Cannes 2015 : retrouvailles avec Gaspar Noé et sa « dimension organique de l’état amoureux »

Posté par kristofy, le 19 mai 2015


Cher Gaspar (sans d),

Vous êtes déjà venu plusieurs fois à Cannes, en fait presque à chaque fois que vous aviez réussi à finir un film. On pourrait penser que vous êtes un enfant du Festival de Cannes, mais vous êtes aussi en même temps une sorte de patron. A la première annonce des films retenus en sélection officielle, la principale question était bien: " Love de Gaspar Noé ?", comme s'il était évident que vous seriez parmi nous cette année.
Cannes a beau jeu d’équilibrer sa sélection entre habitués et nouveaux, s'il y a bien un réalisateur que l’on attend de voir sur la Croisette c’est évidement vous (et la confirmation de votre sélection a été annoncée quelques jours plus tard).

Tout vos films ont d’abord été découvert à Cannes. Ils étaient tellement inattendus que le nouveau est maintenant devenu très attendu. Carne en 1991 et Seul contre tous en 1998 (Semaine de la Critique), le controversé Irreversible en 2002 (en compétition officielle), Enter the Void en 2009 (en compétition officielle), 7 jours à la Havane-Ritual en 2012 (à Un Certain Regard, aux côtés de sept réalisateurs différents). On n’oublie pas non plus La bouche de Jean-Pierre avec Lucile Hadzihalilovic en 1996 (à Un Certain Regard) ni les courts-métrages - We Fuck Alone (dans Destricted, Semaine de la Critique dont il a été le parrain) ou comme 8 (sur le thème du sida).

Un malentendu subsiste depuis la projection à minuit de Irreversible, malentendu pas dissipé avec Enter the void: vous seriez un réalisateur sulfureux qui fait des films violents et presque pornographiques. Il s’agit avant tout d’histoires d’amour qui meurent, des films pessimistes, désenchantés, formellement intrigants mais volontiers provocateurs (n'hésitant pas à être politiquement incorrects). Certains vous haïssent, ou rejettent, d'autres vous adorent. La passion selon Noé: vous ne laissez pas indifférent. Et c’est encore le cas de votre nouveau film où l’amour dégouline même du titre : Love.  "Au cours d'une longue journée pluvieuse, Murphy va se retrouver seul dans son appartement à se remémorer sa plus grande histoire d'amour, deux ans avec Electra. Une passion contenant toutes sortes de promesses, de jeux, d'excès et d'erreurs..." Les affiches annoncent du sexe, du sperme, des seins, un gland. Bref ce que l'on peut voir sur Tumblr, mais cela choque-t-il encore? Lars Von trier a aussi introduit la pornographie dans films. Le lesbianisme a envahit les publicités de marque de luxe. Quant au triolisme, de Korine à Bertolucci, ce n'est plus très neuf.

On devine qu’aujourd’hui la projection en 3D à minuit hors-compétition risque de ne pas faire bander Cannes: certains journalistes dorment déjà à la projection de 19 heures, d'autres festoient sur les plages. Il est loin le temps où un Noé annonçait un peu de frisson et de sensations dans les discussion.

Alors vous avez publié une note d'intention pour bien expliquer votre démarche: "Pendant des années, j'ai rêvé de faire un film qui reproduise au mieux la passion amoureuse d'un jeune couple dans tous ses excès physiques et émotionnels. Une sorte d'amour fou, comme la quintessence de ce que mes amis ou moi-même avons pu vivre. Un mélodrame contemporain qui intègre de multiples scènes d'amour, et dépasse le clivage ridicule qui fait qu'un film normal ne doit pas montrer des séquences trop érotiques alors que tout le monde adore faire l'amour. Je voulais filmer ce que le cinéma peut rarement se permettre, pour des raisons commerciales ou légales, c'est- à- dire filmer la dimension organique de l'état amoureux. Pourtant, dans la plupart des cas, c'est là que réside l'essence même de l'attraction à l'intérieur d' un couple. Le parti-pris était donc de montrer une passion intense sous un jour naturel, donc animal, ludique, jouissif et lacrymal. Contrairement à mes projets précédents, pour une fois, il n'est question que de violence sentimentale et d'extase amoureuse."

Cannes 2015 : Lettre à Brillante Mendoza

Posté par MpM, le 19 mai 2015

Cher Brillante Mendoza,

Taklub signifie "piège". C'est le titre de votre dernier film présenté à Cannes 2015 dans la section Un certain regard, qui raconte les suites du passage du typhon Haiyan aux Philippines en 2013, et notamment les conditions de survie de plusieurs habitants de la ville de Tacloban dévastée par la catastrophe.

