Prix Lumière pour Martin Scorsese: « C’est très émouvant pour moi de recevoir cet hommage dans la ville où le cinéma est né »

Posté par Morgane, le 18 octobre 2015

Vendredi 16 octobre, 19h30, l'Amphithéâtre de la cité internationale de Lyon fait salle comble, comme tous les ans depuis 7 ans pour cette occasion si spéciale qui ponctue le Festival Lumière. Après Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino et Pedro Almodovar, cette année c'est Martin Scorsese à qui va être remis le Prix Lumière… mais des mains de qui? Les suppositions vont bon train. Le choix de Taxi Driver projeté à la suite de cette cérémonie laisse libre cours à notre imagination… On en vient à rêver que Robert De Niro himself vienne remettre le Prix à Martin Scorsese qui lui a offert ses plus grands rôles!

La traditionnelle séance de photocall devant l'effigie de la star du jour commence. Tout le monde passe sous les flash des photographes et les applaudissements du public. Jean-François Stévenin, Jane Birkin, Vincent Perez, Elsa Zylberstein, Françoise Fabian, Richard Anconina, Pierre Lescure, Thierry Frémaux, Michèle Laroque, Géraldine Chaplin, Tony Gatlif, Anne Le Ny, Pierre Richard, Michel Hazanavicius, Bérénice Béjo, Tahar Rahim, Léa Drucker, Edouard Baer, Vincent Lacoste, Hippolyte Girardot, François Cluzet, Salma Hayek… Le bal du 7e Art français.

Nombreux et divers hommages à un des grands maîtres du 7e Art

Et c'est au tour du grand Scorsese de faire son entrée sous un tonnerre d'applaudissements.

La soirée peut alors commencer avec les traditionnelles dix minutes de montage montrant les films projetés durant cette édition 2015. Puis c'est au tour de Camelia Jordana de prendre le micro pour entonner un New York, New York sensuel et intimiste.

La chanteuse laisse la place à Robert De Niro qui n'a malheureusement pas pu être là en chair et en os mais qui a tenu à envoyer un message de 25 secondes (apparemment ce n'est pas un grand parleur) à Martin Scorsese, concluant par ces mots : "amuse-toi bien!"

Puis une petite dizaine de films des Frères Lumière (sur les 1500 environ qu'ils ont tournés) sont projetés dont un sur Istanbul (en hommage à Elia Kazan) et un sur New York (spécialement projeté pour Scorsese).

C'est au tour d'Abbas Kiarostami de rendre hommage à Martin Scorsese en projetant son court-métrage Thanks Marty tout en contemplation dans un paysage enneigé.

Les musiques des films de Scorsese se suivent sans se ressembler sous les doigts du pianiste Jean-Michel Bernard pour laisser place ensuite à un extrait de Around midnight, film de Bertrand Tavernier (1986) dans lequel Scorsese n'est cette fois plus réalisateur mais acteur aux côtés de François Cluzet et Dexter Gordon.

Jane Birkin prend ensuite le micro et entonne As time goes by.

Et de conclure avec un extrait de Laurel et Hardy au Far West (1937) qui avait été projeté aux obsèques d'Alain Resnais, décédé l'année dernière. Thierry Frémaux nous apprend alors que parmi les amitiés de Scorsese il y avait Alain Resnais et que tous deux aimaient beaucoup débattre pour savoir quel malheur serait le plus grand. Ne plus voir de films ou ne plus faire de films? Pas sûr qu'ils aient un jour trouver la réponse.

"Celui qui se perd dans sa passion perd beaucoup moins que celui qui perd sa passion."

Les invités de Martin Scorsese, parmi lesquels Géraldine Chaplin, Tony Gatlif, Max von Sydow, Suleymane Cissé, Matteo Garrone, Jean-Pierre Jeunet, David Tedeschi (co-réalisateur avec Martin Scorsese du documentaire 50 year of argument), Abbas Kiarostami, Olivia Harrisson etc., viennent alors sur la scène pour accueillir Martin Scorsese.

Thierry Frémaux et François Cluzet lisent à deux voix la lettre adressée par Bertrand Tavernier, malheureusement absent, à Scorsese et qui se conclue ainsi : "Celui qui se perd dans sa passion perd beaucoup moins que celui qui perd sa passion."

Et ce sera finalement des mains de Salma Hayek que Martin Scorsese reçoit le Prix Lumière 2015. Le choix de Salma Hayek est quelque peu surprenant sachant qu'ils n'ont jamais tourné ensemble… L'émotion était du coup beaucoup moins forte qu'avec Quentin Tarantino qui s'était vu remettre le Prix par Uma Thurman en présence de Harvey Keitel ou encore avec Ken Loach et Eric Cantona ou Gérard Depardieu et Fanny Ardant. Déjà l'année dernière le choix de Juliette Binoche pour remettre le Prix à Pedro Almodovar (alors qu'étaient présentes Marisa Paredes, Rossi de Palma et Elena Anaya) nous avait étonné mais Juliette Binoche lui avait tout de même adressé un beau discours tandis que là, pas un mot de la part de Salma Hayek… Bref, on aurait aimé une belle surprise pour cette remise du Prix à ce grand homme du Cinéma. On n'osait espérer Robert de Niro ou Leonardo DiCaprio ou même Sharon Stone, mais quand le choix de la projection de Taxi Driver après la cérémonie a été annoncé (alors qu'il était déjà projeté à plusieurs reprises durant la semaine du Festival), le nom de Robert De Niro était dans tous les esprits… So sad

Mais cela n'a tout de même pas empêché Martin Scorsese de nous honorer d'un beau discours commençant en ces termes : "Je ne sais pas si je vais survivre à cela. C'est très émouvant pour moi d'être ici ce soir et de recevoir cet hommage dans la ville où le cinéma est né." Il a parlé de son amour du cinéma né de son asthme et de ses parents qui, ne sachant que faire de lui, l'emmenaient alors énormément au cinéma avec eux. L'ouverture au monde que lui a apporté le cinéma, puis le bonheur de pouvoir enfin faire des films et de pouvoir continuer à en faire. Ce besoin par la suite de préserver des films (qui l'a conduit à créer The Film Foundation's World Cinema Project) qui est venu non pas d'un désir mais bien d'une colère et d'une frustration de voir tant de beaux films disparaître.

