Cannes 2018: Qui est Ramin Bahrani ?

Posté par wyzman, le 11 mai 2018

Entre 2005 et 2015, le réalisateur et scénaristes d'origine iranienne Ramin Bahrani a réalisé pas moins de 5 longs métrages de fiction. Très apprécié (et reconnu) dans le milieu du cinéma indépendant américain, il pourrait bien entrer définitivement dans la cour des grands avec un téléfilm. En effet, son Fahrenheit 451 sera projeté en Séance de minuit avant d'être diffusé le samedi 19 mai sur la chaîne câblée américaine HBO.

Un parcours logique

Né en 1975 et longtemps élevé en Caroline du Nord, Ramin Bahrani s'est rapidement intéressé au cinéma. Diplômé de la Columbia University de New York où il enseigne désormais, il se lance dans la réalisation à la fin des années 1990. Son premier film, Strangers, passe complètement inaperçu en raison d'un pitch pas très vendeur : un jeune Américain part en Iran, à la recherche du passé de son père récemment décédé et fait la rencontre d'un conducteur de camion iranien. Pas très sexy ! Par chance, son film suivant recevra un meilleur accueil : Man Pusher Cart fait en effet la tournée des festivals (Mostra de Venise et Sundance en tête). Nous sommes alors en 2005.

Deux ans plus tard, il propose Chop Shop, un drame centré sur un orpheline latino de 12 ans qui travaille en "réparant" des voitures. Le film est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, à la Berlinale ainsi qu'au TIFF. Son acteur principal, Alejandro Polanco, finit même pas être nommé aux Gotham Awards. Pour rappel, le dernier acteur à avoir triomphé dans cette catégorie n'était autre que Timothée Chalamet pour Call Me By Your Name.

Vient ensuite l'exceptionnellement bon et touchant Goodbye Solo. Le drame raconte la rencontre entre un chauffeur de taxi sénégalais et un vieil homme suicidaire en Caroline du Nord. Véritable révélation, Goodbye Solo permet à Ramin Bahrani de rafler le prix de la critique FIPRESCI à la Mostra de Venise, trois ans seulement après l'avoir remporté à Londres pour Man Push Cart.

Des choix douteux

Alors qu'il vient d'enchaîner coup sur coup Chop Shop et Goodbye Solo, Ramin Barhani revient l'année d'après avec Plastic Bag. Le court-métrage de 18 minutes a beau être sélectionné à Venise, à Telluride, à New York et à South by Southwest (Austin), il ne fait pas l'unanimité. En racontant le parcours d'un sac plastique grâce à la voix de Werner Herzog, Ramin Bahrani tente de réveiller les consciences. En vain.

Et parce que les mauvaises nouvelles n'arrivent jamais seules, il lui faudra quatre ans pour réussir à réaliser son prochain film, At Any Price. Désormais dans le viseur de grands distributeurs, Ramin Bahrani s'offre tout de même un joli casting : Zac Efron, Denis Quaid et Heather Graham. Mais le film fait un bide retentissant et ne rapporte que 380000$ ! C'est presque deux fois moins que Paperboy et Parkland, les deux autres films indépendants que Zac Efron a tournés avant et après At Any Price...

Retour en fanfare

Il faut attendre 2015 pour que Ramin Bahrani revienne par la (très) grande porte. Son nouveau film, 99 Homes, narre le combat d'un père bien décidé à récupérer la maison dont sa famille a été expulsée par un agent immobilier véreux. En plus de sélections au TIFF, à Teluride et à la Mostra de Venise, 99 Homes offre à Michael Shannon des nominations aux Gotham Awards, aux SAG Awards et aux Golden Globes. L'acteur en repart bredouille mais le film rafle tout de même le Grand Prix au festival du cinéma américain de Deauville. Pas de toute, Ramin Bahrani est sur la bonne pente.

Il n'est donc pas étonnant de retrouver l'insubmersible Michael Shannon au casting de son prochain film - qui est en fait un téléfilm. Adapté du roman de Ray Bradburry, Fahrenheit 451 sera l'occasion de voir Michael Shannon donner la réplique à une autre star du cinéma indépendant, Michael B. Jordan. Absolument incontournable depuis les succès de Fruitvale Station, Creed et Black Panther (tiens, que des films de Ryan Coogler...), Michael B. Jordan incarne ici Guy Montag, le pompier qui se sent attiré par la lecture et va chambouler toute cette dystopie !

Projeté en Séance de minuit, Fahrenheit 451 sera donc diffusé dans la foulée sur HBO. Et bien que les critiques du film soient pour l'instant inexistantes, le marketing entourant sa "sortie" laisse à penser que HBO est plus que sûre de son coup. Alors, Ramin Bahrani a-t-il réalisé un téléfilm aussi inoubliable que Ma Vie avec Liberace ou The Normal Heart ? Réponse demain!

Cannes 2018: Nos retrouvailles avec Isabelle Adjani

Posté par vincy, le 11 mai 2018

Elle est rare. Ou abonnée aux longues absences. 5 ans entre Camille Claudel et Toxic Affair. 6 ans entre Diabolique et La repentie. Autant d'années entre Bon voyage et La journée de la jupe. Isabelle Adjani nous quitte souvent mais revient toujours. Deux ans après le téléfilm Carole Matthieu, avouons-le médiocre, elle est de retour. Dans Le monde est à toi de Romain Gavras. Le film est présenté à la Quinzaine des réalisateurs. C'est la première fois depuis La Reine Margot, en 1994, que l'actrice accompagne un film à Cannes.

