Il y a l'aspect business qui inquiète tant les professionnels (Cannes passe-t-il à côté des mutations technologiques de l'époque?), la résistance au cinéma dominant (blockbusters américains et chinois d'un côté, comédies française de l'autre), et puis il y a ce que dessine la sélection du festival en creux: mettant en lumière un cinéma d'auteur qui a de moins en moins de spectateurs, de plus en plus de difficultés à être projeté (les Avengers et Taxi 5 monopolisent 1650 écrans cette semaine) et qui se bat pour avoir une visibilité correcte dans des médias qui réduisent la place de la culture et qui doivent aussi faire du clic.
Mais cette année encore Cannes joue un rôle politique: la défense des réalisateurs, ceux qui croient encore au grand écran comme ceux qui ne peuvent pas sortir de leur pays. Terry Gilliam a reçu le soutien explicite du festival dans son combat juridique et financier contre le producteur Paulo Branco. Rafiki de Wanuri Kahiu a été censuré dans son pays parce que le film montre la relation amoureuse entre deux femmes. Même sanction pour Les âmes mortes du cinéaste chinois Wang Bing, qui est interdit de diffusion en Chine.
Evidemment les deux grands cas cette année sont metteur en scène et cinéaste russe Kirill Serebrennikov et le réalisateur iranien Jafar Panahi, tous deux en compétition respectivement avec Leto et Three faces. Le premier a été assigné à résidence à Moscou depuis l'été dernier accusé d'avoir détourné de fonds publics dans une affaire très politisée puisqu'il critique ouvertement Vladimir Poutine. Son assignation a été repoussée jusqu'au 19 juillet 2018, il sera donc absent.
Pour Jafar Panahi, l'affaire est encore plus rude. Il est interdit de tournage dans son pays et de voyager. Cela ne l'empêche pas de filmer (clandestinement) et même d'être primé par un Ours d'or à Berlin (Taxi Téhéran). On se doutait bien, avec la crise diplomatique américano-iranienne que l'Iran n'allait pas faire d'exception. Rappelons qu'il avait été incarcéré à la prison d'Evin alors qu'il était invité à faire partie du jury de Cannes en 2010.
On a déjà vu des films cannois censurés a posteriori dans leur pays ou dans d'autres. On a aussi déjà connu des cinéastes en sélection qui étaient en litige avec leurs producteurs ou des réalisateurs qui ne pouvaient pas sortir leurs films. Cannes a une histoire mouvementée.
En 1956, à la demande de l'Allemagne de l'Ouest, Nuit et Brouillard est retiré de la compétition officielle tout en étant projeté. Tels des thrillers, Gilles Jcob fait passer d'Est en Ouest les bobines de L'homme de marbre d'Andrzej Wajda et de Stalker de Andreï Tarkovski, au nez et à la barbe des régimes communistes. A la projection du film-surprise de Tarkovski, la délégation d’URSS reconnait le film dont il ne souhaitait pas la diffusion à Cannes et sort de la salle.
En Chine, ce n'est pas mieux, de Zhang Yuan (East Palace, West Palace, "premier film gay" en Chine) à Lou Ye (Summer Palace, qui parle de sexe sur fond de mouvement prodémocratique de la place Tian’anmen) sont censurés dans leur pays et les cinéastes plus que surveillés.
Rappelons aussi qu'avec Chronique des années de braise, Palme d'or signée de l'algérien Mohammed Lakhdar-Hamina, le réalisateur a été lenacé de mort lors de sa venue à Cannes par des anciens membres de l'OAS. C'était en 1975. En 2010, des élus UMP, des militants FN, des harkis, des pieds-noirs et d'anciens combattants protestent contre la projection du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. On prend les mêmes et on recommence.
Enfin signalons que l'an dernier, Mohammad Rasoulof, Prix Un Certain regard avec Un homme intègre, à peine rentré dans son pays, se voit confisquer son passeport et convoquer à un interrogatoire par les autorités qui l’accusent d'activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. En octobre, il disait: "J’ai l’impression que les autorités iraniennes veulent étouffer le cinéma d’auteur en Iran”.
Cannes n'a peut-être pas les films oscarisables. Mais une chose est certaine, le festival tient son rang dans la liberté de création et la défense d'un cinéma opprimé qui déplaît aux régimes les plus autoritaires et à ceux qui veulent museler la liberté d'expression.
Une Kényane en sélection officielle. C'est une première et cet honneur revient à Wanuri Kahiu, artiste, cinéaste, activiste, auteure née à Nairobi et conteuse multi-supports. Cofondatrice de AfroBubbleGum, une agence qui soutient l'art africain, elle arrive à Cannes avec Rafiki, histoire d'amour tabou entre deux femmes, ce qui lui a déjà valu un sacré buzz pré-cannois: le film a été censuré au Kenya. L'homosexualité n'y est pas vraiment tolérée. Elle revendique la transgression. Consciente de toujours avoir été un mouton noir dans sa famille conservatrice, plutôt ultra-libérale.
A 16 ans, elle décide de devenir cinéaste. Part faire ses études à Los Angeles, apprend le cinéma sur des tournages hollywoodiens. Dès son premier film en 2009, From a Whisper, elle est remarquée, raflant 5 Africa Movie Academy Awards, dont celui du meilleur film. Elle y raconte l'histoire d'une jeune fille qui perd sa mère dans l'attentat terroriste de l'Ambassade des Etats-Unis à Nairobi en 1998. Son père lui ment en préférant lui dire qu'elle a disparu. La jeune fille cherche sa mère partout dans la ville, aidée par un policier qui culpabilise de ne pas avoir arrêté un des auteurs de l'attentat.
