Alors que Festival d'Annecy, carrefour mondial du cinéma d'animation, vient d'officialiser l'annulation de son édition 2020, qui sera remplacée par une édition en ligne du 15 au 20 juin prochain, le cinéma d'animation n'a pas tout à fait dit son dernier mot. Le Festival national de Rennes, qui avait dû lui aussi renoncer à organiser sa 26e édition, propose en effet dès ce mercredi 8 avril à 10 h une version BIS entièrement dématérialisée !
Grâce au soutien de la plateforme de vidéo à la demande UniversCiné et du média breton de culture en ligne KuB, plusieurs programmes de la sélection officielle 2020, représentant environ 90 films, seront en effet disponibles en ligne jusqu'au 12 avril. Outre les sept programmes de courts métrages en compétition, les internautes pourront découvrir six longs métrages dont J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti ou encore L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian et Sam-Sam de Tanguy de Kermel en exclusivité VOD.
La grande fête annuelle de l'animation française aura ainsi bien lieu, en attendant celle de l'animation mondiale courant juin. L'occasion de vous recommander quelques courts métrages qui valent le déplacement (virtuel), tels que Ruunpe de Boris Labbé, Moutons, loup et tasse de thé de Marion Lacourt, Les songes de Lhomme de Florent Morin, L'heure de l'ours d'Agnès Patron, et des films étudiants, à l'image de L'échappée de Benoit Michelet, Le chant des poissons-anges de Louison Wary ou encore Chat de Rui Chang.
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Festival national d'animation de Rennes BIS
Du 8 au 12 avril
Plus d'informations sur le site de la manifestation
Voici une chronique en forme de tribune, diffusée samedi dernier lors de l’émission Longtemps je me suis couché de bonne heuresur les ondes de Radio libertaire. Ce texte fort et précis de Francis Gavelle rejoint nos préoccupations concernant les films d’animation exigeants, qu’ils soient destinés à un public adulte tel que Ville neuve de Félix Dufour-Laperriere, ou à un public plus familial comme c’est le cas de L’Extraordinaire voyage de Marona, et qui dans les deux cas semblent sacrifiés sur l’autel du marché dès lors qu’ils atteignent les salles (d’autres moins chanceux encore n’y ont eux jamais accès). Nous partageons donc, au sens le plus fort du terme, cet appel vibrant à une action claire et définie en faveur de l’animation d’art et d’essai.
Pour évoquer ce film magnifique qu’est L’extraordinaire voyage de Marona, ce récit touchant de la vie d’une petite chienne, au doux pelage noir et blanc, et de ses trois maîtres successifs, je ne reviendrai pas sur l’élégance graphique du design “personnages” de Brecht Evens, auteur-phare de la bande dessinée contemporaine ; je ne reviendrai pas non plus sur cette virtuosité visuelle inspirée, et bien loin des habituelles performances démonstratives d’un certain cinéma d’animation mainstream qui confond salle de cinéma et parc d’attractions ; de la même manière, je ne reviendrai pas sur le message humaniste sincère, dénué d’opportunisme, qui précise que “le bonheur est une petite chose, presque rien” et que, loin de constituer là une attitude de résignation, il finit par interroger le spectateur, petit ou grand, sur la tendance de sa propre espèce – l’espèce humaine – à vouloir toujours plus, dans une angoissante “course contre soi-même”, ainsi que le biologiste Konrad Lorenz nommait, en 1973, dans son essai Les huit péchés capitaux de notre civilisation, cette “incapacité manifeste des hommes modernes à rester seuls en face d’eux-mêmes, ne serait-ce qu’un moment” et à “(n’accorder) plus d’importance qu’à la réussite (…) qui permet de vaincre les autres dans une contrainte impitoyable du dépassement.” Non, je ne reviendrai pas sur tout cela, ni sur la délicate partition de Pablo Pico, dont le titre Les souvenirs, avec reprise du thème principal et citation des thèmes secondaires, peut se lire comme un résumé musical du film.
Non, mais je m’interrogerai… Je m’interrogerai sur l’échec que va subir, en salles, ce long métrage, artistiquement ambitieux, émotionnellement sensible, et bénéficiant d’une presse assez unanimement élogieuse. Est-il ainsi suffisant, à longueur de colonnes, de la presse généraliste à la presse spécialisée, de constamment s’esbaudir devant la réussite économique et créatrice de ce milieu de l’animation hexagonale, qui, en termes de volume de production (cinéma + séries TV) serait –paraît-il – passée de la 3e place mondiale à la 2e, derrière le Japon, mais devant, désormais, les Etats-Unis. En dehors des hourras cocardiers et des indicateurs statistiques de performances, chers aux financeurs publics et privés et aux forums de coproduction type “Cartoon Movie”, la belle affaire !
Ne serait-il pas davantage pertinent de s’interroger sur la difficulté, pour des œuvres plus singulières, à trouver leur place dans les salles, et, en premier lieu, auprès des exploitants – j’évoque plutôt là le secteur de l’art et essai – frileux (pas forcément sans raison, par rapport aux attentes qu’ils peuvent supposer de leur public) à les programmer sur leurs écrans : ainsi, L’extraordinaire voyage de Marona sera sorti le 8 janvier dernier sur uniquement trois salles parisiennes, dont le Studio des Ursulines (salle à la fois dédiée au cinéma d’animation et au cinéma “jeune public”), et ne connaît déjà plus à la date de cette chronique radiophonique qu’une programmation épisodique d’une séance par jour, ou d’une séance un jour sur deux, ou d’une séance un jour par semaine. Bien sûr, on peut noter que le film connaîtra sans doute une deuxième vie cinématographique, à travers les précieux dispositifs d’éducation à l’image que sont “école et cinéma”, “collège et cinéma” et “lycéens et apprentis au cinéma” ; mais, ceci posé, comment parvenir, auparavant, jusqu’aux spectateurs et s’imposer dans leurs choix de sortie ciné, quand on a déjà disparu des écrans, et qu’en amont on ne bénéficie, évidemment pas, de la force de frappe promotionnelle d’un blockbuster animé hollywoodien ?
