César 2020: « Les Misérables » triomphe

Posté par vincy, le 28 février 2020

Florence Foresti a ouvert cette cérémonie pas comme les autres, avec Tchéky Karyo, qui ne s'est pas "rasé depuis Nikita". La 45e cérémonie des "connards, euh des César" a commencé avec un film court où elle parodie le Joker, personnage qui, rappelons-le, tente de faire rire en se croyant fait pour le stand-up.

Comme quoi le cinéma américain est toujours plus inspirant pour les ouvertures de cette soirée annuelle. Mais il fallait bien chauffer la salle depuis que ces César étaient menacés de gel. "Ça va la diversité? Vous vous êtes crus à la MJC de Bobigny. ici, c'est l'élite, on dégage".  Une polémique de moins. "Je suis très heureuse d'être là... enfin non... je suis très courageuse. Elle a bien choisi son année pour revenir la Foresti", balance-t-elle. "On est sur du rire bio".

Brillante, évidemment, elle s'est moquée de l'époque avec son autodérision habituelle (blackface et salut nazi): "Il semblerait que je sois blanche, hétéro, d'héritage chrétien. C'est pas grave!" Mais évidemment on l'attendait sur J'accuse -" douze moments où on va avoir un souci". Et elle s'en est bien sortie, avouons-le. Piquant avec humour Céline Sciamma et son équipe à 80% féminine, loin des objectifs du collectif 50/50. Du coronavirus à la bite de Benjamin Griveaux, toute l'actu y est passée pendant la cérémonie. Jusqu'à se payer l'Académie: "Y a plus de patron, c'est pas une intérim qui va m'arrêter". Jusqu'à rencontrer Isabelle Adjani dans un sketch filmé. Rappelons que Foresti avait fait il y a 5 ans une parodie de la star qui est devenue culte. Et Adjani de jouer les fausses folles, reprenant ainsi le sketch télévisuel de Foresti.

Sandrine Kiberlain a alors ouvert la soirée en tant que présidente. "Heureuse et touchée" d'être présidente de cette cérémonie, "la dernière d'une époque, la première d'une nouvelle", elle a pesé chacun de ses mots et clamé un discours résolument féministe. Un discours très social aussi  "Je crois profondément aux vertus de la crise" affirme-t-elle, citant Victor Hugo, mai 68, mais aussi des films oubliés par les nominations comme Les invisibles, C'est ça l'amour et Tu mérites un amour. Classe.

Moins convaincants, les discours des remettants, trop insistants, maladroits, parfois lourds ou plombants (on ne le dira jamais assez: l'écriture est le parent pauvre du cinéma), ou alors complètement insipides. Dommage parce que ça allait dans le bon sens de l'inclusion et de la diversité. Au final, beaucoup d'intermèdes étaient trop longs et assez vains. Il a fallu attendre deux heures et demi pour passer aux catégories reines. Imaginez notre supplice. Heureusement, il y a eu le bel hommage à Agnès Varda, en chanson, en voix et en images.

La diversité, l'égalité et la mixité étaient pourtant sur scène, notamment avec beaucoup de femmes lauréates (y compris dans les métiers techniques). Les remettants, bien sûr, mais aussi du côté des lauréats avec la belle double victoire Papicha. Ce n'est pas la seule réalisatrice couronnée puisque Yolande Zauberman a été primée côté documentaires, succédant à Agnès Varda et Mélanie Laurent dans cette catégorie essentiellement masculine. Et le court métrage a récompensé une co-réalisatrice (Lauriane Escaffre).
Avec sa nouvelle règle, le César du public a échappé à Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu?, champion du box office, au profit des Misérables de Ladj Ly.

C'est une fois de plus le festival de Cannes qui cartonne avec J'ai perdu mon corps, La belle époque, Roubaix une lumière, Portrait de la jeune fille en feu, Parasite, Alice et le maire, Les Misérables et Papicha parmi les vainqueurs. Il n'y a pas eu de vrais perdants parmi les multi-nommés. C'est même plutôt un palmarès plutôt équilibré. Et de Roschdy Zem à Anaïs Demoustier en passant par Fanny Ardant et Swann Arlaud, les remerciements étaient beaux, les prix mérités.