Entre traumatismes, mensonges, égalitarisme, féminisme et humanisme, la réalisatrice dessine l'esquisse de son message sur une Afrique ouverte, tolérante et universaliste.
Elle enchaîne ensuite avec un court métrage de science-fiction, Pumzi, une allégorie récompensée à Venise qui se déroule dans une Afrique post-apocalyptique, où elle creuse ce sillon féministe en plus d'affirmer sa sensibilité écologique. Wanuri Kahiu réalise aussi des documentaires pour une série de MNET et écrit deux livres pour les enfants (Rusties, The Wooden Camel).
Depuis la censure qui a frappé Rafiki, elle ne se tait pas. Luttant pour la liberté d'expression, pour la liberté tout court. Cannes va sans aucun doute lui offrir une tribune opportune pour rappeler que l'Afrique se réveille (outre son film, quatre autres films du continent sont sur la Croisette), tout en exposant certains des démons qui la rongent.
Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.
En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.
Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sûr pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.
Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilerons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.
Comment êtes-vous devenu délégué général de la Quinzaine ?
Je dirigeais un ciné-club universitaire à Lille. Ça marchait très bien, j'avais une belle salle en gradins, au CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique) qui dépendait de l'université. J'avais fait venir des metteurs en scène, des membres de la fédération française des ciné-clubs. Mon ciné-club commençait à huit heures et demi et pouvait finir à cinq heures du matin. J'obtenais des copies de la Cinémathèque de Bruxelles grâce à son directeur Jacques Ledoux, Henri Langlois m'en prêtait également. Et j'ai fait venir Jacques Doniol Valcroze, Pierre Kast ou Jean-Daniel Pollet [certains des futurs fondateurs de la SRF], ainsi que Claude Miller avec son premier court-métrage. Quelques metteurs en scène étrangers aussi.
Dès que j'avais un peu de temps, je venais trois ou quatre jours à Paris par semaine. Je passais plus de temps à Paris que sur les bancs de l'université ! Je bouffais du film ! De dix heures du matin jusqu'à 18h, les films de l'actualité au Champo - je m'en tapais quatre-cinq, en bouffant juste un sandwich - et ensuite à 18h30 j'étais à la Cinémathèque et j'enchaînais ensuite deux autres séances. Trois films par soir donc, à Chaillot ou rue d'Ulm. Et là j'apercevais Langlois. Je suis arrivé à Paris, je ne connaissais personne, je ne savais pas comment faire. Je l'aborde et je lui demande de m'aider, car je voulais faire du cinéma. Je lui ai dit «C'est à cause de vous ! J'ai pris le virus chez vous, donc vous êtes responsable, il faut m'aider !» Il me dit «très bien, vous êtes mon chauffeur !». Je suis donc devenu son chauffeur, avec ma deux chevaux, et tous les soirs je voyais des films, tous les soirs, je mangeais avec des metteurs en scène qu'il recevait.
J'ai ensuite téléphoné à Pierre Kast en lui disant que je cherchais du travail, comme assistant. Je n'avais jamais vu une caméra de ma vie ! Il me dit d'appeler Doniol qui s'apprête à tourner et m'engage sans me demander si j'avais fait fait des films. Le tournage du film, La Maison des Bories, est retardé. Après l'affaire Langlois puis la fermeture de Cannes, la SRF s'est créée. En novembre, Doniol me propose le poste. L'idée de me confier la Quinzaine venait de Jean-Gabriel Albococco, c'est clair, net et précis. J'ai dit oui, bien sûr ! Je leur ai raconté que je connaissais Cannes par coeur. Ce n'était pas vrai et je ne suis pas certain que Valcroze m'ait cru, car il était trop malin. J'ai eu carte blanche pour sélectionner les films, qui devaient rendre compte de l'air du temps.
Pierre Kast, Louis Malle et Jean-Gabriel Albicocco en mai 68
C'était un désordre indescriptible, cette préparation ! Il a fallu tout improviser mais c'était rigolo. J'étais aidé d'une petite équipe : Jean-Jacques Schakmundès, un ami qui travaillait avec moi à la télévision scolaire ; Chantal Nicole, alors secrétaire de Jean-Gabriel Albicocco et un jeune garçon de 18 ans, raide fou, mais génial. C'était Richard Dembo qui plus tard aura l'oscar du meilleur film étranger avec La Diagonale du fou. On a beaucoup improvisé. Mais la Quinzaine s'est rapidement structurée entre les deux premières éditions. J'ai vite compris comment ça fonctionnait, Cannes. La première année, nous n'avions qu'une affiche-programme, l'année d'après, j'ai fait un petit catalogue ronéotypé que j'ai distribué moi-même dans les casiers de presse.
Quel a été l'accueil critique de cette première édition ?
