Cannes 2013 : où sont les femmes ? – Monsoon shoutout

Posté par MpM, le 19 mai 2013

moonsoon shootoutDans Monsoon shootout d'Amit Kumar, en séances spéciales à Cannes pour célébrer le centenaire du cinéma indien, un jeune policier est confronté à un dangereux tueur lors de sa première enquête sur le terrain. Durant ses investigations, il croise cinq personnages féminins qui se définissent tous par leur fonction plus que par leur personnalité. Il y a la mère du héros, sa petite amie, la responsable de sa division, l'épouse du tueur ainsi que sa maîtresse, qui est par ailleurs une prostituée. Très classiquement, la femme n'existe que dans sa relation à un homme.

D'ailleurs, aucune de ces femmes n'a de rôle véritablement important dans l'intrigue en elle-même. La figure maternelle est uniquement là pour mettre en garde le personnage principal contre ce qui l'attend. La petite amie est décorative (et sert selon les variantes de l'histoire de récompense pour avoir bien agi, ou de punition dans le cas contraire). L'épouse du tueur est une victime-type : son mari la bat, le Roi du taudis et les policiers veulent la violer. La maîtresse du tueur est ce qui se rapproche le plus de la femme fatale traditionnelle, mais sans grande venimosité. Elle aussi est purement décorative, soumise au désir commun de tous les hommes qu'elle rencontre.

La chef est quant à elle brossée à grands traits mais s'avère la plus ambiguë de toutes. Elle est la preuve que l'ambition et la corruptibilité ne sont pas l'apanage des hommes. De même, la petite amie se retrouve incidemment être médecin et avoir étudié à Londres. Des éléments contextuels relativement maigres, mais qui constituent une tentative louable de contrebalancer la caricature induite par le triptyque mère/épouse/maîtresse.

Curieusement, alors que la plus grande réussite du film est de dresser un portrait saisissant du contexte sociale et politique indien, il peine pourtant à s'extraire plus que ça des clichés dès lors qu'il s'agit des personnages et des relations qui les unissent. Cela dit, à la décharge du réalisateur, les protagonistes masculins ne sont pas franchement mieux traités, qui sont eux aussi de véritables stéréotypes ambulants dépourvus de toute subtilité.

Cannes 2013 : la 1ère Assemblée des Cinéastes s’interroge sur la production indépendante

Posté par kristofy, le 19 mai 2013

Assemblee cineastesLe thème de la 1e assemblée des cinéastes était "Comment faire des films indépendants aujourd’hui ?" et chacun a évoqué les différentes démarches possibles pour trouver un financement pour produire un film.

Rien de bien nouveau : ce sont les habituelles sources qui ensemble forment une coproduction. La question était en fait mal formulée à la base, rien n’empêche vraiment de produire des films indépendants et c’est souvent même plus facile que des films à gros budgets. Du coup le débat était biaisé et sans véritable dialogue.

Le panel de cinéastes (réalisateurs et producteurs) réunis était lui bien trouvé, tous d’âge et de pays différents : Raoul Peck (parrain du pavillon du monde), Joachim Trier, Costa Gavras, Anurag Kashyap (dont on a vu Ugly à la Quinzaine), et Amat Escalante (dont on a vu Heli en compétition).

Extraits choisis :

- Raoul Peck : Quel que soit le pays, préserver l’œuvre que l’on a en tête est un combat ou au moins une tension. Aux Etats-Unis, le dénommé "cinéma indépendant" n’est pas si indépendant que ça quand on regarde ses sources de financement, et on peut y voir des exigences parfois communes à celles des films de studios. En France il y a plusieurs types de cinémas qui vivent ou survivent en parallèle, et la question de l’utilisation de fonds publics est posée.

