[We miss Cannes] 16 baisers inoubliables

Posté par vincy, le 20 mai 2020

C'est l'ultime tabou de cette période de pandémie: avec les masques, comment s'embrasser? Pourtant, le baiser, sous toutes ses formes, est un élément essentiel du cinéma, qu'il soit sulfureux, amoureux, passionné, transgressif, impudique, déclencheur ou révélateur du désir, magique, fougueux, à trois, pour déclarer sa flamme ou pour trahir, sur la plage ou sous une table.

Voici 16 baisers issus de films sélectionnés à Cannes. Pour tous les goûts.

Les enchaînés, Alfred Hitchcock (1946)

Love, Gaspar Noé (2015)

Sexe mensonges et vidéos, Steven Soderbergh, Palme d'or (1989)

J'ai tué ma mère, Xavier Dolan (2009)

Mulholland Drive, David Lynch (2001)

Cinema Paradiso, Giuseppe Tornatorre (1988)

Autant en emporte le vent, Victor Flemming (1968)

Drive, Nicolas Winding Refn (2011)

La belle et la bête, Gary Trousdale et Kirk Wise (1992)



Le Guépard, Luchino Visconti, Palme d'or (1963)

La vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche, Palme d'or (2013)

La vita è bella, Roberto Benigni (1997)

Tant qu'il y aura des hommes, Fred Zinnemann (1954)

Happy Together, Wong Kar-wai (1997)

Les prédateurs, Tony Scott (1983)

Les ailes du désir, Wim Wenders (1987)

Bonus: un mash-up de baisers de cinéma, issu de Cinéma Paradiso

[We miss Cannes] Les 7 merveilles de Pedro Almodovar

Posté par vincy, le 19 mai 2020

Tandis que Ciné+ Emotion diffuse actuellement un Cycle Almodóvar, et Canal + propose son dernier film Douleur et Gloire, repassons-nous ses 7 films sélectionnés à Cannes. Seulement sept. "Je me souviens que Pedro Almodovar m'en a longtemps voulu de n'avoir pas sélectionné à Cannes Femmes au bord de la crise de nerfs. Je ne lui donne pas tort" écrivait Gilles Jacob dans Les pas perdus en 2013. Jacob se rattrapera en le nommant membre du jury en 1992.

Mais il aura donc fallu attendre 1999 pour voir le 13e film du cinéaste espagnol à Cannes. Pedro Almodovar fêtait cette année-là ses 50 ans.

Si Cannes n'a pas eu deux de ses chefs d'oeuvres - Femmes au bord de la crise de nerfs et Parle avec elle -, le festival a rarement manqué le rendez-vous avec celui qui deviendra le président du jury en 2017. Le cinéaste espagnol le plus récompensé dans le monde depuis quatre décennies n'est pourtant reparti qu'avec trois trophées : le prix de la mise en scène (Tout sur ma mère), un prix du scénario et un prix d'interprétation féminine collectif (Volver) et un prix d'interprétation masculine (Douleur et gloire l'an dernier). Cela peut sembler injuste, sous-estimé. On gage qu'il aura un jour une Palme d'honneur à défaut d'avoir eu la Palme d'or.

1999 - Tout sur ma mère (compétition)

A coup sûr, une Palme d'or n'aurait pas été superflue pour cet immense mélodrame au féminin, qui remportera au cours de l'année Goyas, César, Oscar... Avec Cecilia Roth, Marisa Paredes, Candela Peña, Antonia San Juan, la jeune Penélope Cruz et Toni Cantó, ce récit généreux et tragique, sur le don et la perte, a marqué un virage dans la filmographie du cinéaste, l'emmenant vers des territoires plus mâtures, et des récits plus complexes.

2004 - La mauvaise éducation (hors-compétition, ouverture)

Un film noir par excellence. Almodovar aborde à la fois l'abus sexuel, l'emprise de la religion et les séquelles psychologiques des victimes. Gael García Bernal, Fele Martínez, Daniel Giménez Cacho, Lluís Homar et Javier Cámara composent toutes les nuances de cette passion sombre, où, pour la première fois, les femmes sont complètement absentes.

2006 - Volver (compétition)

Cette fois-ci, il revient avec un film choral au féminin, conviant son ancienne muse - Carmen Maura - et sa nouvelle - Penelope Cruz. Avec un sens impeccable de la mise en scène, du cadrage à la lumière, cette histoire de meurtre et de fantômes, de passé et de présent, de secrets et de mensonges, bouleverse de nouveau le public et place le cinéaste au-dessus du lot, une fois de plus.

2009 - Etreintes brisées (compétition)

Entouré de fidèles - Penélope Cruz, Lluís Homar, Blanca Portillo, José Luis Gómez, Lola Dueñas, Rossy de Palma - ce drame aux multiples références cinématographiques (principalement américaines) renvoie aux films d'Almodovar des années 1990, quand il se cherchait entre fiction et autobiographie, entre films noirs et récits obsessionnels. Une quête permanente où il tatonne à l'aveugle, comme son héros.

2011 - La Piel que habito (compétition)

Sans doute son plus grand film fantastique, à la fois terrifiant et tourmenté, avec le grand retour d'Antonio Banderas devant la caméra de Pedro. Le casting mélange nouvelles têtes et habitués: Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet, Blanca Suárez, Roberto Álamo et Bárbara Lennie. Une fois de plus, Almodovar ne parvient pas à créer un personnage masculin sympathique dans cette histoire d'emprise et d'identité glaçante. Mais le cinéaste relève le défi d'un thriller psychologique de haute volée.

2016 - Julieta (compétition)

Film plus humble, et dans la lignée de ses récits tragico-romantiques, cette histoire de retour dans le passé, de regrets et de pardon, est porté par des acteurs assez neufs dans l'univers du cinéaste, qui cherche alors, sans doute, à se renouveler: Emma Suárez, Adriana Ugarte, Daniel Grao, Inma Cuesta, Michelle Jenner, Darío Grandinetti et Rossy de Palma. Le réalisateur parvient surtout à prouver qu'il est un expert dans les récits voyageant dans le temps, sans perdre le fil des névroses de ses personnages.