Mais c'est bien Roman Polanski, récompensé personnellement par deux César dont celui de la réalisation, qui aura fait un bras d'honneur à tous.  On aurait tellement aimé, pour le symbole, que Céline Sciamma, soit distinguée. Les professionnels ont finalement fait de la résistance en séparant l'homme de l'artiste. Mais c'est quand même une provocation ce César pour Polanski (certes pas le premier). Un "symbole mauvais" comme anticipait le ministre de la Cuture. Adèle Haenel en a quitté la salle. Elle qui a tout bousculé, ouvert la voie, donner de la voix aux femmes, aura finalement été humiliée par les votants de l'Académie. D'autres personnes, dont Céline Sciamma, la suivent en criant "Quelle honte !". Un silence glacial paralyse la salle. Florence Foresti balance un "écoeurée" sur Instagram.

Heureusement, le seul vainqueur est un premier film venue de la banlieue, métissé et certes très masculin. Les Misérables, et son petit budget, a été récompensé quatre fois et sacré par le prix meilleur film. Le cinéma français, terre de contrastes et de contradictions...

Palmarès

César du meilleur film : Les Misérables
César de la meilleure réalisation : Roman Polanski pour J'accuse
César du meilleur premier film : Papicha de Mounia Meddour
César du film d'animation (long métrage) : J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
César du film d'animation (court métrage) : La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel
César du meilleur film documentaire : M de Yolande Zauberman
César du meilleur court métrage : Pile poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller
César du public : Les Misérables
César du meilleur film étranger : Parasite de Bong Joon-ho

César de la meilleure actrice : Anaïs Demoustier dans Alice et le maire
César du meilleur acteur : Roschdy Zem dans Roubaix, une lumière
César du meilleur second-rôle féminin : Fanny Ardant dans La belle époque
César du meilleur second-rôle masculin : Swann Arlaud dans Grâce à Dieu
César du meilleur espoir féminin: Lyna Khoudri dans Papicha
César du meilleur espoir masculin: Alexis Manenti dans Les Misérables

César du meilleur scénario original : Nicolas Bedos pour La belle époque
César de la meilleure adaptation: Roman Polanski et Robert Harris pour J'accuse, d'après le roman D. de Robert Harris
César de la meilleure musique : Dan Levy pour J'ai perdu mon corps
César de la meilleure photo : Claire Mathon pour Portrait de la jeune fille en feu
César du meilleur montage : Flora Volpelière pour Les Misérables
César des meilleurs décors: Stéphane Rozenbaum pour La belle époque
César des meilleurs costumes: Pascaline Chavanne pour J'accuse
César du meilleur son : Nicolas Cantin, Thomas Desjonquières, Raphaël Mouterde, Olivier Goinard et Randy Thom pour Le Chant du loup

Le Prix Alice Guy 2020 pour Papicha

Posté par vincy, le 20 février 2020

Le jury du Prix Alice Guy a délibéré ce jeudi 20 février au restaurant Aux Lyonnais à Paris pour désigner la lauréate parmi les cinq finalistes: Atlantique de Mati Diop, Jean Vanier, le sacrement de la tendresse de Frédérique Bedos, Papicha de Mounia Meddour, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et Proxima d’Alice Winocour.

C'est Papicha qui a été retenu. Le Prix Alice Guy 2020 sera officiellement remis à la réalisatrice, à Paris, au printemps, lors d’une soirée ouverte au public, durant laquelle des courts métrages d’Alice Guy et le film primé seront projetés. Pour la deuxième année consécutive, le Prix est doté par la SACD.

Le jury était composé cette année de Yann Arthus-Bertrand, Catherine Corsini, Emmanuel Denizot, Julie Gayet, Jordan Mintzer, et Marianne Slot.

Sorti le 9 octobre dernier, Papicha a attiré 260000 spectateurs. En sélection à Un certain regard à Cannes en mai, le film est deux fois nommé aux César (premier film, espoir féminin).

Les 5 finalistes du Prix Alice Guy 2020

Posté par vincy, le 21 janvier 2020

78 films étaient en lice pour la troisième édition du 3e Prix Alice Guy qui récompense la réalisatrice de l’année.

Cinq finalistes ont été pré-sélectionnés lors un vote ouvert à tous, accessible sur le site internet prixaliceguy.fr et qui s’est déroulé du 15 décembre 2019 au 15 janvier 2020. 2985 internautes (+ 25% de participants par rapport à l'an dernier) ont élu leurs cinq films réalisés par une femme:

Un jury de professionnels du cinéma se réunira le 20 février prochain pour élire le lauréat de l'année. En espérant que cette année, une deuxième réalisatrice dans l'histoire des César reparte avec le trophée du meilleur réalisateur, 20 ans après Tonie Marshall.