Pourtant Cannes, elle connaît. Elle en a même été l'une des abonnées. Prix d'interprétation en 1981 pour Possession et Quartet, l'actrice cinq fois césarisée, deux fois nommée à l'Oscar, Ours d'argent à Berlin, a été LA star du cinéma français dans les années 1970-1980. Avant qu'une autre Isabelle ne prenne le pouvoir. Avant que la Catherine ne se visse à son trône. Avant que Juliette puis Marion s'imposent jusqu'à Hollywood.

Adjani a fait l'objet d'un véritable culte. Par son apprentissage au théâtre, elle semble une tragédienne née. Grâce à des films aussi différents que L'été meurtrier (5 millions d'entrées) de Jean Becker, La gifle de Claude Pinoteau, Subway de Luc Besson, Camille Claudel de Bruno Nuytten et Tout feu, tout flamme de Jean-Paul Rappeneau, elle atteint un large public dans les salles.

Grâce à François Truffaut, André Téchiné, Roman Polanski, Walter Hill, Werner Herzog, James Ivory, Carlos Saura, Claude Miller, elle a construit une filmographie internationale et cinéphile. Grâce à ses engagements, ses passions, elle réussit des coups d'éclat qui font date, des discours qui marquent.

Depuis 25 ans, Isabelle Adjani est comme un spectre qui hante nos mémoires de spectateurs. Parfois elle s'incarne, chez des jeunes cinéastes, chez des réalisateurs étrangers, dans des comédies déjantées. Malheureusement, le plus souvent, elle "fait" du Adjani. Ce personnage caricaturé par Florence Foresti, diva lunatique à la Garbo avec ses lunettes noires. C'est presque l'image de son personnage de Mammuth du duo Delépine/Kervern: L'amour perdu.

Il y a un peu de ça dans notre liaison sporadique avec Isabelle A. L'aventurière, libre, préfère dérouter, s'inviter dans des projets décalés, peut même rire d'elle-même (Dix pour cent). Cette année, elle enchaîne les lectures de Marguerite Duras et autres grands écrivains. Elle délire dans "Opening Night", mix entre Tchekhov, Rilke et Cassavetes. Elle incarnera Maria Casares dans une lecture de correspondances avec Albert Camus à Avignon en juillet.

Elle est notre Dame aux Camélias.

On est heureux quand même de la retrouver sur la Croisette, qui, cette année, n'a ni Huppert, ni Binoche, ni Deneuve. Elle arrive avec un film barré, mère de Karim Leklou, et entourée de Vincent Cassel et François Damiens, tels trois pieds nickelés. Evidemment, dans Le monde est à toi, la chef de gang porte encore ses lunettes noires. Après tout, c'est une star, à l'image de celle de Sunset Boulevard.

Cannes 2018: A Queer Eye

Posté par vincy, le 11 mai 2018

Une Palme d'or pour La vie d'Adèle, deux Grands prix du jury pour Juste la fin du monde et 120 battements par minute, un prix de la mise en scène Un certain regard pour L'inconnu du lac, sans oublier Carol, Les vies de Thérèse, Kaboom... le festival de Cannes depuis quelques années a suivi le mouvement sociétal et cinématographique (les Oscars ont récompensés Moonlight l'an dernier, Une femme fantastique et Call Me By Your Name cette année): l'homosexualité et plus globalement la culture Queer se sont invités dans les sélections comme dans les palmarès. Les cinéastes, hétéros ou LGBTQI, y trouvent des sujets forts pour des genres variés et des films engagés.

2018 ne fait pas exception. Le queer sera à la mode. Il sera même banalisé, ce qui ne peut que nous satisfaire. Il sera aussi "transgenre".

Yann Gonzalez nous plongera ainsi dans le milieu porno gay de la fin des années 1970 avec Un couteau dans le cœur (compétition), tandis que Christophe Honoré nous conviera à une romance dramatique gay (et homoparental) du début des années 1990 avec Plaire, Aimer et courir vite (aussi en compétition). Les amours (de jeunesse) tourneront aussi dans L'amour debout de Michaël Dacheux (Acid). A bas les étiquettes!

Côté beaux mecs (et tendance marginal) on sera séduit par les plastiques Felix Maritaud et Eric Bernard dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet (Semaine de la critique). Dans un registre plus homoérotique qu'homosexuel, Diamantino de Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt se concentrera sur le culte du corps masculin d'un sportif (en l'occurrence celui de Carloto Cotta). Le sport et le corps sont aussi à l'honneur du documentaire de Marie Losier, Cassandro, The Exotico (Acid). Ici on plonge dans l'univers des catcheurs gays.

Mais peut-être que l'histoire qui nous touchera le plus est celle des deux frères, dont l'un est homosexuel, dans Euphoria de Valeria Golino (Un certain regard), avec Riccardo Scamarcio et Valerio Mastandrea...

C'est d'ailleurs toujours à Un certain regard que l'un des films les plus attendus sera projeté: Rafiki de Wanuri Kahiu. Parce que c'est le premier film kényan en sélection officielle. Parce qu'il a été censuré dans son pays après l'annonce de sa sélection. Parce que c'est une histoire d'amour entre deux femmes qui ne peuvent pas étaler leurs sentiments en plein jour. Et dans la même sélection, avec Girl de Lukas Dhont, on évoquera le genre grâce à une adolescente qui veut devenir danseuse étoile, mais qui est née dans le corps d'un garçon.