- Costa Gavras : Le système français est en grand danger actuellement. Il fonctionne sur les mots "exception culturelle". [Une pétition de plus de 5000 signatures est d'ailleurs adressée aux députés européens pour défendre les principes de l’exception culturelle.] C’est l’Etat qui prend en main le financement de la Culture, dont le cinéma. Ce système est actuellement mis en cause dans les négociations commerciales entre les Etats-Unis et l’Europe. Les autorités politiques françaises sont avec nous cinéastes, mais ce n’est pas le cas de beaucoup de pays européens. En Corée ils avaient établis un système de quotas de jours d’exploitation de films coréens, et alors il y a eu un vrai cinéma coréen intéressant qui a d’ailleurs circulé à travers le monde. Cet accord a ensuite été revu à la baisse sous l’influence américaine, et du coup le nombre de films produits en Corée a baissé car moins de possibilité d’être distribué face à la part de marché grandissante des films américains.

- Joachim Trier : J’ai réalisé deux films en Norvège, c’est presque la banlieue de l’Europe. On a une tradition cinématographique plutôt récente, avec depuis environ une quinzaine d’années un système d’aide à la promotion de notre cinéma. Pour l’indépendance, il faut simplement distinguer l’argent bon à prendre et l’argent qui va nuire au projet. Tout dépend de la source ou des partenaires. On peut aussi baratiner des financiers comme on peut le faire avec des acteurs parfois, les faire s’engager sur le projet et puis faire de toute façon le film que l’on veut au final.

- Anurag Kashyap : Le contexte indien est spécifique, avec environ 1000 films produits chaque année et une part de marché de 90% environ. La liberté est de faire le film que l’on veut. On ne peut travailler de façon libre que s'il y a peu d’argent en jeu. Par exemple, il m’arrive de choisir des nouveaux visages dans la rue pour beaucoup de rôles. Il faut rester fidèle à ce que l’on veut faire. L’étape suivante est que le film soit vu par des spectateurs, avec un de mes films je me suis rendu compte qu’il n’intéressait pas le public indien mais par contre beaucoup plus le public des autres pays.

- Amat Escalante : Au Mexique, il n’y a pas vraiment de cinéma indépendant face à un autre cinéma, tous nos films sont indépendants en quelque sorte, surtout vis-à-vis du cinéma américain. Aujourd’hui au Mexique, il y a un nouveau système de taxes, des entreprises peuvent verser 10% de leurs impôts à un fond pour le cinéma, c’est plutôt bien. Pour mettre en route mon film Heli ça m’a pris 5 ans passés à envoyer mon scénario à différents endroits pour obtenir des fonds.

Cannes 2013 : les télex du marché (3) : Maya l’abeille, Cantet, Assayas, Brosnan et Kurylenko

Posté par vincy, le 19 mai 2013

Petite oui mais espiègle. Maya l'abeille, le dessin animé japonais culte apparu en 1975 sur les petis écrans, et à l'origine le livre de l'Allemand Waldemar Bonsels publié en 1912, va devenir une héroïne de cinéma. La coproduction germano-australienne de 18 millions d'€ est en en développement dès la semaine prochaine pour une sortie programmée à l'automne 2014.

Vamos a Cuba. Laurent Cantet revient dans les Caraïbes. Après Haïti pour Vers le sud, le réalisateur d'Entre les murs, qui sort d'un échec (Foxfire), installera ses caméras à Cuba pour Vuelta a Itaca. Le scénario, en espagnol, a été coécrit par Cantet et le romancier Leonardo Padura. Le film raconte le retour d'Amadeo à La Havane, après 16 ans d'exil. L'homme partage ses souvenirs sur une terrasse de la ville cubaine. Vuelta devrait être en production d'ici la fin de l'année.

L'espion est de retour. L'ancien 007 Pierce Brosnan et Olga Kurylenko (ex-James Bond Girl aux côtés de Daniel Craig) partageront l'affiche de November Man, thriller d'action réalisé par Roger Donaldson. En cas de succès, cela pourrait donner lieu à une franchise. Il s'agit de l'adaptation du 7e volume, "There are no Spies" de la série Un nommé Novembre de Bill Granger. La CIA et un complot international seront au rendez-vous de ce film qui commence son tournage cette semaine.