Les réalisatrices triomphent à Angoulême

Posté par vincy, le 25 août 2019

C'est un palmarès très féminin que celui du 12e Festival du film francophone d'Angoulême décerné ce soir.

La présidente du jury, Jacqueline Bisset, et son jury ont récompensé un film (d'animation!) réalisé par deux femmes, une primo-réalisatrice et deux fois un film réalisé par une femme, qui repart aussi avec le prix du public.

Ce fut donc le sacre de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec, avec Les hirondelles de Kaboul (présenté à Un certain regard à Cannes et qui sort le 4 septembre), Valois de diamant et Valois de la musique ; Hafsia Herzi, avec Tu mérites un amour (présenté à la Semaine de la critique à Cannes et qui sort le 11 septembre), Valois de la mise en scène ; et Mounia Meddour, avec Papicha (présenté à Un certain regard à Cannes et qui sort le 9 octobre), Valois de la meilleure actrice, du scénario et du public.

Les Valois ont aussi primé Nina Meurisse, l'interprète de Camille le film de Boris Lojkine et Anthony Bajoin, l'acteur d'Au nom de la terre d'Edouard Bergeon, qui par ailleurs est aussi à l'affiche de Tu mérites un amour.

Palmarès

Valois de diamant
Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec

Valois de la mise en scène
Hafsia Herzi pour Tu mérites un amour

Valois de l’actrice
Lyna Khoudri dans Papicha de Mounia Meddour et Nina Meurisse dans Camille de Boris Lojkine

Valois de l’acteur
Anthony Bajon dans Au nom de la terre d’Edouard Bergeon

Valois du scénario
Mounia Meddour pour Papicha

Valois René Laloux du meilleur court-métrage d’animation
Selfies de Claudius Gentinetta

Valois de la musique
Alexis Rault pour Les Hirondelles de Kaboul d

Valois des étudiants francophones
Adam de Maryam Touzani

Valois du Public
Papicha de Mounia Meddour

Cannes 2019: les 15 films à ne pas manquer

Posté par redaction, le 30 mai 2019

Voici 15 films projetés au Festival de Cannes que nous vous recommandons fortement. 15 rendez)vous cinématographiques aussi éclectiques qu'incontournables. Certains sont en salles ou s'apprêtent à débarquer dans les cinéma. Pour d'autres, il faudra attendre. En attendant, vous pouvez découvrir les films cannois lors des reprises:
- Un Certain regard: jusqu’au 4 juin, le réseau de salles d’art et d’essai « Ecrans de Paris » – l’Arlequin (6e), l’Escurial (13e), le Majestic Bastille (11e), le Majestic Passy (16e) et le Reflet Médicis (5e)
- La Quinzaine des Réalisateurs: à Paris, au Forum des images, du 30 mai au 9 juin ; à Marseille, le cinéma Alhambra du 28 mai au 9 juin ; à Bruxelles, à la Cinematek, du 1er au 7 juillet.
- La Semaine de la Critique: à la Cinémathèque française, les 10 courts et 10 longs-métrages du 5 au 12 juin.

Douleur et Gloire de Pedro Almodovar (Pathé - 17 mai 2019)
Depuis Volver, Pedro Almodovar n'avait plus conquis unanimement le public et les critiques. Hormis La Piel que Habito, il semblait ne plus pouvoir se renouveler formellement. Avec cette autofiction, le cinéaste espagnol transcende son cinéma pour l'amener vers une épopée de l'intime d'un homme vieillissant tout autant que l'immerger dans un portrait crépusculaire de l'artiste. Antonio Banderas incarne ainsi son mentor, en trouvant là le plus grand rôle de sa carrière. En offrant un cinéma généreux autour d'un récit mélancolique, Almodovar parvient surtout à réconcilier le passé et le présent pour surmonter le noir et tendre vers la lumière.