2019 - Douleur et gloire (compétition)

Sans aucun doute, son film le plus personnel, le plus intime, et le plus audacieux. Formellement, avec toutes sortes d'astuces de mise en scène. Narrativement avec des ellipses et des allers retours dans différentes époques. Et bien entendu dans cette réalisation aride où Antonio Banderas, à son meilleur niveau, incarne son double et transmet tout ce qu'il faut d'émotion et de pudeur. Ne négligeons pas la lumière dans cette noirceur: une ode au cinéma, un hommage à sa mère (sublime Penelope Cruz) et un hymne proustien sensuel sur les origines du désir. Enfin cette panne d'inspiration lui permet de filmer les hommes avec un autre regard.

Bonus: 2014 - Les Nouveaux sauvages (compétition) - producteur

Film à sketches argentin sur la rage et la colère qui régissent le monde contemporain, les inégalités et les injustices qui poussent à se révolter quitte à réveiller l'animal en soi, cette comédie noire de Damián Szifron s'avère hilarante sous sa moquerie et assez cynique si on gratte le vernis de ce délire jouissif. Avec El Deseo, Almodovar et son frère Agustin sont des producteurs respectés: ils ont notamment financé les films L'ange (Un certain regard), El Clan (Venise) ou La femme sans tête (en compétition à Cannes).

Michel Piccoli (1925-2020), son dernier saut dans le vide

Posté par vincy, le 18 mai 2020

Michel Piccoli est mort le 12 mai a-t-on appris ce lundi 18 mai à l'âge de 94 ans. Né le 27 décembre 1925, l'un des plus grands comédiens français s'est éteint des suites d'un accident cérébral.

Prix d'interprétation à Cannes en 1980 pour Le Saut dans le vide, Ours d'argent du meilleur acteur à la Berlinale en 1982 pour Une étrange affaire, Léopard de la meilleure interprétation masculine à Locarno en 2007 pour Les Toits de Paris et prix David di Donatello du meilleur acteur en 2012 pour Habemus papam, il a derrière lui une carrière vertigineuse au cinéma comme au théâtre. Avec aucun César dans son escarcelle, scandale perpétuel.

Il a tourné avec les plus grands: Jean Renoir, René Clair, Luis Bunuel, Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Jacques Demy, Costa-Gavras, Michel Deville, Heanri-Georges Clouzot, Alfred Hitchcock, Marco Ferreri, Claude Sautet, Claude Chabrol, Louis Malle, Marco Bellocchio, Ettore Scola, Leos Carax, Jacques Rivette, Youssef Chahine, Manoel de Oliveira, Bertrand Blier, Elia Suleiman, Raoul Ruiz, Claude Miller, Theo Angelopoulos, Nanni Moretti, Alain Resnais...

De 1945 à 2015, il a traversé tout le cinéma, avec des rôles variés, où sa justesse en faisait un artiste de la précision. Un parcours éclectique mû par la curiosité et l'amour de son art. Il était un géant du cinéma européen.

Lire notre portrait: Piccoli, Alors voilà.


C’est finalement Gilles Jacob qui en parle le mieux. L’ancien président du Festival de Cannes avait écrit un livre d’entretiens avec le comédien il y a cinq ans : «Michel, c'était l'art du comédien : la classe, l'élégance et la pudeur, la tendresse et l'extravagance, la fraîcheur de ceux qui ont gardé leur âme d'enfant. Il représentait aussi la cocasserie. L'envie de surprendre et de laisser germer ce grain de folie qui font les très très grands. C'est pour cela que les plus grands cinéastes comme Marco Ferreri, Claude Sautet et Jean-Luc Godard l'ont utilisé magnifiquement. On ne dirigeait pas Piccoli. On le filmait. C'était inutile de lui donner des explications. Le personnage qu'il interprétait le guidait, et l'imprégnation du personnage. Il accueillait l'évidence des... choses de la vie. La France est orpheline d'un fils. Il nous laisse son œuvre et notre chagrin.»


C'est entendu, Michel Piccoli est un monstre sacré. Qu’il admire le corps de Bardot, qu’il séduise Deneuve, qu’il tombe amoureux de Schneider, qu’il se gave avec Ferreol ou qu’il cabotine avec Miou-Miou, Piccoli a toujours su trouver le ton juste, précis, modulant parfaitement sa voix, maîtrisant à merveille son regard.

Le sortilège du destin

Michel Piccoli naît à Paris le 27 décembre 1925 dans une famille musicienne : une mère pianiste, issue d'une famille bourgeoise, et un père violoniste venant d'un milieu modeste. Son enfance se partage entre la capitale et la Corrèze. A 20 ans, il s'affranchit de la bourgeoisie familiale et fait ses débuts au cinéma avec une figuration dans le film de Christian Jaque, Sortilèges. Après quelques rôles de cinéma et quelques pièces de théâtre, il fait la rencontre de Luis Buñuel. "J'ai écrit, moi acteur obscur, à ce metteur en scène connu pour qu'il vienne me voir dans un spectacle. Il est venu. Nous sommes devenus amis. C'est un culot de jeune homme formidable, non ?". C'est le début d'une longue complicité : Michel Piccoli jouera dans six de ses films dont les fameux Journal d'une femme de chambre, Belle de jour et Le charme discret de la bourgeoisie.
Amoureux des livres, des idées, de cette effervescence intellectuelle de l’après guerre, Piccoli croise le tout Saint-Germain-des-Prés et connaît Boris Vian (il reprendra son Déserteur dans un disque hommage à Reggiani), Jean-Paul Sartre et Juliette Gréco qui sera sa compagne pendant onze ans.

