En pleine affaires Haenel et Polanski, les Assises sur la parité, l'égalité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel, organisées par le Collectif 50/50 en partenariat avec le CNC tombaient à pic jeudi dernier. Le ministre de la Culture, Franck Riester, a d'ailleurs fait le déplacement, tant le sujet est désormais au cœur du secteur. Rappelant qu'il serait toujours du côté des créateurs pour leur liberté de créer, le ministre a concédé qu'il fallait redistribuer les pouvoirs et renforcer les moyens. Mais surtout il a annoncé le conditionnement du versement de "toutes les aides du CNC" au "respect d’obligations précises en matière de prévention et de détection du harcèlement sexuel". De plus il a assuré la mise en place d’une cellule d’alerte à destination des victimes de violences sexuelles dans le secteur du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma dès le 1er janvier 2020.
Car pour le ministre, toutes les affaires qui secouent actuellement le cinéma français sont avant tout les symptômes de la faillite d'un système. Deux ans après #MeToo, la société française semble enfin prendre la mesure des dérives de sa culture patriarcale. Certains se désoleront de cette moralisation voire du puritanisme ambiant, de cette américanisation des mœurs. Mais la France est encore loin des Etats-Unis concernant son rapport au sexe. On ne boycotte pas Gauguin. J'accuse de Roman Polanski a attiré 500000 spectateurs lors de sa première semaine. On peut encore montrer des fesses, un pénis ou des seins sans être interdits aux moins de 16 ans. Les rares appels au boycott sont suivis de peu d'effets, même si quelques ligues religieuses font modifier le classement des films où la sexualité est explicite.
Il était en revanche nécessaire et urgent que la profession se dote de règles et protège ceux et celles victimes de harcèlement ou de violences. Que le créateur soit libre, c'est ce qu'on peut espérer. Que le prédateur qui est potentiellement en lui, puisse agir en toute impunité, on peut légitimement ne pas l'excuser. Dominique Boutonnat, Président du CNC, soutient ainsi la création de sessions spécifiques de formation pour accompagner les professionnels afin de prévenir et agir face à des comportements inappropriés, sur les tournages comme lors de la promotion d'un film.
Lors de ces Assises, deux annonces ont été faites. Tout d'abord, la mise en place d'une Charte pour l'inclusion dans le Cinéma et l'audiovisuel pour adapter la loi française à l "inclusion rider" américain et l'appliquer dans les contrats français. Cette charte a été signée par neuf syndicats (producteurs, agents, cinéastes, scénaristes...). Cette charte est accompagnée d'une base de données de professionnels issus des minorités, la Bible 5050.
Ensuite, la mise en place d'une autre Charte pour la parité et la diversité dans les sociétés des distribution, d'édition et d'exploitation cinématographique. "La diversité c'est un constat, l'inclusion c'est un acte" a rappelé la réalisatrice Rebecca Zlotowski. Cette charte a été signée par 40 sociétés de distribution, d'exploitants et d'édition. La circuit CGR a signé la charte lors des Assises.
Le collectif 5050 propose par ailleurs la nomination systématique d'un référent sur les plateaux de tournages, l'inscription d'un rappel à la loi sur le harcèlement dans les contrats, l'implication des assureurs du secteur pour prendre en charge le dommage économique lié à un arrêt de tournage à cause d'un cas de harcèlement, l'inscription de la hotline 3939 "Violences Femmes Info" sur les feuilles de route par les sociétés de production.
Cela ne résoudra pas tous les problèmes (homophobie et racisme sont un peu mis à l'écart), mais en intégrant le concept de discrimination positive et en prenant acte des violences faites aux femmes, il semblerait que le cinéma français se réforme et assimile enfin l'émancipation des femmes.
On avait observé l’année dernière que 2017 avait été symbolique d’un certain glissement vers une reconnaissance du cinéma de genre : certains de ces films dépassent ‘leur public’ et obtiennent un plus large succès auprès du ‘grand public’. Le film de monstre La Forme de l’eaude Guillermo Del Toro, sorti en février, avait reçu le Lion d’or de Venise avant de décrocher 4 Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleurs décors, et meilleure musique (au français Alexandre Desplat) ; Get Out de Jordan Peele a engrangé 254 millions de dollars de recettes mondiale pour un budget d’environ 5 millions tout en recevant le convoité Oscar du meilleur scénario original ; et en France c’était le film Gravede Julia Ducournau qui avait fait l'évènement pour finir avec le Prix Louis-Delluc et 6 prestigieuses nominations aux Césars.
