[We miss Cannes] 15 longs métrages d’animation qui ont marqué l’histoire du Festival

Posté par MpM, le 22 mai 2020

Ce qui frappe dans les relations que Cannes entretient avec le cinéma d'animation, ce n’est pas de constater que celui-ci est omniprésent depuis les premières années, mais bien de remarquer que toutes les formes d’animation ont trouvé leur place sur la Croisette : pas seulement les plus populaires, ou à contrario pas seulement les plus « nobles » et/ou auteurisantes, mais bien un mélange rigoureux des deux.

Sont ainsi passés sur la croisette, en vrac, Norman Mc Laren, Walt Disney, Jan Svankmajer, Michel Ocelot, Bill Plympton, Pete Docter, Jean-François Laguionie, Peter Foldes, Florence Miaihle, Bretislav Pojar, Garry Bardine, Walerian Borowczyk... ou encore Georges Schwizgebel, Mamoru Oshii, Chris Landreth, Rosto, Gitanjali Rao, Isao Takahata, Vincent Patar et Stéphane Aubier, Jérémy Clapin, Boris Labbé, Mamoru Hosada, Virgil Widrich... sans oublier, via les programmations de cinéma "underground" des années 70 (telles que s'en souvient le spécialiste de cinéma expérimental Raphaël Bassan dans cet article de 2017), Robert Breer, Jordan Belson ou James Whitney.

Cannes, d'une manière globale et au fil des années, ne semble donc pas avoir eu de préjugés particuliers concernant l'animation - plus ponctuellement, et au gré des délégués généraux des différentes sections, c'est une autre question.

Du Prix du dessin animé à la Palme d'or


Dès 1939, il est d'ailleurs prévu dans le règlement du Festival la possibilité de décerner (s'il y a lieu) un Grand prix international du Dessin animé, à la fois dans la catégorie longs et courts métrages. Comme on le sait, cette édition n'aura pas lieu. Mais en 1946, le long métrage La boîte à musique (produit par Disney, et composé en réalité de dix courts métrages musicaux) remporte ce Grand Prix. L'année suivante, ce sera au tour de Dumbo, puis, en 1949, du court métrage Sea Island. La récompense réapparaîtra sporadiquement, au gré des aléas des appellations officielles du palmarès.

Ainsi, en 1952, Animated Genesis de Joan et Peter Foldes reçoit le prix de la couleur, tandis qu'en 1953, le prix du film d'animation court métrage refait son apparition, et récompense The romance of transportation in Canada de Colin Law. Mais il faut dire que cette année-là, sont aussi remis un "prix international du film de la bonne humeur" ou encore un "prix international du film légendaire", sans oublier le "prix international du film le mieux raconté par l'image", ce qui en dit long sur la fantaisie du réglement de l'époque.

En 1954, on en revient à une certaine sobriété sur le nom des prix : une multitude de prix internationaux ex-aequo. Malgré tout, un prix du film de marionnettes est remis à Un Verre de plus de Bretislav Pojar. La création de la Palme d'or l'année suivante amorce heureusement la normalisation des intitulés, et le retour à la raison concernant le cinéma d'animation qui ne sera dès lors plus considéré (officiellement) comme un genre. C'est d'ailleurs Blinkity Blank de Norman Mc Laren qui remporte cette première Palme d'or du court métrage. Il sera suivi en 1957 de Scurta istorie de Ion popescu-Gopo et de La petite cuillère de Carlos Vilardebo en 1961. A noter qu'entre les deux, en 1959, Le songe d'une nuit d'été de Jiri Trnka remporte le prix de la meilleure sélection à la Tchécoslovaquie (ex-aequo). Quoi que cela veuille dire, il n'est pas fait de la mention de la technique utilisée pour réaliser le film, et cela restera ainsi. On savoure les victoires que l'on peut, histoire de voir le verre à moitié plein.

Nouvelle dynamique ?

On peut aussi regarder le verre à moitié vide : aucun long métrage d'animation n'a gagné la Palme d'or et il faut même remonter à 2008 pour trouver un film d'animation en compétition (Valse avec Bashir de Ari Folman). Les sections parallèles font plus d'effort, surtout ces dix dernières années, mais les réticences envers l'animation au sein des différents comités de sélection sont palpables. Le cinéma image par image n'y est jamais vraiment traité comme du cinéma à part entière. Au mieux, c'est une case à remplir. Au pire, cela ne choque personne qu'il soit totalement absent d'une sélection.

Heureusement, le court métrage est là pour assurer une place à l'animation. Qu'on ne pense surtout pas qu'il s'agisse d'un lot de consolation. En animation, depuis toujours, c'est le format court qui est le format noble et prisé, et souvent le plus riche, innovant et inspirant. Pour des raisons de temps de fabrication, bien sûr, mais aussi parce que l'animation entretient depuis ses origines une relation privilégiée avec le cinéma expérimental et d'avant-garde, qui se moque du sacro-saint format long métrage, imposé avant tout pour les facilités de l'exploitation en salles. L'animation a compris depuis longtemps que la valeur n'attend point la durée du métrage. Ce qui ne l'empêche pas de s'essayer avec bonheur à d'autres formats.

En effet, depuis un peu plus d'une décennie, une nouvelle dynamique semble s'être mise en place pour la production de longs métrages d'animation. De nombreux auteurs de courts tentent l'aventure (à l'image de Jérémy Clapin, Florence Miaihle, Benoit Chieux, Franck Dion, Chloé Mazlo...) et insufflent peu à peu l'envie à d'autres. Mécaniquement, le long animé a de plus en plus souvent les honneurs de Cannes, que ce soit en ouverture de la sélection officielle, en compétition et bien sûr à Cannes Classics et dans les sections parallèles. Les films présentés l'année passée étaient d'ailleurs au nombre de quatre, comme l'année précédente. On ne saura jamais ce qu'il aurait pu en être de cette édition, les annonces à venir ayant probablement été faussées par les circonstances, mais on avait l'impression avec ce chiffre d'avoir passé un cap. N'oublions pas qu'une journée dédiée à l'animation a désormais lieu chaque année pendant le festival : l'Animation Day, dans laquelle s'intègre également l'événement "Annecy goes to Cannes" lancé en 2016. Difficile de ne pas y voir un signe du temps.

L'avenir nous dira si le mouvement amorcé se confirme, ce que rendrait possible le dynamisme actuel du long métrage animé, ou s'il s'essouffle malgré cet essor. En attendant, histoire de se souvenir de ce que l'animation a fait pour l'aura de Cannes (et réciproquement), retour sur 15 longs métrages qui ont durablement marqué l'histoire du Festival. Il faudra, un jour, établir la même liste pour le court métrage. Bien plus de quinze entrées seront alors nécessaires.

Peter Pan de Clyde Geronimi, Hamilton Luske et Wilfried Jackson


Walt Disney lui-même accompagna Peter Pan sur la Croisette en 1953. Présenté en compétition, le film est le 18e long métrage d'animation des studios Disney. Adapté de la pièce de J. M. Barrie créée en 1904, il raconte le voyage au Pays imaginaire de Wendy, Michel et Jean, trois enfants guidés dans cet univers fantastique par Peter Pan et la fée Clochette. Ils y rencontrent le terrible Capitaine Crochet, mais aussi les garçons perdus, et vivent toutes sortes d'aventures extraordinaires. Considéré par beaucoup comme l'un des chefs d'oeuvre des studios, c'est incontestablement l'un des grands classiques du cinéma d'animation familial.