Parasite de Bong Joon-ho (Les Bookmakers / The Jokers - 5 juin 2019)
Première Palme d'or sud-coréenne, le film de Bong Joon-ho fait écho à la Palme japonaise de l'an dernier, Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda. Tous deux filment une population exclue, survivant dans la misère en captant des miettes de la prospérité libérale. Mais ici, le cinéaste en fait un film de genre, le "Home Invasion", où la redistribution des richesses va finir en carnage. Une lutte des classes intense et violente, où le mépris des uns se mêle aux envies des autres. On en ressort enthousiasmé, jubilant d'avoir vécu un "roller-coster" divertissant et intelligent, imprévisible et irrésistible.

Être vivant et le savoir d'Alain Cavalier (Pathé - 5 juin 2019)
Un écran de cinéma pour conjurer la mort, quelle plus belle idée pourrait-on trouver ? Alain Cavalier rend hommage à son amie Emmanuèle Bernheim à travers des extraits de son journal filmé, des passages de son journal écrit, des réflexions en voix-off et des mises en scène de statues, de pigeons et de courges parfois en décomposition. Il convoque en filigrane le film qu'ils n'auront jamais pu faire ensemble, et sa propre mort, qui flotte sur le film comme une présence familière.

Le Daim de Quentin Dupieux (Diaphana - 19 juin 2019)
Pour son huitième long-métrage, Quentin Dupieux s’intéresse à la folie d’un homme (Jean Dujardin) qui plaque tout et décide sur un coup de tête et un coup de cœur de s’acheter le blouson 100% daim de ses rêves. Sur son passage, il croise la route de Denise (Adèle Haenel), une barmaid aussi barrée que lui. Un quiproquos va les amener à travailler ensemble, sans se douter que l'aliénation n'est pas loin.Ensemble, ils donnent lieu à la comédie existentielle la plus loufoque de l’année.

Give Me Liberty de Kirill Mikhanovsky (Wild Bunch - 24 juillet 2019)
Grâce à un héros complètement dépassé (un jeune conducteur de bus pour personnes handicapées), Kirill Mikhanovsky se lance dans un portrait-charge de l’administration Trump qui ne soutient pas davantage les minorités que les gouvernements précédents. Drôle, touchant et cacophonique, Give Me Liberty est le grand film choral et social dont nous avons besoin.

Bacurau de Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho (SBS distribution - 25 septembre 2019)
C'est un peu le village d'Astérix contre l'Empire suprémaciste et ultra)libéral mondialisé. Le film brésilien est un film de genre où rien n'est vraiment attendu, jusqu'au final digne d'un western à l'ancienne. Dans ce proche avenir aussi terrifiant que glaçant - un monde autoritaire aux élus corrompus -, ce safari où de simples citoyens sont les proies, s'amuse à jouer avec nos nerfs tout en livrant un puissant message d'entraide et de solidarité. Il n'y a pas de banquet à la fin mais c'est tout comme.

Atlantique de Mati Diop (Ad Vitam - 2 octobre 2019)
Avec son premier long métrage, Mati Diop propose un singulier récit de l'exil, raconté du point de vue de ceux qui restent. Mêlant observation sociologique, polar et fantastique, la réalisatrice parvient ainsi à donner un visage et une histoire aux milliers de réfugiés qui reposent dans les fonds sous-marins, sans sépulture et sans oraison funèbre. Ce faisant, elle propose une œuvre puissante et ultra-contemporaine qui interroge frontalement la notion de responsabilité collective.

Alice et le maire de Nicolas Pariser (Bac films - 2 octobre 2019)
Avec son second long-métrage, Nicolas Pariser signe un constat cinglant du paysage politique français actuel : le PS est mort par manque d’ambition. Un constat qui lui est permis par le biais du maire socialiste et fictif de Lyon, en proie à une panne d’idées. Il a besoin d’une philosophe à ses côtés pour se rassurer. Une comédie piquante et actuelle portée avec brio par le duo Fabrice Luchini-Anaïs Demoustier.

Chambre 212 de Christophe Honoré (Memento films - 9 octobre 2019)
Avec une fable presque surréaliste à la Blier et une variation sur le couple pris dans le piège de l'individualité et de l'infidélité, Christophe Honoré réussit son film le plus drôle et le plus juste. L'auteur-metteur en scène-cinéaste continu ainsi d'explorer le désir, l'amour et la fuite à travers une femme qui assume l'évolution de ses plaisirs tout en craignant son propre vieillissement. Sous ses airs de marivaudage, le film est avant tout une illustration inspirée des contradictions humaines dans une société conservatrice et hédoniste.