Séducteur ou gouailleur, grossier ou élégant, mystérieux ou rêveur, Piccoli a traversé l’histoire du cinéma. Il tourne beaucoup, dès les années 1950. On le croise ainsi dans French cancan, Les grandes manœuvres, Marie-Antoinette… Des seconds-rôles qui aboutiront à celui qui déclenchera tout, dans Le doulos, avec Belmondo, de Jean-Pierre Melville en 1962. Le chapeau lui va bien. Il ne le quittera pas l’année suivante dans Le Mépris, de Godard, où il s’impose comme un grand de sa génération. Dès lors, il trouve sa place dans des univers variés. La jeune génération française avec Jacques Rozier, Paul Vecchiali, Agnès Varda, Alain Cavalier, Michel Deville, Alain Resnais, Nadine Trintignant, les cinéastes de l’exil, comme Bunuel et Costa-Gavras, les grands noms du 7e art français (René Clément, Henri-Georges Clouzot) ou le cinéma italien, puisqu’il parle couramment la langue.

De cette époque on retient alors Compartiments, La Guerre est finie, Les Demoiselles de Rochefort, Benjamin ou les mémoires d'un puceau, La chamade, et bien sur son passage chez Hitchcock dans L’étau. S’il n’a pas le statut de star d’un Belmondo ou d’un Delon, il est, à l’instar de Noiret, un de ces acteurs qui compte rapidement dans le cinéma européen.

Le grand saut

Fidèle avec ses cinéastes fétiches - Bunuel, Ferreri, Sautet -, c’est justement avec ce dernier que sa stature va évoluer. En 1970, il est à l’affiche des Choses de la vie (enchaînant ensuite un grand écart avec Philippe de Broca, les très belles Noces rouges de Claude Chabrol et Yves Boisset). Un drame intime et existentialiste bouleversant, qui amorce un tournant dans la carrière du réalisateur et relance celle de Romy Schneider. C’est aussi le plus grand succès au box office du comédien. Il a alors ce charme discret de la bourgeoisie, qu’il se délectera à transformer en décadence totale dans La grande bouffe de Marco Ferreri, grand pamphlet d’une civilisation sur-consommatrice et autodestructrice.

Car pour lui, le cinéma doit refléter le chaos et la folie du monde, quitte à se confiner et s’isoler dans Themroc de Claude Garaldo, 47 ans avant notre confinement actuel. Il peut jouer aussi bien un homme de loi qu’un escroc, un ministre qu’un médecin, un ami qu’un roi. Après Vincent, François, Paul et les autres, de Sautet, il doit cependant patienter jusqu’en 1979 pour retrouver un grand personnage, celui du juge Mauro dans Le saut dans le vide de Marco Bellocchio, sublime mélo noir, qui lui fait décrocher un prix d’interprétation à Cannes. Deux ans avant son prix d’interprétation à Berlin, dans Une étrange affaire, en patron prédateur.

Insatiable curiosité

Dès les années 1980, il oscille entre fidélité (Boisset, Ferreri, Demy, Bellocchio, Godard) et découvertes, entre quelques succès comme la Passante du Sans-Souci, toujours avec Schneider, ou Que les gros salaires lèvent le doigt ! de Denys Granier-Deferre. Il passe ainsi du Prix du danger à La nuit de Varennes, d’Ettore Scola, de La Diagonale du fou, en champion d’échecs, à des films de Jacques Doillon ou de Claude Lelouch.  Dans ces années-là, il croise Youssef Chahine (Adieu Bonaparte), Leos Carax (Mauvais sang), Maroun Bagdadi (L’homme voilé), autant de films audacieux et sélectionnés dans les festivals. Mais il tourne aussi Le paltoquet et Milou en mai, beau succès public de Louis Malle.

Piccoli est insaisissable. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de Piccoli transpercent l’image.

Habemus Maestro

Piccoli est insaisissable, atemporel et sans étiquette. Il n’est jamais là où on l’attend. Il peut-être doux ou colérique, las ou vivifiant, dans des œuvres exigeantes ou des films plus consensuels. Surtout, il sait vieillir au cinéma. Et alors que Delon et Belmondo s’éclipsent progressivement, piégés par leur image de superstar, lui s’amuse à être peintre voyeur dans La belle noiseuse de Rivette ou emmerdeur homosexuel dans Le bal des Casse-pieds de Robert. Il ose tourner dans des courts métrages de débutants comme Guillaume Nicloux, s’’amuse à être monsieur cinéma chez Varda, à être en costume princier pour Molinaro, à jouer son propre personnage chez Bertrand Blier, à se lancer dans la réalisation (Alors voilà, en 1998). Il découvre aussi les univers d’Enki Bilal (dans un film SF) ou de Raoul Ruiz (dans une psychanalyse surréaliste). Et puis il rencontre Manoel de Oliveira, qui lui offre l’un de ses plus beaux personnages, dans Je rentre à la maison. Toute la sensibilité et la subtilité de son jeu transpercent l’image. « L’acteur n’existe que dans le regard des autres » selon lui. Là on redécouvrait aussi bien Piccoli qu’on s’émerveillait de la jeunesse d’Oliveira.

« Je ne veux pas être élitiste, mais je sais que je serais incapable de réaliser quelque chose qui plairait au plus grand nombre » explique-t-il alors qu’il vient « d'entrer sur le marché du travail dans les rôles de grands-pères. Les carottes sont cuites ». Sans agent, sans César, narrateur permanent de documentaires, fictions (Intervention divine d’Elia Suleiman) ou films d’animation (La prophétie des grenouilles de Jacques-Rémy Girerd), il poursuit ses rêves sans trop d’efforts. Que ce soit au théâtre jusqu’à la fin des années 2000 avec un rôle-sacre, le Roi Lear, ou au cinéma. Il continue à tourner pour les cinéastes d’avant mais s’aventure aussi chez Bertrand Bonello, Theo Angelopoulos, ou même Bertrand Mandico. C’est évidemment en pape dans Habemus Papam de Nanni Moretti en 2011 qu’il semble signer sa performance crépusculaire, loin de toute noirceur, et proche  d’un hédonisme lumineux. « Le bonheur est toujours une quête à renouveler » disait-il. Durant 70 ans de métier, il a su appliquer cet idéal.

