Jacques Audiard, c'était jusqu'ici le cinéaste français le plus cannois dans son ADN: Grand prix du jury pour Un prophète, Palme d'or pour Dheepan. Mais pour des raisons de calendrier et de stratégie marketing (comprendre campagne pour les Oscars), son nouveau film The Sisters Brothers, est en compétition à Venise. Son cinéma prend un nouveau virage avec un western américain (bien que tourné en Europe), adapté d'un roman américain, avec un casting anglosaxon prestigieux : John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed.
Dans les années 1850, d'Oregon à la Californie, en pleine ruée vers l'or, des coups de feu éclatent et la grange brûle : c'est l'œuvre des deux frères Sisters. Leur mission est de trouver et de tuer un prospecteur d'or : ils ont plusieurs journées de cheval à faire et ils vont autant se parler que faire parler leurs armes... Car c'est un film bavard, psychologique, parfois ponctué d'action ou de séquences brutales (jusqu'à une amputation pas très agréable). Il y traine une mélancolie surprenante, avec quatre personnages, tous frustrés, qui glissent vers la désillusion et même le désenchantement au fur et à mesure que leur idéal s'éloigne. Le film sera en salles en France le 19 septembre, mais fera d'abord un passage à Deauville.
Venu à Venise, Audiard est accompagné de ses fidèles collaborateurs: Thomas Bidegain pour son scénario où violence et cupidité font mauvais ménage, Alexandre Desplat pour sa musique parfois free-jazz, et l'acteur (et producteur) John C. Reilly, l'aîné des frères Sisters, ont évoqué l'origine de ce film :
Jacques Audiard : J'ai été contacté au festival de Toronto par John C. Reilly et sa femme Alison Dickey qui voulaient me faire lire ce livre écrit par Patrick deWitt. Je l'ai lu et ça m'a beaucoup plu pour envisager d'en faire un film. Peut-être que si j'avais découvert cette histoire autrement je n'aurais pas eu ce déclic, mais la ça venait comme une recommandation d'un ami et je m'y suis particulièrement intéressé.
John C. Reilly : J'avais reçu en fait ce récit de The Sisters Brothers avant que le livre ne soit publié, pour une éventuelle production. J'ai pensé que si on en faisait un film, Jacques et son équipe serait le meilleur choix pour que ça devienne un bon film.
Jacques Audiard : J'aime certains films de western des années 70 ou contemporains que j'ai pu voir mais je ne sais pas si je suis un fan de western en tant que genre, pas vraiment. Le livre contenait beaucoup d'éléments irrésistibles qui pouvaient en faire un western original. Je n'avais pas spécialement de références de western pour ce tournage, et si référence il y a eu c'est peut-être plus La nuit du chasseur ou des films de Arthur Penn comme Missouri Breaks et Little big man. The Sisters brothers est moins un western qu'un conte en forme de western. Pour moi c'est un roman de formation, avec deux grands adultes qui sont encore un peu des enfants.
Alexandre Desplat : Il y avait aussi pour la musique cette difficulté de faire un genre de western sans en faire un western classique, car ça a déjà été fait. Comment trouver une voie différente c' était ça la difficulté. Penser clichés de musique de western avec violon et harmonica c'était un piège à éviter. Alors pour cette musique j'ai choisi de prendre une toute autre direction.
Thomas Bidegain : Entre ce film et mon film Les Cowboys, la seule chose chose vraiment commune est la présence de John C. Reilly à l'écran. Je suis plus un fan de western que Jacques. Ce qui est intéressant dans un western c' est de faire un état de la nation à un certain moment.
John C. Reilly : L' histoire des Etats-Unis s'est faite de brutalité et de génocide, on a tué les indiens et les buffles. Vers où on va après la violence ?