La fin tragique des rockeurs russes Mike Naumenko et Viktor Tsoi

Posté par vincy, le 10 mai 2018

Leto (L'été), de Kirill Serebrennikov, est une chronique d'une époque - le début des années 1980 -, d'un pays - la Russie encore soviétique -, et d'un milieu - le rock underground. Film musical, rempli de titres cultes, du Velvet Underground à Blondie en passant par T-Rex, il révèle aussi tout un pan méconnu musicalement: le rock soviétique, d'avant la Perestroïka. Ironiquement, les deux personnages centraux de Leto, Mike Naumenko (du groupe Zoopark) et Viktor Tsoi (du groupe Kino) décèdent juste avant la chute de l'URSS (et la naissance de l'actuelle Fédération de Russie).

Le film ne se concentre que sur une période, l'émergence de Kino en 1982. Kirill Serebrennikov, qui filme ce microcosme comme une troupe de théâtre, ne s'attarde pas sur la fin tragique de ses deux musiciens. Mike Naumenko, né en 1955, décède en août 1991 dans des circonstances énigmatiques: une hémorragie cérébrale déclenchée par un accident domestique selon certains, par un cambriolage à son domicile selon d'autres. Dans le film, sa carrière est à son apogée, avant un déclin accéléré par l'abus d'alcool et des mains moins agiles. Viktor Tsoi, né en 1962, meurt en août 1990 dans un accident de voiture. Dans Leto, il est un débutant, avant de devenir une star nationale sous le règne de Gorbatchev. Il reste l'un des artistes russes les plus célèbres de ces 40 dernières années.

Cannes 2018 : Nos retrouvailles avec Jean-Luc Godard

Posté par MpM, le 10 mai 2018

La 71e édition du Festival de Cannes sera godardienne ou ne sera pas. Cinquante ans après le fameux festival 1968 qu’il contribua à faire arrêter, le doyen des cinéastes de la Nouvelle vague est de retour sur la Croisette, avec à la fois une affiche tirée d’un de ses films (Pierrot le fou) et un long métrage en compétition, Le livre d'image.

Si l’on sait qu’il ne sera pas personnellement présent à Cannes (il s’en était clairement expliqué lors de sa dernière sélection en 2014), son ombre planant sur le tapis rouge a quelque chose de forcément ultra symbolique, surtout en cette année anniversaire des révoltes étudiantes et ouvrières de Mai 68.

D’autant que Jean-Luc Godard et Cannes, c’est une histoire longue et mouvementée qui court elle-aussi sur un demi-siècle. Le Festival est totalement passé à côté des chefs d'œuvre du cinéaste et, c’est difficile à croire, n’avait remarqué ni A bout de souffle (Ours d’argent du meilleur réalisateur à Berlin), ni Pierrot le fou (sélectionné à Venise), ni Le mépris, ni Alphaville (Ours d’or à Berlin), ni La Chinoise (sélectionné à Venise)… ni aucun des films de la prolifique période 1960-1968.

Alors, c’est vrai, le réalisateur avait fait sa première incursion dans la course à la palme d’or en 1962, grâce à Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, dans lequel il apparaît. Mais en réalité, il aura fallu attendre 1970, et un film relativement mineur, Vent d’Est, pour que Godard soit sélectionné à Cannes avec l’une de ses œuvres. Et encore : pas en compétition officielle, mais à la Quinzaine. C'est un début.

Les années suivantes, on le retrouve dans la section « Perspectives du cinéma français » (qui n’existe plus aujourd'hui) : en 1976 avec Comment ça va et en 1977 avec Ici et ailleurs. Enfin, Gilles Jacob répare « l’oubli » (le manque absolu de discernement ?) dont il avait été victime en invitant enfin Godard en sélection officielle en 1980 avec Sauve qui peut (la vie). Suivront Lettre à Freddy Buache (Un Certain regard, 1982), Passion (Compétition, 1982), Détective (Compétition, 1985), Aria (Compétition, 1987), Histoires du Cinéma (Séance spéciale, 1988), Nouvelle vague (Compétition, 1990), Histoire(s) du cinéma (Un Certain regard, 1997), Eloge de l’amour (Compétition, 2001) ou encore Notre musique (Hors Compétition, 2004).

Au milieu des années 2000, il devient un habitué de la sélection Cannes Classics, où sont montrés Moments choisis des Histoire(s) du cinéma (2005), Loin du Vietnam (2009), Pierrot le fou (2009), Masculin féminin (2016) et même Paparazzi de Jacques Rozier en 2017, un court métrage qui relate le tournage du Mépris.

Comme pour se rattraper de l’indifférence des premières années, Cannes semble ne plus pouvoir se passer de Godard, et continue en parallèle des classiques à inviter méticuleusement chacun de ses nouveaux films : en 2010, Film socialisme est à Certain Regard, en 2014, Les ponts de Sarajevo est montré en séance spéciale et Adieu au langage en compétition (il rafle un prix du jury ex-aequo avec Xavier Dolan, tout un symbole).

Et même quand il n’a pas de longs métrages à présenter, Godard réussit à s’inviter dans la grand messe cannoise : en 2013, son court métrage The three disasters est en clôture de la Semaine de la Critique dans le cadre du programme 3X3D aux côtés de Peter Greenaway & Edgar Pêra. En 2016, l’affiche de la sélection officielle est tirée du Mépris. En 2017, il est carrément le personnage principal du Redoutable de Michel Hazanavicius.

Certains fustigent d’ailleurs l’image comico-ridicule que donne de lui le film, et s’insurgent de cette pochade qui s’attaque à leur idole. Le livre d'image sera-t-il une forme de droit de réponse ? Un nouveau virage dans la carrière du réalisateur ? La poursuite de ses expérimentations des dix dernières années ? Peu de choses ont transpiré sur le film, mais il figure probablement parmi les plus attendus de ces dix jours. Parce que Cannes s’essouffle, le cinéma s’étiole, la critique se meurt, mais l’effet Godard, lui, n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction.

Cannes 2018: un festival « en-chanteur »

Posté par wyzman, le 10 mai 2018

Les amoureux de la Croisette le savent, le cinéma n'est qu'une des dimensions du Festival de Cannes. A côté de cela, nombreux sont les acteurs qui ont déjà prouvé, ici et là, qu'ils étaient capables de faire autre chose que jouer la comédie. Pour vous, voici une petite compilation des projets et personnalités que les mélomanes suivront de très près.