La planète sauvage de René Laloux

Présenté en compétition en 1973, La planète sauvage est le premier long métrage de René Laloux, adaptation (libre) du roman Oms en série de Stefan Wul, co-écrit avec Roland Topor, dont les dessins ont servi de bases pour la fabrication des images. Sur la planète Ygam, les Draags, une espèce d'humanoïdes bleus aux yeux rouges mesurant douze mètres de haut, pourchassent et exterminent une autre espèce, les Oms, perçus au mieux comme des animaux de compagnie, au pire comme des créatures nuisibles. Dans un univers surréaliste, tantôt onirique, tantôt cauchemardesque, cette planète pleine de surprises nous tend un miroir souvent dérangeant, et nous interroge sur nos propres pratiques face aux espèces que nous ne jugeons pas aussi évoluées que nous. Le film, envoûtant et curieux, fut l'un des tout premiers longs métrages d'animation destiné à un public adulte. Malicieuse fable écologique avant l'heure, il fit grande impression à Cannes et repartit auréolé d'un prix spécial du jury présidé par Ingrid Bergman.

Shrek d'Andrew Adamson et Vicky Jenson

On l'oublie parfois, mais Shrek, l'ogre vert et bougon de Dreamworks a été en compétition à Cannes. Deux fois, même, en 2001 et avec son deuxième volet en 2004. On ne présente plus ce personnage misanthrope qui voit son beau marais boueux envahi par des créatures de conte de fées qui ont été expulsées de leur royaume par le tyrannique Lord Farquaad. Irrévérencieux, hilarant et irrésistible, le film se moque de Disney, dynamite les contes de notre enfance, et détourne tous les codes du genre. Un pur divertissement qui a enchanté par deux fois les spectateurs du Théâtre Lumière.

Innocence : Ghost in the shell de Mamoru Oshii


Suite du film culte Ghost in the shell sorti en 1995 (et adapté du manga du même nom de Shirow Masamune), Innocence a eu les honneurs de la compétition en 2004, soit en même temps que le 2e volet de Shrek. Une situation qui ne s'est pas reproduite depuis, et dont on se demande parfois si elle est encore possible. Toujours est-il qu'inviter le cinéma complexe et visuellement éblouissant de Mamoru Oshii dans la course à la palme d'or fut à l'époque une manière élégante de mettre sur un pied d'égalité prise de vue réelle et animation, et surtout de rendre hommage à la beauté de l'animation japonaise d'anticipation. Innocence, véritable réflexion sur l'Humanité et son avenir, est l'une des incursions les plus marquantes du Cyberpunk sur le tapis rouge cannois.

Persépolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud

Adapté des romans graphiques de Marjane Satrapi, Persépolis est une plongée dans l'Iran de la fin des années 70. Avec humour et justesse, la dessinatrice-réalisatrice y raconte son enfance puis son adolescence à Téhéran, avant, pendant et après la Révolution. Dans un style graphique très dépouillé, tout en noir et blanc, fort d'un casting voix impressionnant (Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Chiara Mastroianni), le film repartira de la compétition cannoise 2007 avec un prix du jury, et rencontrera un énorme succès critique et public. Douze ans plus tard, il reste un exemple à suivre, voire un eldorado inatteignable, pour le long métrage d'animation pour adultes.

Valse avec Bashir de Ari Folman

En 2008, les festivaliers médusés découvrent un film mi-documentaire, mi-fiction, qui s'inspire de témoignages réels et d'un montage de 90 minutes d'images tournées en vidéo. Il aborde l'histoire personnelle du réalisateur qui a participé à l'opération israélienne au Liban "Paix en Galilée" pendant son service militaire. Peu à peu, des souvenirs de son implication dans le massacre de Sabra et Chatila remontent à la surface... Valse avec Bashir marque ainsi un jalon dans l'histoire du cinéma d'animation, à la fois parce qu'il est l'un des premiers documentaires animés découverts par le grand public, mais aussi par son sujet, et par son retentissement.

Panique au village de Vincent Patar et Stéphane Aubier

Hors compétition en 2009, certains festivaliers découvrent abasourdis l'univers burlesque et délirant de Panique au village. Les autres avaient déjà eu l'occasion de voir la série diffusée sur Canal + et mettant en scène les principaux personnages du long métrage : CowBoy, Indien, Cheval, Gendarme ou encore Steven. Avalanche de gags, de dialogues cinglants et de situations cocasses, le long métrage est un régal pour ceux qui aiment l'humour plus que décalé, le nonsense, et l'absurde dans tous ses états. Son style particulier (animation en stop motion de figurines rigides) ajoute un côté artisanal et ludique qui renforce l'auto-dérision débridée du récit.

Le Conte de la Princesse Kaguya de Isao Takahata

Joli coup de la Quinzaine en 2014 qui sélectionne le dernier film du réalisateur japonais culte Isao Takahata. On n'a toujours pas compris comment l'officielle a pu dédaigner une telle prise, mais rappelons qu'aucun autre film de Takahata n'a été sélectionné en compétition (idem pour Miyazaki, seulement sélectionné à Cannes Classic en 2006 avec Nausicaa, mais aussi Satoshi Kon, et tant d'autres). Oui, l'Officielle a commis un nombre important d'impairs concernant le cinéma d'animation, cela ne fait aucun doute. Revenons en au Conte de la Princesse Kaguya qui est une fable délicate et poétique inspirée d’un conte populaire datant du Xe siècle, considéré comme l'un des textes fondateurs de la littérature japonaise. L'héroïne, enfant libre littéralement née de la nature, se retrouve brutalement confrontée au carcan douloureux des apparences et du jeu social. Comme prisonnière de son existence, et même de sa propre enveloppe corporelle, elle n'aura de cesse que de retrouver l'osmose avec l'univers, non sans éprouver une forme de nostalgie pour les fugaces bonheurs terrestres.

La tortue rouge de Michael Dudok de Wit

Première collaboration des studios Ghibli avec une production européenne animée, La Tortue rouge est un conte minimaliste sans dialogue, au dessin épuré, qui raconte l'existence d'un naufragé sur une île déserte. Ce premier long métrage du réalisateur Michael Dudok de Wit (connu pour ses courts Le Moine et Le Poisson et Père et Fille) s'affranchit d'une écriture traditionnelle pour aller vers une forme de parabole poétique qui interroge les rapports de l'homme à la nature. Présenté à Un Certain regard en 2016, il s'avère parfois un peu trop "mignon" et "charmant", mais séduit par ses couleurs pastels chaudes et la simplicité épurée de son récit. Le public, peu habitué à ce type de fresques animées, plébiscite le film qui remporte le prix spécial du jury Un Certain Regard et connaît ensuite un beau succès en salles.

Ma vie de courgette de Claude Barras

Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016, Ma vie de courgette est l'adaptation en stop-motion, avec des marionnettes, du roman Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris. Un drôle de film tendre et joyeux malgré son sujet, la vie d'un petit garçon qui se retrouve placé dans un foyer pour enfants après la mort accidentelle de sa mère. Entre complicité et mélancolie, amitié et résilience, le récit parvient à nous émouvoir tout en nous faisant rire, quand ce n'est pas l'inverse. Toujours avec une forme de simplicité qui permet d'aborder les sujets les plus graves sans jamais perdre le jeune public.

La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach

2016 fut définitivement une grande année d'animation sur la Croisette, puisqu'on y découvrait aussi le premier long métrage de Sébastien Laudenbach, connu pour ses courts. Réalisé dans une grande économie de moyens, avec une animation esquissée qui assume d'être inachevée, le film qui fit l'ouverture de l'ACID est adapté d'un conte de Grimm, dans lequel un meunier vend son plus bel arbre ainsi que sa fille au diable en échange d'une richesse éternelle. Vendue et mutilée, la jeune fille s'enfuit, s'émancipe des hommes, et commence ainsi un parcours initiatique destiné à la libérer de toutes ses entraves. Un conte à la fois édifiant, poétique et follement libre, dans son propos, sa tonalité et son esthétique.

Là-haut de Pete Docter et Bob Peterson

En 2009, c'est un film d'animation en 3D qui faisait l'ouverture du festival. Là-haut, issu des studios Pixar, est un merveilleux récit d'aventures et de transmission qui nous emmène de la tristesse d'un maison de retraite à la jungle amazonienne en Amérique du Sud. On y suit Karl, un vieil homme de 78 ans bougon et solitaire, s'envoler littéralement pour le voyage de sa vie, emmenant sans le savoir Russell, un scout de neuf ans. Evidemment, ces deux-là devront apprendre à se connaître et à s'apprécier, tout en déjouant les plans machiavéliques d'un autre explorateur. Gai, irrévérencieux et profondément humain, c'est probablement l'un des rares films d'ouverture cannois à avoir allié aussi brillamment le pur divertissement et le cinéma d'auteur.