Il n'y a quasiment pas eu de critique, presque aucun papier, spécialement dans la presse française. Je me souviens que ce n'est qu'au milieu du festival que j'ai vu arriver un critique français. C'était Jean-Louis Bory. Il vient me dire «je fais un effort, je viens dans ton festival». Il était bronzé comme tout ! Je lui dis « tu vois deux films par jour, et tu as bronzé dans les salles de projection ? Ce n'est que maintenant que tu viens voir mes films ? Tu plaisantes ? ». Ils nous boudaient, ne nous prenaient pas au sérieux. Ou alors ils s'en fichaient, ça les embêtait, je ne sais pas. Jean de Baroncelli, le critique du Monde, a écrit «À la Quinzaine, il paraît qu'il y a eu ça d'intéressant, je ne l'ai pas vu, mais on ne peut pas tout voir». Faut pas déconner ! Ce sont les étrangers qui sont venus les premiers.
Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film
Puisque cette 71e édition nous emmène dans les étoiles avec l’avant-première mondiale de Solo: A Star Wars Story, nouvel épisode de l'univers étendu de la saga Star Wars, présenté hors compétition, et la projection de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick dans une nouvelle copie 70 mm restaurée (sans modification numérique de l'oeuvre de 1968) à Cannes Classics, profitons-en pour un petit tour d’horizon des « Space opéras » qui ont eu les honneurs de la sélection officielle.
Cannes ce n'est à priori pas le lieu où on s'imagine voir un film de vaisseau spatial et de bataille intergalactique, et pourtant certains gros films de science-fiction ont bel et bien décollé depuis la croisette. Retour sur un film longtemps invisible en France, redécouvert à l'occasion de sa sélection à Cannes Classics 2016.
Ikarie xb1 est un film tchèque réalisé par Jindrich Polak en 1963 et considéré par beaucoup comme l’une des sources d’inspiration majeure de Stanley Kubrik pour 2001 l'Odyssée de l’espace (similitude dans les couloirs hexagonaux à l'intérieur du vaisseau, mêmes combinaisons spatiales et propension identique à la géométrie des décors).
En 2163, un équipage d’une quarantaine de personnes met le cap vers Alpha du Centaure (le système planétaire et stellaire le plus proche du nôtre) dans le but de rechercher d’autres formes de vie. L’existence à bord s’organise de manière assez banale, entre repas en commun, bavardages, entraînements sportifs et même une mémorable soirée d’anniversaire pendant laquelle l’alcool coule à flots. Plusieurs incidents viennent malgré tout ponctuer le voyage, comme la découverte d’un vaisseau à la dérive, et la présence inquiétante d’un mystérieux astre.
Tous les archétypes du genre sont ainsi présents, quoique dans un mode minimaliste et une forme d’épure qui est la signature du film. Adapté du roman The Magellanic Cloud de Stanislaw Lem (celui-même à qui l'on doit Solaris), le film propose en effet un voyage intersidéral à la fois dépouillé (le spectateur partage la langueur des personnages, et leur désir qu'il se passe quelque chose) et captivant, puisqu'il emporte son équipage vers une véritable terre inconnue. Jindrich Polak excelle ainsi à faire monter la tension tout en filmant de manière quasi documentaire chaque petit détail du quotidien, notamment les rations alimentaires et les sessions d'entraînement.
On notera également le contexte ultra-humaniste de la mission dont le seul motif est la recherche désintéressée et universaliste d’autres formes de vie dans la galaxie. Mais ce qui frappe peut-être le plus, c'est le pacifisme et la tonalité métaphysique assumée du récit. Une fois encore, le cinéma de genre, et plus particulièrement de science fiction, est parfait pour parler à demi-mot des préoccupations de l’époque, et notamment fustiger les hommes mauvais (certes américains) qui ont tué leur propre équipage dans l'espoir d'assurer leur survie ! L'air de rien, Ikarie XB1 ne cesse de remettre l’Humanité fondée sur le bien (c'est-à-dire unissant tous les hommes de bonne volonté, quels qu'ils soient) au centre de tout.
Pas forcément évident, quand on sait que le film était à l'origine pensé comme un outil de propagande destiné à entériner la suprématie spatiale soviétique face aux Etats-Unis, le tout en pleine guerre froide. C'est d'ailleurs pour cette raison que le film avait bénéficié d'un budget énorme pour l'époque : 6 millions de couronnes, soit trois fois plus que le budget moyen en Tchécoslovaquie dans les années 60.
Présenté au Festival de Trieste en 1963, Ikarie XB1 remporte le Grand Prix ex-aequo avec La Jetée de Chris Marker, mais ne reçoit pas l'accueil escompté dans son propre pays. La reconnaissance est malgré tout venue avec le temps, la principale revue de science-fiction tchèque ayant par exemple été baptisée XB-1 en son honneur.
En France, on découvre le film à la télévision, avant qu'il ne soit remplacé par une version "américanisée" (amputée de dix minutes, doublée en anglais, avec une fin différente). C'est la ressortie en avril 2017, dans une version restaurée, qui ravive le film dans les mémoires cinéphiles (à noter qu'il est également disponible en DVD). Une réhabilitation bienvenue pour une oeuvre intrigante qui, loin d'être un simple objet suranné, exerce sur nous la même fascination que toute épopée spatiale nous emmenant aux confins des étoiles. Avec, en prime, une fin ouverte qui est une ode à l'espoir.
Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.