Les amours saphiques seront aussi projetés à la Quinzaine des réalisateurs avec Carmen y Lola d’Arantxa Echevarria, une histoire d'amour entre deux jeunes gitanes dans un milieu où là aussi l'homosexualité est un tabou. Et qu'attendre de Climax de Gaspar Noé, qui met le plaisir au centre de tout, cet hédonisme revendiqué et sans limites?

On le voit: le genre, la sexualité, l'homophobie, l'homoparentalité, la pornographie, et bien entendu l'amour sont présents dans des films venus de partout et formellement différents. Et on peut aller plus loin avec le frontal A genoux les gars (Antoine Desrosières, Un certain regard) qui s'affirme le film le plus féministe de la saison, L'ange (Luis Ortega, Un certain regard), dont le personnage de tueur est pour le moins ambivalent ou encore Manto (Nandita Das, Un certain regard), biopic sur un écrivain célèbre accusé plusieurs fois de pornographie...

Mais assurément le film le plus queer du 71e festival de Cannes (en séance spéciale) est un documentaire de Kevin Macdonald (Le Dernier Roi d'Écosse), qui six ans après Marley (sur Bob Marley), s'intéresse à Whitney (sur la diva Whitney Houston). Rien de gai mais cette icône gay (et pop) devrait être l'une des vedettes des dancefloors cannois. Une Queen pour célébrer la culture queer, pour aimer, sans préjugés.

Cannes 2018: Qui est Feng Xiaogang ?

Posté par MpM, le 11 mai 2018

C’est en 1985, à l’âge de 27 ans, que Feng Xiaogang commence à travailler pour le centre d'art de la télévision de Pékin. Il écrit d’abord des scénarios pour la télévision et réalise des séries, avant de passer au long métrage de cinéma. En 1997, il rencontre le succès avec Dream factory, une comédie qui annonce un nouveau style de films extrêmement populaires, celui du « récit de nouvel an ».

Tour à tour acteur (il tient par exemple un petit rôle dans Sous la chaleur du soleil de Jiang Wen en 1994 et dans Crazy kung-fu de Stephen Chow en 2004), réalisateur et scénariste, il enchaîne les tournages et les projets, principalement des comédies destinées au marché local. En 2006, changement de cap avec La légende du scorpion noir, une adaptation du Hamlet de Shakespeare dans la Chine du Xe siècle et en version kung-fu (!!!), qui réunit Zhang Ziyi et Zhou Xun dans les rôles principaux.

L’année suivante, il se tourne vers le film de guerre avec Héros de guerre, qui relate un épisode réel de la guerre civile chinoise et suit un vétéran qui se bat pour obtenir une forme de reconnaissance officielle pour ses hommes morts héroïquement face aux armées nationalistes.

Après une nouvelle incursion par la comédie romantique, Feng Xiaogang se penche ensuite sur un autre épisode de l’histoire chinoise, le tremblement de terre de Tangshan, survenu en 1976. Aftershock se concentre sur le destin épique d’une famille séparée par la catastrophe, et qui ne se retrouvera qu’à l’occasion d’un autre tremblement de terre, celui du Sichuan, plus de trente ans plus tard. Le film bat tous les records d’entrées de l’année 2010 et rapporte 100 millions de dollars, soit cinq fois plus que son budget initial. Il s’agit de la première superproduction IMAX réalisée en dehors des Etats-Unis.

En 2012, le cinéaste s’essaye à une autre forme de drame historique avec Back to 1942, qui raconte la famine au Henan durant la guerre contre le Japon du point de vue de deux occidentaux incarnés par Adrien Brody et Tim Robbins. Le film, adapté d’un roman de Liu Zhenyun, remporte deux prix au festival de Rome 2012 et est présélectionné pour représenter son pays aux Oscar.

Pour son film suivant, Feng Xiaogang retravaille avec Liu Zhenyun dont il adapte un autre roman, Je ne suis pas une garce.  Sorti en France en 2017 sous le titre I am not Madame Bovary, le film est à nouveau un récit épique suivant une femme dans des tribulations judiciaires qui oscillent entre l’absurdité et la farce. Ses choix esthétiques (notamment le cadre circulaire et les références à la peinture traditionnelle chinoise), son ton ultra-décalé et sa dimension de satire sociale assumée lui garantissent un énorme succès à l’international, et notamment dans des festivals de premier plan comme San Sebastian, où il remporte la Coquille d'or du meilleur film et le coquillage d'argent de la meilleure actrice, et à Toronto où il est couronné du prix de la critique internationale.

Il tourne ensuite un film encore inédit en France, Fang hua (Youth), qui est lui aussi présenté à Toronto en 2017. Il y est cette fois question d’un groupe d’adolescents idéalistes dans la Chine des années 70 et 80.

Mais c’est en tant qu’acteur, et non de réalisateur à succès, qu’il est attendu à Cannes. Feng Xiaogang tient en effet un petit rôle dans Ash is the purest white de Jia Zhang-ke, une nouvelle fresque historique dans les tourbillons de l’histoire chinoise récente et contemporaine où il côtoiera notamment Zhao Tao et Liao Fan. Des premiers pas cannois qui lui permettront de connaître le chemin du tapis rouge. On ne sait jamais.