Petit homme au débit de paroles impressionnant, Martin Scorsese est apparu avant tout comme un grand homme du Cinéma, un de ceux qui fait que le paysage cinématographique actuel est ce qu'il est. Car le cinéma de Scorsese, et ce depuis son premier long-métrage Mean Streets (1973), ne déçoit pas ou si peu. Car son univers musical classique, rock ou jazz nous transporte. Car sa caméra sait toujours être au bon endroit et trouver le bon rythme. Car ses personnages sont emblématiques et qu'on n'oubliera jamais Travis dans Taxi Driver, Jake La Motta dans Raging Bull, Jimmy, Henry et Tommy dans Les Affranchis, Max Cady dans Les nerfs à vif, Ace et Nicky dans Casino, Amsterdam dans Gangs of New York ou bien encore Jordan dans Le Loup de Wall Street. Et pour tout ça,la salle a ovationné ce petit italo-américain devenu géant de son art et lui a adressé un immense MERCI.

Festival Lumière – Jour 3 : 100% Scorsese-De Niro

Posté par Morgane, le 16 octobre 2015

Troisième jour de festival Lumière, ce sera une journée purement scorsesienne avec Casino en matinée et Les Nerfs à vif en soirée. Deux films des années 90 que tout opposent, hormis la présence magistrale de Robert de Niro.

"Même si ma peau en dépend, je dois te faire confiance."

C'est Laure Marsac qui vient nous présenter Casino. Pour l'actrice césarisée (La Pirate de Jacques Doillon) ,Casino c'est un film démentiel. "1 million de dollars rien que pour les costumes de Robert De Niro et Sharon Stone, une lumière incroyable de Robert Richardson dont c'est la première collaboration avec Scorsese, le superbe montage de l'immense Thelma Schoonmaker, la monteuse fidèle de Scorsese. C'est pour moi le plus beau film de Martin Scorsese, le plus beau rôle de Sharon Stone et un des plus beaux rôles de Joe Pesci. C'est un film sur la circulation de l'argent, le travail mais aussi un film intimiste au départ puisque c'est une véritable histoire d'amour." Une tragédie même, où les flammes de l'enfer, le sang sur le sable et la coke en stock détruisent un à un les "rois" de Vegas et avec eux leurs ambitions démesurées.

Elle explique également en quoi Casino est un film précurseur. "Lorsque l'on regarde Casino aujourd'hui, on voit qu'il est annonciateur de certaines écritures de séries telles que Soprano ou The Wire." Pour résumer, selon elle, c'est "LE film de Scorsese!!!" La quintessence flamboyante de ses films de mafia, comme une prolongation des Affranchis, où les codes amoureux du Temps de l'innocence se fracassent au réel. C'est aussi le premier film "glamour" du maître, celui qui préfigure les Aviator et autres Loup de Wall Street: le strass n'est que le vernis d'une Amérique qui se décompose sous le poids d'un matérialisme/consumérisme destructeur. Et à chaque fois la folie emporte l'homme.

Et en effet quel bonheur de voir cette grande salle comble à 10h du matin pour revoir Casino sur un grand écran, moi qui n'ai eu l'occasion de le voir que sur un écran de télévision. Ce film prend aux tripes et sur les quasi 3h, pas une seule fois on ne décroche. Le scénario est impeccable, la façon qu'a Scorsese de filmer est happante (on se balade avec la caméra au sein du casino dans une scène d'ouverture superbe) et le trio De Niro, Stone et Pesci est absolument sans fausse note. C'est un véritable chef d'oeuvre de Scorsese, qui utilise à la perfection la musique classique comme rock.

"Je suis peut-être le grand méchant loup"

Le soir, on retrouve De Niro, dans un tout autre genre. "Martin Scorsese réalise ce film en 1991 lorsque sa carrière est à son apogée. Il vient de réaliser Les Affranchis un an auparavant avec Robert De Niro qui y joue un gangster qui a des règles. Ici on le retrouve dans la peau de Max Cady, un homme sans foi ni loi."

Les Nerfs à vif est un film de commande pour Scorsese, commande passée par Universal. Il fait donc un remake du Cape Fear de 1962 de Jack Lee Thompson avec Gregory Peck et Robert Mitchum (clin d'oeil au film original, ils ont tous deux un petit rôle dans la nouvelle version). Scorsese remplace Gregory Peck par Nick Nolte et Robert Mitchum par Robert De Niro et modifie quelque peu le Cape Fear original en en faisant un thriller quasi excessif et ultra-violent. Un film de genre outrancier (comme les tatouages de De Niro, dont on peut admirer tous les détails sur une photographie exposée à la Cinémathèque française). La musique d'Elmer Bernstein colle parfaitement au mode thriller avec ces fameuses notes graves et angoissantes qui semblent se répéter à l'infini.

Scorsese arrive à mettre sa griffe sur ce remake mais le côté suspens est quelque peu laissé de côté. Il se focalise principalement sur l'exagération des effets et une violence extrême. Pour Les Nerfs à vif, l'enthousiasme est un peu moins fort. Le film est plus convenu, a vieilli. Les personnages de la famille Bowden sont effleurés et on ne ressent que peu d'empathie à leur égard finalement. En revanche, on sent que Martin Scorsese s'est fortement impliqué dans le personnage de Max Cady pour faire de lui un véritable psychopathe à qui Robert De Niro prête admirablement ses traits. En voyant ces deux films le même jour, on voit bien le rapport fusionnel entre le comédien et le cinéaste, cet effet de miroir troublant entre le maître et son double. C'est aussi une manière de rappeler que leur collaboration ne se limite pas au triptyque Taxi Driver-Raging Bull-Les Affranchis. C'est bien parce que leur filmographie commune est si variée (comédie, boxe, thriller, mélo musical...) qu'ils ont l'un et l'autre construit leur mythologie dans le 7e art. Ils étaient capables de tout, mais l'un sans l'autre, on peut se demander si l'Histoire du cinéma, qu'ils ont marqué fortement durant plus de 20 ans, n'aurait pas été différente.

Impossible aujourd'hui de penser à De Niro sans évoquer ses rôles chez Scorsese.

Festival Lumière – Jour 2 : le Bubby de Rolf De Heer et le King de Martin Scorsese

Posté par Morgane, le 14 octobre 2015

Deuxième jour du festival Lumière à Lyon. De l'Australie à New York, on se dépayse en quelques heures.