Car, au-delà du film précité, du cinéma “jeune public” et des seuls longs métrages hexagonaux, comment ne pas se désoler – et quel que soit son propre point de vue critique sur les films – des non-rencontres “œuvre/public” ayant frappé, l’année dernière, Ville Neuve, de Félix Dufour-Laperrière, ou Buñuel après l’âged’or, de Salvador Simó. Même un film comme J’ai perdumon corps, avec son exceptionnel parcours en festivals (Cannes, Annecy), son achat par Netflix et sa présence parmi les cinq derniers nommés pour l’Oscar du long métrage d’animation n’a guère réussi à dépasser, d’après le site JP’s Box-Office, la barre des 157.000 entrées – certes, nombre de films d’auteur en prise de vues réelles se satisferaient de ce chiffre, mais là n’est pas le questionnement.
Ces films sont-ils donc condamnés à devenir des “films de festivals”, vus par les seuls festivaliers, comme vont très possiblement le rester Away, du Letton Gints Zilbalodis, étrange ballade contemplative en forme de jeu vidéo, primé en 2019 à Annecy, ou Bombay Rose, de l’Indienne Gitanjali Rao, mélo aux allures kitsch autour d’une impossible histoire d’amour entre une hindoue et un musulman, présenté aussi bien à Venise qu’à Toronto l’année passée ? A ce jour, en effet, sans doute échaudé par l’accueil quasi inexistant réservé aux films d’animation d’auteur préalablement sortis, aucun distributeur ne semble s’être positionné sur ces deux œuvres – à noter, Bombay Rose, tourné en prise de vues réelles, aurait sans doute déjà trouvé preneur.
Alors, comment sortir de ce cercle vicieux et éviter que ne se reproduise ce même schéma pour, par exemple, les films à venir d’Alain Ughetto (Interdit auxchiens et aux Italiens), de Simone Massi (Trois enfances) ou de Florence Miailhe (La traversée) ? Faut-il suggérer aux institutions représentatives du milieu de l’animation (SPFA, AFCA) de porter auprès des instances régulatrices du cinéma (le CNC) le projet d’un label “Animation” qui, à l’identique des labels “Art et essai”, “Jeune public” ou “Patrimoine”, inciterait les salles à s’engager, moyennant soutien en contrepartie, sur une programmation à caractère durable et équitable de ce cinéma d’animation d’auteur qui peine à exister malgré les pépites qu’ils façonnent – hier aussi, Jasmine ou Le garçon et le monde – et a besoin de nouveaux leviers réglementaires, pour croire dans un futur qui ne l’assigne pas à la pire des niches cinéphiles qui soit : le “film de festival”.
Si cette modeste chronique peut être un premier minuscule caillou posé sur la voie de cet indispensable chantier de réflexion, elle n’aura alors pas été tristement vaine.
Francis Gavelle Chronique radiophonique du 18 janvier 2020
(Longtemps, je me suis couché de bonne heure, Radio Libertaire, 89.4 Mhz)
Un regard rapide sur l'année écoulée suffit pour se réjouir de la vitalité du cinéma d'animation en France. Avec 50 longs métrages et 20 programmes de courts, il représente en effet en moyenne plus d'une sortie par semaine, sans compter les ressorties, ce qui témoigne d'une offre riche et diversifiée.
L'animation française s'en sort bien, avec 9 longs métrages, contre 16 pour les Etats-Unis, et 8 pour le Japon. Côté box-office, cette année encore ce sont les blockbusters américains qui dominent : Le Roi lionest en tête avec 10 millions d'entrées, suivi de La Reine des neiges 2et de Toy Story 4. Le premier film français est loin derrière avec 750 000 entrées (Minuscule 2), tandis que le premier film d'auteur et à destination d'un public adulte, Les Hirondelles de Kaboulde Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, affiche 320 000 entrées. Evidemment, on préférerait que ce soit le contraire, et que l'animation exigeante (et de manière générale le cinéma d'auteur) triomphe dans les salles, au nez et à la barbe des blockbusters et autres sequels en série.
Pourtant, on peut aussi voir le verre à moitié plein et se dire que si l'adaptation du roman de Yasmina Khadra pouvait sans doute prétendre à mieux (n'est-ce pas toujours le cas ?), surtout avec Zabou Breitman, personnalité connue et appréciée du grand public à la co-réalisation, son résultat au-dessus des 300 000 entrées prouve malgré tout qu'il existe un public art et essai susceptible de se mobiliser pour aller voir un long métrage d'animation qui aborde un sujet complexe et difficile (en l'occurence, l'Afghanistan des Talibans). Ce qui signifie qu'un "transfert" de spectateurs amateurs d'art et essai est bel et bien possible entre prise de vue continue et animation.
La question est plutôt de savoir pourquoi le transfert marche dans certains cas, et pas dans d'autres. On pense notamment à Funan de Denis Do, premier long métrage sensible et bouleversant sur la période terrible de la dictature des khmers rouges au Cambodge. Inspiré de l'histoire vraie de la mère et du frère du réalisateur, le film nous plonge sans fard dans le quotidien des camps de travail khmers, et expose toute la complexité d'une situation dans laquelle chacun joue sa vie à chaque instant. Malgré sa force, malgré son sujet, malgré le Cristal du meilleur long métrage à Annecy en 2018, le film n'a pas trouvé son public. Hélas, il est loin d'être le seul.
Et s'il fallait une démonstration plus cruelle encore du fait que la qualité est parfois inversement proportionnelle au nombre d'entrées, il faudrait citer ce qui demeure comme l'un des plus beaux films (tout court) de l'année 2019, Ville neuve de Félix Dufour-Laperrière, malheureusement sorti sur très peu d'écrans, et donc vu par un nombre limité de spectateurs. Ville neuve démontre pourtant autre chose que les injustices grossières du box-office.