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 3, la sélection officielle

Posté par redaction, le 11 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

L'arrivée de la quinzaine a permis de faire rapidement évoluer la programmation de la sélection officielle ?

Non, ça a bien pris trois ou quatre ans pour voir les premiers effets. J'ai montré quatre films de Werner Herzog avant le triomphe de Aguirre. On savait alors que le prochain serait en compétition s'il y en avait un ! J'ai montré cinq films de Nagisa Oshima jusqu'à ce que L'Empire des sens soit un tel succès que l'année d'après, il s'est retrouvé en compétition avec L'empire de la passion.

Avec le temps, ça a évolué et d'un seul coup le festival a pris conscience qu'il aurait dû accepter les réformes qu'on demandait ! Car aujourd'hui, il les a acceptées ! On leur disait de ne pas se laisser imposer les films par les pays ! Forcément il y a toujours des vétos des gouvernements ! On avait bien vu qu'il avait fallu retirer Viridiana sur protestation de l'Espagne. Choisissez vous-même, prenez votre liberté ! Et puis assumez ! À l'époque on disait l'URSS présente… Aujourd'hui, c'est c'est «le festival présente». C'est toute la différence, elle est énorme. Parce qu'on PEUT refuser. Et puis le festival était affolé parce que quand ils ne prenaient pas un film brésilien pendant deux ou trois ans par exemple, ils se disaient que les brésiliens n'achèteraient plus de films français. Les producteurs français leur disaient «débrouillez-vous mais prenez-en un» ! Les sections parallèles ont été créées aussi pour changer ça.

Maurice Bessy a été nommé par Robert Favre Le Bret qui, de délégué est devenu président parce qu'il était fatigué et que sa santé n'était plus très bonne. Bessy avait dirigé la revue Cinémonde et s'est dit, ce n'est pas possible, il y a trop de papiers sur la quinzaine, genre c'est lui qui invitait les journalistes et moi qui les détournais pour couvrir la quinzaine. Ça les foutait dans des rages absolument épouvantables ! La Quinzaine, c'est un coucou qui a fait ses nids dans les branches d'un arbre qui existait avant. Bessy a eu l'idée non pas de créer une section mais trois sections pour couler la quinzaine. Il a créé Les Yeux Fertiles (consacré à des œuvres dites théâtrales), Le Passé Composé (des œuvres d'histoire) et Un Certain Regard, mais moi je n'ai jamais compris les distinctions. Le résultat des courses c'est qu'il a absorbé trente ou quarante films sur les trois sections, tout ça pour m'assécher. Puis, il a été viré, Gilles Jacob est arrivé et il a tout regroupé en une seule section, Un Certain Regard que j'appelais au début, en me marrant, «Incertain Regard»,  c'est facile ! Ça ne lui faisait pas vraiment plaisir, je crois ! Et puis il a eu l'idée de rajouter la mention sélection officielle, c'est l'antichambre de la compétition, soi-disant. En vérité, ça servait de capsule de décompression diplomatique. Quand Bessy ne prenait pas en compétition un film soviétique, il en mettait un dans une des trois sections, en leur disant qu'ils étaient quand même à Cannes. Quand Gilles Jacob est arrivé, les choses ont changé. Lui avait du goût quand même. Je savais que dès qu'un premier film aurait du succès, le deuxième du même réalisateur serait en compétition. C'est ce qui est arrivé avec Spike Lee ou Jim Jarmusch, par exemple.

J'ai toujours dit premier servi, la compétition. Je vois en Allemagne Au fil du temps de Wim Wenders, je suis tellement bouleversé que je lui envoie une belle lettre pour lui dire que je le prends à la Quinzaine. Trois semaines après, il me dit qu'il est pris en compétition. Je trouve ça bien. Tant mieux, le film a marché. Mais par contre, dès que c'était pour Un Certain Regard ou une autre section parallèle, là, pour moi, chacun est à égalité. Évidemment ça ne plaisait pas à Jacob donc il faisait des pressions. Moi je considérais que c'était des sections marginales, même UCR. Qu'on l'ait baptisée officielle ne veut rien dire pour moi. Et donc là c'était coup pour coup, au plus malin. Des fois je prenais l'avion, je passais deux heures à convaincre de me donner le film que je visais. Des fois ça marchait, des fois ça ne marchait pas. Très vite aussi, les producteurs et les distributeurs faisaient du chantage. Paulo Branco qui faisait trois, quatre films par an, avait un Manoel de Oliveira et disait si tu prends un deuxième film (Monteiro par exemple) à la Quinzaine, je ne mettrai pas le Oliveira en compétition. Le Val Abraham a fait un triomphe chez nous et ensuite Oliveira était pris automatiquement à l'officielle.

J'ai montré deux films des frères Taviani : Saint Michel avait un coq et Allonsanfan. Je vais les voir pour un troisième, j'étais devenu très ami avec eux, et ils me montrent leur nouveau film mais me disent «écoute on te le montre, mais on ne te le donnera pas». Je leur demande pourquoi et me disent qu'il sera en compétition à Cannes. Le festival ne l'a pas vu encore, je suis le premier à le voir (c'est eux qui me l'ont dit). Ils me disent «oui, mais on est sur qu'il le prendra». Maurice Bessy  a donc pris Padre, Padrone. Il aurait pu être ridicule s'il ne l'avait pas pris ! Il faut comprendre quelque chose. Au fur et à mesure que la critique a commencé à suivre la Quinzaine, d'un seul coup elle disait « ah j'ai vu un truc formidable à la Quinzaine, pourquoi il n'était pas en compétition, alors qu'hier j'ai vu en compétition un truc qui n'était pas bien». C'était insupportable pour le festival, du poil à gratter et ils pouvaient avoir l'air ridicules.