Ils sont où les films de genre français avec des zombies affamés ou des aliens envahisseurs ? C’est la bonne nouvelle de 2018 : il y a eu plus de films français de ce type distribués en salles, et plusieurs sont des premières œuvres. Parfois l’élément fantastique est central, parfois il réside en périphérie. Il peut prendre la forme d'un polar ou celle d'une introspection intime. En bonus, on y voit aussi quelques noms célèbres sur les affiches.
Une belle diversité
Citons dans ce panorama très diversifié : Burn Out de Yann Gozlan (avec François Civil, Olivier Rabourdin, Manon Azem), Revenge de Coralie Fargeat (l'actrice Matilda Lutz a été retenue dans les 34 révélations pour les prochains Césars), Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico (qui ensuite a reçu le Prix Louis-Delluc du premier film, ex-aequo), La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher (avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant), Ghostland de Pascal Laugier, Madame Hyde de Serge Bozon (avec Isabelle Huppert), Dans la brume de Daniel Roby (avec Romain Duris, Olga Kurylenko), Caniba de Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor, Climax de Gaspar Noé, Hostile de Mathieu Turi, High Life de Claire Denis (avec Robert Pattinson et Juliette Binoche), et sur Netflix La Femme la plus assassinée du monde de Franck Ribière (avec Anna Mouglalis). A noter toutefois comme les années précédentes que certains de nos talents doivent chercher un soutien hors de France à l’international pour leurs projets (au Canada, Etats-Unis, Canada, Espagne…), ce qui induit souvent un tournage en langue anglaise (Ghostland, Revenge, Hostile, High Life…).
Le maître du suspens Stephen King a même salué à sa manière le cinéma français avec cette éloge : « Juste quand vous pensiez que les films de zombies ont été épuisés, un film parfaitement remarquable débarque, réalisé par Dominique Rocher, intitulé La Nuit a dévoré le monde. Il va vous laisser bouche bée. »
La France est toujours un peu en retard pour le soutien à ses cinéastes de genre : Xavier Gens à réalisé The Crucifixion et Cold Skin, qui ne sont pas sortis chez nous, Julien Mokrani a vu la production de son projet Les Sentinelles abandonnée… Pourtant les nouveaux talents français sont déjà là et ils sont nombreux : Steeve Calvo, William Laboury, Mael Le Mée, Just Philippot qui ont eu une distribution sur grand écran de leurs courts-métrages en février avec 4 histoires fantastiques. Par ailleurs, les films Tous les dieux du ciel de Quarxx et Girls with balls de Olivier Afonso font le tour des festivals en attendant d’être exploités en salles, tout comme Furie de Olivier Abbou. Combien d’entre eux vont devoir s’exporter ailleurs pour leurs prochains projets ?
Le CNC prend enfin la mesure (tardive) que le film de genre français contribue aussi à faire grandir plusieurs métiers techniques spécialisés (effets spéciaux, maquillages et prothésistes, cascadeurs, décors…) et qu’il faut les soutenir : « Notre volonté est d’encourager la diversité au cinéma et d’inciter les créateurs à s’engager sur des voies insuffisamment empruntées. En France comme à l’étranger, en particulier au sein de la jeune génération, il y a un réel engouement, pour les films de genre : les créateurs français y ont toute leur place ! ». Trois projets en particulier vont être aidés par une bourse dans leur production : La nuée de Just Philippot, Ogre de Arnaud Malherbe, Else de Thibault Emin (une extrapolation de son court-métrage d’il y a 10 ans, en sortie de Fémis, c’est dire si le chemin est long). Il faudrait désormais que les distributeurs suivent, surtout quand il y a une interdiction aux moins de 16 ans.
Des hits au box office
Cette année dans les salles de cinéma le public a eu beaucoup d’occasion de frissonner. Le surnaturel a fait peur avec Verónica de Paco Plaza, Hérédité de Ari Aster (avec l'excellente Toni Collette), Sans un bruit de John Krasinski (avec la non moins excellente Emily Blunt), L'Exorcisme de Hannah Grace de Diederik Van Rooijen et La Nonne de Corin Hardy (avec Taissa Farmiga et Demian Bichir), qui, avec 1,4 million d'entrées en france se hisse au niveau de Ron Howard et Guillermo del Toro. L’horreur s’est cachée dans Le Secret des Marrowbone de Sergio G. Sánchez (avec Anya Taylor-Joy et Mia Goth), Strangers: Prey at Night de Johannes Roberts (avec Christina Hendricks), American Nightmare 4 : Les Origines, qui est aussi millionnaire en entrées, The Strange Ones de Christopher Radcliff, sans compter quelques frayeurs du côté du monde jurassique ou du labyrinthe post-apocalyptique.. L’Asie dont les multiples pays produisent des dizaines de bons films de genre a été quasiment ignorée cette année 2018, mis à part les sorties trop discrètes de Battleship Island de Ryoo Seung-wan et de Avant que nous disparaissions, d'Invasion de Kiyoshi Kurosawa. De son côté, le japonais Shinsuke Sato a gagné pour la seconde fois le Corbeau d'or au BIFFF avec Inuyashiki, film toujours invisible en France...