Il est l'exemple parfait de ce que les amateurs de cinéma d'animation attendaient depuis longtemps : un long métrage qui bouscule les habitudes, tente des choses d'ordinaire bannies en animation (un long plan fixe sur deux personnages à la fenêtre, des passages abstraits au milieu du récit, un plan-séquence virtuose sur deux personnages qui marchent dans la rue...) et affirme à chaque image que l'animation n'est pas du sous-cinéma. Son histoire de couple qui tente de renouer avec le passé nous touche autant que sa variante en prise de vue continue chez Christophe Honoré dans Chambre 212, l'autre grand film sur le couple de 2019. De la même manière, son aspiration à rapprocher les espaces du rêve, de l’imaginaire, du souvenir, de l’intime et du collectif, nous interpelle et nous interroge. Ville neuve est non seulement un film destiné à un public adulte, mais aussi un film doté d'une incontestable maturité formelle et narrative.
L'autre exemple criant en la matière est bien entendu J'ai perdu mon corpsde Jérémy Clapin, qui fait lui aussi la démonstration d'une maîtrise formelle peu fréquente. Attention, il ne s'agit pas ici de technique, mais bien de mise en scène, avec un sens du cadre et du point de vue qui dénotent une connaissance millimétrée du langage cinématographique. Une virtuosité qui ne doit pas faire oublier les autres qualités de ce premier long métrage singulier, à commencer par sa mélancolie douce-amère et son émotion sous-jacente. Là encore, Jérémy Clapin déjoue les attentes en proposant, entre deux scènes d'action qui flirtent avec le cinéma de genre, une longue séquence presque statique de dialogue entre les deux personnages principaux, par interphone interposé. Cerise sur le gâteau, même s'il n'a pas battu de record, J'ai perdu mon corps est loin d'avoir démérité au Box-Office, surtout en comparaison avec nos précédents exemples...
Il faut encore mentionner Bunuel après l'âge d'or de Salvador Simó et Another day of life de Raul de la Fuente et Damian Nenow qui, s'ils nous ont moins enthousiasmés, participent également à ce mouvement général de longs métrages d'animation résolument tournés vers un public plus adulte. De la même manière que le documentaireZero impunity de Nicolas Blies, Stéphane Hueber-Blies et Denis Lambert (grand succès de festival encore inédit en salles), qui dénonce l'impunité des violences sexuelles dans les conflits armés actuels.
Quelques films, enfin, prennent le parti de s'adresser à un public certes familial, mais tout en offrant un niveau de lecture particulièrement développé aux spectateurs adultes. C'est le cas dans une moindre mesure de La Fameuse invasion des ours en Sicilede Lorenzo Mattotti, et surtout du formidable Voyage du Prince de Jean-François Laguionie, qui aborde sans fard la question des réfugiés et de l'accueil que leur réservent nos sociétés contemporaines bien pensantes.
Et puis, bien sûr, il y a L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian, qui vient tout juste de sortir en salles, mais qui dès sa première projection au festival d'Annecy, montrait lui-aussi les facilités qu'a le cinéma (qu'il soit d'animation ou non) pour s'adresser simultanément à tous les publics. Brillant, splendide et d'une grande intelligence, le film est ainsi à la fois une fresque colorée qui retrace la vie douce amère d'une petite chienne et une réflexion profonde sur le bonheur, et notre incapacité à le saisir, ou même à le reconnaître.
A noter enfin qu'il serait impossible de prétendre à un quelconque tour d'horizon du cinéma d'animation en omettant sa part la plus foisonnante, celle du court et du moyen métrage. Cette année encore, on a vu des films superbes, comme en témoignent nos deux focus sur les meilleurs courts métrages de 2019, qui comptent une dizaine de films d'animation sur les 25 titres cités. Afin de ne pas se répéter, on ne citera donc que deux d'entre eux, qui ont d'ores et déjà marqué durablement les esprits : L'Heure de l'ours d'Agnès Patron et Physique de la Tristesse de Théodore Ushev.
La 17e édition du Carrefour de l'animation, qui se tient au Forum des images du 11 au 15 décembre, vient clore une année qui fut extrêmement riche pour le cinéma d'animation en général, et pour l'animation française en particulier.
Citons en vrac le Grand prix à la Semaine de la critique pour J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, puis son doublé Cristal du long métrage et prix du public à Annecy, la sélection à Un Certain Regard des Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec et de La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, les multiples hommages rendus à Jean-François Laguionie dont le dernier film en date, Le Voyage du Prince, vient tout juste de sortir... sans oublier la formidable vitalité du court métrage, de L'Heure de l'Ours d'Agnès Patron qui était en sélection officielle à Cannes et vient de remporter le grand prix des Sommets de l'animation de Montréal, à Moutons, loup et tasse de thé de Marion Lacourt découvert notamment à Locarno, en passant par Mémorable de Bruno Collet qui a lui aussi réussi un doublé Cristal et Prix du Public à Annecy.
On a le sentiment que l'animation a de plus en plus la visibilité qu'elle mérite, parvenant enfin à s'extraire des préjugés et du manque de connaissance, voire parfois d'intérêt, de la part des professionnels comme du public. Il reste évidemment beaucoup à faire, mais aussi beaucoup à découvrir, et tout autant de raisons de s'enthousiasmer. C'est pourquoi la longévité du Carrefour de l'animation, organisé pour la 17e fois par le Forum des images, est une chance pour les cinéphiles franciliens, qui pourront cette année encore découvrir un vaste panorama de ce qu'est l'animation contemporaine à travers des avant-premières, des programmes de courts, des focus sur des studios ou des réalisateurs et des work-in-progress. Pour ne rien rater de cette édition 2019 et de ses multiples événements, suivez le guide !
