Dinard 2012 : Au palmarès, Shadow Dancer fait de l’ombre à ses concurrents

Posté par vincy, le 6 octobre 2012

On attendait le fantastique Ill Manors, de Ben Drew. C'est Shadow Dancer de James Marsh qui repartira du 23e Festival du film britannique de Dinard avec le Hitchcock d'or (prix du jury) et le prix du public. Le film, qui réunit Clive Owen, Andrea Riseborough, Gillian Anderson, Aidan Gillen et Domhnall Gleeson, a donc fait consensus. Ce qui est assez logique tant le film est finalement assez consensuel, même s'il n'est ni prévisible, ni formaté.

Shadow dancer est une histoire d'espionnage au moment où le gouvernement britannique tente de signer un accord de paix avec l'IRA en Irlande du nord. Une jeune femme se voit contrainte de jouer les indics pour le MI-5, alors que ses frères sont des membres actifs de l'organisation terroriste. Le film se distingue d'une part avec son esthétique, d'autre part avec son scénario. Cette jeune femme (Andrea Riseborough) qui doit jouer les agents doubles est une tache de couleur rouge (la couleur de son imperméable) dans une atmosphère fascinante, terne et pluvieuse. Les tensions et rebondissements, les trahisons et révélations ponctuent le film comme autant de pistes qui se brouillent pour attendre l'ultime plan et comprendre (ou pas) l'enjeu initial. C'est parfois confus (la fin ouvre la voie à deux interprétations) mais suffisamment bien maîtrisé pour nous interpeller du début à la fin.

Le film avait fait son avant-première mondiale au Festival de Sundance avant d'être présenté à celui de Berlin cet hiver. A celui d'Edimbourgh, Andrea Riseborough et Brid Brennan, qui joue sa mère, ont remporté le prix d'interprétation féminine. Il sortira le 2 janvier 2013 sur les écrans français.

Ill Manors, bien plus audacieux et brillant, repart avec le prix de la meilleure photo et le prix "coup de coeur", décerné par l'association La règle du jeu et lui permettant d'être diffusé dans 40 salles du Grand Ouest.

Good Vibrations de Lisa Barros D'Sa & Glenn Leyburn reçoit le prix du meilleur scénario.

Claude Pinoteau (1925-2012) : silencieux à tout jamais

Posté par vincy, le 6 octobre 2012

Claude Pinoteau, né le 25 mai 1925, est mort hier, le 5 octobre 2012 à Neuilly-sur-Seine. L'information a été confirmée par son agent Elizabeth Tanner. Il avait reçu le prix Louis-Delluc pour La Gifle en 1974.

Réalisateur de grands succès populaires comme La gifle avec Lino Ventura, Anne Girardot et la jeune Isabelle Adjani ou Le grand escogriffe avec Yves Montand, il avait réalisé son premier long métrage en 1973, avec Le silencieux, film d'espionnage modèle de cette époque, avec Ventura (son acteur fétiche avec qui il tourna la plupart de ses premiers longs métrages) et Suzanne Flon.

C'est surtout avec La Boum, sa suite et L'étudiante qu'il devint un cinéaste "bankable", tout en confirmant son incroyable flair pour les jeunes comédiennes en révélant Sophie Marceau qui le considérait comme son père de cinéma. Alternant comédies, polars et sur la fin de sa carrière des films plus romanesques, Pinoteau fit aussi découvrir au public Géraldine Pailhas dans La neige et le feu.

Après quelques échecs publics, il retrouva les faveurs des spectateurs en 1997 grâce à l'adaptation de la pièce moliérisée Les Palmes de Monsieur Shultz, avec Isabelle Huppert, Charles Berling et Philippe Noiret.

Malade, il ne tourna rien d'autre qu'un documentaire sur l'Abbé Pierre dans les années 2000.

