The Guilty, thriller danois de Gustav Möller, est l'histoire d'une femme kidnappée qui contacte la police. Mais la ligne est coupée. Le policier qui a reçu l'appel ne peut compter que sur ses intuitions, son imagination et le téléphone: chaque son peut avoir son importance pour sauver son interlocutrice.
De multiples récompenses. Prix de la critique au Festival de Beaune, prix du public et de la jeunesse à Rotterdam, prix du public à Sundance, ce film danois a déjà fait parler beaucoup de lui depuis janvier. Et si c'était le polar "sleeper" de l'été, ce succès inattendu qui survient chaque année à la même période? Il y a en effet tous les ingrédients pour captiver l'audience en 85 minutes chrono. Le film peut d'ailleurs faire penser à l'excellent Buried de Rodrigo Cortes. Un huis-clos (unité d'espace) anxiogène et suffocant. Mais, en filmant en temps réel (unité de temps), le cinéaste s'offre une deuxième contrainte, qui rappelle Victoria de Sébastien Schipper. Deux formes de cinéma qui donnent à une histoire banale son aspect fascinant.
Palpitant. Pas besoin de beaucoup d'effets pour nous faire palpiter. On ne peut pas dire que The Guilty soit un film d'esbrouffe. Il a cette épure et cette austérité toute scandinave. C'est le scénario, jusqu'au dénouement, qui produit la meilleure énergie à ce film immersif qui stimule notre propre imagination. Nous sommes le flic. Nous cherchons aussi à savoir ce que nous avons entendu, compris, deviné. Non exempt de sueurs froides et de suspens, le polar a un autre atout majeur, techniquement: le travail sur le son est d'une précision millimétrée. Au passage, le cinéaste rappelle que le cinéma est un art de l'illusion fondé sur des techniques accentuant au moins deux sens: la vue et l'ouïe.
Hors-champ. C'est peut-être là ce qu'il faut retenir du film. Le spectateur interagit avec l'histoire parce que l'essentiel du récit se déroule hors-champ, c'est-à-dire dans ce qu'on ne nous montre pas. Ainsi quand la victime appelle, on sent bien la frénésie qu'il y autour d'elle. Pourtant, nous ne voyons que le visage propret du policier dans son centre d'appel. Au contraire du son qui est analysé, décrypté, décodé, l'image est laissée à notre imaginaire. Un peu comme lorsqu'on nous lit une histoire. Chaque bruit a son importance et nous projette un monde nouveau. C'est maîtrisé, tendu, efficace. Sous son apparence manipulatrice, The Guilty est surtout psychologique, voire mentale. Pour le spectateur.
A Bruxelles, les 8e Prix Magritte ont décerné cinq prix à Une famille syrienne de Philippe Van Leeuw, récompensé en tant que meilleur film, pour sa réalisation, son scénario, son image et sa musique. Les César belges francophones ont aussi primé Home, le film flamand de Fien Troch (meilleur film flamand), Faut pas lui dire (meilleur premier film), Grave (meilleur film étranger en coproduction, meilleurs décors), Chez nous (meilleure actrice pour Emilie Dequenne), King of the Belgians (meilleur acteur pour Peter Van den Begin), Noces (meilleur second-rôle féminin pour Aurora Marion, meilleurs costumes), Le fidèle (meilleur second-rôle masculin pour Jean-Benoît Ugeux), Mon ange (meilleur espoir féminin pour Maya Dory), Dode Hoek (meilleur espoir masculin pour Soufiane Chilah), Sonar (meilleur son), Paris pieds nus (meilleur montage). Et Sandrine Bonnaire a reçu un Magritte d'honneur.
Un peu plus au nord, aux Pays-bas, le 47e Festival international du film de Rotterdam (IFFR) a élu un film chinois, The Widowed Witch de Cai Chengjie, pour son Tigre d'or. Un prix spécial du jury a été remis à The Reports on Sarah and Saleem de Muayad Alayan pour le scénario de Rami Alayan tandis que le film a aussi reçu le Prix du public du Fonds Hubert Bals. Le public a choisi pour son grand prix The Guilty de Gustav Möller, par ailleurs récipiendaire du prix du jury jeunes. Notons que Lucrecia Martel, une habituée cannoise, a été distinguée par le Prix KNF (les critiques néerlandais) pour Zama, tandis que Balekempa d'Ere Gowda a reçu le Prix de la critique internationale FIPRESCI.