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Les sélections des trois premières années de la Quinzaine ont dépassé à chaque fois allègrement les 50 longs-métrages. Michel Ciment, déjà présent en 1969, partage ses réserves |dans Positif numéro 107, été 1969] sur cet embouteillage dans un des rares textes de la presse cinéma à l'époque évoquant la première Quinzaine :
«Monsieur Favre Le Bret [alors président du festival] – dans le souci de renouveler sa formule, avait donné plus d'écho à la Semaine de la Critique et encouragé la Société des Réalisateurs de Films à organiser pour la première fois leur propre festival non stop (ou presque) dans un cinéma de la ville. Quelques uns des «saboteurs» de l'an dernier avaient fait amende honorable, parlaient de malentendu, tentaient de se mettre au mieux avec les notables locaux. D'autres entreprenaient cette manifestation parallèle qui avait le mérite de faire découvrir certains films peu connus ou même inconnus. Elle montrait d'une part que la SRF aidait les jeunes réalisateurs, leur fournissait une salle dont la location est coûteuse. Monsieur Favre-Lebret de son côte neutralisait d'éventuels adversaires : chacun y trouvait son compte, sous les couleurs du libéralisme. Il n'est pas sûr que cette initiative ait répondu vraiment à ses buts. Elle n'a pas manqué d'être à son tour une sélection […] alors que son originalité aurait pu être de tout montrer. Mais cette sélection n'a pas empêché la quinzaine d'encombrer un peu plus encore un programme pléthorique (plus de 400 films!). Ne gagnant ni sur le terrain de l'efficacité (comme la Semaine de la Critique qui réussit à imposer la sortie de films et trouve des échos dans la presse), ni sur celui de la doctrine (abolition du choix, présentation libre de tout produit), la Quinzaine de la SRF a certes réussi à montrer beaucoup de films gratuitement à un public nombreux, mais l'écho ne s'en est pas hélas répercuté […]».
Certes, l'écho dans la presse fut léger et certains films ont sombré dans l'oubli (ce qui arrive encore de nos jours) mais cette première édition fut néanmoins un succès, en nombres de spectateurs et dans son rôle dans l'évolution du Festival. Il y a clairement un avant et un après Quinzaine. Les films réunis par Pierre-Henri Deleau témoignent d'une vitalité de courants, de styles et de régions cinématographiques, avec des nouvelles exaltantes venues du Japon, du Brésil, de l'Italie, du Canada, de l'Est, sans oublier la France. La Cinémathèque Française a récemment proposé un fac-similé quasi intégral de la première Quinzaine. Sur les 66 longs présentés en mai 69, 57 étaient à voir ou revoir, accompagnés de seulement 4 des 42 courts-métrages vus à l'époque. Retour sur quelques unes de ces pépites.
Le hasard fait parfois bien les choses
Pour sa toute première programmation à Cannes, Pierre-Henri Deleau, premier délégué général de la quinzaine, a été la victime dans un premier temps de son manque d'expérience. Faute d'avoir signé leur formulaire de visa temporaire d'exploitation, il se retrouve dépouillé de ses deux films d'ouverture, bloqués à l'aéroport. La chance le rattrape vite, un certain Fausto Canel dont le court-métrage Hemingway est présenté à la Quinzaine, vient le voir à la demande de l'ambassadeur de Cuba. Il lui offre sur un plateau d'argent deux films de son pays.
Ce qui aurait pu être un cadeau empoisonné devient un miracle. La Première charge à la machette de Manuel Octavio Gómez est un moment de cinéma comme on voyait alors très peu, malgré les points communs sur la forme avec La Bataille de Culloden de Peter Watkins, tourné en 1964. Les deux films ont en commun d'être mis en scène comme des reportages, caméra à l'épaule, en son direct, avec interviews des protagonistes des deux bords, comme si la caméra avait été effectivement présente sur les champs de bataille pour témoigner de deux conflits bien différents, l'un datant de 1746 et situé en Angleterre, l'autre de la seconde moitié du XIXe siècle. Le procédé du reportage sur le vif facilite l'immersion et l'identification au-delà de ce qui aurait pu n'être qu'un gadget de mise en scène.
Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.
En partenariat avec Critique-Film. Retrouvez tout le dossier ici.
La sélection des films de la Quinzaine des Réalisateurs de l’année dernière avait fait résonner beaucoup de chansons : Jeannette l'enfance de Jeanne d'Arc de Bruno Dumont, Alive in France de Abel Ferrara, Patti Cake$ de Geremy Jasper...
En 2018 donc la Quinzaine des Réalisateurs célèbre sa 50eme édition, un anniversaire qui est aussi l'occasion d'un regard en arrière et surtout d'une écoute des bandes-originales de ces 50 années de cinéma. Certains de ces films sont d'ailleurs intrinsèquement lié à leur musique : Whiplash, Benda Bilili, Interstella 5555, The Virgin Suicides... Voici pour vous notre Playlist des 50 ans de la Quinzaine des Réalisateurs, à écouter en boucle avant son ouverture demain soir !
Par ordre chronologique, depuis la fin des années 60, cette sélection reflète d'ailleurs les styles de musique de leur époque : on y entend du jazz, du blues, de la soul ; et une évolution vers du rock pus agité, de la pop plus dansante, jusqu'à du punk et du hip-hop. Bien entendu, la chanson française est présente, elle aussi dans sa plus large variété : la chanson à texte de Nicole Martin, le spleen planant de Air, l'electro de Daft Punk, une balade mélancolique de Noir Désir, une déclaration romantique à deux voix de Alex Beaupain. Certaines chansons de ces films sont toujours des tubes intemporels et planétaires : The Rolling Stones, Madonna, Abba, Queen...