Bubby le bad boy australien

Aujourd'hui direction la salle obscure du Cinéma Opéra pour découvrir Bad Boy Bubby (1993) de Rolf De Heer présenté ici en avant-première avant sa ressortie en salles le 11 novembre prochain. Le pitch attire, intrigue (un enfant sauvage de 35 ans, enfermé depuis sa naissance, fait pour la première fois l'expérience du monde extérieur…), tout comme la bande-annonce.

Rolf De Heer est là en personne, fraîchement débarqué de Tasmanie, pour nous présenter son film. Il a aussi inauguré sa plaque rue du Premier Film hier après-midi. C'est un cinéaste australien majeur. Il réalise des films très politiques, abordant notamment la thématique aborigène - The Tracker, 10 canoës, 150 lances et 3 épouses et Charlie's Country. Les deux derniers ayant été présentés et primés à Cannes dans la section Un Certain Regard. Son travail a donc marqué l'Histoire du cinéma australien de par ses thématiques qui font encore polémique dans les débats nationaux (la politique, les aborigènes, les marginaux…).

Ce film a été tourné à Adelaide il y a de cela 23 ans et l'on peut noter une anecdote peu commune : il y a eu 32 directeurs de la photographie sur ce film. Pourquoi? Rolf De Heer nous explique: "C'est compliqué! Quand j'ai commencé à travailler sur ce film, 11 ans avant de le faire, je pensais que ce serait mon tout premier film et je n'avais donc aucune attente en ce qui concernait le financement. Je pensais alors devoir tourner les week-end et travailler la semaine pour le financer. Je pensais également qu'il faudrait deux ou trois ans pour filmer et le problème serait que je ne pourrai pas garder la même équipe aussi longtemps. J'ai alors résolu ce problème dans le script même. J'ai enfermé mon personnage!!! J'ai retiré tout l'extérieur pendant 35 ans. Une fois libéré, tout ce qu'il voit, il le voit pour la première fois et ça pouvait donc ressembler à n'importe quoi. J'ai alors eu l'idée de prendre un chef opérateur différent pour chaque lieu que Bubby va découvrir.

Mais 11 ans plus tard, Bad Boy Bubby est en réalité le quatrième film que je réalise. On a un budget correct et je peux donc filmer en une seule fois. Mais j'ai conçu le film avec l'idée de tous ces chefs opérateurs alors je décide quand même de le faire ainsi. Ce qui s'est avéré une belle idée avec trois résultats inattendus : On ne voit pas qu'il y a 32 directeurs de la photographie différents. À chaque nouveau chef opérateur une nouvelle et terrible énergie émergeait! Et avec cette idée, les financeurs nous prenaient pour des dingues et nous ont donc foutu la paix durant le tournage!"

Quant au côté culte de son film, y avait-il pensé? "Non. La réussite de ce film est quelque chose de très inattendu. C'est le public qui fait d'un film un film culte!" Le film a gagné 4 "Oscars" australiens (dont meilleur réalisateur, meilleur scénario et meilleur acteur) et trois prix à Venise (Grand prix spécial du jury, Prix FIPRESCI)?

"Bubby, pas fait pour l'extérieur"

Rolf De Heer nous souhaite donc une bonne projection, les lumières s'éteignent et l'on plonge au coeur de cette expérience peu banale. Dès les premières images le spectateur est happé par cet univers glauque dans lequel Bubby est enfermé par sa mère depuis 35 ans. Une unique pièce sombre, des cafards qui rasent les murs, un chat martyrisé, une relation mère/fils plus qu'incestueuse, le décor est posé et on sait d'ores et déjà que ce film ne nous laissera pas indifférent.

Puis le monde de Bubby s'élargit quand il finit par sortir de sa prison mais l'univers qu'il découvre n'en est pas moins sordide et absurde. Le film oscillant entre folie et scènes totalement surréalistes est tout à la fois dérangeant et émouvant. Les quelques longueurs que l'on peut éprouver dans la deuxième partie du film ne lui retire pas son côté ovni qui nous met une bonne claque. Bad Boy Bubby appartient à ses films qui marquent, qui dérangent et dont on ressort soulagés qu'il soit fini tout en étant à la fois fascinés…

Scorsese et sa Valse des pantins

Le temps de prendre l'air quelques minutes et on replonge de suite dans la salle du Cinéma Opéra pour découvrir cette fois la Valse des pantins (The King of Comedy, 1982) de Martin Scorsese.

C'est Delphine Gleize, réalisatrice notamment de La permission de minuit avec Vincent Lindon, qui vient présenter le film.

Elle nous explique qu'à sa sortie le film avait été un échec commercial car, comparé à Raging Bull, film précédent du réalisateur, celui-ci apparaît trop classique. Le film est alors soutenu par la presse mais boudé par le public. Pourtant le film, sélectionné en compétition à Cannes, a reçu le prix du scénario aux British Awards et le titre de meilleur film de l'année par les Critiques de cinéma de Londres.

Selon elle, il y a dans ce film "trois grands numéros d'acteurs : Robert De Niro, Jerry Lewis et la révélation du film, Sandra Bernhard, mélange de Mick Jagger et Courtney Love, qui est l'incarnation même du corps de l'acteur qui parle. Elle est fascinante et traduit à elle seule la folie du New York du tout début des années 80."

"Mieux vaut être Roi d'un soir que Charlot toute sa vie"

L'ambiance est ici un peu plus détendue que dans Bad Boy Bubby même si le thème de la folie y est également abordé.

Robert De Niro y campe Rupert Pupkin (alias The King) dans un rôle bien loin de ceux qu'il a tenu jusqu'alors dans les films de Scorsese (Mean Streets, Taxi Driver, New York, New York ou encore Raging Bull). Il est ici un comique, adorateur de Jerry Langford (Jerry Lewis), star du stand-up, prêt à tout pour percer. À tel point que son obsession tourne réellement à la folie.

Martin Scorsese aborde son sujet sous l'angle de la comédie mais celle-ci est noire. On ne sait parfois si l'on doit rire ou pleurer, aussi amusés que attristés par ce personnage de comique. Ce film donne l'occasion à Scorsese de montrer une autre facette du New York fou des années 80... Comme une suite à New York, New York. Il porte là un regard cruel sur le monde du show-business. Et encore une fois, plus dure sera la chute pour celui qui s'approchera trop du soleil...