Vice-versa de Pete Docter, Ronaldo Del Carmen

En 2015, Cannes présente Vice-Versa en séance hors compétition... et s'entend dire par certains journalistes facétieux qu'il s'agit du meilleur film du festival et qu'il méritait la Palme. Et pourquoi le dernier-né des studios Pixar n'aurait-il pas mérité une place en compétition ? Drôle et malin, divertissant et fantasque, et surtout singulier et audacieux, il met en effet en scène un "quartier général" qui régit les humeurs et les réactions de la petite Riley, 11 ans. Formé par cinq émotions complémentaires (la colère, la peur, la joie, le dégoût et la tristesse), ce centre de contrôle aide la fillette à mener une vie heureuse et paisible, jusqu'au jour où Joie et Tristesse se perdent accidentellement dans les recoins les plus éloignés de sa mémoire... plongeant le spectateur dans une longue suite d'aventures cocasses, entre pur divertissement et tentation psychologique d'analyser nos comportements par le biais d'un trop plein d'émotions.

Teheran tabou d'Ali Soozandeh


En compétition à la Semaine de la Critique en 2017, ce premier long métrage du réalisateur d'origine iranienne Ali Soozandeh confirme la propension du cinéma d'animation à s'emparer de questions politiques ou sociales sensibles, voire taboues, en mettant en scène trois femmes et un jeune musicien dans la ville de Téhéran. Tous les quatre cherchent à leur manière un moyen de s'émanciper d'une société iranienne corsetée par la morale et gangrenée par l'hypocrisie. Utilisant le procédé de la rotoscopie, qui consiste à filmer des acteurs, puis à les redessiner et à les intégrer dans des décors peints, le réalisateur propose un pamphlet politique virulent et d'une extrême noirceur, qui trouve parfois ses limites, mais n'en demeure pas moins un portrait saisissant et singulier de l'Iran contemporain.

J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin

C'est l'un des films dont on a le plus parlé l'an passé sur la Croisette : même avant son Grand Prix à la Semaine de la Critique (ce qui fait de lui le premier long métrage d'animation à remporter cette récompense), J'ai perdu mon corps était incontestablement l'un des événements de Cannes 2019. On connaît la suite : achat par Netflix, course aux Oscar, 2 César, et un succès en salles loin d'être négligeable (même si l'on espère toujours mieux pour les films que l'on aime). Avec son sens époustouflant de la mise en scène, son intrigue intimiste et  ténue et sa narration alternée jouant à la fois sur le registre du film sentimental, du cinéma de genre et du récit initiatique, le premier long métrage de Jérémy Clapin réconcilie toutes les cinéphilies, et prouve la nécessité de décloisonner une bonne fois pour toutes animation et prise de vue continue.

César 2020: « Les Misérables » triomphe

Posté par vincy, le 28 février 2020

Florence Foresti a ouvert cette cérémonie pas comme les autres, avec Tchéky Karyo, qui ne s'est pas "rasé depuis Nikita". La 45e cérémonie des "connards, euh des César" a commencé avec un film court où elle parodie le Joker, personnage qui, rappelons-le, tente de faire rire en se croyant fait pour le stand-up.

Comme quoi le cinéma américain est toujours plus inspirant pour les ouvertures de cette soirée annuelle. Mais il fallait bien chauffer la salle depuis que ces César étaient menacés de gel. "Ça va la diversité? Vous vous êtes crus à la MJC de Bobigny. ici, c'est l'élite, on dégage".  Une polémique de moins. "Je suis très heureuse d'être là... enfin non... je suis très courageuse. Elle a bien choisi son année pour revenir la Foresti", balance-t-elle. "On est sur du rire bio".

Brillante, évidemment, elle s'est moquée de l'époque avec son autodérision habituelle (blackface et salut nazi): "Il semblerait que je sois blanche, hétéro, d'héritage chrétien. C'est pas grave!" Mais évidemment on l'attendait sur J'accuse -" douze moments où on va avoir un souci". Et elle s'en est bien sortie, avouons-le. Piquant avec humour Céline Sciamma et son équipe à 80% féminine, loin des objectifs du collectif 50/50. Du coronavirus à la bite de Benjamin Griveaux, toute l'actu y est passée pendant la cérémonie. Jusqu'à se payer l'Académie: "Y a plus de patron, c'est pas une intérim qui va m'arrêter". Jusqu'à rencontrer Isabelle Adjani dans un sketch filmé. Rappelons que Foresti avait fait il y a 5 ans une parodie de la star qui est devenue culte. Et Adjani de jouer les fausses folles, reprenant ainsi le sketch télévisuel de Foresti.

Sandrine Kiberlain a alors ouvert la soirée en tant que présidente. "Heureuse et touchée" d'être présidente de cette cérémonie, "la dernière d'une époque, la première d'une nouvelle", elle a pesé chacun de ses mots et clamé un discours résolument féministe. Un discours très social aussi  "Je crois profondément aux vertus de la crise" affirme-t-elle, citant Victor Hugo, mai 68, mais aussi des films oubliés par les nominations comme Les invisibles, C'est ça l'amour et Tu mérites un amour. Classe.

Moins convaincants, les discours des remettants, trop insistants, maladroits, parfois lourds ou plombants (on ne le dira jamais assez: l'écriture est le parent pauvre du cinéma), ou alors complètement insipides. Dommage parce que ça allait dans le bon sens de l'inclusion et de la diversité. Au final, beaucoup d'intermèdes étaient trop longs et assez vains. Il a fallu attendre deux heures et demi pour passer aux catégories reines. Imaginez notre supplice. Heureusement, il y a eu le bel hommage à Agnès Varda, en chanson, en voix et en images.

La diversité, l'égalité et la mixité étaient pourtant sur scène, notamment avec beaucoup de femmes lauréates (y compris dans les métiers techniques). Les remettants, bien sûr, mais aussi du côté des lauréats avec la belle double victoire Papicha. Ce n'est pas la seule réalisatrice couronnée puisque Yolande Zauberman a été primée côté documentaires, succédant à Agnès Varda et Mélanie Laurent dans cette catégorie essentiellement masculine. Et le court métrage a récompensé une co-réalisatrice (Lauriane Escaffre).
Avec sa nouvelle règle, le César du public a échappé à Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu?, champion du box office, au profit des Misérables de Ladj Ly.

C'est une fois de plus le festival de Cannes qui cartonne avec J'ai perdu mon corps, La belle époque, Roubaix une lumière, Portrait de la jeune fille en feu, Parasite, Alice et le maire, Les Misérables et Papicha parmi les vainqueurs. Il n'y a pas eu de vrais perdants parmi les multi-nommés. C'est même plutôt un palmarès plutôt équilibré. Et de Roschdy Zem à Anaïs Demoustier en passant par Fanny Ardant et Swann Arlaud, les remerciements étaient beaux, les prix mérités.

Mais c'est bien Roman Polanski, récompensé personnellement par deux César dont celui de la réalisation, qui aura fait un bras d'honneur à tous.  On aurait tellement aimé, pour le symbole, que Céline Sciamma, soit distinguée. Les professionnels ont finalement fait de la résistance en séparant l'homme de l'artiste. Mais c'est quand même une provocation ce César pour Polanski (certes pas le premier). Un "symbole mauvais" comme anticipait le ministre de la Cuture. Adèle Haenel en a quitté la salle. Elle qui a tout bousculé, ouvert la voie, donner de la voix aux femmes, aura finalement été humiliée par les votants de l'Académie. D'autres personnes, dont Céline Sciamma, la suivent en criant "Quelle honte !". Un silence glacial paralyse la salle. Florence Foresti balance un "écoeurée" sur Instagram.