Réalisateur, adaptateur, dialoguiste ou producteur, Claude Pinoteau avait pratiqué tous les métiers du cinéma. Il avait débuté comme accessoiriste et régisseur, avant de devenir assistant réalisateur de Jean Cocteau (Les Parents terribles), Jean-Pierre Melville (Les Enfants terribles), Max Ophüls (Lola Montes), Philippe de Borcas (Les tribulations d'un chinois en Chine), Henri Verneuil (Un singe en hiver, mélodie en sous-sol) et de Claude Lelouch (L'Aventure, c'est l'aventure).

Claude Pinoteau aimait par dessous tout filmer les contradictions sentimentales et les tourments émotionnels de la jeunesse. La grande Histoire lui servait souvent de prétexte pour raconter sa vision des rapports humains, loyaux mais souvent bousculés.

Dinard 2012 : les belles échappées de Marjane Satrapi

Posté par vincy, le 6 octobre 2012

Membre du jury du Festival du film Britannique de Dinard cette année, la touche-à-tout Marjane Satrapi savoure cette pause bretonne avant une année 2013 chargée.

Elle vient de boucler son troisième long-métrage, mais le premier qu'elle réalise en solo : La bande de jotas. Tourné en douze jours dans le sud de l'Espagne avec une équipe réduite de cinq personnes, elle a imaginé ce délire - tuer des gens sous prétexte que leur prénom commence par une jota - sans vraiment penser à le sortir en salles. "Je dans, je chante, je joue. J'ai même filmé mon mari en slip" explique-t-elle. L'idée n'était pas forcément de le sortir en salles. "Si c'était réussi, j'étais prête à le montrer à mes copains lors d'une projection spéciale". Mais voilà, un distributeur a aimé le projet. Urban distribution compte le sortir sur dix à quinze copies. Et l'auteure de Persépolis avoue désormais vouloir faire une série de films avec cette bande au fil des années qui passent. "Je suis fumeuse, je bois, il me reste quoi, trente ans à vivre. Un projet me prend trois ans..." La voici donc avide de profiter de son autonomie. Le film lui a coûté 40 000 euros, dont la moitié en production. "Je préfère mettre mon épargne dans un film que dans des vêtements, une maison de vacances ou ce genre de choses". Cette "chef d'entreprise", tel qu'elle se voit, un peu "communiste" au fond, a financé ce projet dans un esprit de coopérative : "je voulais une liberté totale". Elle s'est donnée les moyens de s'affranchir du qu'en dira-t-on et s'amuse à être là où on ne l'attend pas. Aucune BD en perspective et d'ailleurs, étrangement, même la belle affiche du film, stylisée, qu'elle nous montre sur son iPhone a été dessinée par son compositeur. Son talent graphique s'exprime autrement ces temps-ci.

Marjane Satrapi peint le matin. Elle prépare sa première exposition, qui débutera le 29 janvier à la galerie Jérôme de Noirmont (Paris 8e). L'après-midi, elle travaille sur son quatrième film, The Voices. Une commande américaine à partir d'un scénario de Michael Perry (Paranormal Activity 2). Une histoire de psychopathe qu'elle devrait tourner en avril prochain. "C'est un scénario irrévérencieux, pas moraliste" explique-t-elle. L'irrévérence, c'est ce qu'elle aime dans le cinéma britannique : "ils ont inventé le punk, les Monty Python, la pop..." C'est une des raisons  pour laquelle elle est ici, à Dinard.

L'autre raison c'est la curiosité. "C'est bien de découvrir, de rencontrer des films, des gens qu'on n'aurait jamais vu. Même les mauvais films nous apprennent des choses" nous confie-t-elle. Marjane Satrapi aime être dans les jurys. "Ce n'est pas pour le bel hôtel, ou parce qu'on m'offre du foie gras. J'ai les moyens d'aller dans ces hôtels et de l'offrir du foie gras". Et le cinéma anglais lui parle, qu'il soit drôle comme Joyeuses funérailles ou social. Fan d'Aki Kaurismaki, elle l'est aussi de Ken Loach. "Ce sont les deux seuls qui font un cinéma social où ce n'est pas un bourgeois qui regarde les pauvres dans un zoo. Ils font un cinéma humain, pas misérabiliste."

