Aujourd'hui au programme du Festival Lumière à Lyon, Cléo de 5 à 7, Kes et Sciuscia. France, Angleterre et Italie. 1962, 1969, 1946. Voyages dans le temps autour de l'Europe. On peut tout de même trouver un point commun à ses trois films : ils font partie des premières réalisations de trois grands cinéastes : Vittorio De Sica, Agnès Varda ou bien encore Kenneth (qui ne signe pas encore Ken) Loach.
Sciuscia (1946) de Vittorio De Sica est un film poignant contant la vie de deux jeunes garçons, dans la Rome de la seconde guerre mondiale, injustement envoyés en prison. À travers ce film, Vittorio De Sica dénonce les conditions de détention affreuses, la justice arbitraire, l'instrumentalisation des enfants et les difficultés lourdes de cette époque qui pèsent sur chaque famille. À travers ce prisme, le cinéaste pointe tout de même le doigt et l'attention du spectateur vers l'amitié entre deux jeunes garçons (cireurs de chaussures) qui, pour s'en sortir, doivent se serrer les coudes, mais...
Vittorio De Sica et ce film appartiennent au mouvement cinématographique du néoréalisme italien (dont Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini est l'un des plus connus) qui nait après la seconde guerre mondiale. "L’expérience de la guerre fut déterminante pour nous, raconte De Sica. Nous ressentions le besoin de planter la caméra au milieu de la vie réelle, au milieu de tout ce qui frappait nos yeux atterrés. Nous cherchions à nous libérer du poids de nos fautes, nous voulions nous regarder en face, et nous dire la vérité, découvrir ce que nous étions réellement, et chercher le salut." Mais De Sica ne veut pas uniquement dresser un portrait, un constat terrible, il cherche à faire réagir les Italiens en leur tendant un miroir en face duquel ils ne pourront se dérober, celui de leur conscience. Car au-delà du constat, le cinéaste accuse l'Italie d'injustices et de traitements quasi inhumains que le pays a infligé à une grande partie de la population et principalement aux enfants.
Grande oeuvre de Vittorio De Sica, Sciuscia annonce déjà le grand chef d'oeuvre du réalisateur deux ans plus tard, Le voleur de bicyclette.
Restons dans le monde de l'enfance avec Kes (1969) de Ken Loach. Le film est présenté par Jean-Pierre Darroussin (photo) avec flegme et nonchalance. Pour lui, c'est un film d'après mai. "En France, on a vécu mai 68, en Angleterre beaucoup moins, mais ils ont vécu une révolution culturelle. Mai 68 n'a pas eu lieu en Angleterre mais c'est une époque de mouvement. 1989, chute du Mur de Berlin et 1969, dissolution des Beattles". Kes est le troisième long-métrage de Ken Loach et c'est "une source fondatrice. C'est dans ce film que son talent se révèle. Film très sensoriel, on le ressent au niveau de l'inconscient. Dans ce film, Ken Loach parle de lui. En tant que fils d'ouvrier, il sent que le monde ne lui appartient pas, qu'il faut le conquérir." Ici, c'est la famille qui est oppressante, voire aliénante. Plus tard dans sa filmographie, c'est la société qui tiendra ce rôle.
Kes est l'histoire d'un jeune garçon, Billy Casper, souffre-douleur de son frère, délaissé par sa mère et peu entouré à l'école. Dans un monde qui ne lui correspond pas, Billy trouve un échappatoire en apprenant à dresser un jeune faucon. Comme l'a dit à juste titre Jean-Pierre Darroussin, Kes est un film qui relève énormément du ressenti. L'histoire parmi tant d'autres d'un gamin malmené par la vie dans l'Angleterre de cette époque. Pourtant, Ken Loach nous touche profondément avec cette figure de gosse paumé qui ne demande qu'à se sentir un peu aimé et soutenu. Billy et son faucon c'est un grand cri de désespoir d'une jeunesse délaissée au bord du chemin. David Bradley (l'interprète de Billy que l'on ne verra malheureusement plus sur grand écran ensuite) est impressionnant par sa justesse mêlant à merveille cette timidité de l'enfant qui ne veut pas déranger mais cherche une petite place pour lui et ce petit côté voyou qu'il a endossé pour pouvoir survivre. Une interprétation sans fausse note aucune et un film majeur de la filmographie de Ken Loach.
Un pas de géant nous transporte dans l'univers de Cléo de 5 à 7 (1962) d'Agnès Varda, à deux pas de la Nouvelle Vague. C'est Thierry Frémaux qui prend le micro pour nous présenter ce film restauré cette année même par le CNC et Agnès Varda. Il en profite pour nous rappeler qu'Agnès Varda n'appartient pas officiellement à la Nouvelle Vague mais qu'elle a beaucoup travaillé autour de la bande de Truffaut, Godard, Rohmer, Chabrol et Rivette... et ça se voit à travers ses images.
Corinne Marchand endosse le rôle d'une jeune chanteuse qui attend des résultats d'analyse et s'angoisse, persuadée d'avoir une maladie grave et d'en mourir bientôt. On suit littéralement (90 minutes de film pour 90 minutes dans la vie de Cléo, de 5 à 6h30 et non de 5 à 7) Cléo pas à pas déambulant dans les rues de Paris, torturée par cette attente. C'est tour à tour auprès de sa gouvernante, de son amant, de son musicien, de son amie puis d'un soldat rencontré au hasard d'un chemin qu'elle s'épanche, ouvre son coeur et laisse sortir sa peur. Tous tentent de la rassurer, de lui ouvrir les yeux.
Mais Cléo de 5 à 7, c'est avant tout une fable sur le temps qui passe, l'histoire d'une femme admirée pour sa beauté qui réalise petit à petit que celle-ci s'envole avec les années et ouvre alors les yeux sur le monde qui l'entoure, réalisant ainsi que la vie peut être toute autre. Film d'une femme (peu nombreuses à être réalisatrices à cette époque, pas beaucoup plus nombreuses aujourd'hui non plus malheureusement) sur une femme. Film qui sent étrangement bon les années 60 et nous transporte dans un Paris d'un autre temps.