Heureusement, le seul vainqueur est un premier film venue de la banlieue, métissé et certes très masculin. Les Misérables, et son petit budget, a été récompensé quatre fois et sacré par le prix meilleur film. Le cinéma français, terre de contrastes et de contradictions...

Palmarès

César du meilleur film : Les Misérables
César de la meilleure réalisation : Roman Polanski pour J'accuse
César du meilleur premier film : Papicha de Mounia Meddour
César du film d'animation (long métrage) : J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
César du film d'animation (court métrage) : La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel
César du meilleur film documentaire : M de Yolande Zauberman
César du meilleur court métrage : Pile poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller
César du public : Les Misérables
César du meilleur film étranger : Parasite de Bong Joon-ho

César de la meilleure actrice : Anaïs Demoustier dans Alice et le maire
César du meilleur acteur : Roschdy Zem dans Roubaix, une lumière
César du meilleur second-rôle féminin : Fanny Ardant dans La belle époque
César du meilleur second-rôle masculin : Swann Arlaud dans Grâce à Dieu
César du meilleur espoir féminin: Lyna Khoudri dans Papicha
César du meilleur espoir masculin: Alexis Manenti dans Les Misérables

César du meilleur scénario original : Nicolas Bedos pour La belle époque
César de la meilleure adaptation: Roman Polanski et Robert Harris pour J'accuse, d'après le roman D. de Robert Harris
César de la meilleure musique : Dan Levy pour J'ai perdu mon corps
César de la meilleure photo : Claire Mathon pour Portrait de la jeune fille en feu
César du meilleur montage : Flora Volpelière pour Les Misérables
César des meilleurs décors: Stéphane Rozenbaum pour La belle époque
César des meilleurs costumes: Pascaline Chavanne pour J'accuse
César du meilleur son : Nicolas Cantin, Thomas Desjonquières, Raphaël Mouterde, Olivier Goinard et Randy Thom pour Le Chant du loup

[2019 dans le rétro] Le triomphe ambivalent de l’animation adulte

Posté par MpM, le 10 janvier 2020

Un regard rapide sur l'année écoulée suffit pour se réjouir de la vitalité du cinéma d'animation en France. Avec 50 longs métrages et 20 programmes de courts, il représente en effet en moyenne plus d'une sortie par semaine, sans compter les ressorties, ce qui témoigne d'une offre riche et diversifiée.

L'animation française s'en sort bien, avec 9 longs métrages, contre 16 pour les Etats-Unis, et 8 pour le Japon. Côté box-office, cette année encore ce sont les blockbusters américains qui dominent : Le Roi lion est en tête avec 10 millions d'entrées, suivi de La Reine des neiges 2 et de Toy Story 4. Le premier film français est loin derrière avec 750 000 entrées (Minuscule 2), tandis que le premier film d'auteur et à destination d'un public adulte, Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, affiche 320 000 entrées. Evidemment, on préférerait que ce soit le contraire, et que l'animation exigeante (et de manière générale le cinéma d'auteur) triomphe dans les salles, au nez et à la barbe des blockbusters et autres sequels en série.

Pourtant, on peut aussi voir le verre à moitié plein et se dire que si l'adaptation du roman de Yasmina Khadra pouvait sans doute prétendre à mieux (n'est-ce pas toujours le cas ?), surtout avec Zabou Breitman, personnalité connue et appréciée du grand public à la co-réalisation, son résultat au-dessus des 300 000 entrées prouve malgré tout qu'il existe un public art et essai susceptible de se mobiliser pour aller voir un long métrage d'animation qui aborde un sujet complexe et difficile (en l'occurence, l'Afghanistan des Talibans). Ce qui signifie qu'un "transfert" de spectateurs amateurs d'art et essai est bel et bien possible entre prise de vue continue et animation.

La question est plutôt de savoir pourquoi le transfert marche dans certains cas, et pas dans d'autres. On pense notamment à Funan de Denis Do, premier long métrage sensible et bouleversant sur la période terrible de la dictature des khmers rouges au Cambodge. Inspiré de l'histoire vraie de la mère et du frère du réalisateur, le film nous plonge sans fard dans le quotidien des camps de travail khmers, et expose toute la complexité d'une situation dans laquelle chacun joue sa vie à chaque instant. Malgré sa force, malgré son sujet, malgré le Cristal du meilleur long métrage à Annecy en 2018, le film n'a pas trouvé son public. Hélas, il est loin d'être le seul.

Et s'il fallait une démonstration plus cruelle encore du fait que la qualité est parfois inversement proportionnelle au nombre d'entrées, il faudrait citer ce qui demeure comme l'un des plus beaux films (tout court) de l'année 2019, Ville neuve de Félix Dufour-Laperrière, malheureusement sorti sur très peu d'écrans, et donc vu par un nombre limité de spectateurs. Ville neuve démontre pourtant autre chose que les injustices grossières du box-office.

Il est l'exemple parfait de ce que les amateurs de cinéma d'animation attendaient depuis longtemps : un long métrage qui bouscule les habitudes, tente des choses d'ordinaire bannies en animation (un long plan fixe sur deux personnages à la fenêtre, des passages abstraits au milieu du récit, un plan-séquence virtuose sur deux personnages qui marchent dans la rue...) et affirme à chaque image que l'animation n'est pas du sous-cinéma. Son histoire de couple qui tente de renouer avec le passé nous touche autant que sa variante en prise de vue continue chez Christophe Honoré dans Chambre 212, l'autre grand film sur le couple de 2019. De la même manière, son aspiration à rapprocher les espaces du rêve, de l’imaginaire, du souvenir, de l’intime et du collectif, nous interpelle et nous interroge. Ville neuve est non seulement un film destiné à un public adulte, mais aussi un film doté d'une incontestable maturité formelle et narrative.

L'autre exemple criant en la matière est bien entendu J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, qui fait lui aussi la démonstration d'une maîtrise formelle peu fréquente. Attention, il ne s'agit pas ici de technique, mais bien de mise en scène, avec un sens du cadre et du point de vue qui dénotent une connaissance millimétrée du langage cinématographique. Une virtuosité qui ne doit pas faire oublier les autres qualités de ce premier long métrage singulier, à commencer par sa mélancolie douce-amère et son émotion sous-jacente. Là encore, Jérémy Clapin déjoue les attentes en proposant, entre deux scènes d'action qui flirtent avec le cinéma de genre, une longue séquence presque statique de dialogue entre les deux personnages principaux, par interphone interposé. Cerise sur le gâteau, même s'il n'a pas battu de record, J'ai perdu mon corps est loin d'avoir démérité au Box-Office, surtout en comparaison avec nos précédents exemples...

Il faut encore mentionner Bunuel après l'âge d'or de Salvador Simó et Another day of life de Raul de la Fuente et Damian Nenow qui, s'ils nous ont moins enthousiasmés, participent également à ce mouvement général de longs métrages d'animation résolument tournés vers un public plus adulte. De la même manière que le documentaire Zero impunity de Nicolas Blies, Stéphane Hueber-Blies et Denis Lambert (grand succès de festival encore inédit en salles), qui dénonce l'impunité des violences sexuelles dans les conflits armés actuels.

Quelques films, enfin, prennent le parti de s'adresser à un public certes familial, mais tout en offrant un niveau de lecture particulièrement développé aux spectateurs adultes. C'est le cas dans une moindre mesure de La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, et surtout du formidable Voyage du Prince de Jean-François Laguionie, qui aborde sans fard la question des réfugiés et de l'accueil que leur réservent nos sociétés contemporaines bien pensantes.

Et puis, bien sûr, il y a L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian, qui vient tout juste de sortir en salles, mais qui dès sa première projection au festival d'Annecy, montrait lui-aussi les facilités qu'a le cinéma (qu'il soit d'animation ou non) pour s'adresser simultanément à tous les publics. Brillant, splendide et d'une grande intelligence, le film est ainsi à la fois une fresque colorée qui retrace la vie douce amère d'une petite chienne et une réflexion profonde sur le bonheur, et notre incapacité à le saisir, ou même à le reconnaître.