Olivier et Juliette. Olivier Assayas s'apprête à tourner cet été Sils Maria en Allemagne, Suisse et Italie. Juliette Binoche, Chloë Moretz, Daniel Brühl et Tom Sturridge seront à l'affiche de ce film de genre coûteux (25 millions d'euros), en anglais. Binoche avait déjà été filmée par Assayas dans L'heure d'été. Il devrait être prêt pour le printemps prochain : pour Cannes 2014?

Cannes 2013 : Qui est Alex van Warmerdam ?

Posté par MpM, le 19 mai 2013

Alex van WarmerdamAlex van Warmerdam est ce que l'on appelle communément un "artiste complet". Très jeune, il souhaite devenir peintre et suit des études à l'Académie Rietveld d'Amsterdam dont il sort diplômé en graphisme et peinture. Pourtant, c'est vers le théâtre qu'il s'oriente finalement assez vite.

Il fonde ainsi deux compagnies mêlant musiciens et comédiens (Hauser Orkater et De Mexicaanse Hond) et met en scène de nombreuses pièces dont Regarder les hommes tomber (Zie de Mannen vallen) qui est sacré en 1980 meilleur spectacle étranger à Paris.

Vers la fin des années 70, il se tourne vers le cinéma. D'abord, il écrit deux scénarios de courts-métrages pour la troupe Hauser Orkater, puis se lance dans le format long avec Abel, l'histoire particulièrement décalée d'un trentenaire (incarné par van Warmerdam lui-même) qui n'est littéralement jamais sorti de l'appartement de ses parents. Le film est sélectionné à Venise où il reçoit le Prix de la critique internationale. Le ton ironique et original du cinéaste séduit également la presse néerlandaise qui lui décerne elle-aussi un prix.

Ainsi encouragé, Alex van Warmerdam poursuit sur sa lancée avec des œuvres atypiques et corrosives qui portent sur le monde un regard à la fois farfelu et perçant, dans lesquels il se donne malicieusement les rôles les moins flatteurs (en 2009, dans Les Derniers Jours d'Emma Blank, sélectionné aux Venice Days et à Toronto, il ira même jusqu'à interpréter... le  chien de la famille...).

Il renforce notamment sa réputation en 1992 avec Les habitants, comédie insolite sur un lotissement du nord de l'Europe où l'on croise un enfant fasciné par la guerre au Congo, un boucher obsédé sexuel, une femme qui s'entretient avec la Statue de St François, etc. Suivent La robe et l'effet qu'elle produit sur les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent (1996), l'histoire d'une robe qui porte malheur à ses propriétaires ; Le P'tit Tony (1998), sélectionné au Certain regard cannois en 1998 ; Grimm, adaptation grinçante de Hansel et Graetel à l'époque contemporaine ou encore Waiter!, qui met en scène un personnage de fiction se rebellant contre l'écrivain responsable de son existence minable.

Alors que Les habitants a bénéficié d'une ressortie en salles en décembre 2012 (20 ans après sa création), Alex van Warmerdam a pour la première fois les honneurs de la compétition cannoise avec son nouveau film intitulé Borgman. Ce thriller noir et tordu sur un homme s'invitant dans une famille bourgeoise parfaite marque le retour d'un film néerlandais dans la course à la Palme d'or depuis Mariken van Nieumeghen de Jos Stelling il y a... 38 ans.

De quoi faire de van Warmerdam un quasi héros national, lui qui est déjà titulaire du Prix Sea Lion de bronze pour sa contribution au cinéma hollandais (en tandem avec son frère Marc van Warmerdam avec lequel il a créé la société de production Graniet Films) et dont les quatre premiers longs métrages ont été classés au top 100 des meilleurs films hollandais du siècle au Dutch Film Festival 1999. Si, en plus, il revenait tout auréolé d'une récompense cannoise, probablement deviendrait-il directement le plus grand cinéaste néerlandais de tous les temps... le plus provocateur, sans l'ombre d'un doute.

Les prix France Culture Cinéma pour Pascale Ferran et Haifaa Al-Mansour

Posté par vincy, le 19 mai 2013

Le prix France Culture Cinéma, cette année en association avec le quotidien Libération a été remis hier à Cannes.

