Tarak Ben Ammar cherche-t-il à se racheter avec un film sur Mohamed Bouazizi?

Posté par vincy, le 10 février 2011

Le producteur de cinéma tunisien Tarak Ben Ammar a annoncé qu'il préparait un film sur le jeune Tunisien Mohamed Bouazizi, dont l'immolation par le feu a déclenché les révoltes conduisant à la chute du régime du président Zine El Abidine Ben Ali. Alors qu'il produit actuellement La soif noire, dont le tournage vient de s'achever en Tunisie, Ben Ammar est suspecté d'avoir fricoté d'un peu trop près avec l'ancien régime du dictateur (voir actualité du 19 janvier).

En lançant un projet 100% tunisien autour du héros de la "révolution de jasmin", Ben Ammar cherche-t-il à se racheter ou n'est-ce-qu'une opportunité pour remettre le cinéma tunisien sur la carte de la planète du 7e art? Le film sera réalisé par le cinéaste tunisien Mohamed Zran (Le casseur de pierres, sélectionné à Un certain regard à Cannes en 1990). Selon lui, cela ne peut-être qu'un film fait par des tunisiens. Comme on doute de la sincérité des intentions du producteur, on serait tenté de croire qu'opportunisme rime avec nationalisme.

L'événement a beau dater de décembre, l'écriture du scénario, une adaptation libre, donc très romancée, serait déjà en cours. Profiter de l'émotion devient un leitmotiv pour le cinéma. Des mineurs chiliens à l'affaire Bettencourt, le 7e art ne se laisse même plus le temps de prendre un peu de distance avec l'Histoire.

Le tournage devrait commencer en mai sur les lieux même du suicide de Mohammed Bouazizi. C'est à Sidi Bouzid, au centre du pays, que le 17 décembre un jeune vendeur de fruits et légumes, Mohammed Bouazizi, s'est immolé par le feu après une énième humiliation policière, marquant le déclenchement de la révolution tunisienne qui a culminé avec la fuite de Ben Ali le 14 janvier.

Ben Ammar, sans doute pour anticiper ses futurs rapports avec les autorités tunisiennes, cherche à séduire le peuple. Il déclare à l'AFP que "les recettes du film iront à sa famille et ses descendants à vie. Ce film est une manière de rendre son nom universel, d'en faire un symbole".

"Je veux produire ce film afin que nos enfants n'oublient pas la révolution et son symbole qui n'est ni un homme d'affaires, ni un intellectuel, mais un simple citoyen", ajoute le producteur.

À coup sûr, le film sortira le 17 décembre 2011, en guise d'anniversaire. Rien de mieux pour le marketing.

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La vie de Mohamed Bouazizi (wikipédia)

Berlin 2011 a du cran en ouvrant avec True Grit un Festival pressenti austère…

Posté par MpM, le 10 février 2011

Berlin 11C'est True Grit d'Ethan et Joël Coen qui lancera ce soir les festivités du 61e Festival de Berlin. Le film, qui sortira en France le 23 février, réunit Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin et la toute jeune Hailee Steinfeld dont c'est le premier rôle au cinéma.

Il s'agit de l'adaptation (relativement fidèle) par les frères Coen du roman culte de Charles Portis (True grit, 1968) qui raconte comment la jeune Mattie Ross remue ciel et terre pour venger la mort de son père, embarquant dans une aventure périlleuse un shérif fédéral porté sur la boisson et un Texas Ranger aux airs de boyscout.

En 1969, Henri Hathaway s'était emparé de l'histoire pour en faire Cent dollars pour un shérif, qui valut à John Wayne son unique Oscar du meilleur acteur. Une version qui gommait sensiblement le point de vue de sa jeune héroïne (et tout le décalage satirique qui en découle) et s'inscrivait assez classiquement dans les codes du western traditionnel. Pour les curieux ou les nostalgiques, le film est disponible en version Blu-Ray depuis le 8 février.

Sorti le 22 décembre aux USA, le film des frères Coen connaît quant à lui un énorme succès public. Avec plus de 150 millions de dollars engrangés, il a déjà rapporté quatre fois son budget. C'est déjà deux fois plus que No country for old men (4 Oscar en 2008, dont meilleur film et meilleurs réalisateurs) pendant toute sa période d'exploitation. Sans compter que True grit pourrait créer la surprise lors des Oscars 2011 où il est nommé dans dix catégories dont meilleur film, meilleurs réalisateurs, meilleur acteur et meilleur adaptation. Quel que soit le résultat, le film est déjà un gigantesque succès (156 millions de $ en Amérique du nord), et Berlin a eu du nez de le sélectionner... et de la chance de l'obtenir !true Grit

D'autant que cette ouverture prestigieuse ne semble pas tellement à l'image du reste de l'édition, qui fait la part belle à un cinéma d'auteur exigeant et peu médiatisé. Même le cinéma américain est surtout présent avec des films indépendants et des premiers films. Pour les avant-premières "glamour" ou attendues, il faudra repasser.

Pourtant, on a dû mal à croire que Berlin, l'un des trois plus grands festivals européens, n'ait pas eu la possibilité de sélectionner de "gros films" parmi les sorties du premier trimestre. On pense par exemple à The Adjustment Bureau avec Matt Damon, qui sort le mois prochain en France. Il faut donc probablement voir dans cette orientation de la programmation une volonté de Berlin de se démarquer de ce type de cinéma qui, il est vrai, n'a pas particulièrement besoin d'un festival (aussi important soit-il) pour se lancer en Europe.