Sous une forme très proche du documentaire, en mouvement et au plus près de vos personnages, vous filmez les conditions précaires, voire périlleuses, des réfugiés, leurs difficultés pour obtenir de l'aide, leur combat pour retrouver le corps de leurs proches disparus. Vous montrez les stratagèmes de chacun pour continuer à avancer et se reconstruire, ainsi que la peur d'une nouvelle catastrophe qui sourd.

On croirait presque un état des lieux exhaustif, et à la portée universelle, du statut de victime. Certaines images nous sont familières pour occuper les journaux télévisés à chaque nouveau drame humain : campements de fortune, maisons en ruine, rescapés démunis... Comme c'est souvent le cas dans votre cinéma, rien ne nous est épargné de la misère et de l'horreur, de la douleur et du sordide. Au début du film, le plan qui s'attarde sur le corps calciné d'une mère serrant encore un enfant dans ses bras est ainsi purement insupportable.

Il faut témoigner, inlassablement et sans fard, des injustices et des horreurs du monde. Faut-il pour autant le faire à n'importe quel prix ? Talklub répond à la question à sa manière, plutôt démonstrative. Mais votre acharnement à donner film après film une voix à ceux qui en sont privés va bien au-delà d'une question de morale cinématographique. C'est une nécessité vitale.

Cannes 2015: Jane Fonda, la productrice de Zero Dark Thirty et Olivia de Havilland à l’honneur

Posté par cynthia, le 19 mai 2015

Jane Fonda, Megan Ellison et Olivia de Havilland ont été mises à l’honneur lors du Dîner de la Présidence du Festival de Cannes, co-organisé avec Kering.

À l'occasion de la première édition du programme Women in Motion destiné à mettre en valeur et célébrer la contribution des femmes au 7ème art, Kering et le Festival de Cannes ont célébré l’engagement et la carrière exceptionnelle de l’actrice américaine, productrice et philanthrope Jane Fonda, primée deux fois aux Oscars en tant que meilleure actrice pour Klute et Le Retour. Elle a aussi été nommée pour On achève bien les chevaux, Julia, Le syndrome chinois, La Maison du lac et Le lendemain du crime.

La jeune productrice Megan Ellison (Annapurna Pictures) a également été récompensée lors de cette soirée. Pierre Lescure, Président du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, Délégué général du Festival de Cannes et François-Henri Pinault, Président-Directeur général du groupe Kering, ont remis leurs prix respectifs aux deux lauréates de la soirée. Megan Ellison a notamment produit quelques films présentés à cannes comme Des hommes sans loi, Cogan: Killing them softly et Foxcatcher, mais aussi True Grit, Zero Dark Thirty, The Grandmaster, Spring Breakers, Her, American Bluff et le prochain Terminator Genesys.

Enfin, la comédienne Olivia de Havilland, 98 ans aujourd'hui et résidant à Paris, a été la troisième femme récompensée, malgré son absence. Eternelle Melanie dans Autant en emporte le vent, la comédienne a été deux fois oscarisée et a arrêté sa carrière en 1988.

Claudia Cardinale, Salma Hayek Pinault, Isabelle Huppert, Sophie Marceau, Julie Gayet, ou encore Charlotte Le Bon, Golshifteh Farahani et même Benicio del Toro, John Turturro et Jake Gyllenhaal, ont participé à la cérémonie.

Ce dîner fut l’occasion de célébrer la contribution des femmes au cinéma et de marquer le lancement de l’initiative Women in Motion au Festival de Cannes. A compter de 2016, le programme comprendra deux prix Women in Motion : le premier récompensera une contribution significative à la cause des femmes au cinéma et le second, une jeune cinéaste talentueuse, afin d’aider les jeunes talents féminins à obtenir davantage de visibilité et de reconnaissance au sein du monde du cinéma.

Cannes 2015: Carte postale du Canada

Posté par vincy, le 19 mai 2015

L'an dernier, le Canada était représenté par trois films en compétition au festival de Cannes: Cronenberg (qui a ramené un prix d'interprétation féminine), Egoyan et Dolan (qui est reparti avec un prix du jury). Trois des grandes figures cannoises de ces vingt dernières années. David Cronenberg avait soulevé les passions avec Crash, Atom Agoyan avait frôlé la Palme avec De Beaux lendemains (Grand prix du jury tout de même) et Xavier Dolan est né sur la Croisette (côté Quinzaine des réalisateurs), où il a présenté tous ses films à l'exception de Tom à Ferme et est, déjà, le cinéaste canadien le plus primé du Festival.

Cette année encore, un cinéaste canadien va monter les marches: Denis Villeneuve, qui a déjà goûté au festival dans les sélections parallèles et a gagné une Palme d'or du court métrage, avant de migrer à Hollywood et devenir abonné au Festival de Toronto. Anglophones, francophones, acadiens ou allophones, les cinéastes canadiens ont toujours réussi à démontrer que le cinéma nord-américain n'était pas réservé qu'à leurs voisins, même s'ils empruntent leurs capitaux ou s'ils emploient leurs stars.