La réalisatrice et scénariste Pascale Ferran a été récompensée avec la "Consécration" pour l'ensemble de sa carrière. Elle monte actuellement Bird People, qui pourrait être l'un des événements de la prochaine berlinale. Prix Louis-Delluc et césarisée pour Lady Chatterley, la cinéaste avait déjà été primée par une Caméra d'or au Festival de Cannes en 1994 pour Petits arrangements avec les morts.

Le prix avec la mention "Révélation" a été décerné à la réalisatrice saoudienne Haifaa Al-Mansour pour son film Wadjda, multi-récompensé à Venise l'an dernier. Wadjda est son premier long métrage de fiction et a séduit la critique et plus de 450 000 spectateurs. Il s'agit du premier film saoudien réalisé par une femme.

Cannes 2013 : lettre à Jafar Panahi – jour 4

Posté par MpM, le 18 mai 2013

Cher Jafar,

De quoi parlait-on aujourd'hui sur la Croisette ? De cinéma ? Des réalisateurs soumis à la censure ? De l'exception culturelle ?

Pas vraiment. Aujourd'hui, tout le monde n'en avait que pour la pluie... Au moins, c'est politiquement correct, ça n'engage à rien, et personnellement je n'ai rencontré aucun festivalier qui émette un avis divergent sur la question

Je te sens désemparé... Rassure-toi, deux autres infos ont fait le buzz, et elles avaient même un rapport direct avec le festival : d'un côté le vol de 775 000 euros de bijoux Chopard (fournisseur officiel de la Palme d'or) et de l'autre les coups de feu tirés pendant le grand journal vendredi. Certains journaux ont supprimé de vrais articles cinéma  pour parler de ces deux affaires.

Peut-être pas si anodin que ça en a l'air... Vois-tu, c'est même assez représentatif d'un certain état d'esprit régnant sur la Croisette.

Parfois, on peut avoir l'impression que la France, réputée dans le monde entier pour tant aimer le cinéma, a généré une sorte de monstre médiatique qui le dépasse, à l'affût de tout ce qui brille, ce qui flatte l'égo ou fait appel aux bas instincts du citoyen. Un festival du fait divers people ou sensationnaliste où la créativité, l'intelligence, en un mot, l'art, sont juste bons à faire une brève en bas de page, entre le spectaculaire et l'anecdotique.

Cannes 2013 : les télex du marché (2) : Scarlett Johansson, Dupeyron, Rahimi, Loznitsa…

Posté par vincy, le 18 mai 2013

- Premiers pas. Scarlett Johansson va réaliser son premier film, Summer Crossing (La traversée de l'été, d'après un roman de jeunesse jamais publié de Truman Capote. L'histoire est celle d'une jeune fille de 17 ans qui décide de rester à New York durant l'été 45 pour flirter avec le gardien de parking plutôt que d'aller voyager à Paris.

- Queer. François Dupeyron va filmer Les amants désunis, longue épopée qui débute durant la guerre de 14 (qu'il avait filmée dans La chambre des officiers) et s'achève avec la crise de 29. Un homme (Louis Garrel), avec la complicité de sa femme (Adème Haenel), va se travestir en femme pour échapper au peloton d'exécution.

- Romanciers. Quelques mois après la sortie de l'adaptation de son best-seller (et prix Goncourt) Syngue sabour - Pierre de patience, Atiq Rahimi est de nouveau au travail avec Pour un seul cortège, prévu dans les salles au premier trimestre 2014. C'est également une adaptation, mais cette fois-ci d'un roman de Laurent Gaudé, qui évoquait le crépuscule d'Alexandre le Grand. Jean-Claude Carrière et lui cosignent le scénario. Tournage en Inde en 2014.

- Dans le brouillard. En compétition l'an dernier avec Dans la brume, l'Ukrainien Sergei Loznitsa tournera l'an prochain Babi Yar, histoire tragique qui revient sur le massacre fulgurant de 30 000 juifs par les nazis en septembre 41.