Cette playlist compte aussi plusieurs chansons qui sont beaucoup plus que de l'illustration ou de l'accompagnement dans le montage du film, certaines sont devenues un élément de narration à part entière. Ainsi, le titre Diamonds de Rihanna devient une fête où les adolescentes se libèrent entre elles du regard des autres dans Bandes de filles, les paroles de Avant la haine de Alex Beaupain sont dans le film Dans Paris un dialogue chanté par Romain Duris et Joana Preiss, dans Sid and Nancy c'est l'acteur Gary oldman lui-même qui chante I wanna be your dog façon Sex Pistols.
A travers les chansons de ces 50 ans de films à la Quinzaine des Réalisateurs, on vous propose un voyage dans le temps avec par exemple Joy Division, T.Rex, Peggy Lee, B.B. King, Chico Buarque, Kraftwerk, Blondie, Bob Dylan, Nat King Cole, Billie Holliday, Leonard Cohen... Mais aussi d'y faire plein de découvertes : on a ainsi déniché des chansons comme You think you're a man de the Vaselines, You belong to me de The Duprees, The Diary de Little Anthony & The Imperials...
On vous invite à écouter cette playlist dans le train ou dans une file d’attente, à la jouer lors d’un cocktail ou d’un blind-test, à la partager avec vos amis de Facebook ou Twitter… et bien sûr à danser dessus !
Playlist concoctée par Kristofy pour Ecran Noir et Pascal Le Duff de Critique-Film, avec la complicité de MpM
Quelques heures seulement avant le début du 71e Festival de Cannes, les organisateurs ont dévoilé la liste complète des jurys pour la Caméra d'or et la section Un certain regard. Et une chose est sûre, les femmes sont une nouvelle fois à l'honneur sur la Croisette. En effet, sur les 12 personnalités qui ont répondu présent, 7 sont des femmes.
Ursula Meier présidente
Il y a quelques jours, la réalisatrice de L'Enfant d'en haut expliquait : "Un premier film, c'est le lieu de tous les possibles, de toutes les audaces, de toutes les prises de risques, de toutes les folies." Pas étonnant dès lors qu'elle soit à la tête du jury qui choisira lequel des 19 films en lice mérite d'être récompensé d'une Caméra d'or. Le verdict sera rendu le samedi 19 mai. Pour rappel, le lauréat succédera à Jeune Femme de Léonor Serraille.
Pour l'accompagner dans sa tâche, Ursula Meier pourra compter sur la réalisatrice française Marie Amachoukeli, la cinéaste franco-américaine Iris Brey, le président de Cinéphase Sylvain Fage, la directrice de la photographie Jeanne Lapoirie et des réalisateurs et scénaristes Arnaud et Jean-Marie Larrieu.
Un certain regard très attendu
Créée en 1978 par Gilles Jacob, cette section parallèle de la sélection officielle favorise depuis toujours les films originaux. Il n'est pas surprenant que Benicio Del Toro succède donc à Uma Thurman en tant que président du jury. Après son Oscar du meilleur acteur pour Traffic (2000), l'acteur portoricain et espagnol a reçu un prix d'interprétation masculine à Cannes pour Che de Steven Soderbergh. C'était en 2008. Depuis, on l'a vu dans Somewhere de Sofia Coppola, Savages d'Oliver Stone, Paradise Lost d'Andrea Di Stefano et Sicario de Denis Villeneuve. Le 27 juin prochain, il sera à l'affiche de la suite : Sicario : La Guerre des cartels.
Réalisatrice et scénariste palestinienne, Annemarie Jacir a déjà marqué la Croisette avec Salt of This Sea (2008), a représenté son pays d'origine avec When I Saw You pour les Oscars 2012 et remué le TIFF avec Wajib (2017). Omniprésente et savoureusement incontournable depuis ses débuts à 13 ans dans Mima de Philomène Esposito, Virginie Ledoyen sera bien plus que la caution charme de ce jury. Vue dans La Plage de Danny Boyle et Huit Femmes de François Ozon, elle est actuellement à l'affiche de MILF d'Axelle Laffont.
Directrice exécutive du Festival du Film de Telluride, Julie Huntsinger a les mains dans la production cinématographique depuis 1993. Pour la petite anecdote, elle a étudié la littérature française et l'histoire de l'Art à l’Université de Berkeley (Californie) et demeure un gage de qualité au niveau du palmarès. Enfin, pour clore ce jury, un deuxième homme : le réalisateur russe Kantemir Balagov. Âgé de 26 ans, il a déjà remporté un prix FIPRESCI l'an dernier à Cannes pour son premier film, Tesnota (Une vie à l'étroit). Son prochain film traitera de femmes-soldats au sortir de la Seconde guerre mondiale. Vous l'aurez compris : sa carrière est à suivre de près !
C’est souvent le parent pauvre du festival, et cette année n’y fait pas complètement exception. Certes il y a de l’animation sur la Croisette. Mais trop souvent, on a l’impression que la sélection des films d'animation répond à une concession faite au genre et à ses défenseurs plus qu'à un véritable choix de programmation.
N’incriminons pas la Semaine de la Critique, qui pour la 2e fois consécutive propose un long métrage d’animation en compétition : Chris the swiss d'Anja Kofmel (1 sur 7, c’est un bon ratio s’il faut penser en termes purement numériques). On se réjouit de cette nouvelle "tradition" instaurée par la Semaine, et qui est un exemple à suivre pour l'ensemble du festival. Incriminons encore moins la Quinzaine des réalisateurs qui a elle sélectionné deux longs métrages en compétition : Mirai de Mamoru Hosoda et Samouni Road, un documentaire de Stefano Savona en partie animé par Simone Massi.