[We miss Cannes] Côté Courts #2 : la famille dans tous ses états

Posté par MpM, le 18 mai 2020


Pour ce deuxième rendez-vous consacré aux courts métrages cannois, nous vous proposons d'explorer un thème inépuisable, atemporel et universel, celui de la famille. Généralement dans tous ses états, la cellule familiale est un sujet privilégié du format court, en partie notamment parce que les jeunes réalisateurs ont tendance à parler de ce qu'ils connaissent, et à faire de leurs proches leurs premiers personnages, de fiction comme de documentaire.

Du côté du spectateur, on est aussi en terrain connu. Les histoires de famille suscitent facilement l'empathie, voire une forme de résonance avec le vécu de celle ou celui qui regarde. Qu'elles soient fonctionnelles ou dysfonctionnelles, aimantes ou conflictuelles, barrées ou austères, elles nous renvoient souvent comme un miroir (plus ou moins déformant) le reflet de nos propres relations familiales.

Nous commencerons cette promenade impromptue avec une palme d'or venue d'Australie : All these creatures de Charles Williams, présenté sur la Croisette en 2018. Raconté en voix-off à la première personne, le film met en scène un adolescent qui tente de reconstituer les conditions particulières de l'effondrement mental de son père, lié à une épidémie mystérieuse et à une invasion d'insectes. Ce qui frappe dans ce récit très resserré et introspectif, c'est l'élégance de l'image alliée à une approche qui emprunte beaucoup aux codes documentaires (caméra à l'épaule, immersion avec les personnages, récit en off a posteriori). Tout concourt pour que l'on soit véritablement au plus près du narrateur, assistant avec lui, à la transformation du père connu et aimé en un individu aux réactions imprévisibles et déconcertantes.

Ce sera ensuite au tour d'Ena Sendijarevic de nous emmener au sein d'une famille bosniaque fraîchement arrivée dans un petit village des Pays-Bas, tentant chacun à sa manière de s'approprier ce nouveau monde. Dans son court métrage Import (Quinzaine des Réalisateurs 2016), on suit tour à tour la mère qui travaille comme femme de ménage dans un EHPAD, le père qui essaye de faire fonctionner la télévision et les deux filles qui ont une manière bien à elles de s'intégrer dans leur nouvelle école. De situations absurdes en moment d'émotion feutrée, le film raconte avec auto-dérision et tendresse les difficultés, surprises et petites joies qui attendent tout réfugié en train de se familiariser avec sa nouvelle patrie. A noter que la réalisatrice était de retour à Cannes en 2019 avec son premier long métrage, Take me somewhere nice, présenté à l'ACID.

On termine ce programme court (mais intense) avec un documentaire singulier, primé à la Quinzaine en 2017 : Retour à Genoa City, dans lequel Benoît Grimalt a l'étrange mais excellente idée d'interroger son histoire familiale à travers celle de la série Les feux de l'amour, championne de longévité télévisuelle. Le réalisateur se penche donc sur les relations que sa grand-mère et  son grand-oncle, "Mémé "et "Tonton Thomas", entretiennent avec ce soap opera interminable et foisonnant S'il décortique habilement les chimères d’une saga qui ne raconte rien, et reflète même une certaine vacuité faite d'émotions perpétuellement renouvelées et filmées en gros plans, il crée surtout l'émotion en dressant en creux le portrait de sa propre famille, originaire d'Italie, et qui a vécu en Algérie avant de s'installer à Nice. Les parallèles entre les protagonistes de la série et "Mémé" et "Tonton Thomas" ont une saveur particulière, à la fois humoristique et mélancolique, et renvoient le spectateur à son propre récit familial, construit lui-aussi d'éléments concrets et de vapeurs venues de Genoa city ou d'ailleurs.

Pour découvrir notre mini-programme en ligne :

All these creatures de Charles Williams
Import de Ena Sendijarevic
Retour à Genoa city de Benoit Grimalt

Et pour découvrir notre premier programme consacré aux amours possibles et impossibles, c'est par ici !

[We miss Cannes] Le cinéma sud-coréen en vedette sur la Croisette

Posté par kristofy, le 17 mai 2020

Si 2019 devait être symbolisée par un seul film ce serait évidement Parasite de Bong Joon-ho : à l'international, il a gagné plus de 200 récompenses en plus d'avoir été un grand succès en salles un peu partout. #ParasiteMadeHistory aux Oscars : il a réalisé l'exploit d'en remporter 4 (Meilleur film, Meilleur film international, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original). Et le détonateur aura été la Palme d'Or du Festival de Cannes 2019. C'est la première fois dans l'histoire du cinéma de Corée du Sud qu'un film provoque une telle adhésion populaire. Et ce n'est pas le seul film coréen à s'être imposé très largement au delà de ses frontières grâce à l'appui de Cannes.

Déjà en 2004 Old Boy de Park Chan-wook avait frôlé lui aussi la Palme d'or, et a terminé son beau parcours en recevant le Grand Prix. Depuis le début des années 2000 le cinéma coréen est l'un des plus dynamiques dans les festivals, devenant culte, souvent après coup. Le Festival de Cannes y a largement contribué. D'abord avec des films d'auteurs qui vont devenir de grands noms du cinéma mondial, puis avec des films de genre qui vont s'imposer comme des références. Bref un plaisir de cinéphiles sans cesse renouvelé par des scénarios maîtrisés et des mises en scène souvent épatantes.