Cannes 2013 : Où sont les femmes ? – Grand central

Posté par MpM, le 18 mai 2013

grand centralElle est blonde, vêtue d'un short en jean riquiqui et d'un body blanc décolleté jusqu'au nombril. La moue boudeuse et la posture à la frontière de la vulgarité. Elle s'appelle Karole (qui rime bien avec cagole), mais on ne l'apprendra par hasard qu'à la moitié du film. Quel besoin de connaître son prénom puisqu'elle représente le fantasme masculin absolu : une poupée sexy, sans personnalité et toujours consentante. "Chaude", même, comme le souligne un ami de son fiancé. Dans sa bouche, cela sonne comme un compliment.

Mais qu'allait faire Léa Seydoux dans Grand central (sélectionné à Une Certain regard au festival de Cannes), où elle n'a rien d'autre à jouer que ce cliché ambulant d'hyper féminité presque agressive mais dénuée de tout caractère ou de toute psychologie. Qui est Karole ? Que veut -elle ? Que pense-t-elle ? On n'en saura rien, puisque c'est à peine si l'actrice a dix lignes de dialogue. Au lieu de séduire son amant par deux ou trois traits spirituels, ou au moins par une conversation gentiment séductrice, elle se déshabille et s'offre en pleine nature.

Difficile après cela d'expliquer aux adolescents que, dans la réalité, les femmes ne se comportent pas exactement de cette manière, en tout cas pas systématiquement. Qu'elles se définissent autrement que par leur corps et leur attraction sexuelle. Qu'elles sont les égales des hommes, tout simplement.

Le pire, c'est que le film est signé par une jeune réalisatrice, Rebecca Zlotowski, et coécrit avec une autre femme, Gaëlle Macé. Si les femmes cinéastes véhiculent les mêmes images stéréotypées que les hommes, le débat sur l'absence de femmes dans la compétition cannoise perd tout à coup encore un peu plus de sens.

Cannes 2013 / Un film, une ville : Tokyo

Posté par vincy, le 18 mai 2013

Tokyo Tel père tel fils kore-eda

La plus grande ville du monde n'a jamais cessé d'être un lieu de cinéma : ses différents quartiers, son aspect futuriste ou encore son statut de mégapole mondiale ont évidemment servi de décor à de nombreux films japonais, y compris des mangas, des Godzilla et le dernier Kore-eda, Tel père tel fils (en compétition cette année à Cannes). Le cinéaste filme l'aspect moderne de la ville : ses tours glaçées, son métro bondé, la tour Skytree (la plus haute du monde) au loin, ou encore ses quartiers plus résidentiels, presque tranquilles. Il rejoint ainsi les films dOzu qui aimait filmer les mutations post-guerre de cette tentaculaire urbanité.

Les cinéastes étrangers ne sont pas en reste : James Bond y a posé les pieds dans On ne vit que deux fois. Hollywood y a tourné un épisode de Fast and Furious (Tokyo Drift) et Cars 2 faisait aussi des tours de piste là bas. les films d'action, tels Jumper, Inception, ou plus loin dans le temps Black Rain de Ridley Scott se sont déroulés sur les toits ou dans les ruelles de la ville. Hou Hsiao-hsien (Café lumière) et Abbas Kiarostami (Like Someone in Love) ont exilé leur cinéma durant le temps d'un film. Les Français sont tout autant fascinés : Michel Gondry et Leos Carax (en compagnie du sud coréen Bong Joon-ho) ont réalisé un film en trois segments, Tokyo! ; Jean Reno y goûtait l'action sauce Wasabi. Gaspard Noe nous hypnotisait dans Enter the Void, qui fut en compétition à Cannes. Tout comme Babel d'Inarritu, qui y passait une partie de son film puzzle mondialisé.

Quintessence du monde moderne, et dépaysante pour les occidentaux, Tokyo aura surtout été magnifiée par Sofia Coppola. Avec Lost in Translation, la cinéaste se baladait dans Shinjuki, le quartier qui ne dort jamais, et transformé le Park Hyatt, qui occupe les étages les plus hauts d'un immense complexe de gratte-ciels, en attraction touristique. Avec Tokyo sous nos yeux, étendue à l'infini, et à jamais entrée dans l'histoire du 7e art.