Mais il a aussi sa singularité. Rappelons nous en 2001 quand Zacharias Kunuk révélait Atanarjuat, premier film inuit sélectionné au Festival, et emportait avec lui la Caméra d'or. C'est surtout le cinéma québécois qui a brisé les préjugés sur le cinéma canadien. Ainsi Denys Arcand a gagné ses galons de cinéaste majeur sur la Croisette: meilleur scénario (Les invasions barbares en 2003), Prix du jury (Jésus de Montréal en 1989) et Prix FIPRESCI (Le déclin de l'empire américain en 1986).

Plus loin dans le temps, Michel Brault (Les Ordres, 1975) a gagné un prix de la mise en scène. Car le cinéma québécois a surtout brillé à Cannes dans les années 70. On a oublié que Jean Pierre Lefebvre reste le cinéaste canadien le plus projeté à Cannes, avec 11 films présentés dans les diverses sélections. Jean Beaudin, André Brassard, Carole Laure, Gilles Carle, Ted Kotcheff, Jean-Claude Lauzon, André Forcier, Jean-Claude Labrecque, Robert Lepage, Denis Côté, Philippe Falardeau, et on en oublie, sont tous passés par la Côte d'azur.

Avec 80 longs métrages environ produits côté anglophone et une trentaine en moyenne côté francophone, le Canada continue bon an mal an à exister dans le 7e art mondial. La part de marché reste fragile et l'export est devenu une nécessité. Mais depuis une quinzaine d'années, de nouveaux auteurs émergent et jamais autant de films canadiens n'ont été nommés aux Oscars ou aux César. Cela peut durer si les institutions restent aussi solides qu"auparavant, ce qui n'est pas sûr: la culture est loin d'être une priorité politique depuis quelques années.

Cannes 2015 : retrouvailles avec Marthe Keller

Posté par vincy, le 19 mai 2015

marthe keller amnesia

On est si heureux de la retrouver... Marthe Keller, 70 ans, fut une star durant les années 60 et 70. En 50 ans de carrière, la comédienne s'est affranchie des frontières: celles entre le théâtre, le cinéma et la télévision (Les Demoiselles d'Avignon) ; mais aussi les frontières géographiques, puisqu'elle a travaillé aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, en Italie...

Depuis 1966, Marthe Keller n'a jamais arrêté. Pourtant, avec Amnesia, elle revient au 68e Festival de Cannes, en Séances spéciales, après 13 ans d'absence sur les marches (même si, au début des années 2010, elle déambulait sur la Croisette en sélections parallèles). La dernière fois, elle était membre du jury de la Caméra d'or. Elle avait déjà présidé ce même jury, en 1994. Et au sommet de sa carrière internationale, l'actrice helvète avait été membre du jury de la Compétition en 1977.

Côté films, on l'a rarement vue, à notre plus grand désespoir. Deux fois hors compétition avec Toute une vie de Claude Lelouch en 1974 et Fedora de Billy Wilder en 1978. Deux fois en compétition avec Les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov en 1987 et L'Ecole de la Chair de Benoît Jacquot en 1998.

De Broca et Pacino

Il est impossible d'ignorer Frau Keller. Jeune, elle était gracieuse, coquine, irrésistible, craquante, mutine dans les comédies de son compagnon d'alors, le réalisateur Philippe de Broca. Elle s'offrit en joueuse proche de la nymphomanie dans Le Diable par la queue en 1968, et en espiègle qui fait tourner les têtes dans Les Caprices de Marie en 1970. Des comédies françaises elle passa aux productions hollywoodiennes Marathon Man de John Schlesinger, Black Sunday de John Frankenheimer, Bobby Deerfield de Sydney Pollack, avec Al Pacino (qui deviendra un temps son compagnon et reste un grand ami). Ainsi, récemment, on pouvait la croiser aussi bien chez Clint Eastwood (Au-delà) que chez Bouli Lanners (Les géants, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2011).

De grands écarts qui la font tourner dans des romances comme des thrillers, des films noirs à de la SF, de la comédie légère (Le derrière de Valérie Lemercier) aux films d'auteur (Au galop, à la Semaine de la critique en 2012). Sur les planches, elle met en scène des opéras et se laisse diriger par Patrice Chéreau, Lucian Pintilie, Yannick Haenel, ...

Entre autorité naturelle et charme évident, elle peut jouer les dominatrices comme les romantiques. Souvenir d'enfance dans des comédies populaires ou des films hollywoodiens inaltérables, elle s'est mue en grande actrice, libre, au fil des ans. En incarnant Martha dans Amnesia, de Barbet Schroeder, Keller nous plonge dans une histoire de solitude et d'amour. Un rejet du passé qui lui sied bien. Même si nous n'avons pas envie d'oublier sa présence charismatique dans des films qui ont accompagné notre existence.