Bombay Rose de Gitanjali Rao : une ouverture sous le signe de la peinture animée
C'est rien de dire que l'on attendait le premier long métrage de Gitanjali Rao, réalisatrice indienne dont le travail fut notamment montré à la Semaine de la Critique à Cannes en 2014 (TrueLoveStory). Après une première remarquée en ouverture de la Semaine de la Critique de Venise cette année, Bombay rose sera présenté en grande avant-première au Carrefour. Le film, qui raconte une romance impossible sur fond de cinéma bollywoodien, a été entièrement peint à la main. Une rencontre avec la réalisatrice permettra notamment d'en savoir plus sur ce mode de création particulier à travers un making-off exceptionnel.
Focus sur Konstantin Bronzit : la masterclasse phare
C'est la première fois que le réalisateur russe Konstantin Bronzit vient au Carrefour de l'animation ! Il présentera une rétrospective de son travail et donnera par ailleurs une masterclasse exceptionnelle. L'occasion de découvrir son long métrage inédit Aliocha Popovitch et Tougarine Zmeï et une sélection de ses courts métrages (Le Chat et la Renarde, Le Dieu, Au bout du monde, etc.), mais aussi d'en savoir plus sur la méthode de travail et les inspirations de cet acteur central de l'animation contemporaine.
Away de Gints Zilbalodis : l'inédit à ne rater sous aucun prétexte
Récompensé par le premier prix de la section Contrechamp lors du dernier festival d'Annecy, Away est probablement la plus grande découverte de l'année côté cinéma d'animation. Rares sont ceux qui avaient vu venir ce long métrage letton réalisé quasiment seul par un jeune cinéaste de 25 ans ! D’une grande beauté sensorielle, il raconte sur un mode minimaliste et contemplatif la quête d'un jeune homme littéralement tombé du ciel dans un monde inconnu pour trouver une issue et échapper à la créature fantomatique qui le poursuit.
L'extraordinaire voyage de Marona : l'avant-première à voir en famille
Attendu dans les salles le 8 janvier, L'extraordinaire voyage de Marona pourrait bien déjà être le plus beau film de l'année 2020 (il fait en tout cas résolument partie des coups de coeur du dernier festival d'Annecy où il était en compétition). Explosion de couleurs et d'émotions, le nouveau long métrage de la réalisatrice Anca Damian (Le voyage de Monsieur Crulic) est une splendeur visuelle qui raconte la vie mouvementée d'une petite chienne nommée Marona. Si le sujet peut a priori sembler rebutant pour un public adulte, l'audace formelle et les innombrables idées visuelles et poétiques de la réalisatrice en font un film éblouissant et précieux.
Coup de projecteur sur Patar et Aubier : la rencontre décalée
On ne présente plus Vincent Patar et Stéphane Aubier à qui l'on doit l'inénarrable Panique au village, décliné en une série, un long et plusieurs courts métrages. Le duo viendra présenter son prochain projet, la série Chien Pourri, ainsi qu'un documentaire qui lui est consacré, signé Fabrice du Welz, et proposera également une rencontre autour d'une sélection de leurs cours métrages.
Les courts métrages pro et étudiants : les fondamentaux
Format phare du cinéma d'animation, le court métrage est évidemment à l'honneur au Carrefour, qui propose quatre programmes de courts français et une sélection de films d'école. On pourra ainsi revoir certains des grands succès de l'année, comme L'Heure de l'ours d'Agnès Patron ou Moutons, loup et tasse de thé de Marion Lacourt, mais aussi des films qui sont en début de carrière à l'image des Songes de Lhomme de Florent Morin et d'Asmahan, la diva de Chloé Mazlo.
Hommage à Rosto : la mémoire vive
"Voir ou revoir ses films, écouter sa musique, pleurer et rire", tel est le programme de la soirée imaginée avec Nicolas Schmerkin, son producteur français fidèle (Autour de Minuit), et ses proches pour rendre hommage à l'auteur, réalisateur, illustrateur et musicien néerlandais Rosto décédé en mars dernier. Les quatre films de sa tétralogie (No Place Like Home (2008) ; Lonely Bones (2013) ; Splintertime (2014) et Reruns (2018)) et le documentaire Everything’s Different, Nothing Has Changed de Joao MB Costa et Rob Gradisen seront projetés.
A noter enfin que de nombreuses rencontres autour de la "fabrication de l'animation" auront également lieu tout au long du festival, avec notamment une rencontre autour du prochain long métrage de Benoit Chieux, Sirocco et le royaume des courants d'air, et un focus sur le studio Vivement Lundi ! Les amateurs de cinéma japonais seront également comblés avec une programmation dédiée : hommage à Satoshi Kon, avant-premières des Mondes parallèles de Yuhei Sakuragi et de Ride your wave de Masaaki Yuasa, ou encore projection du film culte Ghost in the shell de Mamoru Oshii. Par ailleurs, plusieurs événement à destination des professionnels sont également organisés, dont un rendez-vous autour de l'écriture du court métrage d'animation.
La 15e édition de Mon Premier Festival s'est achevée mardi 29 octobre par l'annonce très attendue du palmarès. C'est le film néerlandais Fight girl de Johan Timmers (sans date de sortie pour le moment) qui a séduit le jury composé d'enfants. Il s'agit de l'histoire de Bo, une jeune fille en souffrance, qui retrouve un équilibre à travers la pratique de la boxe.
Pour la première fois, le jury a également récompensé la meilleure musique de film. Fabien Leclercq (alias Le Motel) a ainsi été distingué pour Binti de Frederike Migom (sans date de sortie) qui aborde à hauteur d'enfants la question des sans-papiers. Le public avait lui aussi la possibilité de voter, et c'est La dernière vie de Simon de Léo Karmann (attendu en salle en 2020) qui a été plébiscité par les jeunes spectateurs. On y suit Simon, 8 ans, un orphelin qui rêve d'être adopté. Mais Simon a un pouvoir secret : celui de pouvoir prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touchée.