Festival Lumière – Jour 1 : Alice n’est plus ici mais Martin Scorsese est dans toutes les têtes

Posté par Morgane, le 13 octobre 2015

Octobre est arrivé et avec lui, comme chaque année depuis 7 ans maintenant, le Festival Lumière et son lot de films, de rencontres, de master class, de dédicaces… Lyon va battre au rythme du 7e Art pendant toute une semaine (du 12 au 18 octobre).

Cette année, Le Prix Lumière sera remis vendredi soir au grandiose Martin Scorsese! La semaine sera alors ponctuée de 15 de ses films et de 5 de ses documentaires. Mais ce n'est pas tout, il y a aussi la Carte blanche à Martin Scorsese, de nombreux hommages à Akira Kurosawa, Julien Duvivier, Larissa Chepitko, l'anniversaire des 30 ans de Pixar avec John Lasseter en invité, des invitations à Sophia Loren, Nicolas Winding Refn, Géraldine Chaplin, Mads Mikkelsen et Alexandre Desplat et de nombreux autres cycles (les ressorties, les grandes projections, la nuit de la peur, les curiosités des années 1980, les trésors des archives, les nouvelles restaurations etc.)

Environ 150 Films projetés en une semaine, c'est certain, il faut faire des choix! Pour ma part, Prix Lumière à Martin Scorsese je commence donc par un de ses films, son troisième plus exactement, qu'il réalise après Mean Streets et juste avant Taxi Driver: Alice n'est plus ici (1974). Cette oeuvre est un peu à part dans sa filmographie puisqu'il s'agit de son premier film hollywoodien et, plus ou moins, d' une commande de l'actrice principale, Ellen Burstyn. On n'y retrouve pas forcément ses thèmes de prédilection mais il porte tout de même sa griffe à travers la bande-son rock et un rythme assez rapide. Jodie Foster tient également le rôle d'Audrey, jeune ado laissée à la dérive par sa mère. on la recroisera chez Scorsese dans le rôle qui fera décoller sa carrière, avec le Scorsese suivant, Taxi Driver.

Avec Alice n'est plus ici, Martin Scorsese nous entraîne dans un road-movie entre une mère et son fils. Liaison atypique que Scorsese filme crument mais avec beaucoup de bienveillance et qui donne à cette relation un aspect très attendrissant. Malgré le caractère quelque peu soumis d'Alice aux hommes, c'est une femme forte qui prend la route, avec son fils sous le bras, à la mort de son mari. Au fur et à mesure que la route défile, son caractère se modifie et on sent une pointe de féminisme qui transparaît dans ce film. C'est d'ailleurs le seul film de Scorsese où le héros est en réalité une héroïne!

Ici, ni mafia, ni vengeance. C'est presque un électron libre, très scorsesien, mais à des années lumières de ce qui suivra durant plus de 40 ans.

Clap d'ouverture

Cette première journée de Festival est également marquée par la soirée d'ouverture qui, comme chaque année, se déroule dans l'immense Halle Tony Garnier. Jean-Paul Belmondo, qui revient deux ans après nous avoir fait partager un moment très émouvant aux côtés de Quentin Tarantino, est ovationné. Se succèdent John Lasseter (qui vient souffler les 30 bougies de la petite lampe de chevet), Nicolas Winding Refn (qui présentera deux de ses films, donnera une master class et présentera sa collection d'affiches de films), Mélanie Thierry, Raphaël, Jean Becker, Laurent Gerra, Vincent Elbaz, Louise Bourgoin, Rolf de Heer (qui est là pour la ressortie de son film Bad Boy Bubby), Alex Lutz, Bernard Pivot, Paul Belmondo (qui présentera en compagnie de son père le documentaire qu'il a réalisé sur ce dernier), Dario Argento (pour son film Les Frissons de l'angoisse récemment restauré) et sa fille Asia Argento, Jacques Audiard, Daniel Auteuil et bien d'autres encore…

Discours de Thierry Frémaux (sans Bertrand Tavernier cette fois, qui se remet d'une opération mais qui devrait être présent en fin de festival), petit film en forme de bande annonce alléchante de cette nouvelle édition, montage "tribute to Lasseter", projection de La sortie d'usine avec le cinématographe original des Frères Lumière... Chaque spectateur a également reçu son traditionnel morceau de pellicule qui cette année appartenait au film Jeux Interdits de René Clément.

Lindon parmi les monstres sacrés

On a ensuite eu droit à un hommage en images à Vincent Lindon, qui est ensuite monté sur scène pour présenter le film surprise de cette soirée d'ouverture. Film surprise qui ne l'est pas resté longtemps puisque le nom lui a échappé dès ses premières phrases. C'est donc La fin du jour de Julien Duvivier qui sera projeté en ce premier soir. Film pour les acteurs puisqu'il se passe dans une maison de retraite pour anciens comédiens! Discours émouvant et drôle à la fois de la part du Prix d'interprétation masculine cannois de l'année. Il remercie Thierry Frémaux d'avoir sélectionné La loi du marché à Cannes, remercie également Jean-Paul Belmondo qu'il admire, puis nous raconte sa passion pour le cinéma de Carné, Renoir, Duvivier et plus généralement de cette époque-là et de ce cinéma populaire. Véritable admirateur de Julien Duvivier qu'il considère malheureusement comme un cinéaste sous-estimé, il présentera également La Bandera et Pépé le Moko du même réalisateur durant la semaine. Il avoue tout de même : "je vais être franc, La fin du jour n'est pas mon préféré, mais je l'aime beaucoup quand même".

La suite se passe en images aux côtés de Louis Jouvet, Michel Simon, François Périer, Victor Francen, Madeleine Ozeray... Il y a pire compagnie pour se mettre en appétit avant l'orgie cinéphile qui s'annonce.

Martin Scorsese s’affiche dans une station de métro de Paris

Posté par vincy, le 8 octobre 2015

Martin Scorsese est partout. A la Cinémathèque française dès la semaine prochaine, avec une grande exposition qui lui est consacrée, au Festival Lumière où il recevra demain vendredi 16 octobre un Prix pour l'ensemble de sa carrière... et dans une station de métro parisienne. Alma-Marceau, ligne 9, accueillera du 12 au 18 octobre sur ses 103 emplacements publicitaires et promotionnels des photos de Taxi Driver, Les Affranchis, Casino, Shutter Island et Le Loup de Wall Street, ainsi que des créations graphiques reprenant des répliques cultes de ces films comme "You talkin' to me" ou "What do you mean I'm funny?".