Papicha de Mounia Meddour (Jour2fête - 9 octobre 2019)
Des étudiantes ont des rêves d'avenir dans l'Algérie des années 90, au moment où des intégristes veulent imposer de nouvelles restrictions par la menace. Sans doute à cause d'un contexte lourd, on est sensible à l'énergie vibrante et féministe de cette bande de filles qui résiste et ne se soumettent pas à faire des concessions contre leur liberté. Au premier plan, on découvre la révélation Lyna Khoudri, épatante.

J’ai perdu mon corps de Jeremy Clapin (Rezo films - 6 novembre 2019)
Une main, séparée de son corps, part à sa recherche. Il règne dans le premier long métrage de Jérémy Clapin une mélancolie profonde, faite de souvenirs et de regrets. Le récit ténu oscille ainsi entre les moments suspendus de nostalgie, les tranches de vie simple d'un personnage en quête d'une place dans le monde, et de véritables scènes d'action initiatiques. On est frappé par la précision et la virtuosité de la mise en scène qui offre tout à tour un souffle épique et une justesse absolue dans le registre de l'intime.

Les misérables de Ladj Ly (Le Pacte - 20 novembre 2019)
Ce n'est pas un énième film sur la banlieue, mais plutôt le tableau d'une société en plein chaos. Si tout le film tend vers un final violent et intense que n'aurait pas renié John Carpenter tant il est suffocant, il s'agit avant tout d'une parfaite représentation d'une France éclatée, où les communautés comme les générations sont incapables de s'écouter et a fortiori de se respecter. Ici, rien n'est binaire. Les Misérables est tout autant humain que désespérant. C'est avant tout épatant, puisque nous nous attachons à chacun des protagonistes, peu importe leur camp.

It must be heaven d'Elia Suleiman (Le Pacte - 4 décembre 2019)
Avec peu de dialogues mais un sens aigüe de l'observation et un génie de la situation, le cinéaste palestinien nous emmène à Paris et à New York pour un état des lieux du monde pas forcément réjouissant. Et pourtant on rit devant ses facéties, sa tête de Droopy impassible, ses petites mésaventures et ce burlesque qui s'invite jamais où on l'attend. Malgré sa légèreté apparente, cet elixir de bonheur, exquis de bout en bout, ne manque pas de profondeur. Manifeste politique, engagé même, la comédie est douce-amère et même festive. Une pépite.

La vie invisible d'Euridice Gusmao de Karim Aïnouz (ARP Sélection - 25 décembre 2019)
Alors que les feuilletons français de début de soirée cartonnent sur le petit écran, rendons aux Brésiliens l'art de la télénovela. Karim Aïnouz la projette sur grand écran avec une belle et grande fresque aussi émouvante que déchirante sur deux sœurs que le destin sépare. Ode à l'émancipation féminine et critique du pouvoir patriarcal, le film traverse une décennie (et un peu plus) pour nous embarquer dans un double récit passionnant. On ressort conquis par les deux actrices et séduit par cette histoire dramatique. Mais loin d'être superficiel et léger, ce mélo est aussi très beau.

And then We Danced (Et puis nous danserons) de Levan Akin (ARP Sélection - date de sortie encore non communiquée)
Dans la lignée de Call Me by Your Name et Moonlight, le film de Levan Akin s’intéresse aux premiers émois amoureux (et sexuels) d’un jeune danseur en quête d’identité. Doublé d’une chronique de la Géorgie toujours aussi peu tolérante - c'est un euphémisme - envers les LGBT, And then We Danced finira sans l’ombre d’un doute au panthéon des films gays.

Cannes 2019 : l’intime et la liberté au féminin à Un Certain Regard

Posté par MpM, le 28 mai 2019

Un Certain Regard, section souvent encensée par les festivaliers comme sorte de compétition bis, plus riche en découvertes et en révélations que la vraie compétition, semble avoir mécaniquement souffert cette année de la très grande qualité des films en lice pour la Palme d'or. Par comparaison, on a en effet eu le sentiment que les 18 films présentés en salle Debussy étaient à quelques rares exceptions près inaboutis, pas assez singuliers, fragiles, voire carrément anecdotiques.