Le Festival fut également l'occasion de repérer les films à suivre parmi les avant-premières. Pour les plus jeunes, le programme Zibilla ou la vie zébrée raconte avec douceur et humour des histoires d'exclusion qui font toujours écho d'une manière ou d'une autre avec leur vécu. Zibilla, l'héroïne du court métrage principal, est une enfant adoptée qui vient s'installer dans une nouvelle ville. Problème : elle est une zèbre dans un monde de chevaux. Mais c'est en affirmant sa personnalité bien à elle qu'elle viendra à bout des moqueries et des préjugés.
A voir à partir de 5 ans, Le monde animé de Grimault permet de redécouvrir 4 films du maître de l'animation française : L'épouvantail, Le Voleur de paratonnerres, La Flûte magique et Le Petit soldat. Des histoires drôles et subversives dans lesquelles le faible défie systématiquement le fort ou l'autorité, et qui sont un formidable moyen de (re)nouer avec l'oeuvre sautillante, ironique et poétique de Grimault. A redécouvrir sur grand écran dès le 6 novembre, accompagné d'un autre programme, destiné aux plus grands, qui comporte quatre autres films donnant un large aperçu de la palette sensible du réalisateur.
Pour les plus grands (à partir de 8 ans), le festival a également permis de découvrir L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian plusieurs mois avant sa sortie (8 janvier). Le film qui a enchanté Annecy, et dont nous avons déjà eu l'occasion de vous dire le plus grand bien, à la fois en raison de sa sensibilité, de sa fantaisie, et de sa liberté, figure définitivement parmi les incontournables de 2020.
Enfin, Mon Premier festival est toujours l'occasion de se pencher sur une cinématographie particulière, et cette année les jeunes festivaliers étaient particulièrement gâtés puisqu'il s'agissait de l'animation russe ! Ils ont ainsi pu se régaler toute la semaine avec différents programmes de courts métrages, un focus sur le réalisateur Garri Bardine et la (re)découverte de deux très beaux longs métrages : Tout en haut du monde de Rémi Chayé (2016) et La Reine des neiges de Lev Atamanov (1957).
Garri Bardine demeure irrémédiablement l'un des cinéastes d'animation russes les plus captivants de ces trente dernières années. En plus de son humour et de sa fantaisie, flagrante dans l'ode à l'imagination et à l'enfance qu'est La Nounou, dans lequel un petit garçon se crée de toutes pièces une nounou aux nombreux pouvoirs magiques, on est frappé par la manière dont il utilise les conventions de l'animation comme éléments de l'intrigue, notamment en jouant sans cesse sur les matériaux, ou la matière, qui constituent ses personnages.
Dans La Nounou, on assiste à rien de moins que la mise en abyme du processus de création de la marionnette. Dans Le Loup gris et le petit chaperon rouge, ce sont les corps qui s'étirent, s'allongent, se déforment au gré de l'histoire et de ses péripéties, jusqu'à l'explosion finale du ventre du loup. Dans Hop-là badigeonneurs, les multiples accidents provoqués par les apprentis-peintres les obligent sans cesse à se remodeler eux-mêmes. Dans Adagio, allégorie anxiogène sur le rejet de l'Autre et le fanatisme, les personnages sont de simples feuilles de papier pliées, uniformément grises, qui renvoient à une humanité universelle. Il y a ainsi chez le réalisateur une volonté d'améliorer sans cesse la réalité grâce aux artifices de l'animation qui lui permettent d'ajouter des niveaux de lecture complémentaires.
Il faut enfin souligner l'oeuvre d'un autre maître de l'animation russe, Youri Norstein, dont étaient présentés deux courts métrages : Le Héron et la cigogne et Le Hérisson dans le brouillard. On entre avec ces deux films dans l’œuvre particulière du cinéaste russe à qui l’on doit également le magnifique Conte des contes. Dépouillé, dans un registre de couleurs qui se cantonne à un camaïeu de gris, de verts foncés, de marron, de noirs et de blanc, les deux films sont des démonstrations de la finesse et de la poésie mélancolique de Norstein. Dans le premier, un héron et une cigogne ne cessent de se courtiser puis de se refuser, à tour de rôle. Dans le second, un petit hérisson se rend chez son ami l’ourson pour observer les étoiles, mais se trouve pris dans une nappe de brouillard qui rend inquiétant le décor familier.
Dans les deux films, les éléments météorologiques (la pluie dans l’un, le brouillard dans l'autre) influent sur l’ambiance feutrée et intimiste des récits, brouillent l’image, et vont dans le cas du hérisson jusqu’à plonger le spectateur dans une angoisse diffuse. Dans ce dernier, on est par ailleurs émerveillé par le rendu duveteux du brouillard, le travail sur les ombres, et la tension anxiogène créée à partir d’un jeu de « caméra » subjective qui nous met à la place du hérisson, soudain plongé dans un monde flou où tout est menace potentielle. Un conte délicat qui se termine bien mais laisse malgré tout notre hérisson songeur et mélancolique, et le spectateur stupéfait par une telle splendeur. D'ailleurs, entre les enfants qui assistaient à la projection, et les adultes présents, on ne saurait dire lesquels étaient les plus émerveillés.