Imaginons un film refusé par la compétition puis par moi, par exemple. Il se retrouve ensuite à Venise. Personne ne saura qu'il a été refusé à Cannes, ils ne vont pas le dire. Moi, on n'a jamais su quand j'étais ridicule. Je savais ce qu'ils avaient loupé mais eux n'ont jamais su ce que j'ai loupé. Moi je le sais par contre ce que j'ai loupé ! Quand on a voulu me faire un hommage pour les trente ans de la quinzaine, j'ai dit « oui, d'accord, mais je prends tous les films que j'ai voulu avoir et que je n'ai pas pu avoir, et puis ceux que j'ai ratés. Comme ça, je complète mes trente ans. Ils n'ont pas voulu. Ce qu'ils voulaient c'était montrer les succès de la Quinzaine. Du coup, je ne l'ai pas fait, l'hommage je n'en ai rien à foutre. Ce qui m'intéresse, c'est de combler et de comprendre pourquoi j'ai raté tel film à ce moment là alors que je l'avais vu mais pas pris. Je ne parle pas de ceux que j'ai pris et que je n'aurais pas du prendre. Ça, il faut les assumer une fois que vous les avez pris. Mais j'aurais trouvé rigolo de compléter, quoi.

Qu'avez-vous raté par exemple ?

Le film de Wim Wenders, Alice dans les villes, je l'ai vu mais je ne l'ai pas pris. Et je m'en suis beaucoup voulu. Après coup. Mais trop tard. Ce n'est pas une science, vous savez, donc il faut un réseau de correspondants et essayer d'avoir un peu de goût. Le goût, ce n'est pas un truc qui se mesure, il n'y a pas de règles. Vous l'avez ou vous ne l'avez pas. Moi j'étais un fou de cinéma et dès que j'aimais quelque chose, je le prenais. Je disais toujours aux réalisateurs – je ne m'adressais qu'à eux, pas aux producteurs ou à peine – donnez-moi votre film, puisque je veux en parler, le faire partager à mes amis. Je n'ai jamais pris des films que je n'aimais pas.

Jamais vous ne vous êtes dit «je n'aime pas vraiment ce film, mais je lui trouve de l'intérêt et donc je le programme ?»

Non, jamais. Je ne suis pas critique. Quand je refusais un film, je ne faisais aucun retour critique, ni négatif ni positif. Je disais «je n'aime pas assez, donc je ne prends pas. Il y a d'autres festivals, essayez avec eux». Mais quand j'aimais beaucoup, je téléphonais dix fois s'il fallait. Les réalisateurs étaient sensibles au fait que je leur parle de leurs films. Des producteurs de la race des Pierre Braunberger ou Anatole Dauman produisaient des films pas uniquement en espérant ne pas perdre d'argent mais aussi par amour du cinéma. Ils me faisaient une confiance absolue car je défendais leurs films.

Avec le temps, le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l'idée de ne prendre que des films que vous aimiez ou vous faisiez attention à l'équilibre des origines géographiques ?

On ne décide pas d'une ligne éditoriale. Elle s'impose à vous. Les films, les sujets, c'est l'air du temps. Le dosage, du genre il faut que j'ai tant d'asiatiques ou d'africains, ça ne m'intéressait pas. Je n'ai jamais fait attention à ça. Je n'ai toujours pris que des films que j'aimais et que je pouvais défendre. De ce point de vue là, je n'ai jamais été diplomate. J'allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome et je ne prenais que ce que j'aimais. À partir du moment où vous essayez d'être prudent, ce n'est pas bien. Ce n'est pas comme ça que ça doit se faire.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film

Cannes 2018 : Cannes en orbite avec « Solaris »

Posté par MpM, le 10 mai 2018

Puisque cette 71e édition nous emmène dans les étoiles avec l’avant-première mondiale de Solo: A Star Wars Story, nouvel épisode de l'univers étendu de la saga Star Wars, présenté hors compétition, et la projection de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick dans une nouvelle copie 70 mm restaurée (sans modification numérique de l'oeuvre de 1968) à Cannes Classics, profitons-en pour un petit tour d’horizon des « Space opéras » qui ont eu les honneurs de la sélection officielle.

Cannes ce n'est à priori pas le lieu où on s'imagine voir un film de vaisseau spatial et de bataille intergalactique, et pourtant certains gros films de science-fiction ont bel et bien décollé depuis la croisette. Retour sur le moins spectaculaire, mais le plus intrigant, d'entre eux.

Solaris, troisième long métrage d'Andreï Tarkovski, est en compétition à Cannes en 1972, soit trois ans après la sélection d'André Roublev. Il a beaucoup été dit qu'il s'agissait de la réponse de l'URSS à 2001 Odyssée de l'espace sorti 4 ans auparavant, et donc celle de Tarkovski à Kubrik, mais le réalisateur russe lui-même rejetait cette vision des choses. Lui qui jugeait le film de Kubrik "froid et stérile", "misant trop sur la technologie", affirme, au contraire, s’être attaché à faire de Solaris son opposé.