A noter enfin qu'il serait impossible de prétendre à un quelconque tour d'horizon du cinéma d'animation en omettant sa part la plus foisonnante, celle du court et du moyen métrage. Cette année encore, on a vu des films superbes, comme en témoignent nos deux focus sur les meilleurs courts métrages de 2019, qui comptent une dizaine de films d'animation sur les 25 titres cités. Afin de ne pas se répéter, on ne citera donc que deux d'entre eux, qui ont d'ores et déjà marqué durablement les esprits : L'Heure de l'ours d'Agnès Patron et Physique de la Tristesse de Théodore Ushev.

[2019 dans le rétro] 40 talents au top

Posté par vincy, le 31 décembre 2019

Le cinéma serait une grande famille. Mais alors façon Downton Abbey. Bien recomposée. Cette année, nombreux sont ceux qui ont su s'imposer dans nos mémoires de cinéphiles, au box office, et surtout à l'écran. Sur les écrans devrait-on dire. Le grand et celui chez soi. Il n'y a plus vraiment de distinction avec la déferlante Netflix, la hausse de la VàD et le succès de masse de certaines fictions télévisuelles. Sans oublier l'écran web, où Adèle Haenel a révélé la première grande affaire #MeToo du cinéma français. Son courage et sa clairvoyance en ont fait un événement marquant de l'année, rebattant les cartes des rapports hommes/femmes dans la profession. Adèle Haenel a été un symbole, pas seulement parce qu'elle a été la jeune fille en feu mais bien parce qu'elle (nous) a mis le feu. Ouvrant les portes anti-incendie à une nécessaire mise à plat. Elle n'a pas joué, cette fois-ci, ni misé pour voir. Elle a abattu ses cartes et déjoué les bluffs de certains.

Trois mondes

Ce sont les patronnes de l'année. Des impératrices dans leur genre. Olivia Colman, avec un Oscar en février pour La favorite, a incarné une reine au bord de la folie, avant de nous éblouir dans les habits d'une autre reine dans la troisième saison de The Crown. Régnante indétrônable sur le cinéma français, Catherine Deneuve continue inlassablement de tourner. Et pour ceux qui doutent encore de sa maestria, il suffit de la voir dans La vérité, où elle déploie tout son talent, sans se soucier de son image, dans une fausse mise en abime d'elle-même. Quant à Scarlett Johansson, elle a brillé (tragiquement) dans le dernier Avengers, plus gros hit de l'année, mais c'est bien son éclectisme qui la rend si spécifique par rapport au reste du cast de Marvel, tournant un second-rôle dans la comédie décalée Jojo Rabbit et poussant son niveau de jeu vers les plus grandes dans Marriage Story.

Les combattants

Ils sont à la fois au sommet du côté du box office, dans leur genre, et engagés, par leurs choix cinématographiques comme par leur parole en promo. Ainsi Adèle Haenel n'a plus sa langue dans sa poche, et fait preuve d'une franchise salutaire, tout en étant sublimée en amoureuse énigmatique dans Portrait de la jeune fille en feu, plus beau film LGBT de l'année. Corinne Masiero affirme ses idées de gauche, cartonne avec son Capitaine Marleau sur France 3 et dans Les Invisibles au cinéma, film sur les exclus. Ladj Ly prend sa caméra pour nous tendre un miroir sur notre société en décomposition avec Les Misérables, sans juger. François Ozon, auréolé d'un grand prix à Berlin avec Grâce à Dieu, a aussi livré un film qui ouvre les yeux, cette fois-ci sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique, et leurs conséquences sur l'existence des victimes. En s'aventurant chez les Juifs ultra-orthodoxes de Tel Aviv, Yolande Zauberman, avec M, ne montre pas autre chose: abus sexuels, dévastation psychique, rejet des victimes... De la même région, avec sa fable burlesque et absurde, It must be Heaven, Elia Suleiman poursuit son inlassable lutte pour la paix des peuples dans un monde de plus en plus aliéné et sécuritaire. Avec courage, Waad al-Kateab a filmé Alep sous les bombes dans Pour Sama, exposant l'horreur de la guerre en Syrie.

Naissance des pieuvres

De nombreux nouveaux talents ont émergé, soit autant de promesses cinématographiques. Côté réalisateurs, Levan Akin et Kirill Mikhanovsky, révélés à la Quinzaine des réalisateurs avec respectivement Et puis nous danserons et Give Me Liberty,  ont justement soufflé un vent de liberté autour de "marginaux" avec une vitalité jouissive, que ce soit pour aborder l'homosexualité dans un pays homophobe ou l'exclusion du rêve américain. Côté animation, deux coups de maîtres très loin des standards hollywoodiens ont emballé la critique et fait preuve d'un renouveau esthétique et narratif:  Jérémy Clapin avec J'ai perdu mon corps et Ayumu Watanabe avec Les enfants de la mer. Côté acteurs, on retiendra, la beauté et le charisme de Luca Marinelli dans Martin Eden et Maud Wyler, actrice touche-à-tout et sensible vue dans Alice et le maire, la série Mytho et surtout Perdrix. Sans oublier Mati Diop, qui, avec Atlantique, est l'incarnation de cette promesse de cinéma tant souhaitée, en mariant la fable fantastique, l'épopée romantique et le drame socio-politique avec audace. C'est d'ailleurs le mot qui leur conviendrait le mieux, à chacun.

En liberté !

Ils sont déjà bien installés en haut de l'affiche, et pourtant, ils parviennent encore à nous surprendre. Ils ont tous ce grain de folie nécessaire pour accepter des projets divers ou des films sans barrières. Ils ont tous excellés à des niveaux différents. Qui aurait pu deviner il y a quelques mois qu'Eva Green en astronaute dans Proxima trouverait son plus beau rôle ou que Chiara Mastroianni dans Chambre 212 serait étincelante comme jamais avec un personnage pas très moralement correct? De la même manière, le futur Batman, Robert Pattinson, avec le radical et barré The Lighthouse, et l'éternel OSS 117, Jean Dujardin, hors des sentiers battus dans Le Daim et parfait en contre-emploi dans J'accuse, ont démontré que leur statut ne les bridait pas dans leurs envies de cinéma. Car c'est bien à cela qu'on reconnaît les grands: passer d'une famille à l'autre, sans se soucier des étiquettes. A l'instar d'Anaïs Demoustier (Alice et le maire, Gloria Mundi) et d'Elisabeth Moss (La servante écarlate, Us, Les Baronnes, Her Smell) qui sont à chaque fois justes et convaincantes, peu importe le genre. C'est ce qu'a fait durant toute sa carrière Fanny Ardant, rare césarisée pour un rôle de comédie, dont on perçoit le bonheur de jouer dans La belle époque, elle qu'on ne considère plus comme "bankable". Cette liberté que chacun s'autorise a permis d'ailleurs à la réalisatrice Rebecca Zlotowski de signer à la fois Une fille facile, véritable œuvre personnelle sur le féminin contemporain, et Les sauvages, l'une des meilleures séries françaises, qui plus est politique, de ces dernières années.

120 battements par minute

Ils nous ont fait vibrer avec leur "cinéma". Evidemment, Bong Joon-ho, Palme d'or avec Parasite, est le premier d'entre eux. Son thriller social, dosé parfaitement avec un zest d'horreur et un soupçon de comédie, a été le film palpitant de l'année. Dans le mélange des genres, entre western et drame social, Kleber Mendonça Filho n'est pas en reste avec Bacurau, où le spectacle et le culot sont toujours au service du récit. Tout comme Diao Yinan qui n'hésite pas à revisiter le film noir pour en faire une œuvre d'art avec Le lac aux oies sauvages. Ces films, sous leurs aspects politiques, démontrent qu'il y a encore du grand cinéma possible. C'est d'ailleurs ce que rappelle Martin Scorsese avec son ambitieux The Irishman, coûteux, long, surdimensionné, et presque grandiose, et avec ses prises de paroles coup de poing qui ont créé un débat passionnant sur le 7e art, entre industrie et vision d'auteur. Cette vision intime et personnelle, on la retrouve chez Nadav Lapid qui nous a enthousiasmé avec son film puzzle, Synonymes (Ours d'or), où chaque scène, chaque plan étonne par son imprévisibilité. Et puis, on aurait pu citer Pedro Almodovar, mais c'est son double, Antonio Banderas qui reste dans nos rétines. Douleur et Gloire lui offre une variation infinie sur le même thème, renouant ainsi avec la quintessence de son métier, tout en se révélant sans pudeur, et avec maturité.