Mardi 13 octobre, sur la page Facebook de la RATP, un concours permettra aux fans de gagner des places pour l'exposition l'un des nombreux lots (catalogue, BOF...).

Festival Lumière 2015: Martin Scorsese à l’honneur

Posté par Morgane, le 18 juin 2015

martin scorsese

Le Festival Lumière qui se déroule chaque année à Lyon ouvrira ses portes le lundi 12 octobre pour une semaine complète entièrement dédiée au 7e Art.

Alors oui, octobre c'est encore dans longtemps. Il y a d'abord l'été, les grandes vacances et même la rentrée avant de penser au mois d'octobre. Certes, je suis bien d'accord avec vous. Mais aujourd'hui, le Festival a dévoilé son Prix Lumière 2015 (très en avance par rapport à d'habitude). Roulement de tambour, ce n'est autre que le grand Martin Scorsese (qui recevra donc le Prix le vendredi 16 octobre) qui succèdera à Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino et Pedro Almodovar. Que des grands messieurs (mais où sont les femmes dans tout ça???) du Cinéma...

Martin Scorsese est à lui seul un monstre sacré du Cinéma! Cinéaste à la filmographie hallucinante, Martin Scorsese a réalisé un grand nombre de longs métrages et de documentaires dont beaucoup d'entre eux sont considérés comme des chefs d'oeuvre... Taxi Driver, pour lequel il reçoit la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1976, New York New York, Raging Bull, Les Affranchis, Les Nerfs à Vif, Casino, Gangs of New York, Les Infiltrés, Shutter Island, Le Loup de Wall Street etc...

Martin Scorsese a également réalisé plusieurs documentaires, consacrés principalement à des figures emblématiques de la musique (il fait d'ailleurs partie de l'aventure du film Woodstock en 1970). Il réalise des documentaires sur Eric Clapton, Bob Dylan, les Rolling Stones, le Blues (Du Mali au Mississippi) et d'autres encore.

D'autres de ses documentaires sont consacrés eux à la politique. Martin Scorsese a aussi approché le petit écran en réalisant le tout premier épisode de la série Boardwalk Empire. Bref, Martin Scorsese est une sorte de génie touche à tout...

Il réalise actuellement Silence, avec Liam Neeson, Andrew Garfield, Adam Driver, Ciaran Hinds et Tadanobu Asano (lire notre actualité du 13 mai 2013).

C'est donc avec beaucoup de plaisir, et une bonne dose d'impatience, que le public du Festival Lumière va pouvoir plonger et replonger dans l'univers scorsesien durant toute une semaine... On aurait presque envie de dire "Vivement octobre!"

Pedro Almodovar, Prix Lumière 2014 : « Ça, c’est ma Palme d’Or! »

Posté par Morgane, le 18 octobre 2014

pedro almodovar juliette binocheComme chaque année, le festival Lumière atteint son sommet lors de la remise du Prix Lumière, qui se déroule à l'Amphithéâtre du Centre des Congrès. Cette année, le prix est décerné à Pedro Almodovar, aussi logique qu'évident. Véritable défilé de personnalités du 7e Art sont de plus en plus nombreuses d'édition en édition. Beaucoup de figures du cinéma français sont là (Juliette Binoche, Jean-Pierre Marielle, Gilbert Melki, Tahar Rahim, Guillaume Gallienne, Brigitte Fossey, Bérénice Béjo etc.) ainsi que plusieurs personnalités étrangères telles que Keanu Reeves et Christopher Kenneally, Franco Nero (le Django originel), Michael Cimino, Valeria Golino, Isabella Rossellini, John McTiernan (arrivé à Lyon aujourd'hui pour une visite surprise) ainsi que Xavier Dolan et le grand Paolo Sorrentino qui filmeront tous deux un "remake" de la sortie des usines des frères Lumière rue du Premier Film.

Almodovar et la musique

Connaissant l'importance de la musique dans les films d'Almodovar, l'hommage a grandement été chanté ce soir. Que ce soit par Agnès Jaoui ("grâce à toi ou à cause de toi, je ne m'arrête pas de chanter en espagnol car j'aime à me prendre pour une héroïne de tes films") qui a repris Piensa en mi. Puis Camelia Jordana, avec une maîtrise de voix impeccable, a admirablement interprété C'est irréparable de Nino Ferrer puis Cucurucucu paloma de Caetano Veloso, chanson que l'on retrouve dans Parle avec elle. Et pour clore l'épisode musical était invité Miguel Poveda, très grand interprète espagnol, qui a entonné A ciegas, chanson du film Les étreintes brisées, puis deux morceaux de flamenco. La soirée s'est même finie en karaoké géant sur Resistiré!

Hommages multiples

Elena, Marisa, Rossi, trois de ses muses féminines étaient présentes ce soir pour lui rendre un bel hommage. Elena Anaya a pris le micro en premier et a ainsi déclamé, en français s'il-vous-plait: "Mon Pedro chéri, voici ma déclaration d'amour. Je te le dis en français, c'est plus romantique. Je t'aime! (…) Merci de me laisser faire partie de ta vie et de vous faire rêver grâce à ton cinéma." Rossy de Palma n'a rien préparé pour son "Pedrito" mais comme elle le dit elle-même, ce n'est pas grave car elle a plein d'anecdotes à raconter et en effet c'est ce qu'elle a fait! Quant à Marisa Paredes de conclure par cette phrase: "Son aventure fait partie de mon aventure et j'ai envie de continuer à avoir des aventures avec toi!".

Agustin Almodovar a également pris la parole pour parler de ce cinéaste exceptionnel qu'est son frère et proclamer en public haut et fort: "Viva Pedro y viva el Cine!!!"

Des messages vidéos de certains absents ont ajouté leur pierres aux discours comme ce fut le cas de Javier Camara (depuis Amsterdam), Antonio Banderas et Penelope Cruz.

Puis Xavier Dolan, Tahar Rahim et Guillaume Gallienne (avec son timbre de voix sublime et si particulier, parfait pour "lire" une histoire) ont lu tour à tour un texte publié dans plusieurs journaux que Pedro Almodovar avait rédigé à la mort de sa mère, "Le rêve de ma mère".

