: chacun n'est reparti qu'avec un prix, et ont même "partagé" le prix du jury en 2001 pour leur ingénieur du son, Tu Duu-Chih, qui avait travaillé sur Et là-bas quelle heure est-il du premier et Millennium mambo du second.

Le seul prix majeur que le cinéma taïwanais a obtenu à Cannes date d'il y a 15 ans: le prix de la mise en scène, donné à Edward Yang pour son émouvant Yi-Yi.

Sous influence du colonisateur japonais jusqu'en 1945, le cinéma de Taïwan n'a commencé à exister qu'après la seconde guerre mondiale, largement grâce à l'exode provenant de Shanghaï après la conquête du pouvoir chinois par Mao. Il naît réellement - infrastructures, institutions... - qu'au début des années 60, même s'il reste avant tout un outil de propagande, loin du cinéma poétique et allégorique que l'on connaît aujourd'hui. Même si l'esthétisme était déjà très présent, y compris dans les oeuvres populaires (comme celles de kung-fu). A Cannes Classics, cette année, on pourra ainsi revoir le culte A Touch of Zen de King Hu, premier film taïwanais au Festival de Cannes et premier film en langue mandarin à y être présenté: c'était en 1971.

Il faut attendre les années 80 pour que des auteurs s'emparent du 7e art, à leur manière. Outre les quatre cinéastes cités auparavant, les plus connus, d'autres émergent: Chen Kun-hou qui en fut la figure de proue, I-Chen Ko, Yi Chang, Lee You-ning puis plus tard Leste Chen, Yonfan, Lin Shu-yu, Wei Te-Sheng, Stan Lai, ... Et si le nombre de salles diminue sensiblement, le nombre de films produits se maintient autour de la cinquantaine d'oeuvres par an, avec une part de marché très honorable de plus de 20% de spectateurs pour les films locaux. Parfois même, certains, commencent à faire de l'ombre aux blockbusters étrangers. Petit dragon deviendra-t-il grand?