En 1972, le cinéaste est dans un période compliqué de sa carrière. Depuis André Roublev, tous ses scénarios personnels ont été refusés, et le projet qui lui tient le plus à cœur, et qui deviendra Le Miroir, est toujours en attente. Les autorités soviétiques, elles, sont soucieuses de rivaliser avec les Etats-unis dans le domaine du film spatial. Tarkovski adapte donc (plutôt fidèlement) le roman Solaris de Stanislaw Lem et obtient enfin une autorisation de filmer.

Ici, les amateurs de space opera spectaculaires en sont pour leur frais : après 45 minutes de préparatifs, sur terre, de la mission spatiale amenant le héros dans la base d'observation de Solaris, une ellipse le montre arrivé à son bord. Tout ce que l'on verra de l'espace est le fameux océan vivant et intelligent qui recouvre la surface de la planète. Pour le voyage dans les étoiles, on repassera. Mais pour le parcours intérieur métaphysique, on a définitivement frappé à la bonne porte !

Dans la station, les scientifiques restants ont à moitié perdu la raison, et Kris Kelvin, le personnage principal, est avant-tout envoyé pour évaluer la situation. Les Hommes ont enfin trouvé une autre forme de vie que la leur, mais échouent à établir un contact avec elle. Pire, ils sont effrayés par les messages que leur envoie cette entité sous la forme d'êtres issus de leur passé ou de leurs souvenirs.

Kelvin croit ainsi devenir fou en voyant apparaître sa propre femme, qui s'est suicidée dix ans plus tôt. Dans le huis clos de la station se bousculent alors les questions existentielles et métaphysiques sur la nature des créatures et de l'Océan. Maléfiques ? Divines ? Bien sûr le film ne livre pas de réponses, mais sa fin laisse peu de place à l'espoir : les hommes sont bien seuls devant l’immensité de l'espace, incapables de ne serait-ce que toucher du doigt le mystère de la vie et de la création.

D'une beauté douloureuse et austère, assez éloigné de ce que les autorités soviétiques attendaient de lui, Solaris fait une forte impression et repart de Cannes avec un grand prix spécial du jury (le grand prix international va à La classe ouvrière va au Paradis de Elio Petri ex-aequo avec L'Affaire Mattei de Francesco Rosi). Bien qu'il soit le plus minimaliste des films de science fiction présentés à Cannes (et probablement de toute l'histoire du space opera), il n'en est pas moins l'un des plus célèbres, envoûtant et mystérieux, qui apporte à chaque vision son nouveau lot de questions... et si peu de réponses définitives.

Quinzaine 50 – une histoire en affiches

Posté par MpM, le 10 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.

Ce n’est pas anodin, une affiche. Chaque année, c’est un peu elle qui donne le ton de la nouvelle édition, tout en restant dans l’identité visuelle générale de la section. La Quinzaine, comme la sélection officielle, a ainsi connu différentes périodes, tantôt très référencées, tantôt plus abstraites, qui racontent à leur manière l’histoire de cette branche parallèle du festival de Cannes qui a toujours cherché la singularité.

Dès 1969, l’affiche de la première édition donne le ton. Ici, ce sont les films et leurs auteurs qui sont à l’honneur, et ils s’étalent en blanc sur fond rouge, donnant immanquablement l’envie de les déchiffrer un à un. La formule de la Quinzaine, « Cinéma en liberté », apparaît quant à elle tout en haut, sans que l’on sache s’il s’agit d’une mise en garde, d’un cri de ralliement ou d’une menace.

En 1970, elle aura disparu, remplacée sobrement par la mention « Festival de Cannes 1970 » (qui ne figurait pas la première année) au-dessus de quelques photogrammes célèbres de l’Entrée du train en gare de la Ciotat. Les frères Lumière sont ainsi convoqués en parrains bienveillants de cette jeune section pleine d’enthousiasme. Ils seront de retour l’année suivante, avant de céder (logiquement) la place à Georges Méliès et à une déclinaison de l’image restée célèbre du Voyage dans la Lune, lorsque la capsule se plante dans l’œil du satellite. Plusieurs variantes suivront jusqu'en 1975.

Le cinéma, d’une manière générale, aura toujours une place primordiale sur les affiches de la Quinzaine : une façade de cinéma (le Star) en 1978, un écran éclairé (sur la plage) en 1979, une sorte d’homme-caméra (ou projecteur ?) en 1981, le diptyque 83-84, avec une femme gravissant les marches rouges, puis à l’intérieur du cinéma, ou encore une scène de film en ombre chinoise en 1991. Sans oublier les hommages explicites, d’Henri Langlois en 1977 (quelques mois seulement après sa mort) à Robert Bresson en 2008 (il avait été sélectionné en 1969 avec Une femme douce, en 1971 avec Quatre nuits d’un rêveur, et en 1997 avec Le diable, probablement en 1977), en passant par Maurice Pialat (l’année de sa mort, en 2003).

Les films s’affichent parfois eux-aussi, comme en 1993, qui nous fait voyager de L’Empire des Sens à THX 1138, de Stranger than Paradise à Mean streets, ou en 1998, avec à nouveau L’Empire des sens et Mean Streets, mais aussi Salaam bombay, Aguirre, la colère de Dieu, Mais ne nous délivrez pas du mal ou encore Les silences du Palais. En 2009, ce sont Albert Serra (réalisateur de Honor de cavalleria, Le Chant des oiseaux) et Lolita Chammah (actrice vue dans Les Bureaux de Dieu), puis, en 2011, des pictogrammes qui représentent à nouveau des films passés par la Quinzaine (ou non), une idée de Frédéric Boyer, le délégué général de l’époque).