Des acteurs aux talents multiples

A l'affiche de deux films par an (minimum), Kristen Stewart est ce que l'on appelle communément une touche-à-tout. Et non, nous ne faisons pas référence à son incroyable performance dans On the Road. Après avoir présenté son premier court-métrage l'an dernier, elle est de retour sur la Croisette en tant que jurée. Et elle a d'ores et déjà montré l'étendu de son talent de chanteuse dans Into the Wild (2007) et Les Runaways (2010) avant de s'acoquiner personnellement avec les chanteuses Soko et St. Vincent. Mais au jury, il y a surtout Khadja Nin, auteure, compositrice, interprète. La musicienne du Burundi a sorti plusieurs albums et sa chanson « Mama » a été clipée par Jeanne Moreau en 1998.

Parmi les acteurs-chanteurs qui défileront sur le tapis rouge, impossible de ne pas évoquer la plus connue, Vanessa Paradis, à l'affiche d'Un couteau dans le coeur de Yann Gonzalez (et la zik de M83).Elle aussi a un lien cannois avec Jeanne Moreau puisqu'elle y a chanté "Le tourbillon de la vie". C'est l'une des rares artistes françaises à avoir su équilibrer la double face cinéma et musique en restant au top dans les deux arts.

Elle sera suivie par Adam Driver (BlacKkKlansman) qui a fait ses preuves dans Inside Llewyn Davis et Hungry Hearts.

Parmi les films hors-compétition, il ne faudra pas manquer Le Grand bain de Gilles Lelouche dans lequel Philippe Katerine se dévoile (encore) en slip de bain tandis que Donald Glover (a.k.a. Childish Gambino) sera l'une des stars de Solo : A Star Wars Story. Il y incarne un jeune Lando Calrissian. Du côté de la Quinzaine des réalisateurs, il va sans dire qu'Audrey Tautou (En Liberté !), photographe à ses heures, et Isabelle Adjani (Le Monde est à toi), sans pull marine, seront chaleureusement accueillies.

Des bandes originales à surveiller

Sans surprise, les bandes originales des films sélectionnés seront scrutées de près. Mais avant de savoir à qui les quelques journalistes triés sur le volet remettront le Cannes Soundtrack Award, notez dès maintenant que c'est le DJ japonais Tofubeats qui s'est occupé de la musique de Netemo sametemo de Ryusuke Hamaguchi. Le film concourt pour la Palme d'or et a tout d'une romance exclusivement dédiée aux adultes.

D'ailleurs, en parlant de films réservés aux adultes, sachez que Gaspar Noé est de retour à Cannes pour présenter son cinquième long-métrage, Climax. Avec son casting composé d'acteurs inconnus, le réalisateur d'Irréversible pourrait de nouveau bousculer les festivaliers. Mais cette fois, nous vous parlons de la musique qu'il aura choisie pour illustrer le successeur de Love.

L'immanquable de l'année

Enfin, impossible de ne pas parler du seul film exclusivement dédié à une chanteuse réelle. Trois ans après Amy d'Asif Kapadia, c'est Whitney qui devrait émouvoir les festivaliers. Projeté en Séance de minuit, le documentaire de Kevin Macdonald raconte la véritable histoire de Whitney Houston, en ne laissant jamais de côté les aspects les plus difficiles de sa vie. Sans jamais être misérabiliste, le film montre comment une jeune Noire américaine souhaitant être choriste comme sa mère est devenue mannequin avant d'être la plus grande voix féminine du 20e siècle.

Cannes 2018 : quand Annecy « goes to Cannes »

Posté par MpM, le 10 mai 2018

Pour la troisième année consécutive, le dispositif "Annecy goes to Cannes" permettra à cinq long métrages d'animation en work in progress d'être présents sur la Croisette. En partenariat avec le marché du film de Cannes, le Festival et le Marché international du film d’animation d’Annecy organisent en effet une session de pitchs le vendredi 11 mai entre 10h et 12h.

Il s'agit d'offrir à ces projets en cours l'opportunité de se faire connaitre par les nombreux professionnels (distributeurs, aux investisseurs et aux agents de vente ) réunis à Cannes. L'occasion pour eux de partager les premières images exclusives des films et de parler de leur avancement afin de susciter l'intérêt de nouveaux partenaires potentiels.

Les projets viennent du monde entier (Brésil, Chine, Mexique, Danemark...) avec un important pourcentage de productions ou coproductions françaises. On notera notamment la présence de Pachamama, le nouveau projet de Folivari qui met en scène deux petits indiens de la Cordillère des Andes à la recherche de l'idole protectrice de leur village, ainsi que celui des Films d'ici, Au coeur des ténèbres, qui se passe à Rio de Janeiro, dans un futur proche.

HEART OF DARKNESS - Brésil, France, Portugal
En préproduction

En présence de Rogério Nunes (réalisateur, producteur, Karmatique Imagens LTDA) et de Sébastien Onomo (producteur, Les Films d’Ici)

FLEE – Danemark, France, Suède
En préproduction

En présence de Jonas Poher Rasmussen (réalisateur) et de Monica Hellström (productrice, Final Cut for Real)

SPYCIES – Chine, France
En production

En présence de Benoit Luce (producteur, Lux Populi Production) et de Quinshu Zuo (distributrice, iQiyi Pictures)

KOATI – Mexique
En production

En présence de Rodrigo Perez-Castro (réalisateur) et d'Anabella Sosa-Dovarganes (productrice, Upstairs)

PACHAMAMA – France
En production

En présence de Didier Brunner et Damien Brunner (producteurs, Folivari)

Cannes 2018: Qui est Agata Kulesza ?

Posté par vincy, le 10 mai 2018

C'est peut-être l'actrice polonaise la plus connue à l'internationale ces temps-ci. Agata Kulesza a récolté une dizaine de prix internationaux entre 2013 et 2015 pour son rôle dans Ida, de Pawel Pawlikowski (Oscar du meilleur film en langue étrangère). Lauréate de deux prix de la meilleure actrice aux "César" polonais, avec Roza de Wojciech Smarzowski en 2011 et Ida deux ans plus tard, la comédienne, âgée de 46 ans, arrive à Cannes avec Cold War, en compétition. Dans ce nouveau film de Pawlikowski, qui se déroule dans les années 1950 entre les pays de l'Est et Paris, elle n'est toujours pas le rôle principal, tenu par Joanna Kulig. Mais sa présence devrait être remarquée tant elle sait dramatiser chacune de ses apparitions.

Cela fait 25 ans que la comédienne alterne petit et grand écran en Pologne, comédies et drames, petits rôles et grands personnages. Il faut cependant qu'elle attende 2011 pour se faire réellement un nom à l'étranger dans le circuit des festivals. Avec Roza, tout d'abord, grand succès populaire et critique dans son pays, où elle incarne une veuve paysanne dans une Pologne qui n'a pas encore soigné les plies de la Seconde guerre mondiale. La même année, elle est la mère d'un garçon homosexuel, harcelé qui trouve du réconfort en dialoguant virtuellement avec une jeune fille suicidaire, dans La chambre des suicidés.