Les ogres

Chacun à leur manière, ils ont dévoré l'écran, à chacune de leurs apparitions. Joaquin Phoenix est littéralement le Joker. Le perfectionnisme de l'acteur et la folie de son personnage sont d'ailleurs palpables chez Lupita Nyong'o (Us, Little Monsters) ou chez Christian Bale (Vice, Le Mans 66). Leur exigence n'a rien à envier à ceux qui suivent, mais ils captent la lumière, envahissent l'image et contribuent beaucoup à la réussite de leurs films. On pourrait donc en dire autant, dans des registres un peu moins flamboyants de Mahershala Ali (Green Book, True Detective, Alita : Battle Angel) et de Adam Driver (Marriage Story, The Dead don't die, Star Wars IX). Tous s'imposent par leur prestance physique et leur précision de jeu, peu importe le style de films ou la nature de leurs personnages. Mais en dehors des acteurs, il y a aussi d'autres métiers qui exigent gourmandise, leadership et puissance. On ne peut pas ignorer parmi cette famille Kevin Feige, patron des films Marvel, qui en trois films a rapporté 5 milliards de dollars dans le monde, affirmé son emprise sur le line-up de Disney (y compris Star Wars) et semblé avoir trouvé la martingale pour transformer les super-héros en machines à cash.

Confession d'un enfant du siècle

Guillaume Canet aura réussi un brelan d'as avec Nous finirons ensemble (2,8M d'entrées, 3e plus gros succès de sa carrière), Au nom de la terre (2M d'entrées), et La belle époque (1,3M d'éntrées). Réalisateur ou acteur, cette année fut la sienne, sans qu'il se compromette dans des comédies aux affiches bleutées et criardes. En incarnant un agriculteur dépressif, il a su toucher un large public provincial qui va rarement au cinéma. Après le carton du Grand bain, l'an dernier, il s'est imposé comme l'un des rares talents bankables du cinéma français devant et derrière la caméra. On lui a depuis confié les manettes du prochain Astérix.

Les héros ne meurent jamais

Qu'il soit astronaute au premier plan dans le crépusculaire Ad Astra de James Gray ou doublure cascade d'une vedette sur le déclin dans le jubilatoire Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, Brad Pitt, 56 ans, est toujours aussi magnétique, beau et cool. Une star de catégorie A, qui remplit un peu toutes les cases précédentes, à la fois ogre et libre, combattant et enfant du siècle (précédent). Il a son style. Capable de s'exhiber torse-poil comme au temps de Thelma et Louise ou de rivaliser avec "Bruce Lee" dans une séquence de combat culte. Il ne semble pas vieillir. Mais il choisit ses films (il se fait rare, a refusé toutes les productions avec super-héros) et surtout ses cinéastes (sa filmographie devient un panthéon assez admirable). De la même manière, comme producteur avec sa société Plan B, il sélectionne des projets engagés, politiques ou sociétaux à l'instar du beau Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins, du percutant Vice d'Adam McKay et du touchant Beautiful Boy de Felix Van Groeningen.

Annie Awards: « J’ai perdu mon corps » séduit Hollywood

Posté par vincy, le 2 décembre 2019

La Reine des Neiges 2 et Monsieur Link ont récolté 8 nominations chacun aux nominations pour les 47e Annie Awards, les Oscars de l'animation, qui seront décernés le 25 janvier.

Le plébiscite pour le Disney n'est pas une surprise. Pour Monsieur Link, c'est en revanche un très beau coup pour le studio Laika, qui avait déjà brillé il y a trois ans avec Kubo et l'Armure magique. Les nominations ont d'ailleurs révélé un bel éclectisme avec Dragons 3 : Le monde caché (DreamWorks), Toy Story 4 (Disney-Pixar) et Klaus (Netflix) qui sont aussi dans la course du meilleur film.

Par studio, Netflix domine tout le monde avec 39 citations, devant DreamWorks Animation (18) et Disney (16). Car Netflix dispose, aux USA, d'un autre film qui pourrait finir parmi les finalistes aux Oscars: J'ai perdu mon corps, Grand prix à la Semaine de la critique au Festival de Cannes (déjà 130000 spectateurs en France). Le film a été acquis pour les USA par la plateforme. Avec Klaus et ses sept nominations, Netflix s'ajoute ainsi 6 nominations pour le premier long de Jérémy Clapin. Netflix cartonne aussi avec Love, Death & Robots (5 nominations) et Carmen Sandiego (4 nominations).

J'ai perdu mon corps est en lice pour le prix du meilleur film indépendant face à Buñuel après l'âge d'or de Salvador Simo, Okko et les fantômes de Kitarô Kôsaka, Promare de Hiroyuki Imaishi et Les enfants du temps de Makoto Shinkai.

Notons aussi que Jérémy Clapin et Makoto Shinkai sont en concurrence dans la catégorie du meilleur réalisateur face à Jennifer Lee et Chris Buck (La Reine des neiges 2), Sergio Pablos (Klaus) et Chris Butler (Monsieur Link). J'ai perdu mon corps est aussi nommé pour la meilleure musique (Dan Levy), le meilleur storyboarding (Julien Bisaro et Jérémy Clapin) et le meilleur scénario (Jérémy Clapin, Guillaume Laurant).

On retrouve également deux films français, Je sors acheter des cigarettes, d'Osman Cerfon (Miyu Productions) et Oncle Thomas : La Comptabilité des jours de Regina Pessoa, dans la catégorie du court métrage. Miyu productions est aussi cité parmi les meilleurs films étudiants avec Un diable dans la poche d'Antoine Bonnet et Mathilde Loubes (Gobelins).

Abominable, The Addams Family et Comme des bêtes 2 sont les rares productions de studios à recevoir quelques nominations.

Cannes 2019: un film d’animation couronné à la Semaine de la Critique

Posté par vincy, le 22 mai 2019

La 58e Semaine de la Critique s'est achevée ce soir avec son palmarès. Pour la première fois, le jury de la sélection, présidé par le cinéaste colombien Ciro Guerra a distingué un film d'animation pour le Grand Prix Nespresso. J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin a été la sensation de la Semaine. Le film, distribué par Rezo Films et qui sortira le 6 novembre dans les salles, est l'adaptation d'un livre de Guillaume Laurent: Naoufel y tombe amoureux de Gabrielle tandis que, plus loin, une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. Une cavale vertigineuse à travers la ville, semée d’embûches et des souvenirs de sa vie jusqu’au terrible accident, va se terminée d’une façon poétique et inattendue.

Les autres prix de la Semaine ont récompensé l'acteur Ingvar E. Sigurðsson vu dans A White White Day de l'islandais Hlynur Pálmason (Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation Masculine), César Diaz, auteur de Nuestras Madres (Prix SACD), She Runs de Qiu Yang (Prix Découverte Leitz Cine du court métrage), Sans mauvaise intention d'Andrias Høgenni (Prix Canal + du court métrage).

Le distributeur français The Jokers, a obtenu le Prix Fondation Gan à la Diffusion pour Vivarium de Lorcan Finnegan.

Cannes 2019 : Qui est Jérémy Clapin ?

Posté par MpM, le 17 mai 2019

Voilà déjà quinze ans que Jérémy Clapin construit sur grand écran une œuvre singulière et atypique dont les récits mettent souvent en scène des êtres à part, des personnages "différents". Cet ancien étudiant aux Arts décos a lui-même un profil inhabituel, ne serait-ce que parce qu’il a été professeur de tennis à mi-temps pendant et à l’issue de ses études, pour s’assurer une certaine liberté. Il a aussi choisi de ne pas compléter sa formation par une école spécialisée en animation, et de ne pas non plus réaliser de film de fin d’études.