Hollywood continue encore de produire/distribuer des suites ou des remakes de grands succès passés: Halloween de David Gordon Green (avec Jamie Lee Curtis), Suspiriade Luca Guadagnino (avec Dakota Johnson et Tilda Swinton), The Predator de Shane Black. Ou s'acharne à écrire de mauvais films dans l'air du temps comme Unfriended, Action ou vérité?, Escape room. Parallèlement, de nombreux titres pourtant de qualité, portés par des sélections en Festivals, sont ignorés (Tigers are not afraid deIssa Lopez) ont n’arrivent qu’en DVD/VàD (comme Muse de Jaume Balagero). Il faut donc aussi désormais évoquer la plateforme Netflix : c’est là qu’il fallait aller pour découvrir Apostle de Gareth Evans, Hold the dark de Jeremy Saulnier, Illang the wolf brigade de Kim Jee-woon, Psychokinesis de Yeon Sang-ho, The night comes for us de Timo Tjahjanto, Annihilation d'Alex Garland, avec Natalie Portman, Bird Box de Susanne Bier, avec Sandra Bullock, et donc aussi La Femme la plus assassinée du monde de Franck Ribière (avec Anna Mouglalis).
Le genre était de genre féminin, assez logiquement. La plupart des films marquants, soit par leur popularité, soit par les louanges reçues, avaient une ou plusieurs héroïnes, victimes ou/et combattantes.
Alors finissons avec une belle promesse (au féminin) pour 2019: Alita: Battle Angel. Réalisé par Robert Rodriguez et coproduit par James Cameron, cette adaptation du manga japonais Gunnm nous transporte le futur... bien au-delà de 2019
Paris en 1932, quelqu'un marche dans une rue sombre, un coup de couteau fait ressortir sa lame par la bouche. Un peu plus loin, il y a de l'agitation devant un théâtre de Grand Guignol, des gens y entrent pour assister à la représentation, sous les huées de manifestants soit-disant gardiens de la morale. Il y a des véritables tueurs dans Paris pendant que là on y joue des spectacles macabres... «Vous êtes ici pour la voir ? Paula Maxa, la femme qu'on assassine le plus au monde ?» Ce soir-là Paula Maxa joue une femme qui se retrouve dans un asile de fous, on lui arrache un oeil et le sang gicle puis elle sera guillotinée sur scène et sa tête décapitée montrée à tous... Paula Maxa commence à être assez célèbre pour remplir chaque soir ce théâtre : "flagellée, martyrisée, coupée en tranches, recollée à la vapeur, passée au laminoir, écrasée, ébouillantée, saignée, vitriolée, empalée, désossée, pendue, enterrée vivante, bouillie au pot-au-feu, éventrée, écartelée, fusillée, hachée, lapidée, déchiquetée, asphyxiée, empoisonnée, brûlée vive, dévorée par un lion, crucifiée, scalpée, étranglée, égorgée, noyée, pulvérisée, poignardée, revolvérisée et violée"... La performeuse qui, chaque soir, durant des milliers de soirs, semble mourir pour de vrai sur scène va vraiment risquer sa peau en coulisses: elle reçoit des lettres anonymes d'un mystérieux criminel...
Le tournage de La femme la plus assassinée du monde a eu lieu l'année dernière en avril en Belgique (et un peu à Paris), et un an après, le voici présenté au BIFFF. Le lieu idéal pour une première puisque Paula Maxa a vraiment existé : c'est l'une des premières comédiennes de fantastique et d'horreur. Pour l'incarner dans un film d'époque, les années 30, il fallait une actrice à la fois envoutante d'un simple regard et troublante dès qu'on écoute sa voix rocailleuse : Anna Mouglalis.
Dans le film il y a toute une galerie de personnages qui s'intéressent à elle pour différents motifs et possiblement une personne qui désire la tuer plus que les autres à cause d'un évènements dramatique de son passé : Niels Schneider, André Wilms, Jean-Michel Balthazar, Michel Fau, Constance Dollé (et Keren Ann pour la musique)... La femme la plus assassinée du mondeest moins un biopic qu'un thriller sur fond de solide reconstitution historique. C'est le premier film - en tant que réalisateur - de Franck Ribière. Son expérience de producteur de films de genre comme ceux du duo Alexandre Bustillo & Julien Maury et surtout depuis plus d'une dizaine d'années des films de Alex de la Iglesia a sans aucun doute un lien avec le soin qu'il apporte à l'image et aux décors. Le film est très réussi visuellement mais aussi dans la narration maniant le suspens et un récit assez habile pour glisser quelques réflexions sur notre époque.