Mais c'est bien le personnage de Wanda dans Ida qui la révèle mondialement. Dans cette Pologne austère, communiste et catholique des années 1960, elle incarne la tante Wanda que recherche Sœur Anna (Ida de son vrai nom). Wanda, ancienne stalinienne, juive et alcoolique, va alors amorcer un voyage dans le passé avec sa nièce. C'est une rencontre entre deux femmes, deux âmes mélancoliques, qui se termine tragiquement. Ironiquement, Agata Kulesza va se métamorphoser en mère supérieure dans Les innocentes d'Anne Fontaine (2015), avec Lou de Laâge et Joanna Kulig. Là encore un film historique, lié à l'Eglise, l'après guerre. Là aussi un rôle sombre, un personnage à l'âme tourmentée.

Avec I'm a killer, thriller historique de Maciej Pieprzyca (2016), elle reçoit son troisième Polish Film Award, mais cette fois-ci dans la catégorie second-rôle, en quelques années. On la croise dans un autre polar, True Crimes, avec Jim Carrey et Charlotte Gainsbourg, signé Alexandros Avranas (inédit en France). L'an dernier elle devient le personnage récurent de la série policière Ultraviolet.

Agata Kulesza est en fait là où on ne l'attend jamais. De "Danse avec les stars" au doublage du jeu vidéo "The Witched", elle ne suit aucun plan de carrière. "Je suis toujours à la recherche d'une histoire puissante ... une histoire qui évoque quelque chose en moi et j'espère, aussi, quelque chose chez les spectateurs" explique-t-elle, sans se soucier du format ou du support.

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 2, la première année

Posté par redaction, le 10 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Vous souvenez-vous de tous les films de la première année ?

Oui, et il y a à boire et à manger. Il y a deux ou trois trucs que j'ai pris parce que c'était dans l'air du temps. Dans mon souvenir, Acéphale a très mal vieilli, c'était déjà maladroit à l'époque mais plutôt sympa quand même. C'est un film du groupe Zanzibar [dont faisait également partie Philippe Garrel ou Pierre Clémenti]. D'autres ont été des vrais chocs et ça a été ça, l'impact de la Quinzaine. Les choix étaient si conventionnels en sélection officielle ! Il n'y avait que la Semaine de la Critique comme section originale avec sept premiers ou deuxièmes sur quinze jours. À côté, il n'y avait que la compétition et rien d'autre. À l'époque, les pays désignaient les films qui allaient en compétition. Il y avait des rapports de force diplomatiques ou politiques. Pas question de ne pas prendre tous les ans ou tous les deux ans un film soviétique et à défaut, au moins un film issu du bloc de l'Est. Et ils nous envoyaient Sergueï Bondartchouk [NDLR : son Guerre et Paix est d'ailleurs programmé à Cannes classics cette année] ou Sergueï Guerassimov. Et pas Otar Iosseliani alors qu'il avait déjà commencé à tourner et que la Géorgie faisait partie du bloc soviétique. Non, pas l'avant-garde, pas ce qui était vivant, mais des films académiques. Pour les films français, c'était un comité soi-disant, mais en réalité c'était Edmond Tenoudji, un producteur qui avait créé la Fédération Internationale des producteurs de films qui envoyait Les Feux de la Chandeleur qu'il avait produit pour représenter la France en compétition. On facilitait les copains !

Malgré le nombre de films présentés la première année, avez-vous quand même effectué un travail de défrichage ?

J'avais remarqué une chose, d'une certaine manière c'est Henri Langlois qui m'avait appris ça, il vaut mieux qu'un film soit recommandé par un créateur que par la critique. Je m'explique : lorsqu'on demandait à Picasso ce qu'il pensait de beaucoup de peintres, souvent il ne disait rien. «Mais Matisse alors là… même moi je n'arriverais pas à le faire !» C'est le plus beau compliment qu'il puisse lui faire. Quand un artiste est quasiment jaloux de l'autre. Donc j'ai commencé à téléphoner à tous les réalisateurs connus et on avait un carnet d'adresses formidable grâce à l'affaire Henri Langlois. Les metteurs en scène s'étaient mobilisés pour le défendre quand il a été viré. J'avais gardé leurs numéros et j'appelais en demandant ce qui se passe d'intéressant, s'ils avaient des trucs à recommander. Et quand on me signalait quelque chose, j'essayais de les faire venir et voilà ! La qualité d'un festival dépend de son réseau d'espionnage en amont, si j'ose dire, ou de correspondants. Ensuite, vous faites vos voyages en fonction de ce qu'ils vous disent. Ça vaut la peine d'y aller et d'en voir beaucoup. La deuxième année, je suis allé en Allemagne avec Alain Cavalier à Munich. Et j'ai ramené Werner Schroeter, Werner Herzog, Fassbinder…

Fassbinder n'avait jamais été montré en France ?

Jamais. La première quinzaine, j'ai montré deux films d'Oshima. Personne ne le connaissait non plus. Personne. Tout le monde connaissait Akira Kurosawa, mais il avait 20 ans de plus. On ne s'était pas aperçu qu'il y avait un nouveau cinéma japonais qui commençait avec quand même un très grand. J'ai ramené Susan Sontag parce que mes copains m'ont dit que son premier film est formidable. J'avais rencontré un producteur québécois, copain et coproducteur d'Oshima au Japon. Il m'a parlé de lui mais aussi de Carmelo Bene, un copain à lui dont j'ai pris deux films, Notre-Dame-Des-Turcs et Capricci. C'était l'enfant terrible du théâtre, un metteur en scène provocateur, qui s'emparait de Shakespeare et le mettait en scène de façon moderne. Il scandalisait tout le monde ! Quand j'ai vu les deux films, c'était quelque chose de nouveau, ni du théâtre ni du cinéma, mais quelque chose entre les deux qui se voulait une sorte d'art total.

Comme j'avais été une fois déjà à New-York, Langlois avait dit « vous savez, je vous conseille d'aller voir Jonas Mekas ». Je suis allé le voir, il tenait une sorte de cinémathèque à New-York et j'ai découvert grâce à lui le cinéma underground et expérimental. J'ai ramené Stan Brakhage, Gregory Markopoulos et d'autres encore.