C’est grâce au festival d’Annecy, et plus précisément de ses différentes sélections de courts métrages qu’il découvre la richesse et la diversité du cinéma d’animation, mais aussi les multiples manières de raconter une histoire. "Ça m’a marqué", expliquait-il en 2009 au magazine Format Court. "J’aimais beaucoup le dessin, j’avais aussi envie de raconter des histoires, tout seul."

C’est pourquoi il n’hésite pas lorsqu'on lui propose de réaliser son premier court métrage trois ans après avoir fini les Arts décos. Ce sera Une histoire vertébrale, l’histoire d’un homme qui a la tête basculée vers l’avant, le regard rivé au sol, et qui cherche l’amour. Un récit simple, muet, aux teintes plutôt ternes et sombres, qui mélange avec brio une forme d’humour décalé et une profonde mélancolie.

Quatre ans plus tard, il réalise Skhizein, qui est sélectionné à la Semaine de la Critique. Cette fois, le personnage central est Henri, un homme frappé de plein fouet par une météorite de 150 tonnes. Il raconte en voix off comment ce choc l’a décalé d'exactement 91 centimètres par rapport à là où il devrait être. Là encore, on est face à un récit singulier qui hésite entre le rire et le malaise, la légèreté et la chape de plomb de la maladie mentale. Esthétiquement, la palette graphique reste extrêmement désaturée, dans des camaïeux de noir, de gris et de beige. Le film est nommé au César du meilleur court métrage et reçoit de nombreux prix internationaux.

En parallèle, le réalisateur continue de travailler dans l’illustration, et signe quelques films publicitaires, dont l’amusant Good vibration pour les assurances Liberty Mutual en 2009, dans lequel des employés de bureau s’amusent des différentes chutes provoquées par les vibrations d’un marteau-piqueur sur un chantier.

En 2012, il propose un nouveau court métrage, Palmipedarium, qui connaît lui aussi un beau succès en festival. On y voit un petit garçon qui accompagne son père à la chasse aux canards, avant de faire la rencontre d’une étrange créature déplumée qui semble aspirer à l’envol. Un film à la fois touchant et glaçant, qui crée une atmosphère presque anxiogène avec seulement quelques plans muets et elliptiques.

On ne peut donc pas dire que l’on ait été franchement surpris de découvrir que J'ai perdu mon corps, son premier long métrage, s’intéresse à une main séparée de son corps, qui entreprend tout un périple pour le retrouver. Cette adaptation du roman Happy Hand de Guillaume Laurant s’annonce comme une œuvre mélancolique à l’esthétique assez réaliste, alliée à une tonalité tour à tour onirique, romantique et épique.

Comme un retour aux sources, c’est à la Semaine de la Critique que ce film ambitieux et atypique connaîtra sa première mondiale, apportant sur la Croisette une vision de l’animation qui n’y a pas souvent sa place, car à la fois intimiste et épurée, déconnectée de tout "grand" sujet historique ou d’actualité, et clairement à destination d’un public adolescent et adulte. Triplement immanquable, donc.

Cannes 2019 : une 58e Semaine de la critique riche en promesses

Posté par MpM, le 22 avril 2019

Pour cette 58e Semaine de la Critique, les deux comités de sélection, sous la houlette du délégué général Charles Tesson, ont retenu 11 longs métrages (parmi 1050 films visionnés) dont 7 en compétition et 4 en séances spéciales, et 15 courts métrages (parmi 1605 films) dont 10 en compétition et 5 en séances spéciales.

On remarque la présence en ouverture du deuxième long métrage de Franco Lolli (Litigante), réalisateur qui avait déjà été sélectionné à la Semaine avec Gente de bien en 2014 et à la Quinzaine en 2012 avec le court métrage Rodri. Autres séances spéciales, le premier long métrage de la comédienne Hafsia Herzi (Tu mérites un amour) et celui d'Aude Léa Rapin (Les héros ne meurent jamais), dont on avait remarqué les courts Ton coeur au hasard et Que vive l'Empereur.

La compétition réunit cinq premiers longs métrages et les deuxièmes de Lorcan Finnegan (Without name, jamais sorti en France) et Hlynur Pálmason (Winter Brothers, sorti en 2018). Certains réalisateurs en lice sont pourtant loin d'être des inconnus, puisque l'on retrouve Sofía Quirós Ubeda (Ceniza negra, issu du programme "Next Step" de la Semaine de la Critique) qui était en compétition courts métrages en 2017 avec le magnifique Selva et Jérémy Clapin et son fameux J'ai perdu mon corps dont nous vous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Il avait lui aussi été sélectionné en compétition courts métrages en 2008 avec Skhizein. Il permet d'ailleurs d'apporter un peu d'animation dans une sélection qui, côté courts métrages, en manque singulièrement.

Dans la compétition courts métrages, justement, figurent notamment les nouveaux films de Valentina Maurel, révélée par la Cinéfondation en 2017 avec Paul est là, où elle avait d'ailleurs remporté le premier prix, Camille Degeye (Journey through a body) dont on avait vu Burûq et L'esseulé, Sofia Bost (Swallows) avec Dia de festa ou encore Cecilia de Arce (Une sur trois, Les nouveaux mondes) avec Mardi de 8 à 18.

Hors compétition, c'est le retour de Moin Hussain (Naphta), sélectionné en 2017 avec Real Gods require blood et de Cristèle Alves Meira (Semaine 2016 avec Champ de vipères) pour Invisible Hero, mais aussi de Pia Borg (Demonic), qui était à la Cinéfondation en 2014 avec Footnote. Enfin, le réalisateur japonais Katsuya Tomita, dont on a notamment vu Bangkok nites et Saudade, est présent avec le moyen métrage Tenzo tandis que Brandon Cronenberg (Antiviral) signe un très court de 9 minutes : Please Speak Continuously and Describe Your Experiences as They Come to You.

Compétition longs métrages
Abou Leila de Amin Sidi-Boumédiène
Ceniza Negra (Cendre Noire) de Sofía Quirós Ubeda
Hvítur, Hvítur Dagur (A White, White Day) de Hlynur Pálmason
J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
Nuestras Madres (Our Mothers) de Cesar Diaz
The Unknown Saint (Le Miracle du Saint Inconnu) de Alaa Eddine Aljem
Vivarium de Lorcan Finnegan

Compétition courts métrages
Dia de festa (Jour de fête) de Sofia Bost
Fakh (The Trap) de Nada Riyadh
Ikki illa meint de Andrias Høgenni
Journey Through a Body de Camille Degeye
Kolektyvinai sodai (Community Gardens) de Vytautas Katkus
Lucía en el limbo de Valentina Maurel
The Manila Lover de Johanna Pyykkö
Mardi de 8 à 18 de Cecilia de Arce
She Runs de Qiu Yang
Ultimul Drum Spre Mare (Le dernier Voyage à la mer) de Adi Voicu

Film d'ouverture
Litigante de Franco Lolli

Film de clôture
Chun jiang shui nuan (Dwelling in the Fuchun Mountains) de Gu Xiaogang

Séances spéciales longs métrages
Les héros ne meurent jamais d'Aude Léa Rapin
Tu mérites un amour de Hafsia Herzi

Séances spéciales courts métrages
Demonic de Pia Borg
Naptha de Moin Hussain
Please Speak Continuously and Describe Your Experiences as They Come to You de Brandon Cronenberg
Invisible Hero de Cristèle Alves Meira
Tenzo de Katsuya Tomita

Cartoon movie 2019 : trois longs métrages attendus en 2019

Posté par MpM, le 18 mars 2019

Heureusement, le Cartoon Movie n'est pas seulement ce lieu de frustration où sont présentés des projets prometteurs qu'il faudra ensuite attendre pendant des années. C'est aussi l'occasion d'avoir un avant-goût de films terminés, que l’on découvrira dans les semaines ou les mois à venir, en festivals ou même en salles. En montrer quelques minutes permet à la fois de faire naître (ou de confirmer) les attentes et de « prendre la température » des spectateurs constitués exclusivement de professionnels. Le cri de désappointement collectif lorsque s’est brutalement interrompue la projection du début de Bunuel après l'âge d'or de Salvador Simo en dit par exemple assez long sur la frustration ressentie par le public. Ça tombe bien, puisque le film arrive sur nos écrans le 19 juin.