En revanche, on a le droit d’être un poil déçu par la place réservée par l’officielle à Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow, son seul long métrage d’animation : une simple séance spéciale. Difficile de ne pas y voir une manière de reléguer l’animation à un créneau pas trop voyant, sans grand enjeu, tout en neutralisant les éventuelles critiques sur l’absence d’animation. Ceci dit, on se réjouit sincèrement de la présence de ces quatre longs métrages sur la Croisette.
D'autant qu'il faut aussi souligner la belle place réservée à l’animation par les sections courts métrages, à savoir 8 films répartis entre la Semaine de la Critique, la Quinzaine des Réalisateurs, la compétition officielle de courts métrages et la Cinéfondation, la compétition des films d'école.
Enfin, plusieurs événements consacrés à l'animation se tiennent en parallèle du Festival. Au Marché du Film, les plus chanceux pourront par exemple découvrir certains des projets les plus attendus de l'année. Une "journée de l'animation" est également organisée, comme chaque année. Enfin, pour la troisième année consécutive, l'opération "Annecy goes to Cannes" se tiendra le 11 mai, avec la présentation de cinq projets de longs métrages en work in progress.
Petit guide en 12 étapes pour voir la vie cannoise en version animée.
Another day of life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow (Espagne / Pologne)
Long métrage d’animation parmi les plus attendus de l'année, A,other day of life est l’adaptation dans une forme hybride (animation, images d’archives, témoignages) du livre de Ryszard Kapuscinski, reporter de guerre pris dans la guerre civile en Angola. Lorsque commence le film, l’Angola vient de recouvrir son indépendance et deux factions se font face (MPLA et UNITA). Kapuscinski implore les autorités de le laisser rejoindre la ligne de front, et finira par être exaucé. On le suit dans ce périple périlleux et fou, tandis qu'en parallèle, des témoignages ou des images d'époque viennent compléter le récit, ou lui apporter un contrepoint. Une oeuvre historique et politique comme le festival en raffole, sur un conflit du XXe siècle souvent méconnu.
Chris the swiss d'Anja Kofmel (Suisse)
Tourné dans un somptueux noir et blanc ultra-contrasté, Chris the Swiss mêle film documentaire et images d'archives pour raconter l'histoire vraie de Chris, un reporter de guerre suisse retrouvé mort en Croatie en janvier 1992, après avoir rejoint une milice internationale d'extrême droite impliquée à la fois dans la guerre en Yougoslavie et dans des trafics de toutes sortes.
Anja Kofmel, qui est la cousine de Chris, propose à travers le film une plongée brutale dans le contexte de cette guerre sanglante en même temps qu'une enquête intime et personnelle pour comprendre ce qui est, réellement, arrivé au jeune homme. Ainsi, elle se met en scène, ainsi que certains membres de sa famille, afin de dresser le portrait le plus juste de Chris. En parallèle, on suit le jeune homme en Yougoslavie, au contact de ceux qui l'entraîneront dans les rangs du "First International Platoon of Volunteers".
Mirai de Mamoru Hosoda (Japon)
Kun est un petit garçon à l’enfance heureuse jusqu'à l’arrivée de Miraï, sa petite sœur. Jaloux de ce bébé qui monopolise l’attention de ses parents, il se replie peu à peu sur lui-même, jusqu'au jour où il découvre un univers fantastique où se mêlent le passé et le présent. Le nouvel opus de Mamoru Hosoda, à qui l'on doit notamment Le garçon et la bête, Les enfants loups ou encore Summer wars, s'annonce comme une oeuvre familiale aux thèmes universels et aux graphismes chaleureux et doux. A retrouver également en compétition à Annecy.
Samouni Road de Stefano Savona (Italie)
Ce documentaire de Stefano Savona, en partie animé par Simone Massi, a été tourné dans la périphérie rurale de la ville de Gaza City. La route du titre tire son nom de la famille élargie Samouni, une communauté de paysans miraculeusement épargnée par soixante ans d’occupations et de guerres jusqu’en janvier 2009. Le film suit les survivants de la famille lors d'une fête qui est la première depuis la dernière guerre. Les séquences animées permettent de donner vie aux souvenirs des protagonistes qui tentent de se reconstruire.
III de Marta Pajek (Pologne)
D'abord, il faut savoir qu'il existe un II (Impossible figures and other stories II) mais pas (encore ?) de I. Le comité court de la sélection officielle a été bien avisée de sélectionner le nouveau film de cette réalisatrice surdouée qui propose des films métaphysiques épurés et minimalistes. Après avoir invité le spectateur à sonder les méandres de son propre labyrinthe intime, elle propose cette fois une drôle de plongée dans le tourbillon de la séduction et de l'amour véritablement charnel.
La chute de Boris Labbé (France)
Un seul court métrage d'animation à la Semaine, mais très attendu puisqu’il s’agit du nouveau film de Boris Labbé ! Après Orogenesis dont on vous a souvent parlé, le réalisateur revient avec une œuvre-somme qui lui a été inspirée par la lecture de Dante, et qui convoque à la fois l’histoire de l’art (de Jérôme Bosch à Henry Darger) et celle de l’Humanité. Hypnotique et hallucinatoire, porté par la musique envoûtante et complexe de Daniele Ghisi, le film s'annonce comme un prolongement du travail du réalisateur autour des motifs de la boucle, la prolifération, la multiplication, la contamination, la métamorphose...
