Le comédien Jean-Pierre Marielle est décédé mercredi à l'âge de 87 ans, a annoncé dans la soirée sa famille à l'AFP. Il était l'un des mousquetaires de la bande du conservatoire qui comprenait Jean-Paul Belmondo, Jean Rochefort, Annie Girardot, son amie de toujours, Bruno Cremer, Claude Rich, Françoise Fabian, Pierre Vernier et Michel Beaune. Belmondo, Fabian et Vernier sont aujourd'hui les derniers survivants.
[Portrait] Jean-Pierre Marielle: Un homme heureux
Né le 12 avril 1932, Jean-Pierre Marielle venait de fêter ses 87 ans. On a en tête son regard plein de malice, sa voix grave et chaude, caverneuse, un sourire charmeur qui pouvait se muer en rire tonitruant, sa silhouette de grand dandy, entre virilité et vulnérabilité qui lui ont permis d'incarner des rôles très différents, de la farce au drame, des navets aux grands films. "Certains trouvent que j'ai une tête d'acteur. Moi pas. J'ai une tête de rien. Au fond, c'est peut-être le mieux pour être comédien, une tête de rien pour tout jouer" écrivait l'acteur dans son autobiographie. Il avait ses humeurs, il était taciturne, il jouait de son physique, à la fois grand et moyen, comme de son mystère, son secret comme de ses colères et de ses angoisses.
S'il a été évincé de la Nouvelle Vague, la maturité l'a aidé à trouver de grands rôles par la suite. Sept fois nommé aux Césars (et toujours snobé) entre 1976 et 2008, deux fois primé par le Syndicat de la critique, Molière du meilleur comédien, Prix Lumières d'honneur, Marielle était éminemment populaire, tout en étant respectable. Trop souvent résumé à une grande gueule du cinéma français, ce fils d'industriel et de couturière, a très tôt attrapé le virus des planches, dès le lycée.
Après le Conservatoire - 2e prix de comédie - et les petits théâtre, il opte pour le cabaret, avec un certain Guy Bedos. Au cinéma, les rôles sont décevants. Il faudra qu'il attende la trentaine, alors que Belmondo triomphe déjà dans les salles. Si au cinéma, c'est plutôt un drame qui le révèle (Climats, 1962, avec Marina Vlady), c'est bien dans la comédie qu'il va exceller.
Dans les années 1960, il enchaîne Faites sauter la banque ! de Jean Girault, Week-end à Zuydcoote de Henri Verneuil, Monnaie de singe d'Yves Robert, Tendre Voyou de Jean Becker, Toutes folles de lui de Norbert Carbonnaux, Les Femmes de Jean Aurel. Mais c'est Philippe de Broca qui va le mieux exploiter son excentricité. Après Un monsieur de compagnie en 1964, il incarne un dragueur un peu beauf et frimeur, play-boy proche du ridicule, dans Le Diable par la queue.
Les années 1970 seront plus passionnantes pour le comédien, passant de la noblesse au père de famille libidineux, d'un homme en quête de bonheur à un père protecteur, d'ogre à policier, en passant par un double rôle de proxénète et de militaire. Il devient une tête d'affiche et aligne les grands noms du cinéma français dans sa filmographie, même du côté des oubliables (de Audiard à Mocky).
Les Caprices de Marie de Philippe de Broca, Quatre mouches de velours gris de Dario Argento, Sans mobile apparent de Philippe Labro, Que la fête commence de Bertrand Tavernier, Dupont Lajoie d'Yves Boisset, Les Galettes de Pont-Aven de Joël Séria, film iconique de sa carrière... Il tourne trois fois chez Claude Berri (Le pistonné, Sex-shop, Un moment d'égarement). Et fait la rencontre de Bertrand Blier (Calmos, 1976).
En revoyant certaines scènes, la palette de ses rôles (et des métiers qu'il a incarné), on se rend compte qu'il était immense, capable de jouer le misérable comme l'aristocrate, le Français sympathique avec un béret ou celui plus rigide dans son uniforme. Il pouvait être dépressif ou humaniste, hypocrite ou déjanté, jouant pour jouer et donnant ses lettres de noblesses au jeu plutôt qu'au je.
Marielle a eu des flops, mais avec son double rôle dans Coup de torchon de Bertrand Tavernier, les succès de Signes extérieurs de richesse de Jacques Monnet et Hold-up de Alexandre Arcady, sa sensibilité dans Quelques jours avec moi de Claude Sautet, son charisme en nanti déprimé dans Tenue de soirée de Bertrand Blier, il survole les années 1980 sans trop de maux.
Il apprécie les films de groupes: ainsi, il retrouve en 1990 Claude Berri pour Uranus, s'amuse dans Les Grands Ducs de Patrice Leconte, s'intègre dans Une pour toutes de Claude Lelouch et se joue lui-même dans Les Acteurs de Bertrand Blier. Avec ce dernier, il touche au cœur dans Un, deux, trois, soleil. Il fait aussi un pas de côté avec Max et Jérémie de Claire Devers. Noiret, Rochefort sont toujours autour. Il croise aussi Depardieu, Auteuil, Cassel. Il passe de Parillaud à Paradis, de Bonnaire à Sagnier, d'une génération à l'autre.
Mais son grand film restera à jamais Tous les matins du monde d'Alain Corneau, où il interprète un compositeur mutique du XVIIe siècle, Monsieur de Sainte-Colombe, connu pour son austérité et sa sévérité. Le film attire plus de 2 millions de spectateurs en France et la BOF de Jordi Savall est un phénomène cette année là.
Depuis 4 ans, Jean-Pierre Marielle ne tourne plus. Les années 2000 n'auront pourtant pas été moins éclectiques. La Petite Lili de Claude Miller, Demain on déménage de Chantal Akerman, Les Âmes grises d'Yves Angelo, Da Vinci Code de Ron Howard (soit son plus gros succès au box office mondial), qui ouvre Cannes en 2006, Faut que ça danse ! de Noémie Lvovsky, Micmacs à tire-larigot de Jean-Pierre Jeunet et les voix d'Auguste Gusteau dans Ratatouille en VF et celle du vilain dans Phantom Boy en 2015, dernier générique où il est crédité.
On l'a aussi vu dans le deuxième épisode de Capitaine Marleau et surtout au théâtre, son lieu qu'il n'a jamais abandonné. Il y a joué Molière, Ionesco, Ustinov, Giraudoux, Feydeau, Pirandello, Pinter, Stoppard, Anouilh, Tchekhov, Claudel, Guitry et y a lu la correspondance de Groucho Marx des Marx Brothers. Amoureux de jazz et de poésie, il avait toujours une musique en tête, un air ou des mots.
Sacré carrière. Pourtant, dans son livre, Le grand n'importe quoi (2010), il disait "vouloir vivre entre deux mondes, et de préférence plutôt du côté de la rêverie, ce qui est assez contradictoire avec toute velléité de carrière, c'est-à-dire de travail. " Ce qu'il cherchait c'était la rencontre. Même s'il nuançait. "Je prends beaucoup de plaisir à la conversation et n'aime rien tant qu'on me foute la paix : je suis un misanthrope mondain, un solitaire bavard" écrivait-il. Comme Marielle aimait le dire, "La communication silencieuse est un idéal." Alors silence.