Werner Herzog me dit un jour : «Pierre-Henri, je viens de voir 40 minutes d'un film sur la table de montage, je pense que ça va être très bien, essayez de le voir et prenez le !». Je vois le film, aux Etats-Unis, et Werner avait raison. C'est formidable et je le prends. Mais le distributeur américain, la Warner, s'y oppose car c'était un film de science-fiction, et la science-fiction ça marchait pas. Alors j'ai appelé le producteur, et c'était Francis Ford Coppola. C'était THX 1138 de George Lucas ! Il m'a dit je vous le donne, et il était fier !

Avoir beaucoup de films la première année a été une chance pour montrer un large éventail de cinéastes sans vous sentir limité ?

Ça a fait un choc et ce qui s'est passé. Je n'avais jamais été à Cannes, je ne connaissais pas le festival, je ne savais même pas qu'il y avait des dossiers de presse. Les deux premiers films que j'ai annoncés étaient bloqués en douane. Je ne savais pas qu'il fallait souscrire des D18, pour une admission temporaire. Même si Cannes bénéficiait d'un statut d'extra territorialité en termes de censure, il fallait quand même que les films puissent rentrer. Les deux premiers que j'ai annoncés n'étaient pas là. La veille au soir, Fausto Canell, dont j'avais pris un court-métrage (Hemingway) est arrivé avec deux copies de films, recommandés par le conseiller à l'Ambassade de Cuba. J'ai remplacé les deux films bloqués par deux chefs d'oeuvre. [voir le texte sur la première année].

C'est arrivé souvent ce genre de hasard, des films que vous pensez avoir et que finalement vous n'avez pas eu et des choses qui sont arrivées un peu à la dernière minute ?

Beaucoup de choses sont arrivées à la dernière minute. Une fois même le festival avait déjà commencé. Hugo Santiago est arrivé avec la copie de son film, Invasion. Il connaissait la France, avait fait des études de musique au conservatoire de Rome et était francophile à mort. Son film, un chef d'oeuvre absolu, était écrit par Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares, rien de moins. On loue une salle de cinéma et il nous le montre à minuit. On lui a dit aussitôt qu'on l'intégrait ! Un cadeau du ciel !

Vous faisiez comment pour visionner les films ?

Je les voyais au cinéma Le Ranelagh le matin ou dans des salles de projection au Club 70 rue Lauriston ou plus tard au 33 des Champs Elysées dans la même salle de projection qu'utilisait l'officielle ! Ce qui me permettait de surveiller tout le monde et de voir tous les films qu'ils voyaient !

Avec le temps le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l'idée de prendre que des films que vous aimiez ? Vous faisiez attention à l'équilibre des origines ?

On ne décide pas d'une ligné éditoriale. Elle s'impose à vous. Les films, les sujets, c'est l'air du temps. Le dosage, il faut que j'ai tant d'asiatiques ou d'africains, ça ne m'intéressait pas. Je n'ai jamais fait attention à ça. Je découvrais après, bon ben voilà. Je n'ai toujours pris que des films que j'aimais parce que je pouvais les défendre. De ce point de vue là, je n'ai jamais été diplomate. J'allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome mais je ne prenais que ce que j'aimais. À partir du moment où vous essayez d'être prudent, c'est pas bien. Ce n'est pas comme ça que ça doit se faire.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Cannes 2018: La révolution russe avec « Docteur Jivago » de David Lean

Posté par vincy, le 9 mai 2018

Puisqu'on célèbre cette année les 50 ans de mai 68, et l'anniversaire de ce festival qui n'eut pas lieu, c'est l'occasion d'explorer les rapports de Cannes avec la Révolution. Sur la croisette, où les spectateurs défilent en smoking et robes de soirées, où un simple selfie est jugé "irrespectueux", et où toute la société festivalière est organisée en castes strictes, les mouvements de révolte et de contestation eurent souvent les honneurs d'une sélection. C'est là tout le paradoxe d'une manifestation très attachée à ses traditions, et qui n'a pourtant cessé de montrer, défendre et encourager ces moments de l'Histoire où des hommes et des femmes ont pris leur destin en mains.

On pourra s'étonner de voir un mélodrame historique de David Lean lié à la révolution prolétaire et sanglante qui conduisit la Russie impériale à l'URSS communiste. Pourtant Docteur Jivago, sorti aux USA en 1965, est bien un film sur la révolution de 1917. C'est aussi un film cinq fois oscarisé (sur dix nominations), avant d'être en compétition à Cannes, en 1966. Ce fut surtout l'un des plus grands succès de l'histoire du cinéma : si on prend en compte l'inflation, le film épique aurait rapporté 1,14 milliard de dollars de recettes actuelles, se classant 8e, derrière Autant en emporte le vent, Star Wars, E.T., Titanic, mais devant Blanche-Neige, Star Wars: le réveil de la force, Ben Hur et Avatar. En France, avec 9,8 millions d'entrées, il se classe 32e.

Que nous raconte-t-il pour séduire autant les masses? Une histoire d'amour tragique. La quête d'un passé, nostalgique. L'histoire centrale de Docteur Jivago se déroule à l'aube de la Première guerre mondiale. Tsaristes, idéalistes, futurs révolutionnaires, militaires : toute la Russie est là à préparer pour les uns leur survie, pour les autres leur libération. La guerre éclate, et les traumatismes qui meurtrissent la jeunesse et le peuple, tandis que la révolte civile grossit, sous l'impulsion des Bolcheviks.

David Lean, qui s'y connaissait en belles images et donnait un sens visuel à ses métaphores, transforme le pays en un grand désert blanc, où le héros, un médecin-poète, erre déboussolé. Ce que l'on retient de cette épopée historique est davantage la tragédie amoureuse. Pourtant le cinéaste montre aussi comment les conflits, externes et intérieurs, détruisent les vies. Sous les Tsars et comme sous les Communistes, il n'y a pas de salut pour la liberté. On meurt ou on est déporté.

Le raffinement de David Lean ne masque jamais les tourments psychologiques de ces personnages. Et comme avec Lawrence d'Arabie, le réalisateur se confronte à l'histoire moderne. Après la naissance du monde arabe et la décolonisation, le voici qui s'attaque à "l'ennemi de l'Est" en pleine guerre froide. Cela reste une révolution vue d'Occident (l'Oural sont en fait les Pyrénées filmés d'Espagne), avec des acteurs internationaux qui n'ont rien de russe, à l'image esthétisée où la couleur traduit les émotions ou les camps politiques.

A ce titre, Docteur Jivago est quand même l'un des rares films occidentaux importants sur cette période. Mieux, il suit les différentes étapes de la révolution, ne se contentant pas d'octobre 1917 et du triomphe de Lénine & co. Les débuts de cette révolution, qui naît vers 1905 jusqu'aux prémices de la Première guerre mondiale, sont souvent ignorés par le cinéma. En suivant tout le processus, David Lean réalise un film historique plus juste qu'en apparence.