Durant les années 1980 et fin des années 1990 le cinéma de Corée du Sud est en quelque sort encore considéré comme 'émergent'. Quelques films figurent dans certaines sections du Festival de Cannes comme dans celle Un Certain Regard : Le Rouet, l'histoire cruelle des femmes de Lee Doo-yong en 1984, la découverte de Hong Sang-soo pas encore connu avec Le Pouvoir de la province de Kangwon en 1998 et La Vierge mise à nu par ses prétendants du même réalisateur en 2000 (ces films ne sortiront dans les salles françaises qu'en 2003).

En sections parallèles La Semaine de la Critique découvre Christmas in August de Hur Jin-ho en 1998 et La Quinzaine des Réalisateurs révèle Le Printemps dans mon pays natal en 1998 aussi et surtout en 2000 Peppermint Candy de Lee Chang-Dong.

La Sélection officielle a été plus patiente. Outre une séance spéciale en 1994 de Vanished de Shin Sang-ok (à 59 ans après de nombreux films depuis les années 1960), il faut attendre le début des années 2000 pour que la Corée du Sud soit remarquée en compétition avec le réalisateur Im Kwon-taek (à plus de 60 ans, aussi après déjà de nombreux films depuis les années 1960) : en 2000 Le Chant de la fidèle Chunhyang puis en 2002  avec Ivre de femmes et de peinture.

Dès lors les choses bougeront un peu plus vite. Cannes va devenir plus réactif sous le règne de Thierry Frémaux, qui va sélectionner Park Chan-wook et Bong Joon-ho (Parasite, Okja, Mother; avant son The Host - plus gros succès coréen en 2006 - était à La Quinzaine des Réalisateurs).

Le réalisateur Park Chan-wook (Old Boy, Thirst, ceci est mon sang, Mademoiselle) et les acteurs star Choi Min-sik (Ivre de femmes et de peinture, Old Boy) et Song Kang-ho (Secret Sunshine, Thirst ceci est mon sang, Le bon, la brute et le cinglé, Parasite) sont donc devenu très familiers du tapis rouge.

Le palmarès du cinéma coréen au Festival de Cannes :

2002 : meilleur réalisateur pour Im Kwon-taek avec Ivre de femmes et de peinture (son 100ème film !)
2004 : Grand Prix pour Old Boy de Park Chan-wook
2007 : meilleure actrice pour Jeon Do-yeon dans Secret Sunshine de Lee Chang-Dong
2009 : prix du jury pour Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook
2010 : prix du scénario pour Poetry de Lee Chang-dong
2016 : prix technique Vulcain pour la directrice artistique Seong-Hie Ryu avec Mademoiselle de Park Chan-wook
2019 : palme d'or pour Parasite de Bong Joon-ho

Mais ils ne sont pas les seuls, Cannes a aussi accueilli dans l'une ou l'autre de ses sections d'autres grandes personnalités du cinéma coréen, comme Hong Sang-soo avec une grande partie de ses films. On y a aussi vu plusieurs fois donc Bong Joon-ho (The HostMother, Okja, Parasite), le réalisateur Kim Ki-Duk (L'Arc, Arirang, Souffle), Im Sang-soo (The Housemaid, L'ivresse de l'argent), Lee Chang-dong (Secret Sunshine, Burning)... Autant de variations stylistiques (et thématiques) en provenance d'un des pays à la cinématographie chaque année plus riche.

Mais si le cinéma sud-coréen brille plus que tout autre pays, c'est grâce à ses films d'action, ses films de genre et ses polars, ou plus largement le 'cinéma de genre'. Park Chan-wook et Boon Jong-ho en sont les parfaits exemples, et finalement les deux maîtres (avec aussi Kim Jee-woon). Cannes n'est pas passé à côté de ce phénomène particulier en y invitant (souvent en séance de minuit) Na Hong-jin avec ses 3 films (The Chaser, The Murderer, The Strangers), Kim Jee-woon (le jouissif Le bon, la brute et le cinglé), Yen Sang-ho (Dernier train pour Busan, devenu culte, et dont la suite Peninsula était attendue à Cannes cette année), Yoon Jong-bin (The spy gone North), Lee Won-jae (le percutant et malin Le gangster, le flic et l'assassin).

Les sections parallèles ont elles aussi su dénicher et mettre en avant d'autres films coréen comme Bedevilled de Jang Cheol-soo et Coin Locker Girl de Han Jun-hee à La Semaine de la Critique; La Quinzaine des Réalisateurs a souvent été initiatrice des premières sélections de certains grands noms comme évidemment Bong Joon-ho (The Host), Ryoo Seung-wan (Crying Fist, avec Choi Min-sik), Yeon Sang-ho (The kings of pigs, en animation), Kim Sung-hoon (Hard day)...

Et c'est dans la section Un Certain Regard qu'une femme réalisatrice a eu l'honneur d'être présente au Festival de Cannes : July Jung et son A girl at my door, avec la star Bae Doo-na.

[We miss Cannes] Côté Courts #1 : Amours possibles et impossibles

Posté par MpM, le 16 mai 2020


Ce qui nous manque du Festival de Cannes, c'est l'effervescence des séances qui s'enchaînent ; les montagnes russes émotionnelles ; les flots d'images qui reviennent nous hanter pendant les nuits trop courtes ; les retrouvailles, avec les cinéastes qu'on aime comme avec de vieux copains que l'on ne croise qu'une fois par an sur la Croisette, ou encore  l'impression d'être exactement à sa place, au coeur de la petite planète cinéphile, celle qui est capable de passer moins de temps à dormir qu'à faire la queue pour une projection d'un film d'Apichatpong Weerasethakul. Mais ce qui est chaque année le plus marquant, ce sont bien sûr les découvertes et les rencontres, ces moments où l'on croise un film, une mise en scène, un geste de cinéma que l'on n'oubliera pas de sitôt.