A Gérardmer, le jury du 25e Festival internernational du Film Fantastique composé de Mathieu Kassovitz, Pascale Arbillot, David Belle, Nicolas Boukhrief, Judith Chemla, Suzanne Clément, Aïssa Maïga, Olivier Mégaton et Finnegan Oldfield, a plébiscité Ghostland de Pascal Lauguer, une coproduction franco-canadienne qui sortira le 14 mars (avec Mylène Farmer au générique). Ghostland a aussi été honoré du Prix du public et du Prix du jury Syfy. Un autre film canadien, Les affamés, de Robin Aubert (dont Netflix vient d'acquérir les droits), partage le Prix du jury avec Les bonnes manières de Juliana Rojas et Marco Dutra. Ce film franco-brésilien qui sort le 21 mars a aussi reçu le prix de la critique.
Enfin, à Madrid, c'était le week-end des 32e Goyas, les Oscars espagnols. La libreria d'Isabel Coixet, a raflé les prix les plus importants: film, réalisation, scénario adapté. La cinéaste avait déjà remporté un triplé équivalent pour The Secret Life of Words en 2006 (film, réalisation, scénario original). D'autres films sont repartis avec le sourire: Eté 1993 de Carla Simon (premier film, second-rôle masculin pour David Verdaguer, révélation féminine pour Bruna Cusi), Handia, le géant d'Altzo de Aitor Arregi et Jon Garano (scénario original, image, musique, espoir masculin pour Eneko Sagardoy, décors, costumes, direction artistique, maquillage et coiffure, effets spéciaux), El autor de Manuel Martin Cuenca (acteur pour Javier Gutiérrez, second-rôle féminin pour Adelfa Calvo), No sé decir adiós de Lino Escalera (actrice pour Natalie Poza). En animation, la suite de Tad l'explorateur perdu a triomphé. Deux nommés aux Oscars se sont répartis les prix des meilleurs films étrangers: la Palme d'or The Square (meilleur film européen) et le Teddy Award de Berlin Une femme fantastique (meilleur film en langue espagnole). Enfin, Marisa Paredes a reçu un Goya d'honneur. C'était son premier Goya après deux nominations.
Le premier film de Marilia Rocha, A Cidade onde envelheço, qui avait fait son avant-première mondiale à Rotterdam en début d'année, a remporté l'Abrazo du meilleur film au 25e Festival Biarritz Amérique latine, qui se déroulait du 26 septembre au 2 octobre. Le film raconte l'histoire de deux jeunes femmes portugaises qui s'installent au Brésil.
Autre film brésilien honoré par le jury d'Alfredo Arias, Aquarius, qui est sorti en salles la semaine dernière et qui avait été en compétition au Festival de Cannes. Le film a reçu le prix du jury et le prix d'interprétation féminine pour Sonia Braga.
Le prix d'interprétation masculine a été décerné à l'acteur argentin Alejandro Sieveking pour son rôle dans El invierno, qui avait gagné deux prix au Festival de San Sebastian il y a une semaine. Le film d'Emiliano Torres repart aussi avec le prix de la critique.
Le prix du public a préféré distinguer le film venezuelien El Amparo de Rober Calzadilla.
Le Prix ARTE International a distingué le nouveau projet du cinéaste grec Yorgos (Giorgios en anglais) Lanthimos, The Lobster. L'an dernier, c'était déjà un projet grec qui avait gagné ce prix puisque la cinéaste Athina Rachel Tsangari, à qui l'on doit Attenberg avait été récompensée pour son projet de science-fiction, Duncharon. Notons que Tsangari produit tous les films de Lanthimos et que celui-ci a co-produit le film Attenberg de la réalisatrice.