Le Japon avait beau être à l'honneur cette année à Annecy, c'est pourtant l'animation française qui a brillé de mille feux avec des propositions puissantes et éclectiques, et une démonstration magistrale d'inventivité et de savoir-faire. Tout, de l'esthétique aux sujets, en passant par les modes de narration et les techniques, est venu prouver l'immense vitalité d'un cinéma qui ne cesse d'expérimenter et d'explorer les possibilités infinies de son format.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si quatre longs métrages français étaient en compétition, représentant 40% de cette sélection, et si plusieurs des principaux prix toutes sélections confondues sont allés à des productions ou coproductions françaises : J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, Mémorable de Bruno Collet, La vie de château de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H'Limi, Le Parfum d’Irak "Le Cowboy de Fallujah" de Léonard Cohen... D'où l'envie de consacrer deux articles distincts à la richesse exponentielle d'un cinéma qui semble au firmament, en s’attachant d'abord au cas particulier du format long, avant de se tourner vers ce qui est traditionnellement le cœur d'Annecy, à savoir le format court
Côté longs métrages, c'était donc une année exceptionnelle pour le cinéma français, avec un deuxième Cristal d'affilée : J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, déjà historiquement récompensé à Cannes du Grand prix de la Semaine de la critique, succède en effet à Funan de Denis Do qui avait triomphé l'an passé. A ses côtés, quoique repartis bredouilles, La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, Les Hirondelles de Kaboul et L'Extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian ont créé l'événement. Dans la nouvelle compétition Contrechamp, c'est le documentaire Zero impunity qui dénonce les violences sexuelles dans les conflits armés actuels, qui a également beaucoup fait parler de lui.
Enfin, deux séances événements ont permis de découvrir le nouveau film de Jean-François Laguionie, Le Voyage du Prince, et le passage réussi au long de Bonjour le monde, la série télévisée d'Anne-Lise Koehler et Eric Serre.
C'est incontestablement le grand gagnant de cette édition, qui cumule Prix du Public et Cristal du meilleur long métrage, en plus d'un bouche-à-oreille en béton armé. Avec sa trame narrative très simple et son spleen ténu, le premier long métrage de Jérémy Clapin impressionne autant par ses qualités de mise en scène que par son atmosphère ultra sensible. Tour à tour film de genre, portrait délicat d’un jeune homme qui cherche sa place, récit initiatique et même rencontre amoureuse, il suit en alternance une main coupée qui part à la recherche de son corps, et Naoufel, un jeune homme qui change de vie par amour. C’est dans cette juxtaposition des temporalités que se tisse le fil rouge du récit, la question du destin et de la manière dont il s’écrit, se suit et se contrarie.
Malgré l’humour de certaines situations, voire l’autodérision des dialogues, c’est une profonde mélancolie qui habite le film, portée par la très belle musique de Dan Levy et les teintes désaturées de l’image, éclairée ponctuellement par quelques touches de couleur vive, comme des gouttes de sang ou le manteau jaune et les écouteurs fluo de Gabrielle. Cette mélancolie sourde est celle des souvenirs et des regrets, la nostalgie d’un temps révolu, un sentiment d’errance. Naoufel, comme la main coupée, comme nous tous, n’en finit plus de chercher sa place dans le monde
Explosion de couleurs et d'émotions, le nouveau long métrage d'Anca Damian est une splendeur visuelle qui raconte la vie mouvementée d'une petite chienne nommée Marona. On a rarement vu un film destiné à un public familial qui respecte autant l'intelligence et le sens esthétique des enfants, comme des adultes. Malgré un scénario a priori tragique, rien n'est en effet jamais mièvre ou facile, chaque élément dramatique étant systématiquement contrebalancé par une touche d'humour et de poésie.
Formellement, Anca Damian s'offre toutes les libertés, et notamment de multiplier les styles graphiques, allant parfois très loin dans l'abstraction, ou dans une représentation stylisée du monde. On a la sensation qu'elle applique au long métrage ce qu'on aime tant dans le court : cette audace formelle qui ne s'interdit aucune expérimentation, et propose un cinéma libéré des contraintes esthétiques ou narratives traditionnelles, débordant d'idées visuelles et poétiques. Tout fonctionne, nous surprenant souvent, nous éblouissant sans cesse, et nous emportant dans les souvenirs doux amers du personnage. Avec elle, on se met à porter un regard différent sur le monde et sur nos semblables.
Sortie : 8 janvier 2020
La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti (compétition)
Déjà présenté à Cannes, en section Un Certain regard, La fameuse invasion des ours en Sicile est l'un des films d'animation les plus attendus de l'année, signé par l'illustrateur et auteur BD Lorenzo Mattotti. Il s'agit d'un conte, adapté du seul roman jeunesse de Dino Buzatti, et scénarisé par le duo gagnant Thomas Bidegain et Jean-Luc Fromental, qui met en scène Léonce, le roi des Ours, parti en guerre contre les hommes après l'enlèvement de son fils Tonio.
Visuellement époustouflant, notamment dans la richesse de ses décors et de ses paysages naturels, le film fait le grand écart entre son inconstatable maîtrise technique, et le choix d'un positionnement un peu trop prudent. On sent que le film a été voulu pour plaire au (très) jeune public, quitte parfois à édulcorer le récit original, plus féroce, avec des éléments comiques comme les baladins ou les personnages fantoches. La trame narrative semble aussi expédiée, comme s'il s'agissait moins de critiquer et dénoncer la société que de proposer des péripéties romanesques. Malgré tout, le film reste une fable très plaisante, charmante et joyeuse, qui témoigne de la grande force de l'animation française contemporaine.
Un an à peine après Parvana de Nora Twomey, l'Afghanistan des Talibans était de retour à Annecy avec cette adaptation inégale du roman de Yasmina Khadra pensée comme une plongée sans fard dans une société rongée par l’obscurantisme, l’hypocrisie et la bêtise. Les personnages, malgré leurs différences sociales et culturelles, sont uniformément écrasés par le joug terrible qui régit les moindres détails de leur vie (la manière de s'habiller, le droit de rire, que dire et que penser) et fait peser sur eux une menace sourde et permanente.