Pour célébrer ces découvertes qui ne sont que partie remise, nous avons eu envie de revenir sur des découvertes très récentes, faites à Cannes ces dix dernières années. Et parce que le court métrage est le format privilégié pour ces premières fois, ce sont ainsi une douzaine de courts métrages que nous vous proposons de (re)découvrir, en quatre programmes (on ne se refait pas !) thématiques et évidemment subjectifs.

Pour ce premier rendez-vous, on est d'humeur romantique, avec un voyage en trois films dans le courant foisonnant des Amours possibles et impossibles, motifs évidemment récurrents du cinéma en général, et du format court en particulier.

Première étape, une rencontre incertaine dans l'ambiance nocturne et moite d'une station service grecque. Deux hommes qui se frôlent, leurs visages cadrés en gros plan envahissent l'écran. Deux inconnus qui se découvrent en quelques phrases à l'ironie décalée. Deux corps qui s'accrochent l'un à l'autre dans un plan final à la beauté magnétique et persistante. La distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos, amorce ténue et intimiste de romance pop à la sensibilité à fleur de peau, a reçu la Palme d'Or du meilleur court métrage lors de l'édition 2019 du Festival de Cannes.

On passe ensuite à un mélange de passion et de folie, grâce au très électrisant Tesla, Lumière mondiale de Matthew Rankin, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2017. Ce quasi biopic du scientifique Nicolas Tesla est traité avec une audace folle, entre hommage au cinéma d'avant garde et expérimentation pyrotechnique. On y découvre le fameux scientifique en proie à des crises presque mystiques (sa vision d'un monde réunifié par son invention à venir, l'électricité) en même temps qu'aux doutes les plus affreux (son mécène ne veut plus financer ses recherches), sans oublier une transe amoureuse irrésistible causée par... une pigeonne. C'est en apparence déconcertant, voire complètement délirant, et pourtant tout est parfaitement maîtrisé, visuellement passionnant, et surtout en exacte résonance avec certains épisodes de l'existence de Tesla.

Pour finir, notre voyage nous amène dans un univers dont toute ressemblance avec le nôtre n'est pas du tout fortuite, lors d'une Nuit des sacs plastiques signée Gabriel Harel (Quinzaine des Réalisateurs 2018). Pendant une soirée en apparence comme les autres, les emballages plastiques abandonnés dans la nature se rebellent contre l'être humain. On assiste alors à un véritable jeu de massacre, tandis que le personnage principal, Agathe, n'a qu'une obsession : tenter de reconquérir son ex, et surtout le convaincre de lui faire un enfant. Le contraste entre les motifs traditionnels du film de genre horrifique et l'interminable logorrhée de la jeune femme est une savoureuse démonstration d'humour noir qui propose en parallèle un sous-texte écologique plutôt flippant, l'Humanité se retrouvant plus ou moins condamnée à périr par le plastique, ou à fusionner avec lui.

Pour découvrir notre mini-programme en ligne :

La Distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos
Tesla, Lumière mondiale de Matthew Rankin
La Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel

Et pour prolonger le plaisir du court cannois, nous vous invitons à aller faire un tour sur le site Format Court, qui propose d'ici le 23 Mai 25 courts sélectionnés dans les différentes sections du Festival entre 1965 et 2017.

[We miss Cannes] Des Palmes d’or à succès

Posté par vincy, le 15 mai 2020

Depuis notre dernier pointage pour les 70 ans de Cannes, le box office français des Palmes d'or n'a pas beaucoup évolu.

Les plus grands succès restent anciens : Le troisième homme, Le salaire de la peur, Quand passent les cigognes sont les seuls films à avoir séduit plus de 5 millions de spectateurs.

Si on met la barre à 3 millions, on peut ajouter Le monde du silence, La loi du seigneur, Orfeu negro, Le Guépard, Un homme et une femme, M.A.S.H., et Apocalypse Now. Le nombre de gros succès a diminué depuis les années 1980.

Depuis La Leçon de Piano et Pulp Fiction (1993 et 1994 respectivement), seul un film (américain) a passé la barre des 2 millions d'entrées, le documentaire de Michael Moore, Fahrenheit 9/11.

Et depuis le début du millénaire, en plus de Fahrenheit 9/11, on compte désormais 5 millionnaires, "seulement": Dancer in the Dark, trois productions françaises (La vie d'Adèle, Entre les murs, Le Pianiste), et la Palme de l'an dernier, Parasite (1,88M d'entrées).

Il est indéniable que l'impact d'une Palme est moindre aujourd'hui, si on prend les données brutes. En moyenne, un film palmé attire deux fois moins de spectateurs qu'il y a 40 ans. Mais on peut aussi relativiser. Sans Palme, quel film suédois, japonais,  turc, chinois, serbe, danois, roumain ou thaïlandais aurait atteint les scores de The Square, Une affaire de famille, Winter Sleep, Adieu ma concubine, Papa est en voyage d'affaires, Pelle le Conquérant, 4 mois 3 semaines et 2 jours ou Oncle Boonmee ?

Grâce à une Palme d'or, des cinéastes comme Haneke, Loach, Moretti, Leigh ou Cantet ont élargi grandement leurs publics. Bien sûr il y a des contre-performances : Dheepan, qui fut le pire échec de Jacques Audiard, par exemple.

[We miss Cannes] 13 Palmes d’honneur

Posté par vincy, le 14 mai 2020

Depuis la Palme des palmes en 1997 pour Ingmar Bergman, le Festival de Cannes a couronné 12 autres artistes par une Palme d'honneur, dont 6 Français. Passage en revue avec un extrait de leur premier film présenté à Cannes (le deuxième pour Belmondo puisque son premier film cannois fut le même que celui de Jeanne Moreau). Certains sont très connus, d'autres beaucoup moins.