Cannes 2013 : Qui est Amat Escalante ?

Posté par MpM, le 18 mai 2013

amat escalante

Jusqu’à présent, la carrière d’Amat Escalante ressemble à un sans-faute. A moins de 35 ans, le cinéaste mexicain rencontre le succès partout où il passe et contribue largement au dynamisme et au renouveau du cinéma de son pays.

Il faut remonter à 2003 pour retrouver une première trace de son nom dans les registres internationaux. Il n’a pas 25 ans et présente à Berlin son premier court métrage, Amarrados, où un ado sans domicile fixe sniffe de la colle et tombe dans un cercle vicieux d’abus sexuels. Le film est récompensé et lance la carrière du jeune cinéaste.

Deux ans plus tard, il est doublement présent à Cannes. En compétition, à travers Bataille dans le ciel, le deuxième film de Carlos Reygadas dont il est l’ami et l’assistant réalisateur, et à Un certain regard, avec son propre long métrage (Sangre), justement produit par Reygadas.

Les deux films frappent les esprits et le sien repart avec le Prix de la critique internationale. Sa manière de filmer (tout en plans séquences), ses personnages (un couple au bord de l’implosion, perclus de jalousie et d’incompréhension), son regard sans fard (notamment sur les scènes de sexe) suggèrent immédiatement l’émergence d’un cinéaste atypique, dans la lignée de la nouvelle « nouvelle vague » mexicaine portée par Carlos Reygadas et Julián Hernández, soucieuse de montrer le Mexique dans toute sa complexité.

Escalante dit lui–même à propos du film : "Les différences sociales et économiques dans mon pays ont créé un déséquilibre culturel et humain flagrant. Cela engendre le désenchantement et la frustration d'une population désormais incapable de prendre en charge son propre avenir. Ces gens ont perdu toute capacité et tout désir de communiquer rationnellement avec les autres et particulièrement avec leurs proches." Tout le ferment de son cinéma est là.

Trois ans plus tard, après un passage par la résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes (dans la même promotion que les Argentins Pablo Aguero et Lucia Puenzo), le réalisateur récidive avec Los bastardos, également sélectionné à Un certain Regard. Le film prend en quelque sorte le contrepied de Sangre en s’intéressant à la misère des immigrés clandestins mexicains aux Etats-Unis. Pour survivre, ses deux personnages n’ont d’autre choix que d’accepter le "travail" qu’on leur propose : exécuter une femme.

"Ce film, explique Amat Escalante, traite de la pire tragédie qui puisse arriver à un être humain ou à un pays, celle de devenir délibérément meurtrier. Je ne crois pas qu’il soit dans la nature humaine de commettre un meurtre de sang froid. Je suis persuadé que seule une dégénérescence de celle-ci peut conduire quelqu’un à cette extrémité. Je tiens absolument à différencier les meurtres de sang froid de l’auto-défense et/ou de la vengeance. Ces deux dernières formes ne sont pas les motivations premières des deux personnages du film..." Le regard qu'il porte sur notre époque, de même que son style sans concession, font une nouvelle fois froid dans le dos. Escalante, lui, creuse son sillon.

Après avoir participé au film collectif Revolucion qui célèbre les 100 ans de la révolution mexicaine, il revient à un projet plus personnel, Heli, qu’il présente comme une synthèse de ses deux premiers longs métrages. Au cœur du récit, une famille prise dans un engrenage de violence…

La sélection du film dans la course pour la Palme d’or 2013 coule plutôt de source : c’est à la fois une manière de saluer la vitalité époustouflante du jeune cinéma mexicain (doublement couronné en 2012 avec le prix de la mise en scène à Post tenebras lux de Carlos Reygadas et celui d’Un certain regard à Después de Lucia de Michel Franco) et une continuation logique pour Escalante, dont la carrière s’est jusqu’à présent jouée essentiellement sur la Croisette. S'il confirme l'essai, il pourrait bien devenir l'un de ces "habitués" de la compétition que les organisateurs du festival affectionnent tant.