Le Prix Lumière comme un Prix Nobel

Cette année, c'est des mains de Juliette Binoche que Pedro Almodovar recevra son Prix. On peut se questionner quant à ce choix sachant qu'habituellement il y a un lien plus que direct entre le lauréat et la personne qui lui remet le prix (Fanny Ardant pour Gérard Depardieu, Éric Cantona pour Ken Loach et Uma Thurman pour Quentin Tarantino)… mais pas cette fois. "De la vie, de la vie, de la vie… jusqu'à la mort, voilà ce que tu cries dans tes films. (…) Au nom de tous, MERCI!!!"

Puis c'est au tour de Bertrand Tavernier, qui s'est de nouveau paré de son inséparable écharpe, de dire quelques mots au grand maître du cinéma espagnol. Hommage sublime et émouvant, véritable déclaration d'amour qui ne laissera pas Almodovar de marbre. "Pedro, tu as été la fortune de beaucoup de coeurs."

Et c'est finalement au tour du héros du jour de prendre la parole, commençant par dire que cette soirée a été "une vraie montagne russe". Beaucoup d'émotions l'ont submergé. Il remercie tout le monde en essayant de n'oublier personne, ceux qui ont rendu cette soirée si belle pour lui, ceux qui ont permis ce festival et les spectateurs qui remplissent les salles obscures. Avant de venir il avait demandé à Thierry Frémaux quel type de discours on s'attendait qu'il fasse pour le Prix Lumière. Ce dernier lui a répondu, le plus sérieusement du monde, "fais comme si c'était un Nobel!" Et de conclure avec ces mots: "Thierry, ça c'est MA Palme d'or…"

Almodovar ça pétille, ça explose, ça se chante, ça se danse, ça se boit, ça s'écoute beaucoup, ça se regarde aussi. Bref, Almodovar nous remue l'intérieur, interpelle tous nos sens et ne laisse certainement pas indifférent! Chapeau bas señor Pedro, ton cinéma, c'est certain, a déjà laissé son empreinte dans le monde infini du 7e Art.

Festival Lumière – Jour 5 : Conversation avec Almodovar

Posté par Morgane, le 17 octobre 2014

Cette journée a débuté sur un air d’Italie. Quel rapport avec Almodovar me direz-vous? Voyage en Italie de Roberto Rossellini projeté ce matin fait partie du cycle « el ciné dentro de mi » dans lequel Pedro Almodovar présente pour chacun de ses films un film de référence. En ce qui concerne Voyage en Italie, ce film l’a accompagné durant le tournage des Étreintes brisées.

L’après-midi on a pu assister à une première au Festival Lumière, une conversation avec le lauréat du Prix Lumière. La conversation avec Pedro Almodovar, animée par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier, en présence de Agustin Almodovar (producteur des films de son frère de Pedro), Elena Anaya, Rossy de Palma, Chema Prado et Marisa Paredes, s’est déroulée au théâtre des Célestins. Un très bel avant-goût de la soirée de ce soir pour la remise du Prix!

Conversation intime et très belle rencontre avec un cinéaste qui a su imposer sa marque bien à lui…

Bertrand Tavernier: J’ai toujours été remué par l’énergie de tes films qui me laissent pantois et m’intimident parfois. J’aimerais savoir si tu te souviens de ton premier jour de tournage de ton premier film?

Pedro Almodovar: La première fois que j’ai tourné c’était en super 8, mais pour moi c’était déjà du cinéma. Ça s’appelait Le sexe, ça va, ça vient, un court-métrage. La première chose que j’ai filmé, c’est leur rencontre, se percutant au coin d’une rue. Une histoire typique d’un jeune homme qui rencontre une jeune femme. À la suite de cette rencontre percutante, elle le tape à chaque fois qu’ils se revoient. Il finit par lui avouer qu’il aime ça, alors elle arrête. Elle lui avoue qu’elle préfère les femmes. Alors cet homme se transforme en femme pour elle, mais l’accueille froidement lui disant finalement « en fait, depuis que je suis devenu une femme, je préfère les hommes ». Et c’est moi qui jouais l’homme…

Thierry Frémaux: Tu es intéressé par différents arts, musique, littérature, peinture etc. du mouvement de La Movida mais as-tu toujours su que tu étais un cinéaste avant tout?

Pedro Almodovar: Enfant je voulais être peintre, j’ai écrit, construit des décors, chanté (du punk!) puis finalement j’ai laissé tombé tout ça. J’étais un peintre frustré, un écrivain frustré, un architecte frustré, un chanteur frustré, mais toutes ces frustrations m’ont aidé dans mon métier de cinéaste, un metteur en scène qui utilise tout cela.

Faisant référence au lunettes de soleil qu’il porte en plein théâtre, il nous dit que c’est à cause des projecteurs. "Ça ne vous paraît pas paradoxal d’être metteur en scène et d’avoir de la photophobie? Je porte aussi des lunettes de soleil sur les plateaux de tournage ainsi qu’un chapeau, et pourtant je n’ai pas une tête à chapeau!, et j’ai aussi deux panneaux noirs qui ne reflètent pas la lumière. Ça ne vous semble pas kafkaïen? En même temps, depuis ma plus tendre enfance ma vie est un paradoxe donc je me plais dans les situations paradoxales!"

Bertrand Tavernier: Quand un metteur en scène commence un tournage, certains tâtonnent alors que d’autres commencent directement par une scène difficile. Tu appartiens à quelle catégorie?

Pedro Almodovar: C’est sûr, je ne commence pas par une des scènes les plus difficiles. Je préfère que les acteurs et les techniciens s’imprègnent du film. En revanche, le premier jour de la deuxième semaine je fais toutes les scènes difficiles du film car je ne veux pas les laisser pour la fin.

Thierry Frémaux: Ton histoire, ton nom, ton oeuvre sont liés à la Movida. Dis-nous en un peu plus sur ce mouvement et le souvenir que tu en as gardé.

Pedro Almodovar: Ce mouvement a été essentiel! La Movida c’est le début de la période démocratique (en Espagne, ndlr), l’arrivée d’une nouvelle ère radicalement opposée à celle qu’on avait connu avant 1977 (le régime franquiste, ndlr). C’était une véritable explosion de libertés donc pour moi qui commençais à écrire c’est incroyable. J’ai aussi pu vivre plein de choses dans ma jeunesse qui ont nourri les films que j’ai fait par la suite. J’ai eu la chance de pouvoir vivre cela. La Movida nous a permis de sentir avec tous les sens ce changement si difficile à mettre en mots. C’était au-delà du merveilleux et de l’impressionnant. Ceux qui avaient résisté sous Franco ont alors abandonné leur peur. Mais ceux qui étaient heureux sous Franco se sont mis à avoir peur de nous. Ça a créé une nouvelle Espagne, un nouvel équilibre et on l’avait bien mérité!