Lanthinos est actuellement la figure de proue du nouveau cinéma grec. En 2009 avec Canine (son deuxième film), il a reçu le Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes mais aussi deux prix au FCMM de Montréal, deux autres au Festival du film fantastique de Sitges, et une nomination à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Deux ans plus tard, avec Alps (Alpeis), qui sort en France le 27 mars, il gagne le grand prix du festival de Sydney et le prix du scénario au Festival de Venise.
Son futur film, The Lobster, fable fantastique et futuriste, se focalise sur un monde aux lois et aux règles tyranniques. "Une dystopie (contre-utopie) où les hommes et les femmes sont obligés de vivre en couple et subissent un terrible châtiment s’ils désobéissent" selon le communiqué. Sur son blog, Olivier Père, nouveau directeur général d'ARTE France cinéma, évoque une "histoire à la folle originalité qui s’inscrit dans la lignée littéraire d’Orwell et de Bradbury."
Ce sera son premier film en langue anglaise. En effet, le cinéaste, 40 ans cette année, vit et travaille à Londres. Le tournage doit se dérouler en Irlande.
Le fonds de soutien Hubert-Bals, créé par le Festival international de Rotterdam, a par le passé aidé des films comme Oncle Bonmee..., Palme d'or à Cannes, et Winter Vacation, Léopard d'or à Locarno, ou encore Uzak (Loin) et Japon. Encouragé par un tel succès, il vient lors de sa session automnale de répartir 349 000 euros à des projets venus principalement d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.
Les films soutenus dans cette sélection d'automne se répartissent en plusieurs catégories :
- section post-production : Ausencias de Milagros Mumenthaler (Argentine, Pays-Bas), Black Blood de Zhang Miaoyan (Chine), Flying Fish de Sanjeewa Pelanwattage (Sri Lanka),The Old Donkey de Li Ruijun (Chine) et Paraísos artificiales d'Yulene Olaizola (Mexique) ;
- section numérique : If It Is Not Now, Then When ? de James Lee (Malaysie), Steel is the Earth de Mes de Guzman (Philippines) et Las voces de Carlos Armella (Mexique) ;
- section "aide à l'écriture" : Mai morire d'Enrique Rivero (Mexique), Rey de Niles Atalla (Chili), Plemya de Myroslav Slaboshpytskiy (Ukraine), Cactus Flower de Hala Elkoussy (Egypte), Conurbano de Gregorio Cramer (Argentine), Dos disparos de Martín Rejtman (Argentine), Marustali de Geethu Mohan Das (Inde), La mujer de barro de Sergio Castro San Martín (Chili), Oxhide 3 de Liu Jiayin (Chine), Sombra del arbol de Pedro Gonzalez-Rubio (Mexique) et While Waiting for You de Prasanna Vithanage (Sri Lanka) ;
- section "aide à la distribution" : Qarantina d'Oday Rasheedin (Irak), Amakula Mobile Cinema d'Amakula Kampala IFF (Ouganda) et Year Without a Summer de Tan Chui Mui (Malaysie).
Parmi les réalisateurs retenus, on note la présence de James Lee, dont on a pu découvrir la "trilogie de l'amour" (Before We Fall in Love Again, Things We Do When We Fall in Love, Waiting for love) ; le Srilankais Prasanna Vithanage, habitué notamment du festival de Vesoul (Soleil d'août, Flowers in the sky) ; Pedro Gonzalez-Rubio dont le premier long métrage, Alamar, a reçu le Grand prix du jury du Festival de Miami et le prix Tiger à celui de Rotterdam (sur nos écrans le 1er décembre) ou encore Liu Jiayin, cette réalisatrice chinoise à qui l'on doit les deux premiers volets minimalistes d'Oxhide.
Le fonds Hubert Bals permet ainsi de soutenir des cinéastes souvent confidentiels ou ayant des difficultés à monter leurs films mais également de faciliter l'émergence de nouveaux talents dans les pays dits "du sud". Or, qui sait, peut-être se cache-t-il parmi eux la prochaine coqueluche des festivals internationaux...