Inanimate de Lucia Bulgheroni (Royaume-Uni)
Katrine a une vie normale, un travail normal, un petit-ami normal et un appartement normal dans une ville normale. C’est ce qu’elle pense en tout cas, jusqu’au jour où tout tombe en morceaux, au sens propre du terme. Un film de fin d'études en stop-motion, sur un sujet intime et sensible.
Inny de Marta Magnuska (Pologne)
En attendant l’arrivée d’un mystérieux nouveau venu, les gens essayent de deviner qui il est. L’image floue de l’étranger prend forme, de façon à rendre sa présence presque réelle. Mais l'excitation initiale de la foule tourne à l’angoisse. L'animation (minimaliste et glacée) est à la hauteur de la tension anxiogène que dégage peu à peu le récit, entre étude des foules galvanisées par le seul sentiment du collectif et dénonciation des préjugés les plus sombres.
Ce magnifique gâteau de Emma de Swaef et Marc Roels (Belgique)
Six ans après leur acclamé court métrage Oh Willy, Emma de Swaef et Marc Roels sont de retour avec un moyen métrage de 44 minutes qui fera nécessairement figure d'OVNI sur la Croisette. D'autant que ce film en stop-motion qui met en scène des figurines duveteuses et minimalistes parle avec cynisme et humour noir de la colonisation en Afrique. Vraisemblablement l'un des films-événements de l'année dans le monde de l'animation. Heureusement, pour ceux qui le rateraient à Cannes, il sera présenté en séance spéciale à Annecy.
La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel (France)
Agathe, bientôt 40 ans, va retrouver son ex, Marc-Antoine, avec la ferme intention de le séduire à nouveau, afin d'avoir un enfant avec lui. Mais dans l'ombre, les sacs plastiques attendent leur heure... Un film de genre, en animation 2D sur fond de prises de vues réelles, qui se moque à la fois de la notion de couple et du cinéma bis, tout en proposant une nouvelle genèse aussi loufoque qu'irrévérencieuse. Le tout par gabriel Harel, réalisateur de l'acclamé Yul et le serpent.
Sailor's delight de Louise Aubertin, Éloïse Girard, Marine Meneyrol, Jonas Ritter, Loucas Rongeart, Amandine Thomoux (France)
Une sirène essaye de séduire deux marins et se retrouve prise à son propre piège. Un film d'étudiants en 3D qui détourne les codes du genre pour une démonstration technique et visuelle classique mais prometteuse.
Le Sujet de Patrick Bouchard (Canada)
Un corps inanimé sur une table de dissection, une structure métallique, du sang. Patrick Bouchard découpe et sonde le moulage de son propre corps pour une introspection intime sidérante. Réalisé en volume et en pixilation, Le sujet est une expérience cinématographique intense et complexe qui emmènera chacun aux plus profond de lui-même.
Il n'y a pas que Penelope Cruz, Javier Bardem et Ricardo Darin au générique du nouveau film, Everybody Knows, de Asghar Farhadi, qui ouvre la compétition cannoise cette année. On y trouve, parmi de multiples acteurs hispanophones, Barbara Lennie, en épouse de Javier Bardem.
La comédienne madrilène se paye même le luxe d'être à l'affiche de Petra, de Jaime Rosales, qui sera présenté à la Quinzaine des réalisateurs jeudi.
A 34 ans, Barbara Lennie connaît déjà un peu Cannes. Elle était Cristina dans La piel que habito de Pedro Almodovar (2011), dans un petit rôle de vendeuse lesbienne. Il faut pourtant remonter à 2005 pour trouver les premières traces de sa reconnaissance, qui font d'elle, aujourd'hui, l'une des plus talentueuses comédiennes de son pays. Obaba, le village du lézard vert de Montxo Armendáriz, est un drame rural initiatique qui lui fait obtenir sa première nomination aux Goyas (catégorie révélation). Son premier grand prix d'interprétation (San Jordi Award), elle le reçoit en 2010 pour le thriller Los condenados d'Isaki Lacuesta, film récompensé par la critique à San Sebastian.
Elle devient omniprésente. Au théâtre, elle remporte un gros succès avec la pièce La función por hacer, jouée trois saisons, et Veraneantes, pour laquelle elle sera distinguée par un prix. Sur le petit écran, elle brille dans trois longues séries, Cuenta atrás (2007-2008, 29 épisodes), Amar en tiempos revueltos (2009-2010, 139 épisodes) et Isabel (2011-2013, 12 épisodes), qui la rendent très populaire.
Au cinéma, deux films sortis en 2014 font grimper sa cote: El nino de Daniel Monzón, qui lui vaut une deuxième nomination aux Goyas (catégorie second-rôle, on progresse) et Magical Girl (La niña de fuego) de Carlos Vermut, où elle incarne une belle femme vénéneuse et psychologiquement instable dans un jeu d'échecs fatal. Cette fois-ci elle gagne le Goya de la meilleure actrice. Elle sera de nouveau nommée aux Goyas en 2016 avec Maria (y los demas) de Nely Reguera, avec un personnage de trentenaire confrontée au mariage de son vieux père avec son infirmière.