Et plus sensible que ce qu'on pourrait croire, puisqu'il a été interdit en URSS. Le film a pu être projeté en Russie près de trente ans plus tard, en 1994.

Cannes 2018: la justice autorise la projection du film de Terry Gilliam

Posté par vincy, le 9 mai 2018

Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux vient d'annoncer lors de l'ouverture d'Un certain regard, avec Donbass de Sergei Loznitsa, que la justice autorisait la projection en clôture de L'homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam. Il a aussi affirmé que le réalisateur serait présent, malgré un accident de santé ce week-end à Londres, qui l'a obligé à être brièvement hospitalisé. "Pas encore mort. Je viens à Cannes" a envoyé comme message Terry Gilliam au Festival de Cannes.

Gros clash pour beaucoup de cash autour du film de Terry Gilliam

La nouvelle est heureuse pour le cinéaste et ses producteurs, surtout après la mauvaise nouvelle de ce matin: le distributeur américain Amazon Studios venait d'annoncer qu'il se retirait de ses droits de diffusion, après avoir pourtant financé une bonne partie de la production.

Une projection autorisée avec un avertissement préalable

Pourtant le jugement ne fait pas de gagnants ou de perdants. Après tout, c'est un référé qui ne juge pas l'affaire sur le fond. Le jugement indique clairement que le juge des référés ne "dispose pas des pouvoirs pour statuer sur la demande d'autorisation générale de distribution sur le territoire national le 19 mai." La cour déboute cependant Paulo Branco et sa société Alfama Films "de leur demande d'interdiction de projection du film (...) en séance de clôture" du Festival de Cannes.

Le juge contraint le Festival de diffuser à ses frais préalablement à la projection un message d'avertissement indiquant que la projection du film lors de cette séance "ne préjuge en rien des droits revendiqués par la société Alfama Films productions et Monsieur Paulo Branco sur ce film à l'encontre de Monsieur Terry Gilliam et des producteurs mentionnés au générique, qui font l'objet de procédures judiciaires en cours". Le jugement pour ces procédures est attendu pour le 15 juin. Enfin pour les dépens (dommages), Paulo Branco recevra 1500 euros des producteurs et du réalisateur.

La distribution du film ni interdite ni validée

Du côté d'Alfama on crie victoire. Pourtant la demande initiale qui a valu ce référé a été rejetée: le film sera bien montré à Cannes. Et ne préjuge en rien le jugement sur le fond du procès encore opposant Gilliam et ses producteurs à Alfama.

Paulo Branco estime "que cette décision lui donnait malgré tout raison sur le fond" puisque "le film peut être projeté mais le festival doit informer tout le monde que cela n'infirme en rien les décisions judiciaires précédentes d'octroyer les droits à Alfama". Criant victoire, il considère qu'il s'agit  "d'une autorisation exceptionnelle".

Pour son avocate, "Cette projection constitue un trouble manifestement illicite" même si le tribunal ne reconnaît pas ce trouble. "Ce trouble sera suffisamment réparé pour l'instant" par le carton d'avertissement projeté avant le film.

De son côté Océan films, le distributeur continue de penser qu'il est en droit de distribuer le film dans toute la France le 19 mai, après la décision rendue par la justice française aujourd'hui."Le distributeur est victime de ce conflit. Nous sommes satisfaits car nous ne sommes pas aujourd'hui sous le coup d'une interdiction de distribution", a estimé l'avocat de Star Invest Films France, Me Christophe Ayela, dans une déclaration à l'AFP.

Cependant, on attend que le CNC délivre un visa d'exploitation pour qu'il puisse sortir en salles.

Prochain round dans les jours qui suivent.

Quinzaine 50 : entretien avec Edouard Waintrop, délégué général

Posté par redaction, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

À l'occasion de l'anniversaire de la Quinzaine des Réalisateurs, rencontre avec son délégué général, Edouard Waintrop, qui quittera ses fonctions après sa septième édition en tant que sélectionneur. Merci à lui pour cet entretien.

Quelle image aviez-vous de la Quinzaine avant d'en devenir le sélectionneur ?

Avant tout celle des premières années. Je me suis intéressé au cinéma à l'adolescence alors que la Quinzaine naissait. Du coup j'ai découvert La Première charge à la machette de Manuel Octavio Gomez, le film d'ouverture de cette première édition, sorti à Paris quelques semaines après son passage à Cannes. Les cinq premières années, celles dont parle le livre de Bruno Icher [La Quinzaine des réalisateurs - Les jeunes années 1967-1975], je les ai vécues pleinement comme cinéphile. J'avais un attachement sentimental très fort à la Quinzaine. C'était ma maison. En tout cas, c'est là où j'ai été formé.

À l'époque c'était simple, il y avait plein de nouveaux noms qui apparaissaient. J'ai été élevé à Ford, Hawks et consorts. Et tout d'un coup, on découvrait Glauber Rocha, Paulo Cezar Saraceni, Nelson Pereira dos Santos, Marco Bellochio avec Les Mains dans les poches, Alain Tanner avec Charles mort ou vif [Semaine de la Critique en 1969] puis avec La Salamandre, Ken Loach très vite aussi avec Kes et Family Life, Werner Herzog, Werner Schroeter, c'était impressionnant, Zanussi chez les polonais encore… On découvrait des nouveaux cinéastes tout le temps, tout le temps ! On voyait bien que les choses bougeaient. Le mouvement était général. Il y avait une effervescence dans le cinéma, mais aussi dans la politique et dans le monde en général. La quinzaine a chevauché ces deux effervescences.

Bruno Icher évoque dans son livre la façon dont les choses se sont mises en place, des fois n'importe comment. À la fin quand même le résultat fut positif. Ça a réussi à se faire alors que ça n'aurait pas du marcher, grâce à un élan incroyable qui n'existe plus aujourd'hui. Et ce n'est pas de notre faute seulement. C'est la réalité de la société qui a encore beaucoup plus séparé les gens. Le cinéma n'a plus l'importance en 2018 qu'il avait en 1969. À l'époque je me souviens, quand on allait au cinéma, c'était un acte presque militant. Quand on allait voir un film de Glauber Rocha, c'était aussi pour changer le monde.

D'autres films de cette période vous ont marqué ?