1997: Ingmar Bergman

2002: Woody Allen

2003 : Jeanne Moreau

2005 : Catherine Deneuve

2007 : Jane Fonda

2008 : Manoel de Oliveira

2009 : Clint Eastwood

2011 : Jean-Paul Belmondo

2011 : Bernardo Bertolucci

2015 : Agnès Varda

2016 : Jean-Pierre Léaud

2017 : Jeffrey Katzenberg

2019 : Alain Delon

[We miss Cannes] 1968, la dernière fois que Cannes n’a pas eu lieu (ou presque)

Posté par vincy, le 13 mai 2020

Cannes a tout évité sauf la seconde guerre mondiale, l'après guerre et mai 68. 1968: Nixon est élu président des Etats-Unis, papa Trudeau est devenu Premier Ministre du Canada, le printemps est sanglant à Prague, Bobby Kennedy est assassiné, la France de De Gaulle gronde et cherche la plage sous les pavés. Les facs sont occupées. L'essence se raréfie.

Le Festival de Cannes va en faire les frais. Cette année-là, il débute le 10 mai. Après cinq jours de bronca estudiantine, de séances malmenées, de cinéastes accrochés aux rideaux, de réalisateurs devenus tribuns politiques dans des meetings improvisés, il s'interrompt le 19 mai. 8 films de la compétition - seulement - ont été projetés. En 68, on projetait Autant en emporte le vent (en 70mm stereo). Ce fut autant en emporte les films. Une vraie guerre de sécession.

Tous se révoltent contre la décision de Malraux, ministre de la culture, de démettre Henri Langlois de son poste de directeur de la Cinémathèque. En plein tournage de Baisers volés, François Truffaut débarque le 18 mai. Redoutable, Godard est déjà vent debout. Louis Malle, Monica Vitti et Roman Polanski démissionnent du jury, Resnais, Saura, Forman retirent leurs films. Pendant ce temps, le public local conspue le cirque de ces artistes d'ailleurs. On en vient aux mains. Enervement général. Fin de party. Cannes se vide cinq jours avant son palmarès.

Lire le récit de Cannes 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Le 21e festival international du film était un champ de bataille où les films ont été les premières victimes. De là naitra la Quinzaine des réalisateurs, l'année suivante. On redécouvrira au fil des années, à Cannes Classics, certains des films en version restaurée dont Peppermint frappé de Carlos Saura et Un jour parmi tant d'autres de Peter Collinson.

De cette sélection, peu de films ont traversé les décennies. Comme s'ils avaient été oubliés. Il y avait une réalisation du comédien Albert Finney, Charlie Bubbles, un Fellini, Il ne faut jamais parier sa tête avec de Diable, un Resnais, Je t'aime je t'aime, un Malle, William Wilson... C'est finalement celui au titre prémonitoire, Au feu les pompiers, de Milos Forman, qui reste le plus connu encore aujourd'hui.

Mais sinon, les grands films de cette année là - 2001 L’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick), Rosemary’s baby (Roman Polanski), Butch Cassidy et le kid (George Roy Hill), Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone), The Party (Blake Edwards), La mariée était en noir (François Truffaut) - étaient absents de la sélection.

Une compétition dans l'air du temps

Cependant, Cannes était une belle vitrine du cinéma de l'époque. Parmi les cinéastes marquants étaient sélectionnés Valerio Zurlini, Lion d'or six ans plus tôt, Carlo Lizzani, à qui l'on doit Riz amer, Miklos Jancso, doublement sélectionné et prix de la mise en scène quatre ans plus tard, Jiri Menzel, oscarisé en 66 et futur Ours d'or en 1990, Menahem Golan, toujours réalisateur israélien à l'époque avant de devenir producteur de blockbusters hollywoodiens, Jack Cardiff, immense chef opérateur, Kaneto Shinto, scénariste de Kenji Mizoguchi entre autres.

Cannes avait aussi sélectionné des films populaires comme Anna Karenine d'Alexandre Zarkhi, Trois petits tours et puis s'en vont de Clive Donner, Petulia de Richard Lester, Grand prix cannois (pas encore nommé Palme d'or), trois ans auparavant.

Gilles Jacob expliquait sur cette édition si particulière : "La France s'arrêtait, c'était normal que le Festival s'arrête. J'étais jeune journaliste et sur le moment on voulait que le Festival se termine parce que ça faisait bizarre d'arrêter tout. Des films étaient projetés, d'autres pas, pas de palmarès... c'était une année boiteuse. Mais il s'était passé tellement de choses cette année-là, historiquement, que l'on pardonne."

Quatre mois plus tard, Venise frappait quand même très fort avec Faces de John Cassavetes, L'enfance nue de Maurice Pialat, Partner de Bernardo Bertolucci, Sept jours ailleurs de Marin Karmitz, Théorème de Pier Paolo Pasolini et un autre film de Carlos Saura, Stress es tres, tres.

[We miss Cannes] Le Festival de Cannes 2020 sera hors-les-murs

Posté par kristofy, le 12 mai 2020

Le Festival de Cannes 2020 devait commencer aujourd'hui. Ensoleillé, avec quelques nuages, et une température plutôt fraîche pour la saison. Pas de badge à retirer. Pas de projos à caler. Cette année, Cannes sera effacé du calendrier, ou presque. Pas facile de respecter la distanciation sociale dans un festival où on est 600, 1000, 2000 dans une salles. Entassés dans les soirées sur la plage (et comment boire un cocktail avec un masque?). Croisant des milliers de gens du monde entier sur la Croisette. Cannes c'est un rendez-vous où la socialisation est essentielle.

Plus fort que la menace terroriste, le Sars en 2003 ou un volcan islandais en 2010, le coronavirus du moment empêche ce rendez-vous annuel : « Quand la crise sanitaire, dont la résolution reste la priorité de tous, sera passée, il faudra redire et démontrer l’importance et la place que le cinéma, ses œuvres, ses artistes, ses professionnels et ses salles et leurs publics occupent dans nos vies. C’est à cela que le Festival de Cannes entend contribuer...» a rappelé Thierry Frémaux.