Avec un emploi du temps chargé, des projets plein la tête, un enthousiasme communicateur, un humour aussi franc qu'incorrect, Satrapi a un moteur qui tourne à l'envie. La vie est courte : il faut la remplir.

Cinespana 2012 / Espagnolas à Paris : avant-première du captivant « N’aie pas peur »

Posté par MpM, le 6 octobre 2012

N'aie pas peurDeux rendez-vous incontournables du cinéma espagnol, Espagnolas en paris et le festival Cinespana de Toulouse, avaient choisi cette semaine de présenter en avant première le film N'aie pas peur de Montxo Armendariz qui sortira sur nos écrans le 31 octobre prochain. Une œuvre forte et violente qui aborde frontale ment la question de l'inceste et surtout la difficulté qu'éprouvent les victimes à se reconstruire après avoir subi ce type d'abus sexuels.

Très sobre formellement (puisque les scènes sexuelles entre le père et la fille sont systématiquement suggérées et non montrées), le film montre à la fois le douloureux parcours de son héroïne, de son enfance au jour où elle décide de se révolter contre son bourreau, et des témoignages poignants d'autres personnes, hommes et femmes de tous âges, qui ont également vécus l'inceste.

En cadrant Sylvia (Michelle Jenner) de près, son visage net se découpant sur un fond presque toujours flou, avec seulement des bribes de son direct nous parvenant, Montxo Armendariz isole la jeune femme du monde dans lequel elle évolue comme pour bien faire sentir qu'elle n'appartient pas à ce monde dont elle n'a pas les clefs. Quoique libre d'aller et venir, elle est comme emmurée en elle-même, privée de parole et de libre-arbitre, condamnée à se percevoir comme l'objet impuissant du désir de son père. La mise en scène acérée conduit ainsi à une impression de huis clos oppressant où le mal-être de l'héroïne donne un relief particulier à chaque parole échangée, chaque regard, chaque geste esquissé.

Car Montxo Armendariz donne à voir la réalité concrète de l'inceste : dilemme entre amour (père ambigu qui se montre prévenant et attentionné) et haine, sentiment d'incompréhension, n'aie pas peurde culpabilité et de trahison, malaises physiques, et une immense solitude qui agit comme un cercle vicieux et empêche la victime de briser le silence. La fin est d'ailleurs ouverte car le processus de "libération" est long. On ne guérit jamais complètement des plaies laissées par un inceste mais on apprend à vivre avec, semble dire le film.

Il livre ainsi une réflexion juste et sensible sur un sujet qui reste souvent tabou. Lors de la présentation du film à Espagnolas en Paris, Montxo Armendariz a d'ailleurs expliqué que cela faisait partie des raisons fondamentales qui l'avaient poussé à réaliser N'aie pas peur : "Dans notre pays et dans nos sociétés occidentales, l'inceste demeure méconnu. Les gens subissent en silence. Le cinéma leur rend leur voix, et c'est la seule manière de trouver une solution. J'ai passé du temps avec des gens qui avaient subi des violences sexuelles et j'ai vu le temps que cela leur prend pour surmonter ce traumatisme. Toutes ces personnes luttent contre un destin qui a mis leur vie par terre, et ça peut arriver à tout le monde."

Parfois, certains cinéastes se réfugient derrière un douloureux sujet de société pour réaliser un film plein de bons sentiments, et cinématographiquement pauvre. Mais dans le cas de N'aie pas peur, le cinéma est incontestablement présent, totalement au service d'un thème auquel il donne résonance et profondeur. Une œuvre maîtrisée et puissante à découvrir de toute urgence dès le 31 octobre.