Lucia de Humberto Solas, Wanda de Barbara Loden, THX 11 38 de George Lucas, Mean Streets de Martin Scorsese, Aguirre la colère de Dieu de Werner Herzog, La Pendaison de Nagisa Oshima… C'est ce cinéma-là qui m'a complètement formé entre 69 et 75. Je suis allé pour la première fois en 1976 au Festival de Cannes. J'ai suivi la Quinzaine mais aussi des films de la compétition que j'aime beaucoup dont Au fil du temps de Wim Wenders avec Rudiger Vogler et Hanns Zischler. Le film m'avait d'autant plus impressionné qu'à l'époque j'étais encore un peu germanophone. J'avais fait allemand en première langue. La problématique de la séparation de l'Allemagne en deux était pour moi très forte, donc cette histoire de «camion cinéma» qui suit la ligne de frontière entre les deux Allemagne, j'ai trouvé ça très beau, très triste. J'aimais vraiment beaucoup ce film. Mais celui qui m'a le plus estomaqué, c'est quand même Taxi Driver qui a eu la Palme. Mais le fond pour moi, c'était la Quinzaine.

Vous pouvez évoquer le moment où vous avez candidaté au poste de délégué général ? Quelle vision vouliez-vous donner de la Quinzaine et est-ce que cela a évolué ?

Mon idée à l'époque était de faire de la Quinzaine le rendez-vous de tous les cinéastes et de retrouver l'âme des premières quinzaines. Ça s'est révélé totalement impossible ! À ce niveau là, j'ai abdiqué. Sur le reste, je fais béatement confiance à mon goût et à mon équipe. Je n'ai pris que des gens qui n'avaient ni la même éducation ni les mêmes goûts que moi - pour ce que j'en savais - et n'étaient pas de la même génération. Je pensais que de ce frottement de silex contraires naîtrait une étincelle et qu'on ferait des bonnes sélections. Je ne connaissais absolument pas les trois quarts d'entre eux et ça s'est très bien passé pendant sept ans. Je suis quand même assez sûr de moi, même de mes erreurs - car ça fait partie de la vie - pour des fois n'en faire qu'à ma tête. Mais toujours en les écoutant. La seule chose qui m'intéresse, c'est d'entendre l'avis des autres, surtout ceux avec lesquels je ne suis pas d'accord. Moi je suis plutôt de gauche et anarchisant, mais j'adore lire Le Figaro. Ça ne m'intéresse pas de lire des gens qui ont les mêmes avis que moi, les expriment mal et ensuite ne m'apportent rien parce qu'on est d'accord. Je lis un journal pour me faire réfléchir donc il vaut mieux que ce soit des avis que je ne partage pas.

Avec vos équipes, même si vous disiez assumer vos choix et vos erreurs, ils vous ont aussi poussé à accepter certains films ?

Oui, bien sur, sans ça, il n'y a pas de jeu. Ils m'ont convaincu, des fois sur des films importants. Et sur lesquels j'avais des réserves et qui se sont révélés être de gros succès.

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Quinzaine 50 : un Carrosse pour les réalisateurs

Posté par redaction, le 9 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Depuis 2002, la Société des Réalisateurs de Films remet un prix spécial en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Un prix nommé Carrosse d’or, en hommage au film de Jean Renoir avec Anna Magnani. Si la statuette en bronze représente des personnages typiques de la Comedia dell’arte, c’est bel et bien aux cinéastes que le trophée est remis. À travers le Carrosse d’or, les membres de la SRF veulent « rendre hommage à un cinéaste qui a marqué l’histoire du cinéma, par son audace, son exigence et son intransigeance dans la mise en scène ».

L’occasion, dans le cadre de notre dossier consacré aux 50 ans d’une sélection parallèle souvent aussi intéressante que l’officielle, d’un petit récapitulatif dans l'ordre chronologique des différents récipiendaires. Rappelons que sur les 16 – 17 dès ce mercredi – lauréats du Carrosse d’or, on ne trouve que trois femmes, reflet d’une profession encore très déséquilibrée. Ainsi, lors de conférences qui étaient dédiée au sujet pendant le Festival de l’année dernière, la productrice Claudia Ossard et Isabella Rossellini rapportaient que 25% des cinéastes en France étaient des femmes. Un pourcentage certes bas, mais qui reste un des plus haut à l’international. La SRF a pris soin de récompenser des auteurs de régions cinématographiques variées, de l'Europe à l'Afrique en passant par l'Asie et l'Océanie et l'Amérique du Nord. Bientôt un représentant du cinéma latino-américain ?

2002 - Jacques Rozier


« L’enfant terrible de la Nouvelle Vague » est le premier à recevoir un Carrosse d’or. Une belle reconnaissance, pour un cinéaste qui s’est affirmé dès ses débuts par sa volonté de tourner sans aucun impératif de temps – ni de scénario. Son premier long-métrage, Adieu Philippine, consacré lors de la première édition de la Semaine de la Critique (1962), symbolise peut-être à lui seul sa filmographie. Inspiré par le néoréalisme italien, Rozier est parti tourner en Corse dans des régions inaccessibles en voiture, a pris 12 mois pour en faire le montage, et a dû reconstituer les dialogues, improvisés, après avoir perdu les bandes sonores. Seuls quatre autres longs-métrages suivront en 40 ans, mais en parallèle de nombreuses réalisations pour la télévision. Il a participé à la Quinzaine avec Du Côté d’Orouet en 1971.

2003 - Clint Eastwood

Clint Eastwood qui succède à Jacques Rozier : une belle preuve de la volonté d’éclectisme de la SRF en remettant son Carrosse d’or ! Est-ce bien nécessaire de présenter l’octogénaire ? Acteur dans plus de quatre-vingts longs-métrages, réalisateur de bientôt quarante, Eastwood fait partie de ces monstres classiques qui ne s’arrêtent plus de tourner. Malgré sa longue carrière, la reconnaissance critique arrive tardivement, en 1992 : Impitoyable marque un tournant, mais 25 ans plus tard Clint semble toujours aussi en forme …

2004 - Nanni Moretti

Comme d’autres lauréats du Carrosse d’or (Werner Herzog, Alain Cavalier, Jafar Panahi), Nanni Moretti adore se mettre en scène – ce qu’il fait d’ailleurs dans chacun de ses longs-métrages. Tant et si bien que le personnage fictionnel, exubérant, tend à se confondre avec le réel : alors jury au Festival de 1997, il se bat pour qu’Abbas Kiarostami reparte avec une Palme d’or ex-aequo, ce qui vaut à la présidente d’alors, Isabelle Adjani, de le qualifier de Machiavel. Mais il faut dire qu’avec des œuvres aussi personnelles que Journal Intime ou Aprile, difficile de ne pas s’y attacher ! Et bien qu’il soit l’auteur de nombreuses comédies ironiques, c’est avec le bouleversant La Chambre du fils qu’il reçoit la Palme d’or en 2001.