Cannes 2015: Qui est Tadanobu Asano ?

Posté par MpM, le 19 mai 2015

Tadanobu AsanoSéduisant, Tadanobu Asano l’est assurément, avec son air rebelle, son regard effronté et sa gueule d'ange déchu. Mais pour se distinguer des falots pop-idols qui se battent pour avoir sa place, il a opté pour un détachement qui transpire jusque dans la moitié de sa filmographie. Depuis ses débuts, le comédien alterne en effet les rôles de personnages gauches et paumés avec des compositions plus extériorisées de psychopathes borderline.

Qui est-il vraiment ? La légende veut qu’il soit dans le privé un homme simple, père modèle et rangé, dont les seuls excès consistent à chanter dans le groupe Mach 1.67 qu’il a créé avec le réalisateur Gakuryû Ishii. Devenu acteur un peu par hasard (il refuse d’ailleurs toujours le terme) lorsque son père, agent de comédiens, lui obtient un rôle dans un série télévisée, il se fait remarquer pour la première fois en 1993 dans Fried Dragon Fish de Shunji Iwai. Il a vingt ans, et le cinéma ne semble attendre que lui.

Dans la décennie qui suit, on le retrouve chez Kore-Eda (Maborosi, Distance), Shinji Aoyama (Helpless), Ishii Katsuhito (Shark Skin Man and Peach Hip Girl, Party 7), Nagisa Oshima (Tabou) et Takashi Miike (Ichi the killer). Rien qu’en 2003, il est à l’affiche de quatre films asiatiques de premier plan : Café lumière de Hou Hsiao-Hsien dans lequel il dirige une boutique de bouquinistes et enregistre à ses heures perdues le bruit des trains qui traversent la ville ; Jellyfish de Kyoshi Kurosawa, où il incarne un jeune homme obsédé par une méduse et sombrant dans une folie criminelle ; Last life in the universe de Pen-ek Ratanaruang qui le met en scène en jeune homme mutique et suicidaire (encore) confronté à une violence qui le dépasse ; Zatoichi de Takeshi Kitano où il est un samouraï virtuose.

L’éclectisme et la variété dont fait preuve l’acteur a quelque chose de vertigineux et de jouissif. Rien ne lui semble impossible, et de ce fait les metteurs en scène de tous horizons le sollicitent, lui proposant sans a priori des rôles violents ou contemplatifs, légers ou terrifiants, décalés ou absurdes. Il participe ainsi à la très belle aventure de The taste of tea, chronique familiale barrée, poétique et sensible de Ishii Katsuhito, puis se laisse à nouveau entraîner dans un polar poisseux et étrange avec les Vagues invisibles de Pen-ek Ratanaruang, se mue en Ghengis Khan pour le Mongol de Sergey Bodrov, souffre d’amnésie pour Shinya Tsukamoto (Vital)… Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne laisse enfermer dans aucun type de personnage, jouant tout avec gourmandise, et succès.

Curieusement, le début des années 2010 marque un tournant dans ses choix de comédien. A-t-il fini par se lasser ou s’est-il laissé charmer par les sirènes d’une carrière internationale ? Tadanobu Asano tourne plus souvent hors d’Asie et accepte des superproductions hollywoodiennes. En 2011, il rejoint ainsi l’équipe de Thor réalisé par Kenneth Branagh pour interpréter Hogun, l’un des amis du personnage principal. "J’ai du sang néerlandais et norvégien, donc j’ai le sentiment qu’il était nécessaire que je rejoigne le film", explique-t-il à l’époque. "Car j’ai l’impression que Thor est le point de départ pour trouver mes racines. J’ai découvert que j’ai de la famille aux Etats-Unis, je veux prendre mon temps et faire de mon mieux pour que les spectateurs étrangers me connaissent mieux, et c’est aussi un processus dont je veux profiter." Il y aura ensuite Battleship de Peter Berg, Thor 2 d’Alan Taylor et 47 Ronin de Carl Erik Rinsch.

Comme pour prouver que l’Occident n’a aucune prise sur lui, l’acteur poursuit en parallèle une carrière asiatique, mais ses films s’exportent moins qu’autrefois. Comme s’il traversait le premier passage à vide de sa carrière, près de vingt-cinq ans après ses débuts. Un passage à vide tout de même plus que relatif, puisque Martin Scorsese a fait appel à lui pour son prochain film, Silence, et qu’il sera présent une nouvelle fois sur la Croisette avec Journey to the shore de Kiyoshi Kurosawa. On a vu des agendas moins bien remplis.