Mais si l'on est convaincu par l'aspect esthétique du film, et notamment ses très beaux plans larges sur la ville, esquissée à grands traits dans des teintes désaturées, et ses personnages stylisés, on a plus de mal avec l'orientation clairement mélo-dramatique du récit, qui ajoute sans cesse de l'émotion à l'émotion. On a l'impression que ce type de cinéma "à sujet" finit par atteindre ses limites, parce qu'il ne parvient plus à s'extraire de l'incontestable noblesse de sa cause. Bien sûr, on ne peut qu'être sensible à l'hymne à la libération des consciences que véhicule le film, mais malgré tout on est déçu par son incapacité à aller au-delà d'une narration schématique et manichéenne.
Sortie : 4 septembre 2019
Zero impunity de Nicolas Blies, Stéphane Hueber-Blies et Denis Lambert (Contrechamp)
Ce documentaire engagé fait partie d'un vaste projet transmédia global combinant journalisme d'investigation et activisme, dont le but est de dénoncer l'impunité des violences sexuelles dans les conflits armés actuels, mais aussi de lutter pour y mettre fin. Construit en différents chapitres, le film aborde la question du viol comme arme de guerre ou de torture en Syrie, dans le Donbass, en République démocratique du Congo et aux Etats-Unis.
Les témoignages recueillis ont été reconstitués en animation, tandis que des experts témoignent à visage découvert dans les parties en prise de vue réelle. C'est dans les deux cas édifiants, avec la dénonciation d'une utilisation systématique du viol comme un outil d'humiliation, voire de destruction des individus, mais aussi comme un prolongement d'exploitation sociale. En s'attachant à des cas de figure très différents les uns des autres (notamment la violence sexuelle d'état à Guantanamo et les viols camouflés en prostitution volontaire en République démocratique du Congo), le film montre que le problème est loin d'être localisé dans une partie du monde ou un camp en particulier, même si l'on peut malgré tout être surpris qu'il fasse l'impasse sur de nombreux autres cas de violences sexuelles (on s'attendait par exemple à voir évoqués les viols systématiques perpétrés avec une rare violence dans la région du Kivu, également en République démocratique du Congo). Il s'agit quoi qu'il en soit d'un film indispensable, pensé avant tout comme un plaidoyer puissant et habité.
Sortie : à venir
Le voyage du prince de Jean-François Laguionie (séance événement)
Vingt après la sortie du Château des singes, Jean-François Laguionie lui donne une suite à travers cette sorte de journal de voyage tenu par le prince que l'on découvrait dans le premier volet. Celui-ci a traversé la mer pour aller à la rencontre d'une autre civilisation de singes. S'il est au départ fasciné par ce peuple qui vit dans une métropole moderne et industrialisée, il s'aperçoit pourtant rapidement que la société tout entière est régie par la peur. Dans cet univers très codifié, la haine et le rejet de l'autre sont en effet érigés en valeurs sûres, notamment au nom de la suprématie des uns sur les autres, mais aussi de la sécurité nationale.
Avec une forme d'humour léger, et à travers des images superbes, dans des teintes douces presque délavées, le réalisateur s'amuse une fois encore des travers de ses semblables, entre tentation du repli sur soi et tendance à l’inaction confortable. Son Prince vieillissant est comme un double de lui-même, personnage bienveillant et chaleureux qui observe avec curiosité et ironie le monde dans lequel il évolue, ne parvenant jamais à étancher sa soif de connaissances. Malgré la douceur du trait et l'humour du propos, l'urgence de celui-ci nous parvient 5 sur 5 : quand enfin cesserons-nous de prendre prétexte d'être les singes "les plus évolués de la création" pour asservir et ostraciser les autres ?
Sortie : 4 décembre 2019
Bonjour le monde de Anne-Lise Koehler et Éric Serre (séance événement)
Demain le monde est à l’origine une série télévisée destinée aux plus petits, dont le concept est de montrer la vie de bébés animaux. Après avoir été diffusée sur France 5, et avoir notamment gagné un Cristal à Annecy en 2015, elle devient désormais un long métrage qui fait se croiser autour d’une mare une faune diverse composée de castors, ablettes, tortues, salamandres et autres hibous.
Il faut le reconnaître, le ton volontairement pédagogique du film risque de décourager les plus âgés, de même que l’anthropomorphisme systématique dans le propos des animaux (« j’existe, c’est merveilleux ») finit par être assez agaçant. De la même manière, les voix donnent souvent faux, même en considérant que ce sont des animaux qui parlent. Malgré tout, on aura envie de montrer aux plus petits ce programme tout doux dans lequel les animaux sont des marionnettes de papier mâché (les caractères d’imprimerie sont encore lisibles) qui évoluent dans de somptueux décors colorés. On est en effet séduit par la réalisation extrêmement soignée et délicate, de même que par la manière dont le film stimule l’imaginaire des enfants tout en leur donnant une foule d’informations vraies sur la nature et son fragile équilibre.
Après avoir découvert l'éclectisme de l'animation brésilienne en 2018, retour en terrain plus connu avec cette édition 2019 du Festival d'Annecy centrée sur le Japon. Les organisateurs de la manifestation ne pouvaient guère se tromper en mettant à l'honneur l'une des animations les plus riches mais aussi les plus populaires au monde, qui n'avait pas fait l'objet d'une rétrospective à Annecy depuis exactement vingt ans.
Au programme, des nouveautés, comme Ride your wave de Masaaki Yuasa (Lou et l'île aux sirènes, Night is short, walk on girl), The Wonderland de Keiichi Hara (Colorful, Miss Hokusai) et The relative worlds de Yuhei Sakuragi en compétition longs métrages ; Les Enfants de la mer de Ayumu Watanabe en compétition Contrechamp ou encore Modest heroes, un programme de 3 courts métrages du studio Ponoc, en séance spéciale.