Plus hasardeux, la mer et la ville de Cannes se sont parfois invitées de manière un peu brutale sur l’affiche. On pense aux éditions 85 à 88 puis 94-95, 99-2000. En 1986, ce phare au milieu de la mer nous rappelle par exemple que la Quinzaine sert de guide aux cinéphiles perdus dans la nuit.

Ces dernières années, sous la houlette notamment du concepteur graphique Michel Welfringer, la Quinzaine s’est fait une spécialité d’affiches sobres et dépouillées, souvent en noir et blanc, qui racontent une histoire en plus de frapper l’imagination par leur force esthétique. En 2014, on découvre un homme qui plonge dans l’écran, ou pénètre dans un monde sombre et hostile, au choix des interprétations. En 2016, c’est l’écho d’une rencontre forcément cinématographique entre un homme et une femme dont il ne reste que des lambeaux d’affiche. En 2017, place au rêve !

Et cette année, place aux femmes, avec cette joueuse de base-ball immortalisée par William Klein, et qui devient le symbole de toutes les femmes (réalisatrices et personnages) qui ont contribué à faire le Quinzaine. Ce qui place cette 50e édition sous les meilleurs auspices, et nous réconcilie quelque peu, il faut le dire, avec l’esthétique kitsch des premières années.

« L’homme qui tua Don Quichotte » peut sortir en France le 19 mai

Posté par vincy, le 10 mai 2018

Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a accordé un visa pour la diffusion en salles de L'homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam, malgré la décision juridique toujours en attente concernant le conflit qui oppose le réalisateur et les producteurs du film au producteur Paulo Branco.

"Après avis de la Commission de classification, un visa tout public a été attribué ce jour au film de Terry Gilliam L’homme qui tua Don Quichotte. Le visa d’exploitation est le document officiel qui permet la diffusion d’un film dans les salles de cinéma", a indiqué l'organisme.

"La décision du juge des référés d’hier a confirmé qu’il serait disproportionné d’empêcher la diffusion de l’œuvre" à cause de ce conflit juridique entre les parties, qui "sera tranché définitivement" le 15 juin par le Tribunal, a précisé le CNC, qui ajoute: "Le contentieux qui oppose par ailleurs M. Branco (Alfama Films) à M. Gilliam, porte sur les conditions dans lesquelles il a été mis fin à leur collaboration, et sur les droits dont M. Branco serait encore titulaire en application de la convention conclue entre eux".

Le Tribunal de grande instance de Paris avait donné hier son accord à la projection du film en clôture de la 71e édition du Festival de Cannes prévue le 19 mai. Océan films sortira le film dans toute la France le même jour.

Cannes 2018: Qui est Antoine Desrosières ?

Posté par MpM, le 10 mai 2018

"Antoine Desrosières a réalisé deux courts métrages dans les années 80, deux longs métrages dans les années 90, a fait deux enfants dans les années 2000, et deux moyens métrages dans les années 2010". Ainsi Antoine Desrosières se présente-t-il (efficacement) dans le dossier de presse de son nouveau long métrage, A genoux les gars, sélectionné en section Un Certain Regard. Il y oublie tout de même son rôle de producteur délégué sur des films comme Villégiature de Philippe Alard ou Lisa et le pilote d'avion de Philippe Barassat.

Le réalisateur français, qui a commencé sa carrière au milieu des années 80 avec plusieurs courts métrages, signe donc son premier long en 1993. A la belle étoile, qui réunit notamment Mathieu Demy, Chiara Mastroianni et Julie Gayet, dresse le portrait d'un jeune homme de 17 ans à la recherche de l'amour, croisant le chemin de plusieurs femmes participant à son éducation sentimentale. Le film fut présenté au Panorama de la Berlinale 1994 ainsi qu'à l'ACID à Cannes. Sept ans plus tard, son deuxième long métrage Banqueroute, toujours avec Mathieu Demy, suit les aventures d'un courtier en Bourse qui a ruiné son entreprise. Il est en compétition officielle à Rotterdam et à nouveau à l' ACID.

Suivent René Bousquet ou le grand arrangement (2006), une fiction télé dont il écrit le scénario avec Pierre Beuchot, le moyen métrage Un bon bain chaud (2012) avec Benoit Forgeard et le documentaire Vanda Spengler aura ta peau (2014). En 2015, le moyen métrage Haramiste remporte le prix du public au festival Côté court à Pantin. C'est à l'occasion de ce film qu'Antoine Desrosières rencontre Souad Arsane et Inas Chanti, les interprètes et co-auteures d'A genoux les gars. Dans Haramiste, elle étaient deux sœurs de confession musulmane, voilées et pratiquantes, qui connaissaient différentes formes de tentations. Dans A genoux les gars, qui est inspiré d'un témoignage réel, elles sont à nouveau deux sœurs qui forment un quatuor parfait avec leurs petits amis respectifs, jusqu'au jour où les garçons manipulent la plus jeune pour obtenir une fellation.

La particularité du travail d'Antoine Desrosières est  de faire cinq à six fois plus de temps de répétition que de temps de tournage. Durant deux mois, le réalisateur passe ainsi en revue toutes les situations du film avec ses comédiens, en leur demandant de développer et d'improviser devant la caméra. Puis durant à nouveau deux mois, toute l'équipe répète les scènes écrites à partir de ces improvisations. Les acteurs et actrices restent ensuite libres de suggérer des ajouts jusqu'au dernier moment. De même, au début du projet, l'histoire n'avait pas de fin, et elle s'est écrite au fur et à mesure du cheminement collectif.