2005 – Ousmane Sembene

Ousmane Sembène a un parcours passionnant. Il s’est imposé comme le plus célèbre des cinéastes sénégalais, et n’a eu cesse de prendre parti sur des questions politiques et sociales de son pays. Tirailleur sénégalais pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’installe clandestinement en France dès 1946 : adhérent à la CGT et au PCF, docker à Marseille, il va militer contre les guerres coloniales, tout en publiant des romans dans lesquels transparait son engagement. Lors de l’indépendance de ce qui devient bientôt le Sénégal, en 1960, il rentre dans son pays natal et réfléchit à un moyen de célébrer l’Afrique nouvellement indépendante – ce qu’il met en pratique en allant étudier le cinéma à Moscou !

Sa charge politique apparaît dès son premier long-métrage, La Noire de … (1966), premier film entièrement africain de l’Histoire. Célébré en Europe, mais aussi en Afrique où il participe à des Festivals et montre ses films dans des villages sans salles de cinéma, il va cependant devoir affronter plusieurs fois la censure. Une censure sénégalaise, notamment pour la critique tant du catholicisme que de l’Islam dans Ceddo (passé à la Quinzaine en 1977, tout comme Emitai l'avait déjà été en 1972). Mais aussi une censure française, Camp de Thiaroye (1988) étant pratiquement invisible en France, où il ne sort qu’en 1998 – le fait relaté, l’exécution de tirailleurs sénégalais par l’armée française, étant peu glorieux.

2006 - David Cronenberg

Né à Toronto, David Cronenberg commence le cinéma de manière underground dans les années 60 avec des courts-métrages expérimentaux, puis à télévision au début des années 70. S’il se fait remarquer dans cette même décennie avec des films à petit budget mêlant S.-F. et horreur (Frissons, Rage, Chromosome 3), il devient véritablement connu dans les années 80. Des films tels que Scanners, Faux-semblant, ou bien sûr La Mouche vont ainsi permettre à un large public d’associer son nom à une esthétique quelque peu malsaine, fusionnant éléments organiques et mécaniques. La reconnaissance cannoise est assez tardive, mais conséquente : il est ainsi en 1999 président du jury, et certains de ses films seront ensuite présentés en compétition. Et bien que récemment, A dangerous mind, Cosmopolis ou Maps to the stars délaissent l’esthétique citée précédemment, il n’en demeure pas moins un cinéaste fortement psychanalytique, que les cerveaux explosent ou non !

2007 - Alain Cavalier


Après quelques films chargés politiquement et formellement assez « classiques » dans les années 1960, Alain Cavalier se tourne vers un style qui va être de plus en plus épuré. Il se rapproche inexorablement du documentaire, et l’arrivée des caméras vidéo ressemble pour lui à une consécration. Dès le début des années 2000 il ne fait pratiquement plus que des films seuls, avec rarement plus d’une paire d’acteurs, et une caméra DV.

2008 - Jim Jarmusch


Jim Jarmusch commence avec succès sa filmographie. Son « premier film », Stranger than paradise (tourné après son film de fin d'études Permanent vacation), a été découvert à la Quinzaine et y a obtenu la caméra d’or en 1984. Son histoire d’amour avec le Festival continue jusqu’à nos jours, trois de ses films récents ayant été présentés en compétition officielle. Comment caractériser son cinéma ? Peut-être par l’atmosphère hors du temps qui s’en diffuse. Ses personnages dénotent avec leur environnement, comme Forest Whitaker en samouraï du New-jersey dans Ghost dog, les vampires mélancoliques d’Only lovers left alive, ou encore Paterson qui rythme ses journées monotones par des poèmes. Au final, Jarmusch c’est un peu le mélange d’un dandysme lointain cousin de Wes Anderson et d’un blues électrique à la Nick Cave.

2009 : Naomi Kawase


Naomi Kawase n’a réalisé que cinq films lorsqu’elle reçoit, en 2009, le Carrosse d’or – mais elle a remporté le Grand Prix à Cannes deux ans plus tôt, pour La Forêt de Mogari. En 1997, elle recevait déjà la Caméra d'or pour Suzaku, découvert à la Quinzaine. En lui remettant le prix, la SRF et la Quinzaine souligne l’importance d’avoir des cinéastes femmes, surtout au Japon.

Ainsi, la réalisatrice expliquait en 2001 : « Dans l'industrie cinématographique japonaise, réaliser des films est considéré comme quelque chose dont il faut se défausser, ou qu'il faut faire en souffrant – vous êtes supposés perdre les nécessités basiques de la vie au passage. Cette condition, poursuivre un rêve, sans s'économiser, est quelque chose qui serait pardonné à un homme, mais pas à une femme. Cette sorte d'intolérance de la vieille génération est toujours apparente au Japon et c'est toujours une grande barrière à dépasser. » (interview de Naomi Kawase à Rotterdam, citée chez Première).

Et si Naomi Kawase n’a peut-être pas (encore ?) marqué l’Histoire du cinéma, elle s’inscrit tout de même dans celle du Festival du Cannes : présente en compétition en 2011, 2014 et 2017 pour respectivement Hanezu, l'esprit des montagnes , Still the water et Vers la Lumière, elle est aussi membre du jury en 2013 et présidente de la Cinéfondation en 2016 !

2010 - Agnès Varda


Agnès Varda est une des rares femmes ayant participé à la Nouvelle Vague. S’illustrant autant dans les long-métrages de fiction (Cléo de 5 à 7, L’une chante l’autre pas …) que dans les documentaires, comme le récent Visages Villages, elle reçoit depuis le début des années 2000 pléthores de récompenses. C’est donc, entres autres, à une légion d’honneur et un César d’honneur que succède le Carrosse d’or qui lui est remis en 2010.

2011 – Jafar Panahi


Jafar Panahi est peut-être la figure la plus représentative du cinéaste engagé. On peut voir en lui l’héritier d’Abbas Kiarostami, qui a signé le scénario de son Ballon d’or (Quinzaine 1995, Caméra d’Or) et dont il a été l’assistant. Les films de Jafar Panahi ne sont pas de simples brûlots politiques : la critique de la société iranienne, omniprésente, se fait à travers des histoires humaines qui se veulent universelles. Chaque nouveau film de Panahi va avec son lot de complication : dès Le Cercle, en 2000, dont la censure interdit l’exploitation – et fait de même avec des films qui suivent.