"Les gens veulent ressentir l'horreur en vrai" : ce qui faisait le succès des spectacles de Paula Maxa, mauvais-goût et sensationnalisme pour ses détracteurs et frissons à se faire peur et s'encanailler pour son public, serait toujours valable de nos jours. Le film dévoile la préparation des spectacles, pour mieux connaître l'héroïne et pour témoigner d'une certaine passion à représenter l'horreur (avec la fabrication de prothèses de faux-sang par exemple) car "faire peur au gens c'est aussi intéressant que de les faire rire ou pleurer". Ce qu'on pouvait voir sur scène en 1932 dans ce théâtre Grand-Guignol c'était en fait comme un film d'horreur mais sans écran 3D puisque selon la soirée le spectateur pouvait recevoir un peu de giclure de sang: "beaucoup pensent que les jours du théâtre sont comptés à cause du cinéma"...
Justement, quand sera-t-il possible de voir ce bon film sur un grand écran de cinéma tout comme au BIFFF ? Le film étant la première coproduction en Belgique financée par Netflix, il sera donc visible prochainement en streaming...
Synopsis:Steak (R)évolution parcourt le monde à la découverte d'éleveurs, de bouchers et de chefs passionnés. Loin des élevages intensifs et des rendements industriels, une révolution est déjà en marche ; la bonne viande rouge devient un produit d'exception, voire de luxe. Mais où se trouve le meilleur steak du monde ?
Franck Ribière et son boucher favori, Yves-Marie Le Bourdonnec, partent rencontrer les nouveaux protagonistes de la filière, généreux, attachants et écologistes, pour essayer de comprendre ce qu'est une bonne viande. Les nouveaux enjeux du marché ne sont pas toujours là où on les attend.
Steak (R)évolution est un film gourmand et politiquement incorrect sur la viande "haute couture".
Notre avis: Avec Steak (r)évolution, Franck Ribière signe un documentaire sur la viande. Le film n'est pas là pour nous faire devenir végétarien puisqu'il valorise la bonne viande. De même, ce n'est pas un calvaire à regarder pour ces mêmes végétariens puisqu'il ne s'agit pas d'un brûlot critique contre le steak.
Franck Ribière signe plutôt un hymne à la bonne bouffe, à opposer à cette malbouffe qui nous fait oublier le goût et les saveurs. Il n'est pas non plus béat devant le produit en soulignant bien que l'abus de viande nuit à la santé.
Le propos de Steak (r)évolution est ailleurs. D'Argentine au Brésil, d'Espagne en Corse, des Îles britanniques aux Etats-Unis, du Japon au Québec, il fait le tour du monde des Chefs, bouchers, éleveurs: toutes ces personnes qui sont en contact avec le boeuf. Véritable cours scientifique sur les différentes races (passionnant), c'est avant tout un cri d'amour pour des "artisans". Ceux qui perpétuent une tradition (l'élevage non intensif, la qualité du produit final) ou qui élèvent la simple bavette au rang de plat inoubliable. C'est un véritable portrait transfrontalier d'une profession et de sa passion, qui rappelle les documentaires de Jonathan Nossiter (Mondovino). Le boeuf n'est pas le même selon les pays. Il ne se consomme pas de la même manière non plus.
Ce qu'il en ressort compte peu. Si vous êtes carnivore, vous ferez juste attention à la viande que vous achetez. Steak (r)évolution est avant tout une prise de parole, alertant sur les méfaits d'une alimentation industrielle, expliquant la difficulté d'un travail complexe, vantant la prédominance d'un produit quand il est de qualité.
Le réalisateur opère un véritable désossage de la filière, dans son meilleur aspect. Ici, nulle ferme des 1000 vaches, aucun MacDo, pas de Charal. Le documentaire est avant tout sociologique: l'impact d'un aliment dans notre culture, une profession de l'agriculture, un regard sur les usages d'un produit identique qui diffère selon les peuples.
L'évolution a bien eu lieu au fil des siècles. Les races se sont mélangées, elles sont désormais mieux vérifiées. Les morceaux de boeufs conduisent à des variations culinaires infinies. La révolution arrivera sans doute bientôt: l'élevage est nocif pour l'environnement et le végétarisme gagne des parts de marché. La viande sera peut-être un produit de luxe pour les prochaines générations. En attendant, du boeuf de Kobé, au 500 grammes de protéines à Buenos Aires, du T-Bone américain au bourguignon en France, le boeuf est incontestablement le meilleur ami de l'Homme depuis qu'il a découvert que, cuit, c'était délicieux. Avec ou sans sel, sauce, poivre ou autres condiments et accompagnements.