Thierry Frémaux: Aurais-tu été le même cinéaste si tu avais grandi dans en France, en Angleterre…? Aurais-tu été cinéaste?

Pedro Almodovar: Oui je crois, car depuis tout petit ma vocation est de raconter des histoires et de le faire à travers des images. Si j’avais été aux États-Unis j’aurais certainement fait un premier film underground avec tous les travestis et les drogués de la ville qui auraient également été mes amis. Puis pendant 30 ans, plus rien. Je serais devenu un phénomène sociologique puis un cinéaste frustré. Ceci dit je serais quand même ici au festival Lumière et mon premier film serait projeté car c’est ce qui est formidable dans ce festival! Si j’avais été anglais j’aurais fait un premier film en 16mm puis j’aurais continué à faire des films mineurs mais intéressants en 35mm. Si j’avais été turc, soit je serais parti dans un autre pays soit j’aurais fait un premier film superbe qui aurait été repéré par Thierry et présenté à Cannes et j’aurais alors pu à continuer à faire des films librement en Turquie. Thierry Frémaux et Gilles Jacob sont des personnages très importants pour le cinéma. Et dans tous les cas même si le film que j’aurais fait était un film de rien du tout, un européen l’aurait repéré par son titre ou autre chose et cette personne érudite est parmi nous, Bertrand Tavernier!

Bertrand Tavernier: dans tes films tu montres souvent des extraits de films américains des grands studios. Comment aurais-tu réagi dans un système comme celui que devaient affronter ces metteurs en scène?

Pedro Almodovar: Quand je vais aux États-Unis je discute de ce système de grosses productions et je ne sais pas si je serais capable de travailler ainsi. J’aime maîtriser tous les éléments, ce serait donc opposé à ma personnalité. Mais j’aurais certainement essayé de m’adapter. Dans mes films il y a aussi des références à des films de Rossellini, Franju etc. Je me vois bien faire des films dans d’autres pays européens mais aux États-Unis je ne sais vraiment pas si j’aurais pu. Je crois que le metteur en scène doit diriger (ce n’est pas une question d’autorité). Et si d’autres points de vue (production, agents d’acteurs etc.) rentrent en jeu alors c’est le chaos. Je pense que j’aurais alors fini par faire des films de série B.

Bertrand Tavernier: Truffaut disait qu’au début d’un film on a un rêve et qu’avec les contraintes on finit par perdre de vue ce rêve et qu’on essaie surtout de faire le moins de compromis possibles.

Pedro Almodovar: Tous les metteurs en scène commencent par un rêve qui se matérialise dans le scénario qui est pourtant encore totalement abstrait. Pour moi ce parcours est un vrai voyage et sur le tournage tout peut arriver! C’est la réalité de tous ces gens présents qui fait qu’au moment du tournage le rêve disparait et devient autre chose. Je vois tous les éléments vivants qui vont me permettre d’accéder à cette nouvelle créature. J’ai besoin de toutes ces étapes pour arriver à cette créature qui n’est pas celle dont j’ai rêvée au départ mais celle à laquelle me mène cette aventure. C’est pendant le tournage que se dévoile vraiment l’histoire qu’on voulait raconter. Cela ne signifie pas que je ne défends pas bec et ongles le rêve que j’avais au début mais ce qui est très important c’est cette nouvelle créature qui prend vie!

Thierry Frémaux: Quand tu es devenu connu dans le monde entier, on a parlé de ton cinéma comme un cinéma à part. Est-ce que tu cherches toujours à faire un cinéma singulier?

Pedro Almodovar: Chacun fait les choses à sa manière et ça, c’est ma manière à moi de faire des films. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé à l’avance, je raconte juste des histoires à ma façon et ça a marché. Je ne voudrais pas paraître prétentieux en disant cela mais je suis un réalisateur authentique, tout simplement, car je ne saurai pas être autrement. Et tant mieux pour moi je me suis rendu compte qu’être authentique fonctionnait.

Bertrand Tavernier: Une joie, une surprise lors d’une scène que tu tournes. Quand tu l’éprouves le dis-tu ou le caches-tu?

Pedro Almodovar: Je ne sais pas si je l’ai dit sur le moment mais ce qui est sûr c’est que l’équipe l’a vu aussi. Mon équipe l’a ressenti également car ça devait se lire sur mon visage. C’est pour ces moments-là que les metteurs en scène deviennent accrocs à leur métier!

Thierry Frémaux: Te considères-tu comme un cinéaste qui fera des films jusqu’à son dernier souffle ou non?

Pedro Almodovar: Pour tout un chacun le moment où il faut se retirer est difficile. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui continuent à faire des films même s’ils finissent par ne plus rien faire de nouveau. Mais il y a des exceptions et c’est de ceux-là que je veux parler. J’ai une image concrète de John Huston sur son dernier film (Les Gens de Dublin), assis dans son fauteuil roulant avec sa bouteille d’oxygène. Et pourtant il était là, bien présent. Ce fut son dernier film et ce fut un chef-d’oeuvre. Et c’est cette image de cet homme-là assis à laquelle j’aspire. Enfin, quand j’aurais au moins 80, 84 ans!

Bertrand Tavernier: David Lean a dit à John Boorman:
« - nous avons fait le plus beau des métiers.
- oui, mais ils ont essayé de nous en empêcher.
- oui mais nous les avons possédés!
»
David Lean est mort le lendemain.

Pedro Almodovar: Je reprends complètement cette phrase à mon compte, mais je la dirai seulement après mes 80 ans!

Festival Lumière – Jour 4: Sautet et Cimino au service de monstres sacrés

Posté par Morgane, le 17 octobre 2014

Ce quatrième jour du Festival Lumière s'entame sous la pluie… rien de tel pour courir se réfugier dans les salles obscures qui sont toutes, ou presque, combles depuis le début de la semaine!

Pour se protéger de la pluie, rien ne vaut un bon Claude Sautet (Une histoire simple), présenté par le critique de cinéma N.T.Binh qui a signé le documentaire Claude Sautet ou la magie invisible.