Mais aussi des hommages à l'animation japonaise du début du XXe siècle, la projection du premier long métrage d'animation japonaise en couleurs, Le Serpent blanc de Taiji Yabushita, et un panorama de la nouvelle vague du cinéma japonais contemporain. Enfin, plusieurs courts métrages venus du Japon sont sélectionnés dans les différentes compétitions, tels que The Dawn of ape de Mirai Mizue, Leaking life de Shunsaku Hayashi, Keep forgetting de Takahiro Shabata ou encore Somewhere soft de Satoe Yoshinari.
L'occasion de vérifier si la "perte de savoir-faire" et l' "uniformisation esthétique" déplorées par Libération dans son édition du 7 juin sont perceptibles dans les productions récentes, et si la crise plus profonde également mentionnée par Libération, touchant les animateurs, las de travailler dans des conditions déplorables, vient faire parler d'elle jusqu'à Annecy.
En parallèle, les regards se tourneront probablement avec autant d'attention vers l'animation européenne, et plus particulièrement française, qui propose cette année un large choix de films attendus, et pour certains précédés d'excellents retours du Festival de Cannes où ils étaient présentés. On pense évidemment à J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, Grand Prix à la Semaine de la critique, mais aussi à La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti et aux Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, tous deux sélectionnés à Un Certain Regard. A leurs côtés en compétition, on découvrira en avant-première Bunuel après l'âge d'or de Salvador Simo et surtout notre coup de coeur L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian.
En compétition Contrechamp, nouveauté de cette année 2019, on pourra notamment découvrir Away de Gints Zilbalodis (Lettonie), Kung food de Haipeng Sun, et surtout Ville neuve de Félix Dufour-Laperrière, autre grand choc cinématographique de ce festival, et de ce premier semestre.
Côté courts, on reverra avec plaisir Je sors acheter des cigarettes de Osman Cerfon, Nuit chérie de Lia Bertels, Movements de Dahee Jeong ou encore The Little soul de Barbara Rupik, fraîchement récompensé à Cannes, et on découvrira avec curiosité les nouveaux films de Michael Frei (Kids), Franck Dion (Per aspera ad astra), Bastien Dupriez (Sous la canopée), Regina Pessoa (Oncle Tomas), Chintis Lundgren (Toomas dans la vallée des loups sauvages), Vincent Patar et Stéphane Aubier (Panique au village : la foire agricole) ainsi que le premier film d'animation de Clémence Madeleine-Perdrillat, co-réalisé avec Nathaniel H'limi, La vie de château.
Comme toujours, le festival s'agrémentera également de pitchs, work in progress et autres séances exceptionnelles, sans oublier la compétition de films en réalité virtuelle, qui permettront d'avoir un panorama complet de l'animation contemporaine et à venir. De quoi passer une semaine évidemment animée, le jeu de mots est facile, mais surtout captivante, au coeur du plus grand festival du monde consacré exclusivement à l'une des formes de cinéma les plus innovantes et singulières du moment.
---- Festival international du film d'Annecy 2019
Du 10 au 15 juin
Informations et programme sur le site du Festival
Voilà plusieurs mois qu'on vous parle de L'Extraordinaire voyage de Marona, le nouveau film de la réalisatrice Anca Damian (Le voyage de monsieur Crulic, La montagne magique), une fable ultra moderne autour d'une petite chienne qui, suite à un accident, se remémore ses différents maîtres, qu'elle a tous aimés inconditionnellement.
Alors qu'il s'apprête à faire l'événement au Festival d'Annecy, avant sa sortie en janvier 2020, nous vous proposons de découvrir son nouveau trailer, qui dévoile la richesse exceptionnelle de l'univers visuel multiple imaginé par la réalisatrice.
On vous l'assure : que vous ayez sept ou soixante-dix-sept ans, vous allez craquer pour cette histoire forte et sensible qui, tout en jouant la carte de l'humour et de la légèreté, éveille tout une palette d'émotions délicates. Marona raconte en effet à la première personne son existence mouvementée, embellie par les rencontres et les découvertes, et nous emmène le plus naturellement du monde dans son univers fait de poésie et de petits bonheurs.
Visuellement, c'est une fresque virtuose et intense dans laquelle se déploie sans compter l’incroyable inventivité de sa réalisatrice. Chaque séquence est une nouvelle splendeur qui nous emporte tour à tour dans l'espace ou dans un parc à la végétation luxuriante, sur un chantier de construction ou dans une maison aux murs roses. Dans cet univers ultra coloré, rien n'est acidulé ou mièvre, mais c'est au contraire comme une explosion de teintes vives et chatoyantes qui illuminent le récit.
Anca Damian s'offre toutes les libertés, et notamment de multiplier les styles graphiques, allant parfois très loin dans l'abstraction, ou dans une représentation stylisée du monde. On a la sensation qu'elle applique au long métrage ce qu'on aime tant dans le court : cette audace formelle qui ne s'interdit aucune expérimentation, et propose un cinéma libéré des contraintes esthétiques ou narratives traditionnelles, débordant d'idées visuelles et poétiques.
Tout fonctionne, nous surprenant souvent, nous éblouissant sans cesse, et nous emportant dans les souvenirs doux amers du personnage. Avec elle, on plonge littéralement dans le système solaire, les ombres chinoises dansent sur le mur, les livres s'animent, les crêpes s'envolent... Le spectateur, comme face à un feu d'artifice, n'a pas assez de regards pour tout embrasser.
Et qui aurait dit que l'on éprouverait autant d'empathie pour un chien ? On vibre littéralement avec Marona, profondément touchés par sa découverte du monde, bouleversés par les énormes preuves d'amour qu'elle donne à ses différents maîtres, émerveillés nous-mêmes par sa capacité d'émerveillement. Et cela va même plus loin : à voir l'être humain à travers le regard bienveillant de Marona, on reprend même un peu confiance en nous-mêmes, et en nos semblables.
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L'Extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian
Production : Aparte Film, Sacrebleu Productions, Minds Meet
Distribution : Cinéma Public Films
Sortie : 8 janvier 2020