Les films s'enchainent, comédie, drame ou thriller (Contratiempo aka L'accusé est une pépite dans le genre). En France, elle est actuellement en tête du générique de Notre enfant de Diego Lerman, où, prête à adopter l'enfant qui lui était promis, elle doit se confronter à la mère biologique. Agustin Diaz Yanes l'a enrôlée pour son film d'aventures Oro, six fois nommé aux Goyas cette année, au pitch assez proche de Lost City of Z. A Tribeca cette année, elle était le premier rôle de La enfermedad del domingo de Ramon Salazar, qui en faisait une mère retrouvant sa fille durant deux semaines, après trente ans de séparation.
Malchanceuse (au cinéma) côté vie familiale ou vie de couple, elle réussit un parcours sans faute jusqu'à présent, jamais là où on l'attend, préférant les femmes un peu dérangées aux protagonistes trop sages. Cela ne l'empêche pas d'être glamour. Sur les tapis rouges, elle sait briller, même en pantalon (elle est souvent "shootée" en fute). Barbara Lennie est bien l'actrice espagnole à suivre de près.
Palme d’or en 1978 avec I, le cinéaste italien Ermanno Olmi est mort dans sa 87e année le dimanche 6 mai.
Documentariste, réalisateur de plus de quarante courts métrages, ce géant du cinéma italien, intellectuel rigoureux et autodidacte, avait créé une œuvre aussi sensible que poétique sur les liens entre l’Homme, la foi, le travail et la nature.
Né le 24 juillet 1931, il a réalisé une quarantaine de courts métrages et une vingtaine de longs métrages. Outre sa Palme d’or et le César du meilleur film étranger pour L’Arbre aux sabots, il a reçu le Lion d’or à Venise pour La légende de saint Buveur (1988), un récit sur la rédemption, thème central de sa filmographie, et un Lion d’argent pour Longue vie à la signora (1987). Venise lui a également décerné un Lion d’or d’honneur en 2008. Pour Le métier des armes, en 2001, il avait obtenu une nomination du meilleur réalisateur aux European Film Awards.
L’arbre aux sabots reste son œuvre majeure. Ce portrait ultra-réaliste de familles de paysans misérables de la fin du XIXe siècle affirmait un style entre fiction et documentaire, ethnologie et Histoire, croyances (il est né dans une famille très catholique) et souffrances.
Transmettre
Alors qu’il n’a jamais achevé ses études, il effectue parallèlement des courts d’art dramatique et un travail de divertissement du personnel dans l’entreprise de sa mère. C’est aussi là qu’il fait ses premiers pas derrière la caméra, en filmant l’outil industriel. Cela influe sur ses documentaires, réalisés pour une grande partie entre 1953 et 1961, où la condition du travailleur reste au centre de son cadre et l’humanisme qui s’en dégage traversera tous ses films.
Cette envie de tisser un lien social par l’intermédiaire du cinéma se retrouve aussi dans son engagement personnel, sa volonté d’être pédagogue et son envie de construire des ponts entre les tradition et le futur. Il créé ainsi en 1982 une école, Ipotesi cinéma, pour des aspirants cinéastes. Eloigné par la maladie des plateaux, il revient aussi au cinéma la même année avec A la poursuite de l’étoile, son premier film post-Palme d’or.
Cela reste un réalisateur rare. Avant L’arbre au sabot, entre 1959 et 1973, il avait réussi à enchainer 9 longs métrages, dont Le temps s’est arrêté, L’emploi, Les fiancés, Un certain jour et L’or dans la montagne. Après ses films primés à Cannes et Venise espacés sur dix ans, il ne signe que deux films dans les années 1990. Il revient avec plus d’assiduité dans les années 2000 : outre Le métier des armes, il réalise En chantant derrière les paravents, œuvre toute aussi abrupte et hermétique que la précédente, Tickets (coréalisé avec Abbas Kiarostami et Ken Loach), Centochiodi, Le village de carton et en 2014 Torneranno i prati, son ultime film, plongeant dans les massacres de la première guerre mondiale.
Une foi en solitaire
Ce solitaire qui filmait de près les mains, les muscles, les visages, les regards, tout comme l’épuisement ou la douleur, était un cinéaste expressionniste finalement. Mais avant tout il était en quête d’une authenticité. Aussi bien celle des gestes que celle du langage, aussi bien celle du temps (qui pouvait s’étirer) que celle des sentiments (jamais forcés). Cela explique cette poursuite d’un cinéma-vérité (il employait régulièrement des acteurs non professionnels) et une consécration d’un formalisme minimaliste. Pourtant ses films ne sont pas déniés de lyrisme. Cependant son approche à la fois socialiste (en se focalisant sur les métiers écartés par le progrès) et spiritualiste a souvent troublé ses rapports avec l’intelligentsia italienne, qui trouvait ses films trop teintés de christianisme. C’est aussi ce qui détonne par rapport aux néoralistes italiens : Olmi ne rejetait pas la transcendance. L’Arbre aux sabots, où la grâce élève de leur boue les paysans de Bergame, est à ce titre un film qui va à rebours des tendances de l’époque, soit la déchristianisation d’une société post-industrielle et consumériste.
En évoluant vers un cinéma de contes et de métaphores à partir des années 1980, Ermanno Olmi, choisit des fresques historiques, soignées, mêlant des reconstitutions plus véridiques que jamais et des interrogations sur les racines de notre monde contemporain en explorant des grands faits historiques (et leurs batailles).
Olmi n’a jamais voulu suivre les modes. Expérimentateur et observateur, il avait tracé son sillon singulier dans l’histoire du cinéma, quitte à assumer sa marginalité, à l’écart du public.