Bunuel après l'âge d'or de Salvador Simo


Nous vous avions déjà parlé l’an passé lors du précédent Cartoon Movie de ce projet qui mêle animation et images d’archives pour raconter la genèse du film Terre sans pain de Luis Bunuel. Il s'agit du seul documentaire du cinéaste, tourné dans la région très pauvre des Hurdes au printemps 1932, grâce à l'argent gagné à la loterie nationale par son ami Ramon Acin. Le projet de Bunuel est de montrer sans fard ni surenchère la misère endémique de la région. Le film sera censuré en Espagne (accusé de donner une vision misérabiliste du pays) puis diffusé dans une version intégrale en 1965.

Bunuel après l'âge d'or, adapté d'un livre de Fermin Solis, commence après le scandale créé par la projection du chef d'oeuvre du surréalisme à Paris. Bunuel, rejeté de toute part, se lance alors dans un projet radicalement différent qu'il nommera "essai cinématographique de géographie humaine". Ce que l'on a vu du long métrage de Salvador Simo privilégie une forme de légèreté et d'humour, notamment dans le personnage haut en couleurs de Bunuel. Les rêves fantastiques du cinéaste s'incarnent également dans des séquences oniriques prometteuses. De quoi trancher avec la noirceur de la réalité qui apparaît à la fois dans la partie fictionnelle, et dans les images d'époque.

Le film explore ainsi cette période charnière dans l'oeuvre de Bunuel et notamment sa confrontation avec les réalités sociales les plus cruelles de son pays au moment même où il cherche à comprendre qui il est vraiment, et dans quelle direction il souhaite aller.

Le voyage fantastique de Marona d'Anca Damian


Autre film dont nous avions découvert les premières images en 2018, L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian (Le voyage de M. CrulicLa montagne magique) est attendu dans les salles à l'automne prochain. Nous avons déjà eu l'occasion de vous dire la fresque virtuose et intense qu'il devrait être, portée par l’incroyable inventivité de sa réalisatrice et le talent graphique de l'illustrateur Brecht Evens, créateur des personnages et consultant sur la création graphique. Raconté à la première personne par son héroïne, une petite chienne qui a connu plusieurs foyers, il mêle différentes techniques (2D, 3D, papiers découpés) et propose une profusion d'idées visuelles et poétiques.

Les larges extraits que nous a montrés la réalisatrice cette année viennent confirmer la beauté et l'ambition formelles du film. Dans la première partie, la petite chienne (noire et blanche, avec un nez en forme de cœur) est adoptée par un acrobate. L'occasion de créer un personnage virevoltant dont le costume jaune est constitué de fils rouges qui ne cessent de se mouvoir et de se transformer au gré des situations. Une autre séquence montre Marona flottant au milieu des crêpes en apesanteur, puis des planètes, en hommage à 2001. Dans la dernière partie, elle rencontre une petite fille elle-aussi rouge et jaune, dans un parc à la végétation luxuriante, puis dans une maison aux murs roses. Dans cet univers ultra coloré, rien n'est acidulé ou mièvre, mais c'est au contraire comme une explosion de teintes vives et chatoyantes qui illuminent le récit.

Avec son histoire simple et touchante (l'amour inconditionnel de la petite chienne pour ses maîtres successifs), Le voyage fantastique de Marona s'annonce à la fois comme une fable sensible à destination de tous les publics, et comme une oeuvre de cinéma ambitieuse et maîtrisée, qui met la barre très haut en terme d'expérimentation formelle.

J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin


Adapté du roman Happy Hand de Guillaume Laurant, J'ai perdu mon corps est le (très attendu) premier long métrage de Jérémy Clapin, découvert avec ses courts métrages Une histoire cérébrale, Skhizein (sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes) ou encore Palmipedarium. Son résumé, l'histoire d'une main droite prénommée Rosalie, et à la recherche du reste de son corps, intrigue. Les extraits vus à Bordeaux aussi, qui révèlent une esthétique assez réaliste alliée à une tonalité tour à tour onirique, romantique et épique.

Le récit suit le parcours de Rosalie, en alternance avec des flash-backs qui dévoilent peu à peu la vie de Naoufel, à qui elle appartenait autrefois. S'il se dégage (dans ce que l'on a vu) une certaine douceur des séquences passées, celles qui mettent en scène Rosalie séparée de Naoufel sont beaucoup plus froides, dans une gamme chromatique de bleus et de gris, et avec des épisodes glaçants comme celui où la main isolée est attaquée par des rats.

Inutile de préciser qu'il s'agit d'un long métrage ambitieux, plutôt à destination des adultes et des adolescents, qui s'inscrit dans un mouvement plus large de décloisonnement du cinéma d'animation. Malgré notre incompétence crasse en matière de pronostics, on veut croire qu'il pourrait célébrer sa première mondiale à Cannes.

Le meilleur du long métrage d’animation européen se retrouve au Cartoon Movie de Bordeaux

Posté par MpM, le 5 mars 2019

Rendez-vous européen des professionnels du film d'animation depuis 1999, le Cartoon Movie voit passer chaque année les projets de longs métrages les plus divers, qu'ils soient attendus ou confidentiels, classiques ou complètement fous, modestes ou extrêmement ambitieux. Si tous ne voient malheureusement pas le jour, chacun d'eux a la possibilité d'être présenté devant les producteurs, investisseurs, distributeurs, agents de vente, sociétés de jeux vidéos ou encore new media players présents, en tout 900 professionnels en quête de contenus, de coopérations ou de coproductions.

Cette année, ce sont 66 projets en provenance de 22 pays, dont 22 films français, qui ont été sélectionnés pour participer à cette 21e édition du Cartoon Movie. Si les deux tiers sont seulement à l’état de concept ou en développement, 7 sont en production et 7 seront présentés en sneak preview, ce qui signifie qu'ils sont pratiquement terminés. Parmi ceux-là, on retrouve notamment L’Extraordinaire Voyage de Marona d'Anca Damian (qui présente aussi un projet à un stade moins avancé, intitulé The Island) et Bunuel dans le labyrinthe des tortues de Salvador Simo, que l'on avait tous deux eu la chance de découvrir lors de l'édition 2018.

La répartition des projets entre comédies familiales (67%) et films à destination d'un public jeunes adultes / adultes (20%) est assez représentative de l'image que l'on se fait du cinéma d'animation, et reste constante. C'est pourtant parmi ces films pour adultes et adolescents que l'on trouve certains des projets d'ores et déjà les plus attendus, tels que Saules Aveugles, Femme Endormie de Pierre Földes, adapté de Murakami, La Traversée de Florence Miailhe, dont il s'agit du premier long métrage après une très belle carrière dans le format court, Interdit aux Chiens et aux Italiens d'Alain Ughetto, à qui l'on doit notamment Jasmine, J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (adapté de Happy Hand de Guillaume Laurant), Trois enfances de Simone Massi, l'animateur derrière les plus belles séquences de Samouni road, ou encore Kiki de Peter Dodd, sur la vie d'Alice Prin, plus connue sous le nom de Kiki de Montparnasse.

Mais on suivra également de près certains projets plus "familiaux" comme Linda veut du poulet ! de Chiara Malta & Sébastien Laudenbach (La Jeune Fille sans Mains), Terra Willy d'Eric Tosti (Les as de la jungle) qui sort le 3 avril, ou Where is Anne Frank d'Ari Folman (Valse avec Bachir).

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Cartoon Movie 2019
Du 5 au 7 mars
Informations sur le site de la manifestation