En attendant, cette 61e Berlinale s'annonce d'autant plus excitante que l'on a le sentiment, à quelques heures de son ouverture, que la compétition est très ouverte, laissant une place importante aux surprises et aux découvertes. N'est-ce pas tout ce qu'on demande d'un festival ?

Vesoul 2011 : interview de Kim Dong-ho, créateur du festival de Pusan

Posté par kristofy, le 10 février 2011

Kim Dong-hoKim Dong-ho (à gauche, et ci-dessous avec Jean-Marc Thérouanne, délégué général du Festival)  a reçu du 17ème FICA de Vesoul un Cyclo d’Or d’honneur pour ses actions pour la promotion du cinéma. Il est notamment l'un des membres fondateur du NETPAC (Network for the Promotion of Asian Cinema) en 1990. D’ailleurs, chaque année à Vesoul, il y a un jury du NETPAC (cette année le président est Dharmasena Pathiraja).

Kim Dong-ho est aussi et surtout le Directeur honoraire du Festival International du film de Pusan en Corée du Sud. Ce festival né de son initiative est devenu le plus important festival de cinéma en Asie à la fois en tant que marché du film et en tant qu’espace de découverte de nouveaux talents. L’occasion d’une interview pour évoquer près de 60 ans d’histoire du cinéma coréen.

Ecran Noir : Présentez-nous le festival de Pusan…

Kim Dong-ho : Le festival de Pusan a été créé en 1996, c’est un festival international qui présente des films du monde entier, et en particulier qui fait découvrir aussi un très large panorama de films asiatiques. L’année dernière, nous avons montré à Pusan 304 films. Ce festival a aussi mis en place un système de soutien aux jeunes cinéastes et jeunes producteurs.

EN : Dans les années 1960, il y a eu un mouvement de renaissance du cinéma coréen, puis une tendance inverse dans les années 1970, que s’est-il passé ?

Kim Dong-ho : Il est vrai qu’entre 1956 et la décennie des années 60, il y a eu un âge d’or du cinéma coréen avec des cinéastes très talentueux, comme Kim Su-yong. A partir des années 70, on peut dire en effet qu'on a connu une régression de notre cinéma à cause de plusieurs facteurs. Tout d’abord avec l’apparition de la télévision, le cinéma coréen a perdu beaucoup de spectateurs, une tendance dans le monde entier d’ailleurs. Ensuite, on peut penser évidement aux censures exercées par le gouvernement de l’époque, la censure était particulièrement sévère pendant les années 70 et aussi les années 80. Cette censure avait pour effet une non-liberté dans le choix des sujets, de plus la liberté d’expression en général était réduite.

EN : Comment le cinéma coréen est devenu ces Kim-Dong-ho
dernières années non seulement un géant du cinéma asiatique mais aussi mondial ? avec Park Chan-wook, Bong Joon-ho, Kim Ki-duk, Lee Chang-dong, Kim Jee-woon…

Kim Dong-ho : A partir de 1995, on peut parler de la deuxième renaissance du cinéma coréen, avec la combinaison de plusieurs facteurs qui ont été bénéfiques. Déjà, il y a eu une abolition de la censure, les cinéastes ont eu la liberté de choisir de traiter le sujet qu’ils voulaient. Ensuite, il y a eu aussi un système d’aides de l’état avec des subventions pour la production des films. Et surtout ces conditions ont encouragé des jeunes cinéastes à prendre la relève et à participer à faire du cinéma coréen leur cinéma. Vers la fin des années 90, diverses insitutions se sont engagées pour la promotion et la diffusion du cinéma coréen, bien entendu il y a le festival de Pusan mais aussi le KOFIC (Korean Film Council, équivalent à notre CNC). Une chose intéressante est que notre patrimoine cinématographique n’est pas oublié avec par exemple l’organisation de rétrospective des films des années 60. Le film La Servante de Kim Ki-young qui date justement de 1960 a été restauré et a de nouveau été un succès en salles (d’ailleurs en sélection Cannes Classics en 2008). C’est un classique qui a aussi fait l’objet d’une nouvelle version par Im Sang-soo : The Housemaid était à Cannes en 2010.

EN : Les screen quotas en Corée ont connu quelle évolution ?

Kim Dong-ho : Le système de screen quotas a en fait commencé durant les années 70, ce système a été créé pour protéger la part de marché du cinéma coréen face aux films occidentaux et notamment américains. En 1984, les distributeurs américains ont obtenus plus de liberté en pouvant distribuer eux-mêmes leurs films en Corée sans passer par l’intermédiaire d’un distributeur coréen, à partir de ce moment-là le gouvernement a renforcé le système de screen quotas. Il s’agissait d’imposer un nombre de films coréens dans les salles de cinéma pour éviter trop de films étrangers et ainsi soutenir notre production. Ce quota était de 146 jours par an. Mais en 2004, un nouveau gouvernement en Corée a cédé à la pression des Etats-Unis qui veulent que leurs films américains occupent le maximum d’écrans, le screen-quota a donc été réduit à la moitié, soit 73 jours par an. Cette réduction a provoqué des inquiétudes pour le cinéma coréen… Cependant, en même temps, notre cinéma a gagné en compétences et en talents, alors cet assouplissement des screen quotas a eu peu d’influence car les films coréens rencontrent par leurs qualités des grands succès en salles et en même temps aussi à l’international.

 Merci à Cho Myoug-jin pour la traduction.

Crédits photos Christophe Maulavé & Michel Mollaret