A genoux les gars s'annonce ainsi comme une œuvre captant avec justesse son époque, notamment dans le langage ultra-contemporain utilisé par les personnages, mais aussi comme un plaidoyer vibrant (mais humoristique) sur la question fondamentale du consentement. Forcément d'actualité.

Cannes 2018 : Martin Scorsese se livre en masterclass

Posté par wyzman, le 10 mai 2018

Invité d'honneur de la Quinzaine des réalisateurs (où il a reçu un Carrosse d'or), Martin Scorsese donnait hier une masterclass au Théâtre Croisette après la projection de Mean Streets. L'occasion pour lui de revenir sur la fabrication de son premier film présenté sur la Croisette, lors de la Quinzaine des réalisateurs de 1973. Acclamé, le film n'est pourtant sorti en France que 3 ans plus tard mais il demeure aujourd'hui encore un objet filmique culte. Pour l'occasion, Martin Scorsese, qui a ouvert mardi soir avec Cate Blanchett la 71e édition du Festival de Cannes, était d'ailleurs très bien entouré. Annoncée par Céline Sciamma, la masterclass de Martin Scorsese était animée par Rebecca Zlotowski, Bertrand Bonello, Jacques Audiard et Cédric Klapisch.

A propos de la genèse de Mean Streets :

Avec ce film, il s’agissait de se demander comment  avoir une vie juste moralement dans un monde qui ne l’est pas. Il m’a fallu des années pour comprendre certaines choses et qu'en fait, je je ne racontais rien d’autre que la relation entre mon père et son jeune frère. Mon père rendait toujours des services à son frère et ma mère lui disait "Non arrête, c’est bon !" mais il ne pouvait pas s’arrêter.

A propos du bien et du mal dans Mean Streets :

Ces gens que l’on appelle des malfaiteurs, il y avait quand même du bien en eux ! Mean Streets développe l’idée selon laquelle si l’on veut réparer le mal que l’on a fait, on ne peut pas le faire entre les quatre murs d’une église. Dans la vie, il y a deux catégories de personnes : ceux qui sauvent des gens et ceux qui se battent et je fais peut être partie de eux qui se barrent... Voilà pourquoi l’humour est très important !

A propos des thématiques phares de ses films :

Avec le temps, j’ai été davantage attiré par les rapports entre hommes, les amitiés masculines, cette fraternité. Ce sont ces questions là qui ont nourri tous mes films et la création de mes personnages. Et aussi de savoir : si tu laisses les choses dans une relation s’envenimer, est-ce que tu es une mauvaise personne ou est-ce qu’il y a moyen que tu sois quelqu’un de bien ? Est ce que parce que l’on vit mal, parce que l’on pêche, cela définit qui l’on est ?

A propos de sa passion pour le cinéma :

[J'ai grandi aux côtés de] travailleurs sociaux qui étaient au cœur du New York le plus dur mais qui continuaient de croire qu’ils trouveraient les moyens de venir en aide aux autres. Ils s’occupaient des plus défavorisés de ceux laissés sur le bas-côté de la route avec un dévouement dont on devrait s’inspirer. Ce sont des figures qui ont été très importantes pour moi. Il y a un prêtre qui a été comme un enseignant de la rue pour moi, c’est lui qui m' fait aimer le cinéma et les westerns. C’est quelqu’un qui a eu sur moi une grande influence, il m’a aidé à réfléchir à la moralité et au bien car l’autre côté c'est de tomber dans la criminalité et la violence. Il m'a fait découvrir un art.

A propos des romances développées dans ses films :

La question a toujours été de savoir comment entamer une relation amoureuse. Passé un certain âge, il y a énormément d’enjeux. Il faut faire le point sur soi-même, sur ce que l’on est et ce que l’on vaut. Il y a un certain nombre de codes que l’on peut vouloir outrepasser mais qu’il faut d’abord connaître.

A propos des problèmes qu'il peut rencontrer en tournant :

Si l'on sent que quelque chose cloche, que l’on arrive pas à faire ce que l’on veut, c’est que l’on n'a pas les bonnes raisons d’être là et de faire les choses. Je garde d'ailleurs un souvenir claustrophobe et malaisant [de la création de certains personnages de Mean Streets].

A propos de son travail en phase de pré-production :

Ce dont moi j’ai envie c’est une simplicité apparente. On pense que cela se fait tout seul comme chez Clint Eastwood mais ça ne se fait pas comme ça. C’est au prix d’un grand professionnalisme et d’une véritable préparation que cette simplicité apparaît. Malheureusement, ce n’est pas le cas chez moi. Bon, si je dois vous parler de comment je travaille, je ne vais peut-être pas vous reparler de mon enfance (...) Ma seule ouverture sur le monde c’était le cinéma. Je dessinais tout le temps et ces petits dessins sont devenus ce que l’on appellerait aujourd’hui des storyboards. Aujourd’hui encore, c’est ce que je fais. Deux semaines avant de tourner je me pose et je dessine. Et ce n’est que récemment que d’autres aspects sont apparus [sur ces storyboards] : l’échelle des personnages, les mouvements de caméras... Avant, le plus important pour moi était de connaître le cadre et les plans que j’allais tourner !