Cela se sent au niveau de la qualité (subjective) des films, mais aussi des thématiques abordées, et du regard porté sur le monde. Un Certain Regard a ainsi été moins traversé par la vision apocalyptique d’un monde sur le point de disparaître que n'a pu l'être la compétition. Cette année, c’est au contraire l’intime qui était au cœur de tout. Des histoires d’amour et d’amitié, des rencontres, des trajectoires personnelles, des destins empêchés ou brisés par des événements qui les dépassent, mais dans tous les cas de simples individus pris dans une tourmente plus personnelle que blobale.

Le fil rouge de l'intime


Dans La femme de mon frère de Monia Chokri, c'est par exemple une jeune femme trop attachée à son frère, qui souffre de le voir heureux avec une autre. Dans Port Authority de Danielle Lessovitz, un jeune homme un peu paumé tombe amoureux d'une jeune femme rencontrée dans la rue et tente de se faire accepter par les siens. Chambre 212 de Christophe Honoré et Once in Trubchevsk de Larisa Sadilova sont chacun dans leur style des histoires de couples qui s'aiment, se trompent et se retrouvent. Dans Summer of Changsha de Zu Feng, un enquêteur de police n'arrive pas à se remettre du suicide de sa petite amie. The Climb de Michael Angelo Covino présente une amitié toxique entre deux amis d'enfance, dont l'un convoite sans cesse ce qu'a l'autre.

Chez Kantamir Balagov, dans Une Grande fille, ce sont deux femmes qui sont unies par une amitié dévorante. La vie invisible d'Euridice Gusmao de Karim Aïnouz raconte en creux le lien indéfectible qui n'a jamais cessé de relier deux sœurs séparées par la vie. Et Adam de Maryam Touzani est l'histoire d'une rencontre fortuite entre une femme qui s'est fermée à l'amour et une jeune fille sur le point d'accoucher. Bull de Annie Silverstein, quant à lui, raconte l'amitié naissante entre une adolescente blanche paumée et un adepte de rodéo noir et vieillissant

De même, quand la grande histoire s’invite dans les intrigues, c’est toujours par le prisme de la petite. Presque par la bande, en se focalisant sur la manière dont la réalité affecte les personnages plus que sur cette réalité en elle-même. C'est le cas dans Une grande Fille : malgré le contexte de la fin de la guerre et du terrible siège de Leningrad, les événements historiques ne sont jamais au cœur du film. En revanche, ils servent de contexte à l’histoire, et permettent au réalisateur d’observer les traumatismes subis par ses personnages, et la manière dont ils affectent leurs relations.

Dans Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, on suit le destin particulier de quelques personnages aux prises avec le régime des Talibans, qui luttent chacun à sa manière pour exister dans le cadre ultra étroit qui leur est imposé. Dans Papicha, le personnage central est une jeune étudiante qui résiste à l’obscurantisme de différents groupes islamistes faisant régner la terreur à Alger en s’accrochant à sa passion du stylisme. En confectionnant de belles robes pour les jeunes femmes de la ville, et en organisant un défilé de mode dans l'université, la jeune fille affirme sa liberté et son indépendance. Nina Wu de Midi Z aborde frontalement la question du harcèlement dans le milieu du cinéma, en se concentrant sur les séquelles indélébiles qui détruisent à petit feu son personnage. Enfin, En terre de Crimée de Nariman Aliev s'ancre dans la situation complexe de la Crimée, que se disputent la Russie et l'Ukraine, mais à travers l'histoire ténue d'un père (qui appartient à la minorité tatare) souhaitant enterrer son fils sur sa terre natale de Crimée, au risque de tout perdre.

Le poids des dilemmes


C'est l'un des autres points saillants du Certain Regard 2019, la présence au sein de la plupart des histoires d'un dilemme contraignant les personnages à faire des choix plus ou moins déterminants pour leur existence. On pense évidemment à Jeanne de Bruno Dumont, dans lequel le célèbre personnage historique est présenté sous les traits d'une frêle jeune fille s'accrochant envers et contre tout à ses convictions, et refusant de se renier, même si cela lui permettrait de sauver sa vie. Autre dilemme incommensurable chez Kantamir Balagov (jusqu'où aller pour préserver une amitié ?) et dans Les Hirondelles de Kaboul (Faut-il laisser condamner une innocente ou risquer sa vie à la sauver ?), ou encore chez Midi Z (jusqu'où aller pour obtenir un rôle au cinéma ?), Maryam Touzani (abandonner ou non l'enfant que l'on vient de mettre au monde ?), Mounia Meddour (Céder à la peur ou prendre le risque de vivre pleinement ?) et dans Port authority, qui voit le personnage principal déchiré entre deux loyautés incompatibles. Car la plupart du temps, il n'existe pas de bonne ou de mauvaise décision objective, mais juste deux chemins conduisant à deux avenirs distincts.