Avec Lou Ye, un parfum de souffre et de censure se lève sur la croisette. Ce réalisateur chinois d’une quarantaine d’années joue en effet à cache-cache avec les autorités de son pays depuis qu’en 2000 son deuxième long métrage Suzhou River, une histoire d’amour onirique, a été interdit sur le territoire chinois. Présenté au festival de Rotterdam, le film a néanmoins remporté le Grand prix, attirant l’attention de la critique internationale sur ce nouveau cinéaste de la 6e génération (qui recouvre les cinéastes postérieurs à 1989 et aux évènements de Tien An Men, comme Jia Zhang-ke ou Wang Chao).
On retrouve ensuite Lou Ye en compétition à Cannes, et même avec une certaine constance : Purple butterfly (une fresque retraçant le conflit sino-japonais des années 30, avec Zhang Ziyi) en 2003, Une jeunesse chinoise (Summer Palace) en 2006 (qui aborde directement les affrontements de la Place Tian An Men) et Nuit d’ivresse printanière (Spring fever) cette année. Ce dernier, qui relate la relation homosexuelle secrète d’un homme marié, est annoncé comme une œuvre extrêmement sensuelle, voire crue. Il a été tourné dans le plus grand secret, clandestinement, à Nanjing et monté en France.
En effet, en brisant le tabou de Tian An Men, Une jeunesse chinoise a valu au réalisateur une interdiction de tourner en Chine pendant cinq ans. Ces dernières années, une sanction similaire avait été infligée entre autres à Yu Lik-wai (All tomorow’s parties) et Li Yang (Blind shaft), allant à l’encontre des affirmations selon lesquelles les autorités chinoises se montreraient plus "tolérantes" envers la création artistique… Reste à vérifier si surfer sur une réputation de cinéaste maudit et une bonne dose de polémique ne finit pas par desservir le travail du cinéaste.
Synopsis : « Tu parles de moi comme d’un vieux truc à vendre. » Pablo, 11 ans, est livré à lui même, entre Pigalle et La Chapelle. Pendant que sa mère boit au comptoir, il passe son temps avec des jeux vidéos. Le soir, tard, ils rentrent dans la chambre d'hôtel. Un jour, sa mère le laisse seul durant un week-end, pour s'amuser avec un de ses "amants". Pablo en profite pour demander à Louis, un voyou recherché par des types qu'il a arnaqué, de le conduire chez son père, quelque part en Espagne.
Notre avis : Cowboy Angels est un blues urbain aux airs de déjà vu qui se mue, doucement, en road movie plus imprévisible. Caméra à l’épaule, Kim Massee, avec ses peu de moyens, bricole un film attachant mais, inévitablement, inabouti. Cinématographiquement, le spectateur sera davantage séduit par les plans larges donnant une atmosphère souvent juste au contexte. Mais elle sait aussi installer quelques instants de grâce dans ce monde brut. Voix éraillées, volutes de fumées, personnages à la marge : Cowboy Angels fuit le glamour et cherche à atteindre un cinéma vérité. Des voyous à la petite semaine, un gamin (Diego Mestanza) en quête du père. Le film prolonge une forme de néoréalisme où la beauté se doit d’être intérieure.
Hélas, cela frôle parfois avec un cinéma plus amateur, semblant improvisé. L’humanité du cowboy et de l’ange tarde à se faire ressentir, et il faut supporter une forte dose d’acidité avant de se laisser tenter par cette relation agressive, gueularde, méfiante. Les Dardenne ne sont pas loin. Rien n’est zen.
Et peut-on s’intéresser à cette figure du père (Thierry Levaret), bourrée de principes (qu’il s’applique peu), érigeant le fric comme valeur suprême, où le lien qui se tisse avec le gamin est douteuse, rarement sincère, peu ouverte.
Et puis Cowboy Angels manque de piment. La musique et les ralentis n’y font rien. La dramatisation ne fonctionne pas. Certaines séquences, pas assez écrites, tombent à plat, ressemblant davantage à un reportage ou film de vacances. Pour faire vrai. La réalisatrice aurait dû être davantage inspirée par ses grands moments de vide, vertiges plus passionnants. Dès que la fiction et le romanesque s’en mêlent, le film laisse deviner ce qu’il aurait pu être. Le final au commissariat est même la séquence la mieux écrite, la plus intense.
Film de l’impasse – familiale, sociétale, économique – c’est aussi, paradoxalement, un espoir éventuel d’un cinéma à part.