Calendrier bousculé

Pas de crise d'égo. Certes Cannes manquera aux journalistes et critiques (pas forcément pour les mêmes raisons). Mais on a surtout un pincement au cœur pour les primo-cinéastes, pour les auteurs dont le festival est la seule garantie de se distinguer au marché et dans les médias, pour ces artistes et producteurs d'un film fragile venu d'un pays où le 7e art est rare. Pas de montée des marches donc pour les équipes de films en compétition, certains titres qui sont évidemment les plus attendus de l'année ont déjà décalé leur sortie en salles de plusieurs mois (pour cet automne, voire pour le prochain festival de Cannes en 2021). L'édition de 2021 devra aussi évoluer si le virus, ou un autre, traîne toujours. Du gel hydroalcoolique, de l'espace entre les fauteuils, des masques, sans compter de nombreux étrangers qui ne se déplaceront pas (outre la crise sanitaire, la crise économique risque de fragiliser l'industrie comme les médias).

Il n'y aura pas de Palme d'or, de palmarès cette année, aucun engouement pour un film inattendu, aucune bousculade pour voir des stars, pas de Top Cruise ni de Soul de Pixar. Mais en cette période de mai , profitons en pour revoir des films qui ont brillé à Cannes les précédentes années, en dvd ou vod où à la télévision (Arte a prévu une programmation spéciale pour les trois prochaines semaines).

Cependant le festival de Cannes 2020 n'est pas abandonné pour autant :  l'événement va prendra la forme de plusieurs rendez-vous durant les mois à venir.

Cannes 2020 - hors les murs :

- Fin mai: "We are One : A global film festival", initié par le Festival de Tribeca, lui-même annulé, et qui propose aux internautes de la planète de se retrouver du 29 mai au 7 juin prochains sur la plateforme Youtube, partenaire du rendez-vous. Cannes rejoint ainsi les festivals d'Annecy, Berlin, Londres, Cannes, Guadalajara, Locarno, Macao, Jérusalem, Mumbai, Karlovy Vary, Marrakech, New York, San Sebastian, Sarajevo, Sundance, Sydney, Tokyo, Toronto, Tribeca et Venise.

- Début juin : Cannes va annoncer une liste de films qui aurait été sélectionnés dans une section ou une autre. Ceux-ci pourront bénéficier d'un label 'Cannes 2020' pour leur promotion. On sait déjà que The French Dispatch de Wes Anderson, Tre Pianni de Nanni Moretti et Benedetta de Paul Verhoeven en font partie, comme l'a dévoilé Thierry Frémaux dans L'Obs ce week-end. On se doute que les blockbusters américains n'en auront pas besoin. On peut regretter que le nouveau Spike Lee (président du jury cette année), diffusé en juin sur Netflix et programmé hors compétition, s'en passera. Mais on sait aussi que tous les films qui sont prêts à aller à Venise ou qui préfèrent attendre un an pour une projection cannoise en mai 2021 n'y seront pas. Ce sera donc une sélection de sélection.

- 22-26 juin: Le marché du film a lieu en mode virtuel, avec des stands et des pavillons virtuels, des réunions vidéo grâce à l’application Match&Meet, des projections sur Cinando, et des conférences transposées dans l’espace numérique.

- Août/septembre/octobre : Si les diverses conditions sont réunies (sanitaires, gouvernementales, et économiques...), Cannes marquera le coup à travers des séances autour de ses films "labellisés" dans différents festivals : le festival du film francophone d'Angoulême, le festival du cinéma américain de Deauville, le festival Lumière de Lyon, Toronto au Canada, San Sebastian en Espagne, Busan en Corée du sud, New York aux USA.

Et puis il y a le cas de Venise: "La question de repousser Cannes en septembre se posait mais nous n’allions pas nous installer aux dates de la Mostra. Du coup, on parle de se retrouver tous ensemble au Lido, au nom du cinéma mondial, faire des événements, défendre les mêmes films. A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle" explique Thierry Frémaux à l'Obs, précisant: "Il serait normal qu’un film « cannois » préfère se concentrer sur la compétition de Venise, si la Mostra a lieu. S’il est possible de leur attribuer un double soutien de Cannes et de Venise, on procédera ainsi."

Les films labellisé "Cannes 2020" pourraient ainsi être présentés selon un calendrier cohérent. C'était déjà entendu que Angoulême montrerait The French Dispatch de Wes Anderson, où le film s'est tourné, et que Lyon célébrerait le 20ème anniversaire de In the Mood for Love de Wong Kar-wai, prévu parmi les événements de Cannes 2020.

-Automne/hiver/printemps 2021 : Certains des films avec un label 'Cannes 2020' préparent leur sortie (reportée) dans les salles de cinéma. mais aussi, plus tard dans l'année, Buenos Aires, Bucarest et Hong Kong où le festival est déjà présent à travers une manifestation cannoise hors-les-murs. Sans oublier des événements possibles en avant-premières dans les salles.

- Mai 2021 : le Festival de Cannes tel qu'on le connaît aura lieu comme presque avant. Le président du jury pourrait être Spike Lee. Un film en compétition est déjà connu (après une annonce de son producteur d'une sortie reportée d'un an pour Cannes 21) : Benedetta de Paul Verhoeven avec en vedette Virginie Efira (aussi Lambert Wilson, Charlotte Rampling). D'ici là le réalisateur néerlandais s'attaquera à une adaptation en série de Bel-ami de Maupassant.

Il y aura sans doute moins de films puisque les tournages ne reprennent que très lentement un peu partout dans le monde et que le problème des assurances liées aux Covid-19 n'est pas réglé pour les productions.

"Une grande partie de la production 2020 a décidé d’attendre 2021 pour la sortie ou même pour la sélection cannoise. Donc, entre ceux qui étaient presque prêts, ceux qui vont se tourner si tout va bien […] entre septembre et mois d’avril, plus évidemment ceux qui venaient de 2020, oui on aura la matière" a confirmé Thierry Frémaux ce matin sur RTL.