Une histoire simple (1978) est la cinquième collaboration entre le réalisateur et Romy Schneider. On ressent le lien très fort qui les unit. C'est Sautet qui l'a sortie de son image juvénile à l'écran et qui en a fait une icône française d'adoption. On la retrouve ici après la trilogie Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs et César et Rosalie, dans un rôle de "la quarantaine" que Claude Sautet avait promis de lui écrire. Et puis après le film Vincent, François, Paul et les autres, Romy Schneider avait envie qu'ils fassent un film un peu moins masculin; ce qui est en bel et bien le cas dans Une histoire simple. Les hommes sont présents, certes, mais ils gravitent, comme des satellites, autour des personnages féminins, celui de Marie en tête. Femme forte et déterminée, elle prend son destin en main, avorte, quitte son homme et vit sa vie de femme. Une histoire simple est un film féministe avec en toile de fond une peinture sociale (mouvement féministe, licenciements, difficultés économiques…) dissimulée derrière ses personnages. C'est un véritable "film à message" qui "diffuse un climat prenant, d'une façon qui ne se voit pas" comme le dit N.T.Binh.

Pour ce rôle Romy Schneider recevra le César de la meilleure actrice et remerciera Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet de lui avoir écrit ce très beau rôle.

michael cimino"si jamais tu foires ça, je te vire du film et je prends le scénario."

Ce quatrième jour, c'est aussi celui de Michael Cimino. Pas très friand des festivals en général, il nous fait l'honneur de venir à Lyon pour la troisième fois consécutive. Lors des projections du festival, il est là, discret, au fond de la salle, refusant de commenter Side by Side lorsque Thierry Frémaux l'interpelle. Mais pour son film Le canardeur, devant une salle pleine à craquer, il prend le micro et ne manque pas, après un "Waouh!" impressionné de nous raconter quelques anecdotes sur ce tournage, son premier en tant que réalisateur (1974).

"Vous allez voir mon premier film et ma dernière bonne expérience en tant que réalisateur!". C'est un premier film au casting superbe: le grand Clint Eastwood et le fameux Jeff Bridges qui sont, selon ses propres mots, "ce qu'Hollywood a de meilleur!"

Michael Cimino revient sur les débuts de ce film, nous apprenant que Clint Eastwood, ayant lu le scénario, avait voulu l'acheter. Mais pour Cimino il n'en était pas question. Ce dernier est donc allé à la rencontre de Clint Eastwood et s'en est suivi à peu près ce dialogue:

"- Tu penses que tu peux me diriger?

- Oui.

- Alors il y a une chose à faire.

- Laquelle?

- On va passer un deal…

- Lequel?

- Je te donne trois jours pour filmer. Si ça me plait, ok. Mais si jamais tu foires ça, je te vire du film et je prends le scénario.

- Ok, we have a deal!"

Et c'est donc comme ça que le film a débuté, par cette simple conversation et "ce challenge que m'a lancé ce géant" explique Cimino.

Quant à Jeff Bridges, c'était également son premier choix pour le rôle de Lightfoot. Clint Eastwood et Jeff Bridges étant les seuls à qui il ait fait lire le scénario à Hollywood. Jeff Bridges avait alors une seule chose à faire sur le tournage, faire rire Clint Eastwood, chose qui ne s'était jamais vue à l'écran! Et ça a marché! En effet, Clint Eastwood qui joue habituellement mâchoires plutôt serrées sourit franchement, rarement certes mais franchement quand même, dans Le canardeur.

Film à mi-chemin entre le western moderne et le buddy road movie, Le canardeur frappe fort, encore plus fort lorsqu'on sait que c'est un premier film. Les dialogues sont percutants et les personnages très bien construits et attachants: Lightfoot pour son humour à toute épreuve et pour la fraîcheur qu'il insuffle face au personnage un peu plus sombre de John Thunderbolt, qui cache ses blessures. Bridges recevra sa deuxième nomination à un Oscar pour son interprétation de Lightfoot.

Michael Cimino montre avec ce film que dès ses débuts il était déjà un jeune virtuose de la caméra...

Festival Lumière – Jour 3 : Keanu Reeves et la révolution du numérique

Posté par Morgane, le 16 octobre 2014

keanu reevesLe Festival Lumière avance, les films défilent et aujourd'hui on commence la journée avec la projection de Pour un poignée de dollars dans une superbe version restaurée… Le film a 50 ans cette année et reste indémodable! Indémodable, restauration… Ces mots nous emmènent doucement sur les traces de Side by Side, documentaire de Christopher Kenneally, produit par Keanu Reeves et qui étaient tous deux là pour nous le présenter.

"le plus beau casting du Festival"

Passage de l'argentique au numérique, du 35mm au digital… Keanu Reeves interviewe un grand nombre de réalisateurs (Lynch, Cameron, Soderbergh, Scorsese...), directeurs de la photographie, monteurs, producteurs etc. ("c'est le plus beau casting du Festival" comme se plaît à le dire Thierry Frémaux) sur cette question d'actualité. Les aspects techniques et pratiques sont abordés. On comprend mieux les enjeux (financiers principalement), les avantages du numérique comme ceux du celluloïd, les limites qu'ils s'imposent. Les avis ne sont pas toujours tranchés, certains l'évoquent presque à contrecoeur, comme une fatalité, d'autres encore se lancent à corps perdu dans cette révolution du numérique comme Georges Lucas ou David Fincher, et puis il y a ceux qui n'y voient que peu d'intérêt et défendent le 35mm comme c'est le cas de Christopher Nolan.

Les arguments sont nombreux. Véritable liberté, coûts diminués pour certains, perte de la réalité, problèmes d'archivage, changements du rapport à l'image pour d'autres. La question passionne, et divise.

À la suite du film, un petit débat se met en place. Pour Christopher Kenneally on sent que c'est le numérique vers lequel il penche alors qu'en ce qui concerne Keanu Reeves, le 35mm semble garder son amour. "J'adore la qualité et le ressenti du film. Il y a une émotion. Ce qui me manquerait sans le film, c'est la réalité! Je pense en tout cas que les cinéastes devraient toujours avoir la possibilité de prendre une caméra traditionnelle si ils le souhaitent."

Et de conclure par: " Est-ce que le numérique a un réel impact sur notre façon de raconter des histoires?" La question reste en suspens...