La bonne nouvelle, c'est que la plupart des films laissent ainsi véritablement le choix aux personnages, ne les déterminant pas dès le départ à une voie plutôt qu'une autre. Fort de ce libre arbitre, chacun agit en son âme et conscience, et en fonction de ses propres valeurs. Ainsi, dans La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, le Roi Léonce doit-il d'abord se dépouiller de ses attributs d'ours pour régner parmi les hommes, puis renoncer à ses privilèges royaux pour retrouver un sens à sa vie. Liberté d'Albert Serra s'affranchit d'emblée de toute question morale pour n'être qu'une succession de tableaux libertins vivants, filmés magnifiquement jusqu'à l’écœurement. Et pourtant on sent que le film n'est pas si éloigné du sujet, avec son hymne à la liberté de jouir de tout, y compris de l'humiliation et de la douleur.

Car, on le remarque finalement dans la plupart des films présentés cette année, la notion de choix est souvent moins une question de morale que de liberté. Celle d'être maître de son existence, de ne rien se laisser dicter, de vivre sa vie comme on l'entend, de s’affranchir des carcans. Un peu à part dans la sélection, Viendra le feu d'Oliver Laxe aborde en creux cette question de la liberté : une liberté qui peut sembler une soumission,mais qui est celle choisie et vécue par le personnage principal : vivre en harmonie avec la nature, et d'accepter son rôle au sein d'un tout qui le dépasse.

Les femmes au centre


On ne sait pas trop si cette omniprésence d'une quête de liberté, quelle que soit la forme qu'elle prend (aimer qui et comme on veut, s'habiller comme on veut, vivre comme on veut...), est la cause ou la conséquence du rôle central des femmes dans la sélection. Derrière la caméra, bien sûr, avec sept des dix-huit films sélectionnés réalisés par des femmes, mais aussi devant, avec plus des deux tiers présentant des personnages féminins de premier plan, et abordant des questions liées au droit des femmes (Papicha et ses extrémistes refusant aux femmes la liberté de s'habiller comme elles le souhaitent, Les Hirondelles de Kaboul dans lequel les femmes sont des êtres inférieurs interchangeables, La vie invisible d'Euridice Gusmao qui dresse un portrait glaçant du patriarcat triomphant...) ou tout simplement à leur vécu quotidien : harcèlement et même "droit de cuissage" dans Nina Wu, avortement dans La femme de mon frère, viols d'état dans Une Grande fille, maternité dans Adam...

Sans oublier les films qui abordent moins frontalement la question mais offrent de superbes personnages féminins. On pense évidemment à Chiara Mastroianni dans Chambre 212, femme moderne et libre qui suit ses désirs, notamment sexuels, et assume ses infidélités. Il y a aussi la jeune fille de Bull, fascinée par le rodéo jusqu'à souhaiter s'y exercer elle-même, ou encore l'épouse adultère de Once in Trubchevsk qui elle-aussi assume ses sentiments et refuse d'être soumise au bon vouloir d'un homme, sans oublier les libertines de Liberté, qui ont la pleine maîtrise de leur corps et de leur sexualité.

On a donc vécu une édition 2019 d'Un Certain regard peut-être en demi-teinte en terme de chocs cinématographiques, mais passionnante dans ce qu'elle dit du monde. Cette double prise de pouvoir par les réalisatrices et par les personnages féminins participe d'un mouvement général qui redonne la parole à la moitié de l'Humanité, et consacre les problématiques qui lui sont propres comme aussi dignes d'intérêt que les autres. On se réjouit, parmi ces 18 films, de compter dix premiers longs métrages (et même 11 si l'on compte Elé Gobbé-Mévellec qui est en duo avec Zabou Breitman) qui sont autant de promesses pour l'avenir. On attend donc avec impatience le jour où l'on ne se croira plus obligé de souligner la place des femmes dans les films cannois (le fait-on pour les hommes ?) parce qu'elle sera définitivement acquise.