En 2009, le cinéaste est arrêté avec sa femme et sa fille pour avoir manifesté, et un film en cours de tournage est annulé par jugement. Incarcéré en 2010, il est libéré après le versement d’une lourde caution, il est menacé de six ans de prison – ce qui se transforme en obligation de rester en résidence surveillée. S’il peut aujourd’hui se déplacer dans le pays (son nouveau film, présenté cette année à Cannes, est d’ailleurs un road-movie), il ne peut le quitter, sous peine de ne pas pouvoir y revenir. Il n'était donc pas présent en 2011 au moment de recevoir le carrosse d'or.

Et si le gouvernement lui a interdit de réaliser des films, il continue pour autant de tourner, se mettant en scène dans ce qu’il présente comme n’étant pas de la fiction – comme dans Taxi Téhéran, pourtant mis en scène avec brio ! La fiction réside peut-être dans l’aventure qui entoure ses films : Ceci n’est pas un film, au titre évocateur, est ainsi parvenu clandestinement au Festival de Cannes, au moyen d’une clé USB cachée dans un gâteau !

2012 - Nuri Bilge Ceylan

Figure clé du cinéma turc actuel, adepte de Tchecov et d’un cinéma contemplatif, Nuri Bilge Ceylan fait partie des habitués du Festival. A l’instar de Jane Campion, son premier court-métrage remporte la palme dédiée au format en 1995, et hormis son premier film (Nuages de mai, 1998), la totalité de ses longs-métrages est présentée en compétition, glanant au passage pas moins de deux Grand Prix du Jury (Uzak et Il était une fois en Anatolie), un Prix de la mise-en-scène (Les Trois Singes), jusqu’à la Palme d’Or pour Winter Sleep.

Sa présence systématique est sûrement à attribuer au fait qu’il constitue un des uniques représentants du cinéma de son pays à l’international ; un pays que sa filmographie nous permet d’admirer sous de multiples facettes. Et si ses films ne sont pas forcément des brûlots politiques, il ne reste pas moins critique envers les dirigeants turcs, dédiant sa palme d’or à « la jeunesse de Turquie, et à ceux d'entre eux qui sont morts au cours de l'année passée [durant des manifestations contre le parti au pouvoir] ».

2013 : Jane Campion

Après deux succès d’estime, le troisième film de la néozélandaise Jane Campion va lui faire une place sur la scène internationale. Avec La leçon de Piano (1993), elle devient ainsi la première – et pour l’instant la seule – femme à recevoir la Palme d’or. La filmographie de Jane Campion est d’ailleurs elle aussi liée au Festival de Cannes : son tout premier court-métrage, An exercise in Discipline – Peel obtient ainsi la palme d’or du court-métrage en 1982 ! En lui remettant le Carrosse d’Or en 2013, la Quinzaine des Réalisateurs semble anticiper sa présidence du jury cannois l’année suivante. Depuis quatre ans, elle s’illustre cependant plus sur petit écran que sur grand, avec la série prisée  Top of the lake.

2014 - Alain Resnais

Alain Resnais s’affirme comme un des plus grands réalisateurs français dès son premier film (dans les faits, son second, mais le tout premier a été perdu) : Hiroshima mon amour, en 1959. A la vingtaine de long-métrages qui suivent, il ne faut pas omettre une trentaine de courts-métrages, dont de nombreux documentaires tels que le poignant Nuit et brouillard. N’oublions pas non plus qu’il s’affirme très tôt en tant que défenseur de la bande-dessinée, à une époque ou le 9e art n’était pas pris au sérieux (grand ami de Stan Lee, il s’est d’ailleurs de nombreuse fois penché sur une adaptation de Spider-man !). Le carrosse d’or qui lui est dédié en 2014 est posthume, venant couronner une œuvre s’étalant sur près de soixante-dix ans …

2015 - Jia Zhang-ke


Le Chinois Jia Zhang-ke, auteur de 12 films en 20 ans, est un cinéaste éminemment politique. Il attribue d’ailleurs son envie de faire du cinéma à un événement marquant de la Chine contemporaine : participant aux larges manifestations de 1989, au nom de valeurs égalitaire et libertaires, il est marqué par la sanglante répression de la place Tian’anmen (qui aurait fait jusqu’à 10 000 morts, et d’innombrables arrestations). Son premier film, Xiao Wu artisan pickpocket (1997) étant sélectionné à Berlin, les autorités lui reprochent d’avoir « influencé gravement les échanges culturels normaux entre la Chine et le monde » (interview publiée dans Libération : https://goo.gl/gRD5xY).

Ses films suivants seront ainsi l’occasion de bras de fer avec la censure ; en cas de potentielle interdiction en Chine, il n’hésite cependant pas à tourner quand même, et à diffuser de manière « underground » - un adjectif parfois accolé à son statut de cinéaste. Heureusement pour lui comme pour nous autres spectateurs, le censure diminue à partir de la libéralisation de la Chine en 2003, bien qu’encore présente. Quoiqu’il en soit, on aura l’occasion de voir cette année en compétition son nouveau film, Les Eternels – et on s’en languit !

2016 - Aki Kaurismaki


Journaliste de formation et cinéphage par passion, le Finlandais cynique a annoncé avoir pris sa retraite après L’autre côté de l’espoir (2017) – même si on connait la propension des cinéastes à sortir de leur retraite. Au finale, ce sont près de vingt films qui forment une filmographie, dont trois trilogies : une du prolétariat, une de la Finlande et celle inachevée, des migrants. Il a été invité à deux reprises à la Quinzaine, avec Shadows in Paradise en 1987 et Tiens ton foulard, Tatiana en 1994.

2017 - Werner Herzog


Non seulement Werner Herzog aime se mettre en scène, à l’instar des cinéastes précédemment cités, mais en plus il crée une véritable légende autour de lui. Au fil de son épaisse filmographie, on retrouve ainsi autant des documentaires que des films de fictions, deux faces totalement complémentaires. Ainsi d’un côté, « dans la vraie vie », il se met en scène au bord de volcans prêts à rentrer en irruption, ou au sommet de monts enneigés, quand il n’est pas directement filmé en train de cuisiner puis de manger sa botte.

Le côté fictionnel est tout aussi impressionnant, pour citer deux de ses films les plus célèbres : dans Aguirre et la colère de Dieu, il part tourner en pleine Amazonie, tandis que pour Fitzcarraldo il fait grimper un bateau sur une colline. Tout un programme donc, Herzog semblant répondre à l’adage Fordien : « écrire l’Histoire, imprimer la légende ». Sa reconnaissance internationale est intimement liée à la Quinzaine : il est venu une fois par an, de 1970 à 1973, avec Les Nains aussi ont commencé petits, Fata Morgana, Pays du silence et de l’obscurité et enfin Aguirre.

Et tout à l'heure, Martin Scorsese rejoindra ce prestigieux club.

Nicolas Santal de Critique-Film